Médiathèques : le nouveau look

Catherine Vallet

Villeurbanne, Nîmes, et bientôt Bordeaux... Autant de réalisations grandioses, mais qui ne doivent pas faire oublier les autres, nombreuses et tout aussi dignes d'intérêt. Depuis 1987, les inaugurations d'équipements nouveaux ou rénovés se multiplient au rythme moyen d'une par semaine, et ce rythme devrait être maintenu jusqu'en 1990. Ce phénomène témoigne certes d'une volonté générale de rénover les bibliothèques. Il témoigne surtout de la naissance d'un marché et de l'enjeu nouveau que représente aujourd'hui la « médiathèque » dans l'équipement urbain.

Cette promotion subite impose au bibliothécaire de recourir aux compétences de spécialistes (architectes, programmeurs...). Une évolution pas toujours bien acceptée par les professionnels, même si elle traduit, selon Jean Gattégno, directeur du Livre et de la Lecture, une « professionnalisation » de la profession. Depuis la décision politique jusqu'à la promotion, en passant par la programmation et le « geste architectural », les différentes étapes intervenant dans la construction d'une médiathèque étaient analysées lors du séminaire « Pensez la médiathèque » organisé par les associations APPEL et ACCES 1. Une optique résolument interprofessionnelle, qui permettait à chacun des partenaires de mieux définir son rôle.

Désacraliser le livre

A l'origine de cette « explosion », une double mutation. Mutation technologique d'abord, liée à l'élargissement des fonctions de la bibliothèque. Le son, l'image et la gestion informatisée des données prennent en effet dans ces anciens temples de l'écrit une importance croissante, qui se traduit par un changement de terminologie. Les nouvelles technologies de l'informatique et du laser permettent de stocker une prodigieuse quantité d'information et d'y accéder rapidement ; elles nécessitent inversement un équipement technologique sophistiqué et très diversifié. Ce déplacement des problèmes d'encombrement des documents eux-mêmes sur les dispositifs de consultation entraîne une redistribution des espaces et implique de repenser entièrement la circulation 2.

Mutation également « stratégique », qui touche aux missions mêmes de l'ancienne bibliothèque. Lieu de culture et d'information, la médiathèque s'impose aussi de plus en plus comme un « lieu privilégié de rencontre, de vie, de travail, un lieu du quotidien 3 ». Plus encore, elle est aujourd'hui amenée à assumer dans un quartier ou un centre urbain - et c'est particulièrement vrai dans le cas des villes nouvelles - un rôle social qui déborde très largement - trop largement diront certains - ses fonctions propres. « La médiathèque constitue le premier maillon d'un équipement culturel global, qui s'inscrit lui-même dans un programme plus vaste 4 ». Premier objectif : développer la vie culturelle, décloisonner la culture et pour cela « désacraliser » le livre : la médiathèque ne doit pas être une cathédrale du savoir. Deuxième objectif : recréer une véritable entité urbaine, la médiathèque assumant alors le rôle structuraliste autrefois tenu par l'église ou la cathédrale. La construction d'une médiathèque représente donc aujourd'hui un formidable enjeu, à la fois culturel, politique et architectural. C'est une opération de prestige, à laquelle les élus sont particulièrement sensibles.

Signe politique de la collectivité commanditaire, la médiathèque se doit de donner l'exemple en soignant son look. Un parti-pris esthétique qui se concrétise à l'extrême dans le cas de la Maison du livre, de l'image et du son de Villeurbanne, mais qui ne se traduit pas forcément par du monumental. A l'inverse des constructions banalisées des années 50-70, les nouveaux bâtiments sont des créations originales, qui privilégient le « geste architectural ». Un changement qui s'explique par le discours nouveau tenu par l'architecte sur l'architecture, mais qui ne prend pas toujours en compte les exigences de fonctionnalité propres à ce type d'équipement. Les nouvelles médiathèques sont belles, certes. Mais sont-elles gérables au quotidien ? Sont-elles conçues pour les besoins de l'usager ou bien pour la satisfaction de l'architecte, voire du bibliothécaire ? La question, posée par un bibliothécaire anglais, mérite réflexion !

Des projets en mouvement

L'usager. Principal intéressé, il est resté longtemps absent des négociations et fait une entrée timide dans les instances de consultation, aux côtés des représentants de la collectivité, des bibliothécaires et des architectes. Trois partenaires aux exigences souvent contradictoires... Depuis quelques années, un nouveau type de professionnel tente de s'imposer. Présent dans la plupart des grands projets, le « programmeur » a pour mission d'étudier le fonctionnement socioculturel d'une commune et d'en établir les attentes et les besoins. Il est aussi chargé d'assurer la cohérence du projet élaboré par le bibliothécaire avec les autres équipements culturels de la collectivité. Un rôle qui empiète sur les prérogatives du bibliothécaire et qui confère à celui qui le détient une position centrale. Fortement contesté par les bibliothécaires, le programmeur semble plutôt apprécié des architectes pour sa capacité à « objectiver » les rapports souvents passionnels qu'ils entretiennent avec les bibliothécaires. « La qualité d'un bâtiment est tributaire de la qualité des intervenants, mais aussi et surtout, ainsi que le rappelait Jean-Jacques Raynaud (architecte, Institut du monde arabe), de la qualité des rapport qu'ils entretiennent entre eux ».

Cette qualité dépend des solutions techniques mises en oeuvre par l'architecte. Elle dépend surtout de la qualité du projet, dont la maîtrise reste sans conteste aux mains du bibliothécaire. Une tâche difficile, d'autant que personne ne peut dire réellement, aujourd'hui, quelles seront demain les fonctions de la médiathèque - d'où la nécessité de concevoir des projets « en mouvement », suffisamment souples pour accueillir les activités futures. Certains principes sont cependant d'ores et déjà acquis : grande diversité des activités et importance des espaces d'animation, de rencontre, espaces de passage incessant et de bruit, qui côtoieront les espaces plus calmes, réservés au travail, individuel ou collectif. Pour coordonner le tout, une exigence fondamentale, celle de la circulation et de la lisibilité des espaces. Une exigence adoptée comme parti-pris par Claude Sabatier, lauréat du concours « La médiathèque de demain », dont le projet privilégie la transparence, dans la structuration de l'espace comme dans le choix des matériaux, pour une meilleure appropriation de l'espace. Un thème cher aux bibliothécaires d'auiourd'hui...

  1. (retour)↑  Dunkerque, 7-10 octobre 1988. - ACCES : Agence régionale de services et de coopération de la lecture et de la documentation sonore et audiovisuelle (Nord/Pas-de-Calais) ; APPEL : Association pour la promotion et l'extension de la lecture
  2. (retour)↑  Deux exigences fondamentales qui figuraient au cœur du programme du concours architectural organisé par la société des ascenseurs Otis, en collaboration avec la Bibliothèque publique d'information du Centre Georges Pompidou. Les maquettes des principaux lauréats étaient exposées à l'occasion du séminaire. - Cf. Françoise BONY, « Quelle image pour la médiathèque de demain », Livres Hebdo, vol. X n° 37 (12 septembre 1988), p. 89-92.
  3. (retour)↑  Daniel AUGER (Société Daviel, conseil pour l'économie, l'architecture et l'ingénierie), à propos de la médiathèque des Mureaux (Yvelines).
  4. (retour)↑  Cf. Supra n. 3.