Les mystères de l'IFLA

Troisième partie : le monde vu par l'IFLA

Martine Darrobers

Résumé des épisodes précédents. Congrès de l'IFLA, Brighton, août1987 : les temps sont durs pour les bibliothèques, coincées entre le désengagement des pouvoirs publics et la montée de l'industrie de l'information qui peut remettre en cause leur rôle de service public. Les bibliothèques publiques, jusque-là éloignées du marché de l'information en ligne, semblent devoir s'y engager si elles ne veulent pas voir leurs usagers devenir des laissés-pour-compte de la société de l'information. Dans l'immédiat, elles défendent la gratuité pour les documents acquis et renforcent leurs systèmes de coopération. En situation de crise, la coopération avec les partenaires extérieurs (éditeurs) tend à s'accroître, d'autant que l'uniformisation de la description bibliographique et l'adoption d'un format commun ouvrent la voie à une mondialisation de l'information bibliographique. Les bibliothèques nationales auront à étudier la façon de rentabiliser leurs services et à redéfinir leurs tâches en termes fonctionnels. Les bibliothèques spécialisées semblent moins affectées, en particulier les bibliothèques médicales qui apparaissent en pleine expansion.

Mais l'approche médicale était très à la mode en ce congrès 87 où on pouvait voir dresser un parallèle provocateur entre la santé des livres et celle des personnes : « Avec la même somme d'argent vous pouvez prolonger de vingt ans une existence semi-végétative et douloureuse, de dix ans la vie de trois personnes en bonne santé, ou de trois ans la vie de dix personnes en état de santé raisonnable. De même, on peut devoir choisir entre la conservation de vingt livres en bon état pendant cent ans, cinq livres en bon état pendant 500 ans, et un livre pendant 2 000 ans. C'est ce qu'on pourrai appeler la quably : quality adjusted book life year ». C'était bien entendu Maurice Line qui récidivait, à propos cette fois de conservation, qu'il posait en termes globaux, car les livres les plus divulgués et les plus insignifiants font partie du patrimoine et peuvent, à plus ou moins longue échéance, représenter des témoignages de notre histoire ; en termes collectifs car les ressources exigées par un programme de conservation dépassent les forces de toutes les bibliothèques nationales y compris, oui, y compris même celles de la première d'entre elles, la Bibliothèque du Congrès.

PAC a dit

En fait, l'approche du Programme PAC s'est bien voulue telle, associant, au niveau du monde, non seulement les bibliothèques, mais aussi l'UNESCO et le CIA (Comité international des archives), qui ont joint leurs efforts pour collaborer à une enquête sur l'état de conservation du patrimoine mondial - Jean-Marie Arnoult a pu présenter une première série de résultats. Ceux-ci, commentés par Alexander Wilson, témoignent que la prise de conscience de la mission de « sauvegarde du patrimoine culturel de l'humanité » est désormais en marche; mais que « les problèmes sont vastes, les ressources rares, l'ignorance et l'indifférence tacite universelles » - ce qui veut dire qu'il convient d'en prendre au plus tôt les moyens.

Il en existe un bon nombre, de la restauration du document original au reprint, de la micro-forme au disque optique numérique, en passant par la restriction de l'accès du public et, de façon plus large, par la préservation qui touche à l'ensemble du fonctionnement de la bibliothèque, sans oublier, enfin, que le problème concerne le document papier mais, aussi, l'ensemble des documents audio-visuels. Mais la conservation en elle-même n'est pas un objectif, son objet dernier reste la communication et elle se définit en termes de choix entre la communication sur place et à l'extérieur, la communication présente et la communication à venir. Pour paraphraser à nouveau Maurice Line, une « biblio-euthanasie » sélective, nécessaire pour sauver des stocks plus importants, susciterait sans doute des résistances d'ordre éthique alors que nous acceptons que les livres, tout comme certaines personnes, meurent par manque de soins, mais elles seraient sans doute moins fortes parmi les responsables de la communication que parmi ceux de la conservation...

