1788 : savoirs politiques de l'Encyclopédie Méthodique

Lecture des volumes d'économie politique et diplomatique

Jean-Jacques Tatin-Gourier

L'Encyclopédie Méthodique, publiée par C. Panckouke en 1788, s'est voulue un contrepoids de l'Encyclopédie de Diderot : les critiques à l'égard de la noblesse et du clergé restent mesurées et on insiste sur l'instabilité de la démocratie. Le modèle pragmatique et modéré de la république américaine est globalement accepté. L'Encyclopédie Méthodique prône le modèle du réformateur mesuré et le libéralisme économique.

The Encyclopédie Méthodique, published by C. Panckouke in 1788, was supposed to counterbalance the Encyclopédie of Diderot : the clergy and the nobility are slightly criticized and emphasis is placed on the unstability of the democracy. The pragmatic and moderate model of the American republic is generally accepted. The Encyclopédie Méthodique is favourable to the moderate reformer and the economic liberalism.

Dans l'Aventure de l'Encyclopédie, Robert Darnton a décrit les phases successives de la dernière grande entreprise du libraire Panckoucke : l'édition de l'Encyclopédie Méthodique, conçue comme encyclopédie suprême embrassant toutes les connaissances humaines et susceptible, selon Panckoucke lui-même, d'éclipser la première Encyclopédie de Diderot. L'étude de cette entreprise éditoriale de « l'Atlas de la Librairie » permet de mieux apprécier la diffusion et la légitimation des Lumières à la veille de la Révolution. En effet, avant que les troubles révolutionnaires ne menacent et n'infléchissent sa production, l'Encyclopédie Méthodique a un statut quasi officiel. « En 1789, écrit Robert Darnton, le sort de l'ouvrage semble lié à celui du régime car la Méthodique avait pris un caractère semi-officiel. C'est un produit de la protection et du privilège, publié par la grâce du roi, censuré par des fonctionnaires royaux et imprimé par 25 des 36 imprimeurs qui détiennent un monopole royal sur la production des livres à Paris » 1.

D'autre part, l'organisation « méthodique », le regroupement discipline par discipline 2, illustre l'apparition de la notion de disciplines autonomes et manifeste une nette évolution de l'encyclopédisme vers le professionnalisme. Malgré ces clivages liés aux spécialisations et au-delà des bouleversements révolutionnaires, une problématique commune semble unir ces encyclopédistes de la seconde génération : mettre leurs savoirs au service de l'Etat, quelles que soient ses formes.

Cependant l'Encyclopédie Méthodique constitue, de par sa composition une mosaïque complexe de textes : l'ancienne Encyclopédie est partiellement reprise, mais interviennent aussi de nombreuses corrections et adjonctions, qu'elles soient explicites ou inavouées. Bien qu'obéissant à une composition de ce type, le Dictionnaire d'Economie politique et diplqmatique présente une unité certaine revendiquée d'ailleurs par les auteurs 3. En proposant une lecture de ses quatre volumes rédigés par Jean-Nicolas Desmeunier et Guillaume Grivel 4, nous nous interrogeons sur la cohérence des savoirs politiques, juridiques et économiques, proposés par l'élite des héritiers des Lumières à l'Etat monarchique engagé dans sa crise ultime.

Une critique limitée

Dans l'article « Loi » (t. III, p. 136), la dimension critique de l'ouvrage est nettement soulignée : «... En racontant ce qui se passe, nous avons soin d'indiquer les vices et les abus de ce qui se passe [...] ». Cependant l'acuité de la critique de l'ordre sociopolitique établi, qu'elle vise le clergé, la noblesse ou le gouvernement, est plus limitée que dans l'Encyclopédie de Diderot et implique seulement, le plus souvent, quelques propositions de redéfinitions et de réformes régulatrices.

L'objectif d'« écraser l'infâme » qui était celui de Diderot a disparu de l'Encyclopédie Méthodique. Bergier, confesseur du roi et chef de file des adversaires des philosophes, à qui Panckoucke confie la rédaction du dictionnaire de Théologie, exprime d'ailleurs sa décision d'expurger l'Encyclopédie des hérésies de Diderot 5. La critique antireligieuse, diffuse et prégnante dans l'Encyclopédie, est limitée à la mise en cause de l'« autorité abusive du clergé » présentée comme simple survivance 6. L'étendue des biens et des revenus ecclésiastiques est en fait seule critiquée - la dîme étant plus particulièrement visée. Cependant la perspective d'un équilibre acceptable est esquissée : « Quel est le point de la fortune du clergé le plus favorable aux mœurs des ecclésiastiques et au respect du peuple pour eux ? ». La critique limitée des abus cléricaux s'articule ainsi à la proposition de réformes.

Antinobiliaire

A prime abord, la critique antinobiliaire semble plus nette et revêt même parfois une tonalité pamphlétaire : « Convenons que les nobles ressemblent beaucoup à ce que les frelons sont aux ruches ».

Cette critique présuppose souvent des développements historiques impliquant une ferme condamnation du « gouvernement féodal ». En faisant appel aux notions d'intérêt de l'Etat, d'égalité des citoyens et de mérite personnel, elle se fonde sur « la morale et la politique ».

Cependant la suppression de l'ordre de la noblesse est clairement rejetée 7. La seule réforme envisagée est, en fait, l'abolition de l'annoblissement par achat de titres, cette « indigne entrée dans le corps des nobles ». Or, cette mesure est précisément l'une des exigences nobiliaires les plus répandues. La mise en cause des droits seigneuriaux est, de plus, déclarée inopportune: « Cette matière est délicate, et nous ne nous permettrons pas de la traiter en ce moment. »

Dans l'article « Sédition », la dénonciation des privilèges est même assimilée à une incitation à l'insurrection, au projet de « loi agraire » qui est présentée comme une menace pour l'ensemble des propriétaires : « C'est renouveler la loi agraire, que d'ameuter les individus contre leur corps et contre ses constitutions reçues et autorisées ; c'est préparer, c'est exciter l'insurrection de la cupidité et de l'esprit général d'invasion des propriétés, que de croire pouvoir disposer des propriétés des corps, pourvu qu'on en désintéresse les membres qui les composent ». Ainsi, dans le contexte de la crise sociopolitique de 1788, la critique antinobiliaire côtoie-t-elle, quelle que soit la vigueur de ses accents pamphlétaires, un discours de défense du privilège au nom du droit de propriété menacé.

