Médecine : des banques nouvelles

Martine Darrobers

Les banques de données médicales sont à la pointe : on considère qu'elles représentent plus de 80 % des quelque 3 330 heures d'interrogation enregistrées par les bibliothèques universitaires en 1986. L'abondance, malgré tout, ne suscite pas la répétition, mais... le marketing. Medline, qui couvre plus de 90 % du secteur médical voit se multiplier des minibanques ciblées, adaptées au contexte français. Fait plus nouveau, les bibliothèques universitaires participent à ce mouvement.

Pionnière en ce domaine, la bibliothèque de l'Université d'Aix-Marseille II, Médecine Nord a lancé Internatel dès 1984. A l'origine, Internatel correspondait à la réforme du concours de l'internat ; auparavant optionnel, l'internat devenait en 1982 une étape obligatoire du cursus médical, puisqu'il conditionne l'accès aux différentes spécialités. L'alourdissement du programme ayant déclenché une explosion des publications, Michelle Besnard et Anne-Marie Descot ont pris l'initiative de mettre en ligne un fichier de références bibliographiques « sur mesure », offrant une information adaptée et accessible aux étudiants présentant le concours. D'où les partis suivants : dépouillement d'une cinquantaine de revues françaises (souvent hors de PASCAL ou de MEDLINE), surtout participation active des enseignants. La Commission d'évaluation scientifique de l'internat réunit très régulièrement les experts des 26 enseignements ; ceux-ci participent non seulement à la sélection des articles, à l'élimination des références périmées mais, aussi, à leur classification selon les critères du Bureau national de l'internat: ainsi le code 03.2.06.1 renvoie à 03 = cardiologie, 2 = pathologie, 06 = hypertension artérielle, 1 = adulte. Enfin, les experts participent aussi à l'évaluation du niveau de chacun des articles : des codes-lettres AC (article-clé), CC (cas clinique), MP (mise au point), I (Internat), sont ainsi attribués à chacune des références de la base, segmentée en fonction de son utilité et de son adéquation aux besoins du public. Il va sans dire que les critères d'interrogation plus classiques (auteurs, titres, dates, etc.) sont également accessibles et combinables entre eux; s'y ajoute enfin la codification du Bureau national de l'Internat.

Un vivier en mouvement

Pour qui Internatel ? Pas seulement pour les étudiants qui présentent le concours, encore que la population visée soit de taille respectable (environ 9 600) ; très vite s'est posée la question de l'élargissement du public. Internatel s'est tourné vers la population de la formation médicale continue, les généralistes qui reçoivent un certain nombre de revues à domicile et auxquels il peut apporter une aide, soit une population théorique de quelque 170 000 médecins inscrits au conseil de l'Ordre. D'où, au fil des années, un certain infléchissement du contenu de la base, qui dépasse le cadre strict des questions inscrites au concours, et un certain alourdissement ; elle atteint actuellement 8 500 références « net », compte tenu des éliminations.

De la même façon, les voies d'accès ont été diversifiées ; dès le départ, Internatel a été conçu comme une base de données sur Texto, chargée sur le SUNIST, accessible sur kiosque dès 1985 ; mais elle fonctionne aussi par abonnement, diffusant mensuellement des fiches auprès d'une vingtaine de bibliothèques universitaires. Quoi qu'il en soit, canaux papier ou consultation en ligne, Internatel apparaît en pleine expansion et assure désormais son autofinancement. Et les statistiques d'interrogation (30 heures et demie pour le 1er trimestre 86, 55 heures pour le 1er trimestre 1988) ne font que conforter l'optimisme des responsables. Les perspectives : bibliographie à la demande, sur thèmes ou par enseignement, commande en ligne de documents, élargissement de la couverture documentaire d'Internatel... A une condition, rappellent M. Besnard et A.-M. Descot, conserver la spécificité d'Internatel: rapidité, continuité et « labellisation » par les experts. Conclusion : ne pas grandir trop vite et rester une PMI. Paradoxe du marketing.

Doubles et doublage ?

