Ceci n'est pas un livre

remarques et notes sur les livres, la culture et les bibliothèques

par Philippe Hoch

Christian Tessier

Marseille : Centre régional de formation aux carrières de bibliothèques et de la documentation, 1988. - 108 p. ; 30 cm.
ISBN 2-907225-00-6

Le débat n'est pas nouveau: convient-il, dans la formation initiale ou continue des bibliothécaires, de mettre l'accent sur les disciplines générales ou faut-il, au contraire, privilégier les aspects les plus techniques du métier ? Le Centre régional de formation aux carrières des bibliothèques, du livre et de la documentation de Marseille verse une pièce importante à ce dossier volumineux et toujours ouvert, en publiant un ensemble de Notes de Christian Tessier. Voici donc, en guise de premier instrument pédagogique issu des presses du Centre régional de formation professionnelle de Marseille, non point quelque précis, manuel ou guide, mais le texte d'un professeur de philosophie dont le propos est de méditer sur « les livres, la culture et les biblioihèques ». Les professionnels trouveront dans ce fascicule - que l'on s'interdira, conformément au vœu de l'auteur, d'appeler un livre - matière à réflexion sérieuse sur l'objet qu'ils manipulent quotidiennement, la finalité de leur action et le cadre à la fois institutionnel et concret de leur travail.

Une première partie permet de poser d'indispensables Jalons. Sont envisagés d'abord les rapports de la parole et de l'écriture. Christian Tessier insiste notamment sur le rôle de mémoire qui est celui de l'écriture et du patrimoine écrit et commente opportunément le court-métrage qu'Alain Resnais consacra jadis à la Bibliothèque nationale sous le titre de Toute la mémoire du monde, considérée dans l'extrême diversité. fût-elle vertigineuse, de ses composantes. Philosophe, Christian Tessier invoque, comme il se doit, Descartes, mais ne dédaigne pas de souligner, par exemple, la valeur du roman comme instrument de connaissance : « le roman développe des savoirs qui sont autres et qu'il est seul à pouvoir mettre en œuvre (...). Le roman continue donc, sous d'autres formes et avec d'autres moyens, ce que, dans leur domaine propre, les sciences essaient d'obtenir: une connaissance toujours plus ajustée qui permette aux hommes de mieux comprendre ce qui arrive et ce qui leur arrive. »

Les jalons posés, sont affirmés en seconde partie quelques Principes, placés sous le patronage de Victor Hugo. Les pages célèbres de Notre-Dame de Paris ( « Ceci tuera cela », livre V, ch. 2), sont le point de départ d'une analyse de la situation du livre face aux médias nouveaux venus briser son monopole ; face aussi à une conception récente de l'information dans laquelle la spécificité du livre n'est plus suffisamment reconnue. Dans l'ombre de l'information scientifique et technique, l'auteur aperçoit une philosophie de l'efficacité : le pragmatisme, lequel « réduit le savoir à l'information et l'information à ses formes immédiatement utilisables ». Appauvrissement qualitatif, qui nous éloigne de la vraie culture - dont le livre reste l'instrument privilégié - qui est complexification croissante, affinement perpétuel de notre représentation du monde et de l'homme. C'est une caricature de la Culture, encore, que dénonce Christian Tessier dans l'« ingénierie culturelle ». Cette dernière, l'auteur le souligne au passage, n'épargne point les bibliothèques ni les bibliothécaires, en qui d'aucuns voudraient voir une nouvelle race d'ingénieurs.

La troisième partie des Notes de Christian Tessier délimite L'Espace des intentions, mesure leur réalisation, toujours imparfaite, et analyse les moyens mis en oeuvre pour tendre vers l'idéal d'une bibliothèque qui serait vraiment faite pour le lecteur. Enfin, sous le titre de Structure et mouvements, le philosophe examine, entre autres problèmes difficiles, ceux du classement et des classifications. Par-delà le scandale logique de rapprochements coupables (l'occultisme cohabitant avec la philosophie dans la même classe chez Dewey), Christian Tessier ébauche une philosophie critique de la classification et des principes qui la gouvernent.

Les bibliothécaires trouveront là une matière riche et abondante à leur réflexion et salueront au passage, par ordre d'entrée sur la scène philosophique. Aragon, Hegel, Eco, Lucrèce, Pérec, Cendrars, Borgès, saint Anselme et beaucoup d'autres. On regrettera simplement le peu de soin apporté à la correction des épreuves. Ne péchons point par excès de cuistrerie en soulignant, p. 20, une erreur relative au fonctionnément du dépôt légal ; ne manifestons point, encore, un purisme outrancier en épinglant l'usage immodéré des majuscules (et notamment dans la préface). Relevons tout de même, cependant, l'accord grammatical fautif de la p. 60 (ligne 4) et l'ignorance manifeste de l'auteur quant à l'orthographe exacte du mot « fonds » (p. 51. 60, 61 ...). Mais ce sont là des détails qui ne devraient point retenir les bibliothécaires, actuels et potentiels, d'entreprendre une lecture qui sera sans nul doute profitable à leur vision du métier.