Sur les problèmes d'ordre politique, la dimension critique de l'Encyclopédie Méthodique semble plus encore s'estomper. En effet, face à la typologie traditionnelle des gouvernements, la Méthodique proclame son indifférence et son scepticisme : les distinctions établies ne permettent pas une analyse précise des gouvernements existants, de leurs formes mixtes et ne peuvent en aucun cas fonder une appréciation en matière de liberté politique : « Tout gouvernement de quelque nature, de quelque forme qu'il soit, peut également conserver religieusement à la nation la liberté politique et la lui ôter. »

Contre les extrêmes

Cependant, la condamnation sans nuances du modèle aristocratique et de certaines formes de démocratie est récurrente dans le Dictionnaire d'Economie politique. Les conditions d'acceptabilité du gouvernement aristocratique ne sont en effet à aucun moment définies. Dans les articles « Danemarck », « Dissolution des Etats » et « Lèse Majesté », le gouvernement aristocratique est présenté comme source d'oppression et d'esclavage absolus, durables et irrémédiables. La supériorité de la démocratie définie comme « forme de gouvernement dans laquelle le peuple jouit de la souveraineté » est certes reconnue en principe 8. Mais la proximité de la démocratie et de l'aristocratie est par ailleurs soulignée, et l'accent est mis sur l'instabilité propre aux gouvernements démocratiques. Ceux-ci courent en permanence le risque de se corrompre, qu'ils perdent l'esprit d'égalité et connaissent ainsi une dérive aristocratique 9, ou qu'un souci d'égalité extrême les conduise au « despotisme ». L'Encyclopédie Méthodique met cependant avant tout en relief les excès égalitaires de la démocratie pure : « En général la démocratie pure est fort dangereuse ; on peut même ajouter qu'elle est déraisonnable, en ce qu'elle accorde à des hommes ignorants et grossiers des droits si vastes qu'ils en abuseront toujours. »

L'instauration de la loi agraire est l'un des risques majeurs évoqués 10. L'égalité, « âme de la démocratie », doit être maintenue par la voie fiscale plutôt que par le partage égal des terres. De plus, les divisions et hiérarchisations internes peuvent seules permettre que « le petit peuple soit éclairé par les principaux et contenu par la gravité de certains personnages ». La création d'un sénat, à condition qu'il ne soit pas inamovible, peut également assurer le maintien des mœurs. Dans cette définition des conditions d'acceptabilité de la démocratie, intervient une nette prise de distance à l'égard des modèles antiques : « Les politiques grecs qui vivoient dans le gouvernement populaire, ne reconnoissoient d'autre force qui pût le soutenir, que celle de la vertu. Ceux d'aujourd'hui ne nous parlent que de manufactures, de commerce, de finances, de richesses et de luxe même. »

Le modèle américain

Cependant le modèle des républiques américaines s'avère d'une grande prégnance. L'Encyclopédie Méthodique cite en effet les constitutions des différents Etats et consacre un article à chacune d'elles. Compte tenu des appréciations globalement portées sur l'Indépendance américaine, la publication de ces textes fondateurs confère aux républiques le statut de modèle tout en impliquant un développement exceptionnel des discours contractuels et des thèses du droit naturel 11. De plus la Méthodique souligne la supériorité de la confédération américaine sur les républiques antiques et contemporaines ainsi que sur la monarchie anglaise 12.

Les jugements portés sur ces législations exposées et les critiques des textes consacrés à l'Indépendance (Mably, Turgot) confirment la réflexion théorique sur la démocratie et ses conditions d'acceptabilité. En premier lieu, les républiques américaines ont su éviter une dérive aristocratique : le Massachussetts a ainsi proscrit toutes les distinctions héréditaires. Cependant, le caractère rigoureusement démocratique de certaines constitutions - celle de Pennsylvanie essentiellement - est critiqué : il implique le risque d'instabilité 13. De ce fait, certaines restrictions du jeu démocratique sont préconisées : « Peut-être le parti le plus sage, dans ces circonstances, seroit-il d'imiter la politique de Solon qui, pour ne pas révolter les riches, exigea qu'on jouît d'un certain revenu pour avoir droit de parvenir aux magistratures. »

Il est même souhaitable et prévisible que les républiques américaines introduisent peu à peu certaines formes aristocratiques dans leurs institutions démocratiques 14. Cependant, le recours des états américains au système représentatif constitue un garant essentiel de stabilité et de prospérité : « Tout le monde connoît les orages des véritables démocraties ; il est clair qu'elles ne conviennent qu'à des pays peu étendus. Les citoyens y perdent leur temps à tenir des assemblées générales, à délibérer sur les affaires publiques, et à nommer des magistrats ; les colons d'Amérique veulent s'occuper de leur culture et de leurs affaires particulières, et ils méritent des éloges pour avoir préféré une forme de gouvernement qui assure la liberté politique et la liberté civile, sans nuire à l'industrie. »

L'oeuvre législatrice pragmatique des Américains exige une approche elle-même pragmatique et modérée, prenant en compte les impératifs « du commerce et de l'économie politique ». Diverses critiques des institutions américaines sont de ce fait rejetées : Mably, prévenu contre la constitution d'Angleterre, est par trop tributaire des modèles antiques ; Turgot, parce qu'il reproche aux législateurs américains leur inspiration anglaise, mais aussi parce que ses réformes ont été trop brutales, est assimilé aux « écrivains qui prêchent une liberté absolue ».