Du côté de Lyon, le même message est formulé en termes différents, par la section santé de la bibliothèque interuniversitaire. DOUBLES se veut moins scientifique que totalement pragmatique : lorsqu'une section croule sous les fascicules de titres reçus en 1, 2 ou x exemplaires, que faire sinon éliminer vers l'extérieur ? Mais pour éliminer « intelligent », il faut créer des instruments d'information adaptés : des listes de doubles circulaient déjà entre bibliothèques mais, trop nombreuses, trop volumineuses, elles n'étaient plus guère consultées. D'où l'idée simple de créer une banque de données à partir de ces doublons. D'abord prévue comme une banque de données médicale, puisque la préoccupation de ses concepteurs était d'écrémer, de ventiler les quelque 1 300 fascicules reçus à la section Santé, DOUBLES est très vite devenue multidisciplinaire ; un an après l'ouverture, elle ne regroupe pas moins de 5 à 6 000 titres, qui se partagent, à parts relativement égales, entre les grands secteurs traditionnels que sont la Médecine, le Droit et les Lettres et, enfin, les Sciences. DOUBLES a, au reste, dépassé les frontières de l'hexagone et compte dans sa clientèle des établissements belges et suisses. Mais DOUBLES n'est pas une simple banque, c'est aussi un catalogue collectif, doublé d'un système de messagerie: les bibliothèques peuvent commander tel ou tel fascicule manquant, livré gratuitement, frais de port, si nécessaire, en plus. En quelque sorte, DOUBLES fonctionne comme un complément du CCN (le Catalogue collectif des publications en série), dans la mesure où il est non seulement un instrument de repérage, mais aussi un instrument de réassortiment des collections.

Quant à Lyon-Santé, la base maison des périodiques médicaux, son rapport dialectique avec le CCN ne s'exprime plus en termes de complément, mais de rivalité : Lyon-Santé regroupe en effet sur vidéotex les quelque 1 100 périodiques médicaux, et est couplé avec un service de demande de photocopie. « Pas de rivalité, assure l'initiateur de l'opération, Pierre-Marie Belbenoit-Avich, le CCN qui est l'instrument des bibliothèques universitaires, a une vocation professionnelle, un mode d'accès, par abonnement, complètement professionnel ; Lyon-Santé, accessible sur vidéotex, est tourné vers le secteur privé qui constitue un autre public: plus des deux tiers des demandes du secteur privé passe par ce canal. Au surplus, Lyon-Santé est mis à jour beaucoup plus rapidement que ne peut l'être le CCN ».

L'Empire contre-attaque

On ne saurait mieux dire : mais, si le CCN doit être systématiquement court-circuité au nom de la souplesse, de la rapidité et du marketing, que restera-t-il d'un instrument à vocation collective et nationale ? Au reste, le CCN, qui a, lui aussi, privilégié la cible des périodiques biomédicaux dont il a fait un tirage lourd, semble également en pleine redéfinition: la première version de Myriade répond au souci d'en faire un instrument à vocation « grand public », beaucoup plus affirmée que précédemment. Vingt bibliothèques universitaires servent de champ d'essai : le projet est de tester les besoins et usages d'utilisateurs relativement informés, puisque censés avoir déjà mené des recherches en ligne. C'est sur cette option que Myriade, dans sa version non professionnelle, propose de feuilleter, tout comme dans un dictionnaire (du tome au fascicule, en continuant par la colonne et la ligne), les quelque 185 000 titres de périodiques localisés dans une des 2 600 bibliothèques adhérentes au CCN. En l'occurrence, l'accès au titre recherché passe par 3 listes de titres, qui sont balayées successivement : 1 liste tous les 5 000 titres, 1 liste tous les 70 titres, 1 liste exhaustive.

Myriade constitue donc moins une réponse de la bergère au berger qu'une recherche de nouveaux publics, à travers de nouveaux supports. Une autre forme de marketing. Mais où se situe la demande sociale sur un produit aussi lourd ? Les réactions procèdent de démarches d'utilisation complètement atomisées (des utilisateurs ont déjà demandé à connaître le catalogue de toute « leur » bibliothèque en consultant Myriade), ou, à l'encontre, mondialisées (comment récupérer l'ensemble des quelque 900 000 titres de périodiques existant à travers le monde ?).

Du local au mondial, on peut penser que le petit monde des banques de données et des nouveaux supports court derrière son ombre. Ou derrière le marketing. Mais il ne s'agit pas de vocabulaire : le secteur biomédical véhicule de considérables enjeux économiques. C'est cette réalité première qui fonde l'avance du volet information, avance qu'on retrouve aussi dans les domaines du copyright et de la transmission de documents avec Transdoc ou Adonis, ou de la multiplication de produits tels le vidéodisque.