D'où nécessité pour les bibliothèques de peser leurs choix à leur échelle propre, en évaluant la composante « conservation » dans l'ensemble de ses aspects techniques et financiers, d'intégrer la dimension conservation dans l'ensemble des actions coopératives faites en réseau. D'ores et déjà, le registre européen des microformes piloté par LIBER (Ligue des bibliothèques européennes de recherche) devrait donner lieu à une base bibliographique des microfilms détenus par les bibliothèques de recherche, qu'il s'agisse de monographies, de périodiques, de thèses, de manuscrits ou de littérature grise. Ce recensement, au reste, n'est pas sans présenter quelque analogie avec la RLG preservation union list du Research library group (le père de Conspectus), à ceci près que cette dernière consiste non pas en un projet autonome, mais en une simple extraction d'une base bibliographique de plusieurs millions de références ; on ne sera donc pas surpris d'apprendre que cette liste est appelée à connaître des extensions du côté d'OCLC, du côté de la British library et de la Bibliothèque nationale.

Un pour tous

On ne s'étonnera pas davantage de l'expansion mondiale de Conspectus, la banque de données recensant l'ensemble des plans de développement des collections des bibliothèques de recherche américaines. En fait, les plans de développement de collections devraient être rebaptisés plans de mise en commun des ressources et de partage des responsabilités dans la mesure où, comme le fait remarquer leur promoteur attitré, David Stam, ils constituent un instrument de gestion technique, acquisitions d'une part, conservation et éliminations de l'autre, et aussi de gestion tout court : identification des priorités (catalogage, répartition des personnels et des crédits). Cette diversité d'usages leur a permis de faire un malheur sur le marché comme en témoignent les projets d'un Conspectus australien, et, dit-on, d'un Conspectus européen fédérant, on ne sait trop comment, les plans de développement de collections mis en place en Suède, en Angleterre (la British library, si on en croit les bruits de couloir, retrouverait des réflexes quasiment impérialistes), en Ecosse et même en France, tous se recommandant avec vigueur de l'axiome désormais euclidien, selon lequel plus aucune bibliothèque n'a les moyens de satisfaire par elle-même ses lecteurs.

La conclusion bibliothéconomique de ce raisonnement a été tirée depuis longtemps, le développement des réseaux de prêt entre bibliothèques, lesquels réseaux de prêt s'appuient sur une infrastructure de réseaux à la fois fragmentés, hétérogènes et non compatibles. Il faut en effet recenser les réseaux par lesquels transitent l'ensemble des transactions (informationnelles et financières) intervenant dans les circuits de fourniture de documents (correspondance, téléphone...), plus les réseaux d'acheminement matériel des documents. A la lumière des travaux de l'UDT, les perspectives vont vers l'intégration, d'autant que le processus de prêt (comme celui de l'achat) s'appuie sur l'identification préalable de notices bibliographiques et que ces notices sont désormais appelées à voyager à travers le monde...

Universelles aragnes

Courrier électronique ou messagerie, directement connectables avec les réseaux bibliographiques d'une part, les systèmes de gestion locale de l'autre, de réseaux à réseaux, de système à système..., l'univers bibliothéconomique se recouvre insensiblement d'une gigantesque toile d'araignée, celle des télécommunications qui, via le téléphone et ses prolongements divers, a déjà commencé à envahir nos vies quotidienne et professionnelle. Maintenant qu'un micro-ordinateur et un ou deux gadgets du genre carte modem suffisent non seulement à réaliser aisément d'un même poste de travail des opérations auparavant décousues, longues et fastidieuses, mais aussi à améliorer considérablement l'efficacité, l'harmonisation des protocoles, la compatibilité des systèmes ne serait plus seulement rêve de bibliothécaire désireux de créer le « collège invisible des bibliothèques » ; elle deviendrait un enjeu de survie, un moyen pour les établissements de réfuter cette fameuse inefficacité qui leur est tant reprochée, un moyen aussi, alliant le plaisir à la survie, de surfer élégamment sur cette vague révolutionnaire de l'information qui court à travers le monde. L'OSI, Open system interconnexion ou interconnexion des systèmes ouverts, déjà inscrite au programme de travail de l'UDT, sera, de toute évidence, un des chevaux de bataille des années 90, ce qui ouvre de brillantes perspectives de normalisation aux experts de l'ISO (International standard organization) et du CCIT ( Comité consultatif international des télécommunications). Ils auront de quoi s'occuper puisque pas moins de sept niveaux de normes, du hard mettant en jeu l'essence même des systèmes informatiques au soft axé sur les systèmes de traitement des notices, entrent dans le champ.