Si les modèles démocratiques de l'antiquité ne peuvent avoir aucun impact sur l'évolution des institutions politiques françaises, ce modèle américain, redéfinition du modèle traditionnel de démocratie, peut être inspirateur de leçons pour une monarchie absolue, engagée dans la voie de réformes précises et limitées. L'Encyclopédie Méthodique ne vise en effet nullement à bouleverser le cadre institutionnel de la monarchie absolue. Celle-ci est fondamentalement distinguée du « pouvoir arbitraire ». « Le pouvoir absolu qui est dans l'Etat n'est point un pouvoir arbitraire; c'est l'ouvrage de la raison et de l'intelligence, et non un effet du caprice. »

Défense des institutions

Bien qu'il réitère cette appréciation positive de l'absolutisme, le Dictionnaire d'Economie politique affirme par ailleurs le caractère parasitaire du « souverain » qu'il range, sur un plan strictement économique, aux côtés des militaires, des ecclésiastiques, des gens de loi et de lettres, des médecins, des comédiens, des bouffons, des musiciens et des chanteurs et danseurs d'opéra. Même justifiée par des arguments d'ordre économique, une telle mise en série a une valeur dégradatrice et pamphlétaire : l'amalgame présuppose l'irrespect des signes distinctifs des hiérarchies politiques, sociales et culturelles. Néanmoins, pour les auteurs du dictionnaire, la monarchie et ses corps intermédiaires subordonnés doivent être maintenus. La noblesse tient en effet à l'essence même de la monarchie même si sa prééminence doit être redéfinie 15: ses privilèges onéreux au peuple peuvent éventuellement - même si la situation présente ne le permet pas - être remplacés par des distinctions honorifiques sans que l'Etat ne devienne nécessairement despotique ou populaire. L'existence des parlements doit, elle aussi, être sauvegardée. La référence à l'Esprit des lois justifie d'ailleurs l'action passée des parlements.

Cette défense intégrale des institutions politiques françaises va de pair avec un soutien déclaré aux mesures gouvernementales visant à juguler la crise politique et sociale : convocation des assemblées de notables 16, instauration d'administrations municipales, suppression de la corvée 17 et mesures assurant la liberté du commerce des grains. L'éloge des administrations provinciales est particulièrement appuyé : elles doivent permettre les réformes fiscales indispensables. « Les administrations provinciales vont changer ce même régime, et elles produiront sur cet article toutes sortes de biens. »

L'imposition doit en effet être proportionnelle au revenu, fixe sans arbitraire, et collectée sans oppression. A l'exemple de la Prusse, les ecclésiastiques doivent contribuer, par une imposition plus forte, à la prospérité de l'Etat. La taxation des terres nobles doit, elle aussi, être augmentée.

Autorisées du modèle américain - mais sans imitation mécanique -, les monarchies européennes, attentives à l'évolution des Etats-Unis, peuvent s'engager dans des réformes que les Lumières n'ont pu à elles seules permettre : « Il est aisé de prévoir que leurs constitutions ne seront adoptées nulle part, excepté peut-être dans les parties de l'Amérique qui se civiliseront ; l'Europe les admirera, et ne les imitera pas : mais leurs lois, si elles sont bonnes, pourront être utiles en plusieurs points aux nations européennes: elles gémissent sous un fatras de règlements injustes ou bizarres, restes de la féodalité ou de la jurisprudence des Romains: l'autorité des bons écrivains et de leurs élèves sera trop faible pour extirper des abus si multipliés et si invétérés; mais si les Américains doivent à leur code une partie de leur bonheur, cette autorité imposante séduira peut-être les peuples de l'ancien monde. »

Le contre-exemple des Pays-Bas

Cependant, si l'oeuvre opérée par les législateurs américains et inspirée de la constitution anglaise et des Lumières, constitue l'horizon des changements possibles 18, la longue relation des troubles des Pays-Bas autrichiens intervient comme exemple d'échec d'une politique réformatrice de despotisme éclairé. Les auteurs soulignent tout d'abord la proximité immédiate des événements et formulent en termes explicites leur souhait de pacification : « Au moment où nous écrivons (au commencement de 1788), ces malheureux troubles, terminés sur les points essentiels, continuent sur un autre bien moins important. Nous formons des vœux pour que les soulèvements ne recommencent pas sur cette bagatelle. »

La responsabilité des troubles est clairement attribuée au pouvoir impérial qui a voulu imposer une politique anticléricale et réformatrice en matière administrative et judiciaire 19. L'absence de prise en compte des « préjugés », l'ampleur des enjeux et la précipitation sont à l'origine de cette sédition regroupant toutes les composantes de la population 20. Mais, en ne faisant pas la part des réformes nuisibles et des réformes utiles, inspirées des Lumières, les séditieux des Pays-Bas ont, eux aussi, fait preuve de cécité, que celle-ci relève d'une impuissance ou d'une volonté de refus. « Nous observons seulement que les Pays-Bas, en réclamant leurs capitulations et leurs privilèges n'ont pas voulu ou n'ont pas pu séparer les innovations, nuisibles à leur prospérité et à leur industrie, de celles qui étoient analogues au progrès des Lumières et qui se trouvoient favorables à la prospérité de ces mêmes provinces. »

Ainsi, si les Etats-Unis apparaissent comme l'horizon des changements utiles et possibles, la juste adaptation des idéaux des Lumières à une réalité qui n'est toutefois pas celle de l'Europe, les Pays-Bas autrichiens, engagés précipitamment par un monarque éclairé sur la voie des réformes, constituent un avertissement. La leçon de l'Indépendance américaine peut être une incitation aux politiques de réforme, alors que celle des Pays-Bas a valeur de mise en garde pour les princes réformateurs.

La voie des progrès possibles s'avère donc étroite en comparaison des risques qu'encourent les empires. Dans le Dictionnaire d'Economie politique, le discours développé sur les progrès historiques, qu'ils soient acquis ou à venir, est mince et demeure largement subordonné au discours pessimiste et archaïque sur le cours fatal de l'histoire. L'article « Economistes » évoque les progrès acquis au cours du siècle et affirme la nécessité de « novateurs » 21. Mais l'espoir en un bonheur lointain est présenté comme une fragile consolation 22. Seule la relation de l'Indépendance américaine permet l'affirmation plus nette d'une conception progressive de l'histoire : « [Les nouvelles républiques] n'ont point à détruire ces antiques abus et ces inaltérables préjugés qui font le malheur de toutes les vieilles nations; elles entrent dans un ordre de choses où tout peut leur obéir. Le passé ne les enchaîne pas, l'avenir est en leur disposition. »

Un discours pessimiste

Ce progrès historique maîtrisé par l'homme n'est en fait possible que pour le Nouveau Monde. Quand il est question de l'Europe, le discours sur le progrès demeure subordonné au discours sur la dégradation inévitable de l'histoire. L'article « Politique » (t. m, p. 625) manifeste sans doute le plus clairement cette subordination : il ne faut tenter de perfectionner les corps politiques que pour qu'ils puissent durer.

Le discours pessimiste et archaïque sur l'histoire demeure manifestement dominant. « Les Etats, ainsi que les corps humains, portent en eux les germes de leur destruction : comme eux, ils jouissent d'une force plus ou moins durable ; comme eux, ils sont sujets à des crises qui les enlèvent brusquement, ou à des maladies chroniques qui les minent peu à peu, en attaquant les principes de la vie. Ainsi les sociétés comme les malades, éprouvent des transports, des délires, des révolutions: un embonpoint trompeur couvre souvent leurs maladies internes ; la mort elle-même suit de près la santé la plus robuste. »

Dans ce discours, les métaphores organicistes abondent. Mais apparaissent aussi les métaphores de la lumière et de l'eau - le fleuve, l'eau croupie - et la métaphore plus classique de la roue de la fortune. L'histoire est conçue comme un processus de dégradation que ponctuent les « révolutions » 23. Celles-ci sont souvent issues de séditions. Pour évoquer la genèse de ces « émotions populaires », les métaphores de la fermentation et de l'orage sont souvent développées 24. Les réformes trop amples et précipitées sont présentées comme les catalyseurs par excellence des séditions. La métaphore du rapiéçage de la « tissure usée » apparaît alors 25.

Cependant cette conception fataliste de l'histoire, que l'Encyclopédie Méthodique développe elle-même largement, est par ailleurs reniée et dénoncée comme symptôme de la corruption du despotisme : « Ne songeons point tristement à nos peines ; laissons-nous entraîner, le plus doucement qu'il est possible par la force irrésistible de la nécessité [...]. C'est ainsi que s'expriment des esclaves indolents en qui le despotisme a totalement étouffé jusqu'au désir de voir changer leur sort. »

Entre les périls de la réforme précipitée et les dangers d'un immobilisme tout à la fois préconisé et dénoncé, la voie de l'action politique est tout aussi étroite que celle du progrès historique. L'Encyclopédie Méthodique condamne prioritairement les critiques radicales et les comportements qui les autorisent. Qu'il s'agisse des thèses préconisant le partage des terres - par référence aux lois agraires romaines 26- ou de la dénonciation des « accaparements », les mises en cause du droit de propriété sont rejetées. « L'idée qu'on se fait de l'accaparement est le plus souvent comme celle qu'on attache aux mots de sorcier.et de maléfice ; elle est grossie, elle est défigurée par l'imagination. C'est un fantôme, qui, vu à travers les brouillards de l'ignorance et du préjugé, a communément plus d'apparence que de réalité. »

Ces critiques, dénoncées comme archaïques et dangereuses, et auxquelles est opposé le principe de la liberté du propriétaire, sont rapportées à une conception du monde caractérisée par la prégnance d'une problématique strictement politique et par l'absence de prise en compte des impératifs économiques : « On ne cesse de prêcher depuis quelque temps une liberté absolue ; on endoctrine tous les peuples de la même manière, non sur des points qui intéressent les droits sacrés et invariables du genre humain mais sur la forme particulière des gouvernements et c'est une grande erreur de la philosophie moderne. »

A celui qui développe une critique radicale de ce qui est au nom d'une perfection que la réalité ne permet pas de transcrire, l'Encyclopédie Méthodique oppose le réformateur mesuré : « Les hommes d'un génie supérieur au contraire ont des vues très vastes ; ils ne se contentent pas volontiers des établissements actuels, parce que les inconvénients qui en résultent les frappent plus que le bien qu'ils produisent. Ils tendent à la perfection : cet essor les entraîne, et rien ne les arrête. Leurs yeux, élevés vers cette perfection qui les appelle, ne voient pas les détails qui feront échouer leur nouveau système dans la pratique. »

En opposition, « les génies médiocres ne s'écartent guère des routes battues. Lorsqu'ils voient les abus, ils en cherchent la cause ; et dès qu'ils l'ont trouvée, ils tâchent d'y appliquer le remède qu'ils jugent convenable, mais avec le moins d'innovations possible. Si leurs opérations ne sont pas brillantes, elles sont plus tranquilles ; ils perfectionnent le système qui se trouve en vigueur ; ils cherchent à en tirer parti, et, on doit l'avouer, cette méthode a moins d'inconvénients ». Cependant, les comportements ici dénoncés sont étrangement rapportés à des modèles valorisés (« les hommes d'un génie supérieur »), alors que les qualités de l'homme d'Etat sont appréciées dans leur médiocrité et banalisées (« les génies médiocres »).

Liberté d'entreprendre

Le Dictionnaire d'Economie politique s'adresse d'abord à cet homme d'Etat, réformateur mesuré, qui, tout en évitant les innovations précipitées, « lutte sans cesse contre les altérations nuisibles du temps ». L'adresse est explicite dans l'article « Sédition », où l'art de faire face aux troubles est longuement exposé 27. Mais au-delà des tactiques politiques conseillées au prince, le dictionnaire vise à promouvoir un ensemble de savoirs indispensables aux « hommes d'état » et aux « lecteurs laborieux » 28.

Parmi ces savoirs, une place prééminente est accordée à la liberté d'entreprise et de commerce, présentée comme principe du droit naturel : « Voulez-vous qu'une société parvienne à son plus haut degré possible de richesses, de population et conséquemment de puissance ? Confiez ses intérêts à la liberté, faites que celle-ci soit générale : au moyen de cette liberté, qui est le véritable élément de l'industrie, le désir de jouir irrité par la concurrence, éclairé par l'expérience et l'exemple, vous est garant que chacun agira toujours pour son plus grand avantage possible, et, par conséquent, concourra de tout son pouvoir au plus grand accroissement possible de cette somme d'intérêts particuliers, dont la réunion forme ce qu'on appelle l'intérêt général du corps social, ou l'intérêt commun du chef et de chacun des membres dont ce corps est composé. »

Dans plusieurs articles concernant l'agriculture, les thèses physiocratiques sont également développées. Les institutions faisant obstacle à la liberté d'entreprendre et de commercer sont critiquées, ainsi « les entraves mises par l'établissement des jurandes, des corps de métiers et des corporations ».

Les savoirs politiques promus sont subordonnés à ces principes d'économie politique : les choix opérés quant aux formes de gouvernements et aux législations ne visent qu'à mieux permettre une transcription de ces principes adaptée au réel.

Les thèses politiques développées impliquent souvent la référence aux jurisconsultes du droit naturel et aux penseurs contractuels - Grotius, Puffendorf, Barbeyrac et Burlamaqui -, à leur théorie classique du pacte de soumission. L'expression « contrat social » (« Contrat social », t. I, p. 647) ne doit pas tromper: elle désigne le pacte de soumission du peuple au souverain, conformément à l'ordre naturel (« en présence et sous la dictée de la nature »). Cependant, dans l'article « Etat politique », Grotius et Puffendorf sont critiqués pour leur légitimation du pouvoir arbitraire des souverains. Dans l'article « Droit naturel », l'oeuvre de Grotius est replacée en son temps et la critique acquiert par là-même une dimension historique : « ...S'il ne faut plus louer ses ouvrages avec exagération, il faut se souvenir de l'époque où il les publia ; et, si l'érudition et les subtilités de la dialectique déparent souvent ses écrits, ses fautes, qui furent celles de son siècle, ne doivent être comptées pour rien ici. »

Montesquieu, dont l'autorité est évoquée dès l'Avertissement 29, est l'objet d'une assimilation critique du même ordre. Il est certes abondamment cité : vertu, ressort de la démocratie, critique du despotisme, réflexion sur les lois. Mais ses points de vue favorables à la noblesse doivent être corrigés : « M. de Montesquieu, en traitant ces sortes de questions, a presque toujours mêlé des erreurs à de grandes vérités [...]. On voit que ce génie admirable avoit encore des préjugés, et qu'il écrivit dans un temps où l'on ne connoissoit pas bien les vrais principes de l'économie politique ». Pour les auteurs du Dictionnaire d'Economie politique, lire l'oeuvre de Montesquieu en 1788, c'est donc l'actualiser en la complétant et en la corrigeant.

Mais les confirmations de Montesquieu par Rousseau sont, elles aussi, mises en cause : ainsi la théorie des climats est-elle critiquée comme justification possible du despotisme 30.

Rousseau incontournable

Rousseau est, quant à lui, et sans que Montesquieu n'intervienne, nommément dénoncé dans l'article « Angleterre », où est soulignée la supériorité de la constitution anglaise : « Quelques auteurs **, séduits par une admiration peu réfléchie pour les gouvernements de l'Antiquité ou par le plaisir de montrer de la grandeur au milieu de ce qu'ils appellent la lie de nos temps modernes, n'ont su voir de modèle que dans l'institution de Sparte ou de Rome. Suivant eux, la seule affaire du citoyen est d'être sans cesse assemblé sur la place ou de marcher au combat: être vaillant, endurci aux travaux, dévoré d'un ardent amour de la patrie, c'est-à-dire l'ardent désir de massacrer ses voisins pour se glorifier ensuite de cette boucherie, leur ont paru les seules choses qui puissent faire estimer l'homme social: afin de donner un air de vigueur à ce système, ils se servent de mots exagérés, ils emploient sans cesse les termes de lâcheté, d'avilissement, de grandeur d'âme, de vertu ; ils ne nous ont jamais dit la seule chose qu'il falloit dire, savoir, si l'on étoit heureux dans ces états qu'ils nous exhortoient d'imiter. »

Rousseau (« l'auteur du Contrat social ») est ainsi explicitement réfuté pour sa sensibilité archaïque au modèle politique de Sparte ou de Rome, pour les modèles de comportement qu'il développe (la primauté de la participation à la vie politique, le sens de la gloire). Contre Rousseau désigné comme inspirateur de critiques radicales, une défense du système représentatif est développée 31. Mais généralement, pour être réfuté, Rousseau est désigné par une périphrase généralisante ou une appellation ironique (« un des plus beaux génies de notre siècle »). Il est tout à fait exceptionnel qu'une citation de Rousseau, reconnue comme telle, conforte le point de vue développé dans un article.

L'écho des textes politiques de Rousseau est pourtant perceptible dans plusieurs articles. Ainsi, dans l'article « Dissolution des Etats », l'usurpation de la souveraineté (cette expression n'est toutefois jamais employée) est évoquée en ces termes : « Si un prince, ou quelques personnes mettent leur volonté arbitraire à la place des lois, qui sont la volonté de la société, déclarée par le pouvoir législatif, le pouvoir législatif est changé. »

Il est vrai qu'est avant tout envisagé le coup de force du prince contre une assemblée de représentants. De plus, pour les auteurs du dictionnaire, un contrat originaire a permis la fin de l'état de guerre et constitue la source de la souveraineté : «Las d'un état de guerre continuelle et d'une liberté qui leur devenoit inutile, par l'incertitude de la maintenir, ils en sacrifièrent une partie pour jouir du reste avec plus de sûreté. La somme de toutes ces portions de liberté forma la souveraineté de la nation, qui fut mise en dépôt entre les mains du souverain, et confiée à son administration. »

Mais, à la différence de Rousseau, la souveraineté n'est nullement inaliénable... Dans l'article « Peuple », le Contrat social est longuement cité : moment opportun pour l'institution d'un peuple, critique de l'œuvre politique de Pierre le Grand, proportion de l'étendue du territoire et du « nom du peuple », éléments dont doit tenir compte le législateur, la paix condition de la législation. Rousseau, qui n'est pas nommé, n'est toutefois présenté qu'en termes allusifs : « Autrefois on ne comptoit en France que deux classes de sujets; les grands ou les nobles, ou le peuple, c'est-à-dire, les laboureurs, les ouvriers, les artisans, les négociants, les financiers, les gens de lettres et les gens de loix. Mais un homme du talent le plus distingué pense que ce corps de la nation se borne actuellement aux ouvriers et aux laboureurs. » Cette introduction de la citation confère à Rousseau le statut d'écrivain hostile tant à la noblesse qu'aux secteurs sociaux non productifs.

Rousseau, occulté ou condamné, s'avère donc incontournable. Même si l'essentiel de ses thèses politiques est évité, le discours absolutiste réformateur de l'Encyclopédie Méthodique s'avère perméable à certains extraits de Rousseau 32.

Un avenir fermé

Ainsi, dans la phase ultime de ce qu'il est convenu d'appeler l'Ancien Régime, la seconde génération des encyclopédistes développe-t-elle, pour une élite (« les hommes d'Etat et lecteurs laborieux ») au-delà de laquelle se profile la figure de l'Etat protecteur, un discours dont les lignes de force sont assez nettes. Avant tout, la récurrence des thèses économiques libérales (liberté d'entreprise et de commerce) confère une unité à l'ouvrage. Le discours proprement politique (réflexion sur les formes de gouvernement et les institutions, proposition de réformes) demeure tributaire dans ses grandes lignes de la problématique voltairienne : discours absolutiste et réformateur, appel à un prince arbitre éclairé, secondé d'une élite elle-même modelée par les enseignements des Lumières. Cependant, cette problématique voltairienne est en quelque sorte perturbée, déstabilisée. Certaines lignes d'affrontement s'effacent ou du moins s'estompent. L'heure n'est plus à la lutte contre la stratégie hégémonique de l'Eglise, contre les prétentions des Grands et des Parlements. La leçon a été tirée de l'échec du despotisme éclairé aux Pays-Bas autrichiens ; la sédition généralisée ne doit pas être l'horizon des réformes. Il est indispensable que celles-ci, graduées et mesurées, se développent dans la cohésion maintenue de la monarchie et de ses corps subordonnés (noblesse, parlements), contenus mais non détruits. Interviennent alors les nombreuses références à Montesquieu.

Les menaces se sont, semble-t-il, déplacées : le Dictionnaire d'Economie politique dénonce l'hostilité aux accaparements, les mises en cause du droit de propriété, la critique systématique comme autant de manifestations de l'« enthousiasme de la liberié » et de l'« esprit d'égalité extrême ». Le front qu'avait ouvert Voltaire contre Rousseau s'amplifie, se durcit et se déplace : l'attaque du Premier Discours n'est plus d'actualité. Ce sont désormais les thèses du Second Discours et du Contrat social qui sont avant tout visées. Il n'est de place - le plus souvent inavouée et honteuse - que pour un Rousseau censuré : autorisé à n'évoquer que la lointaine Sparte et les temps opportuns pour instituer un peuple. L'avenir, lourd de risques et de menaces, est un avenir fermé : « la nature, par une marche constante, mène tout ce qui existe à la destruction ».

En cette veille de la Révolution, chez ceux-là même qui reprennent le flambeau de Diderot et des encyclopédistes, resurgissent massivement les visions catastrophiques de l'histoire. Seul le discours développé sur les républiques américaines permet d'envisager les perspectives d'un bonheur humain. Ce progrès et ce bonheur ne sont toutefois fermement espérés que pour l'autre, le Nouveau Monde, et l'attente de son écho lointain en Europe n'est présentée que comme illusion consolatrice.

La référence au modèle américain semble, de plus, contredire l'hostilité déclarée à la forme démocratique de gouvernement, le rejet catégorique de la thèse de la souveraineté du peuple. Mais le dictionnaire introduit une distinction importante en soulignant les avantages du système représentatif garant de stabilité et de prospérité économique. Les révolutionnaires « corrigeront » précisément Rouseau sur ce point.

Au-delà de la mosaïque qui le constitue, le Dictionnaire d'Economie politique développe donc un discours politique cohérent. Il est difficile d'apprécier la perméabilité de ce discours aux thèses adverses. Sans doute demeure-t-il pour une part tributaire des legs anciens de l'Encyclopédie de Diderot : le combat anticlérical et les attaques des valeurs nobiliaires ont laissé des traces. Toutefois certaines oscillations des figures du monarque et de l'homme d'Etat (le roi économiquement parasite et le réformateur « génie médiocre ») sont peut-être autant d'indices, de failles, d'impacts du discours adverse. Fragile discours en effet que celui qui dévalorise les modèles qu'il tente de promouvoir et qui exhalte ceux qu'il combat.

avril 1989

  1. (retour)↑  Robert DARNTON, l'Aventure de l'Encyclopédie, Perrin, Paris, 1982, p. 402. Damton note également : « Les six premiers volumes du dictionnaire des Arts et métiers mécaniques sont " dédiés et présentés à M. Le Noir, conseiller d'Etat, lieutenant général de Police " ». (La formule disparaît dans le septième volume qui sort en 1790). Les volumes 1 et 2 de Géographie sont dédiés à Vergennes, ministre des Affaires étrangères, et le troisième à son successeur, le comte de Montmorin. Quant au Tableau publié en 1789. il laisse entendre que le dictionnaire de Géographie a été virtuellement composé au ministère des Affaires étrangères. Jurisprudence est dédié à Miromesnil, garde des Sceaux, Grammaire et Littérature à Le Camus de Néville, Marine au Maréchal de Castries, ministre de la marine, Economie politique diplomatique au baron de Breteuil, ministre de la Maison du Roi, et le Tableau encyclopédique et méthodique des trois règnes de la nature à Necker, directeur général des Finances jusqu'en 1790. Op. cit., p. 37.
  2. (retour)↑  Si les sciences, et plus précisément les sciences de la nature, l'emportent nettement sur les autres disciplines, une large place est faite à l'histoire, à la philosophie, au droit, et à la politique :
    - Histoire, 5 vol.
    - Géographie et Histoire ancienne, 3 vol.
    - Métaphysique, Logique, Morale, Education, 4 vol.
    - Philosophie, 3 vol.
    - Jurisprudence, 8 vol.
    - Economie politique et diplomatique, 4 vol.
  3. (retour)↑  « Chaque ligne de cet ouvrage tend à procurer aux hommes de bonnes loix (...) malgré sa forme de dictionnaire, son plan est assez vaste (...). Nous profitons souvent du travail des autres; mais ce n'est jamais sans le revoir, et sans le corriger lorsqu'il est susceptible de correction ». « Loi » t. III, p. 136.
  4. (retour)↑  Jean-Nicolas Desmeunier (1751-1814) était censeur royal et secrétaire ordinaire de Monsieur. Député du Tiers en 1789, il composa un Avis aux Députés qui doivent représenter la Nation. Durant la Constituante, il fut secrétaire, président et membre du Comité de Constitution. Membre du directoire du département de Paris, il se démit de cette place quand Pétion fut réinstallé maire de Paris. Effacé sous le gouvernement de Robespierre, il reparut en l'An V (1797) et fut candidat à la place de membre du Directoire. Après le 18 brumaire, il fut nommé le 4 nivôse (25 décembre 1799) conservateur du tribunat dont il devint ultérieurement président. Il devint sénateur en 1802 et fut, selon Michaud (Biographie universelle ancienne et moderne, 1843), l'un des sénateurs les plus souples devant Napoléon. Guillaume Grivel (1735-1810) était avocat à Bordeaux. Après la Révolution, il fut attaché aux écoles centrales comme professeur de législation. Il était également membre des Académies de Dijon, Rouen, La Rochelle et de la Société philosophique de Philadelphie.
  5. (retour)↑  « Dans plusieurs autres [articles] on étale les objections des hérétiques et l'on supprime les réponses des théologiens catholiques... De ces divers défauts il en résulte un plus grand, c'est que la doctrine de l'Encyclopédie est un tissu de contradictions ».
  6. (retour)↑  « Les progrès des arts, des manufactures et du commerce détruisent peu à peu l'autorité abusive du clergé » « Clergé », t. IV, p. 750.
  7. (retour)↑  « Faudroit-il abolir un ordre si fameux ? Cherchera-t-on une égalité absolue et platonique ? Non certainement ». « Noblesse Militaire », t. III, p. 426.
  8. (retour)↑  « La loi y est l'expression de la volonté générale ; et, si elle manque quelquefois de justesse, elle n'est pas injuste comme dans les pays où quelques hommes dictent des ordres, au mépris des droits de leurs concitoyens ». « Démocratie », t. II, p. 67.
  9. (retour)↑  Au nom de l'expérience des républiques américaines, Montesquieu est critiqué comme auteur favorable à l'aristocratie. «Démocratie », t. II, p. 6.
  10. (retour)↑  « On ne peut pas établir un partage égal des terres dans toutes les démocraties. Il y a des circonstances où un tel arrangement seroit impraticable, dangereux, et choqueroit même la constitution. On n'est pas toujours obligé de prendre les voies extrêmes. Si l'on voit, dans une démocratie, que ce partage, qui doit maintenir les mœurs, n 'y convienne pas, il faut avoir recours à d'autres moyens ». « Démocratie », t. II, p. 59.
  11. (retour)↑  « Tout gouvernement tire son droit du peuple, est uniquement fondé sur un contrat réciproque, et est institué pour l'avantage commun ». « Delaware », t. II, p. 42. « Nous avons remarqué ailleurs que si toutes les constitutions américaines établissent ces droits sacrés que l'homme et le citoyen doivent conserver dans tous les gouvernements, elles le font avec plus ou moins d'énergie ou d'étendue ». « Etats-Unis », t. II, p. 361.
  12. (retour)↑  « ...[L'acte fédératif des américains] est bien supérieur é ces fédérations dont parle l'antiquité et à celles du corps hélvétique et de Hollande ». « Etats-Unis », t. II, p. 372. « La constitution de la Grande-Bretagne a servi de modèle aux constitutions américaines; mais les Etats-Unis y ont choisi avec une raison forte les articles convenables à leur position ». « Etats-Unis », t. II, p. 360.
  13. (retour)↑  «... Je demande si le peuple a droit de s'assembler toutes les fois qu'il lui en prendra fantaisie, sans être astreint à aucune règle, à aucune police, et sans être sous les yeux d'un magistrat ? Si c'est là l'esprit de la loi, il faut convenir qu'à force d'être populaire, elle est vraiment anarchique ». « Pennsylvanie », t. III, p. 579.
  14. (retour)↑  « Sans doute les institutions américaines sont bien démocratiques ; si on veut les juger d'après l'histoire et d'après la marche des autres peuples anciens ou modernes, il faudra y admettre un jour une partie du régime de l'aristocratie, et les remarques de M. l'abbé de Mably et de quelques autres écrivains, sont fondées à plusieurs égards: mais encore une fois pourquoi établir d'avance des choses qu'on établira beaucoup mieux dans l'occasion ? » « Etats-Unis », t. II, p. 363.
  15. (retour)↑  Sur ce point, Montesquieu doit être corrigé : sa critique de l'abolition des justices seigneuriales est présentée comme une erreur. Cf. « Monarchie », t. III, p. 361.
  16. (retour)↑  « (...) grâces au progrès des lumières, on ne pouvoit plus dévoiler l'état des finances et demander des secours, sans offrir des dédommagements à la nation, et jamais on ne proposera au peuple d'une monarchie un plan plus vaste et mieux calculé ». « Notables (assemblée des) », t. III, p. 431.
  17. (retour)↑  L'appui aux réformes se manifeste par la publication des textes officiels. Cf. « Cour Plénière », t. IV, p. 776.
  18. (retour)↑  « Les nouvelles constitutions qui viennent de s'établir en Amérique ont fait à peu près tout ce que doivent espérer les grandes peuplades dans l'état actuel des choses ». « Démocratie », t. II, p. 66. « C'est un beau spectacle de voir treize Etats se former des constitutions à la fin du XVIIIe siècle, et profiter dans cet ouvrage des lumières de la philosophie, et surtout des sages loix de l'Angleterre ». « Etats-Unis », t. III, p. 359.
  19. (retour)↑  « La cour de Vienne se proposoit, malgré la diversité des privilèges, des préjugés et des habitudes de ses divers Etats, d'établir un régime uniforme pour les collèges d'administration et les tribunaux de justice ; et les provinces des Pays-Bas ont paru disposées à défendre les armes à la main, les anciens tribunaux : l'empereur, sur ces entrefaites, a voit supprimé beaucoup de couvents; et il avoit fait d'autres innovations dans le régime ecclésiastique ; et cette opération qui blessoit les dévots a réuni tous les ordres de citoyens ». « Pays-Bas autrichiens », t. III, p. 543.
  20. (retour)↑  « Des innovations aussi importantes et aussi contraires aux capitulations, et aux privilèges des Pays-Bas ne pouvoient manquer d'alarmer les esprits; et chacun doit convenir qu'elles étoient bien précipitées ». « Pays-Bas autrichiens », t. III, p. 548.
  21. (retour)↑  « Si jamais on n'eût rien innové parmi nous, je vous prie, monsieur, de me dire où nous en serions encore aujourd'hui ; à brûler les enchanteurs et les sorciers ; à prendre la force pour arbitre de la justice ; à faire dépendre de quelques pratiques superstitieuses, la fortune, l'honneur, la vie des citoyens; à mille autres sortes d'absurdités marquées au coin de l'ignorance et de la barbarie. Dans le temps dont je parle, nous devions être cependant bien plus éclairés qu'aujourd'hui : nous lisions l'avenir dans les astres; nous avions une correspondance avec les esprits aëriens, et les démons, personnages qui, comme vous n'en doutez point, en savoient bien plus long que nous ». « Economistes », t. II, p. 187.
  22. (retour)↑  « Attendons un sort plus doux du progrès des lumières: s'il ne nous est pas permis de changer nos propres destinées, semons pour la postérité ; montrons-lui les écueils où ses pères ont échoué ; exposons-lui les suites de leurs gouvernemens imprudens, de leurs législations vicieuses, de leurs préjugés dangereux, de leurs usages insensés, de leurs vices destructeurs; traçons-lui le tableau des folies qui les ont conduits à leur ruine, faisons des expériences pour cette postérité dont tout homme de bien doit s'occuper, et flattons-nous de l'espoir que nos descendans, aidés des circonstances et de nos réflexions, seront un jour plus sages et plus heureux que nous ». « Dissolution des Etats », t. II, p. 117.
  23. (retour)↑  « Si les changements tombent sur de grands objets ; si des royaumes ou des empires sont démembrés, affoiblis, détruits; si des nations s'éteignent, et si la face de l'univers est, pour ainsi dire, bouleversée, on les appelle des révolutions ». « Décadence des Etats », t. II, p. 29-30.
  24. (retour)↑  « Les grands orages dans un Empire (...) s'annoncent par des bruits sourds, par des discours secrets, par des écrits licentieux et satyriques contre le gouvernement (...), un nuage qui passe s'en va grossir d'autres qui crèvent enfin tôt ou tard ». « Sédition », t. IV, p. 189.
  25. (retour)↑  « Un usage affermi par le temps, utile ou non, est pourtant à sa place dans l'enchaînement des choses ; tout est si bien lié, que la moindre nouveauté substituée aux abus courans, ne tiendra jamais à la tissure comme une partie usée ; et tel changement seroit bon en lui-même, qui gâteroit tout par la difficulté de l'assortir au reste ». « Sédition », t. IV, p. 299.
  26. (retour)↑  « Cet exemple frappant et le souvenir des loix agraires doivent servir dans des siècles plus éclairés, à nous tenir en garde contre les insinuations des esprits remuans et novateurs qui, sous prétexte de réunions ou d'autres arrangements prétendus favorables, voudroientpersuader au gouvernement de mettre une main attentatoire aux diverses branches de la propriété ». « Agraire », t. I, p. 55.
  27. (retour)↑  « Laissez courir le torrent dans les premiers instans ; un torrent passe vite ; si vous l'arrêtez, au lieu de ravager la surface, il minera le fonds. Donnez au ressentiment du peuple le temps de s'exhaler ». « Sédition », t. IV, p. 199-200.
  28. (retour)↑  « Si les hommes d'état, si les lecteurs laborieux se donnent la peine d'étudier l'ensemble de cet ouvrage, ils trouveront que, malgré sa forme de dictionnaire, son plan est assez vaste ». « Loi », t. III, p. 136.
  29. (retour)↑  « J'ai mis quelquefois à contribution l'immortel auteur de l'Esprit des Lois dont on ne peut prononcer le nom qu'avec admiration et avec respect. Ses idées sont si énergiques, si brillantes, et quoi qu'en disent des critiques superficiels ou corrompus, si justes en général, qu'on aura toujours raison de le citer » (t. I, p. VI).
  30. (retour)↑  « Fort des principes de M. de Montesquieu, le philosophe de Genève les donne d'un ton encore plus affirmatif. « Quand tout le midi seroit couvert de républiques, et tout le nord d'Etats despotiques, il n'en seroit pas moins vrai, dit-il, que par l'effet du climat le despotisme convient aux pays chauds, la barbarie aux pays froids, et la bonne politique aux régions intermédiaires ». Si telle est l'influence des climats, je ne vois pas pourquoi l'on se récrie tant contre le despotisme oriental, ni comment Montesquieu et Rousseau ont pu croire que la nature avoit fait tous les hommes libres et égaux. Les climats qui condamnent les peuples du nord à la barbarie et les peuples du midi au despotisme, ne sont-ils pas l'ouvrage de la nature ». « Roi », t. IV, p. 74.
  31. (retour)↑  L'auteur, par exemple, du Contrat social dit: « Le peuple anglois, qui pense être libre, se trompe fort ; il ne l'est que pendant l'élection des membres du parlement : sitôt qu'ils sont élus, il est esclave, il n'est rien. »
  32. (retour)↑  Dans l'article « Député » (t. II, p. 82), le Contrat social est longuement cité à propos de la représentation. L'ouvrage et son auteur ne sont toutefois pas nommés. Il est seulement indiqué que « l'exagération se réfute d'elle-même ».
  33. (retour)↑  De 1775 à 1787, certains ouvrages favorables à l'ordre politique absolutiste citent de plus en plus fréquemment Rousseau. Cf. François Chas, J.J. Rousseau justifié ou Réponse à M. Servan, 1784 : Pierre-Charles Levesque, l'Homme moral, ou l'Homme considéré tant dans l'état de pure nature que dans la société, 1775; Pierre Louis Claude Gin, les Vrais Principes du gouvernement français démontrés par la raison et par les faits, 1777.