Jetées au milieu des combats gigantesques qui opposent gouvernements, multinationales de l'informatique, multinationales des télécommunications, les bibliothèques auront fort à ramer tout au cours des prochaines années, sachant que l'issue de ces guerres conditionnera leur avenir - verra-t-on, ressuscitant la guerre froide des années cinquante, des systèmes d'information rivaux et non compatibles hermétiquement séparés par des rideaux de silicium ? Et l'étape suivante, celle de la fourniture du document lui-même, encore plus cruciale, se profile déjà avec la transmission des textes intégraux. On a déjà signalé les transmissions par satellite, utilisant le groupe IV des télécommunications, qui sont encore à l'état embryonnaire (APOLLO), mais elles pourront grandir très très vite, du moment où elles sembleront répondre à une certaine demande de la part du public.

Quand le lecteur s'emmêle

Le public, précisément ! On a beaucoup parlé, de façon quelque peu incantatoire, des publics idéaux et rêvés, le public potentiel des nouveaux services et produits ; le public lointain des non-lecteurs et des handicapés de la lecture, handicapés fonctionnels, minorités étrangères, illettrés - les efforts des bibliothèques britanniques depuis les années 70 s'avèrent loin d'avoir porté tous leurs fruits et ne sauront aboutir que dans le cadre de solutions coopératives. On a aussi parlé des lecteurs, des vrais, autour de la table ronde qui traitait des recherches sur la lecture, et on y a constaté que les chemins de la démocratisation sont difficiles : dans un pays socialiste tel que la Pologne, les scores de lecture ne sont pas plus encourageants qu'ailleurs, 35 % des plus de quinze ans ne lisent pas et il apparaît que l'insuffisance, dans les rayons des librairies et des bibliothèques, de la littérature d'évasion reliée aux feuilletons télévisés constitue un frein à la lecture auprès d'un assez large public ; pour résumer la situation en un mot, la motivation à la lecture, étroitement correlée au niveau scolaire, serait dépendante du contexte socio-culturel...

On s'est aussi intéressé (Sylva Simsova) aux recherches sur la lecture, à la façon, reprenant les hypothèses de Roubakine, dont les bibliothécaires se situent dans un univers de lectures, abstraites ou imagées, plus ou moins émotionnelles. Peut-on, de ce retour aux sources, augurer une évolution des recherches qui s'intéresseraient plus à ce qui se passe dans la tête des lecteurs qu'à leur dénombrement ? La démarche complètement pragmatique du Centre de recherche sur les catalogues de Bath allait un peu dans le même sens : il s'agissait de mesurer de façon concrète ce que les lecteurs de la section sciences sociales de la British library comprennent et utilisent des catalogues de périodiques mis à leur disposition. Eh bien, selon Philip Bryant, le chercheur britannique se révèle quasiment aussi bêta devant une notice que le lecteur français moyen ; il croit que les holdings (les collections of course !) sont des organisations financières, s'emmêle les pinceaux dans les signes de ponctuation, sèche devant les abréviations et les mots de jargon les plus évidents (pour des bibliothécaires), va leur chercher des explications tordues (le cover title voudrait dire que la revue change de titre tous les ans... ) et, quand il a fini par piger la différence entre notice et état des collections, il s'intéresse infiniment plus aux détails sordides du second volet qu'à la richesse de l'information bibliographique... Le processus est peut-être terre-à-terre, mais il aura probablement permis d'éviter quelques bourdes fâcheuses dans la présentation et la lisibilité des futurs catalogues en ligne ; il aura aussi permis d'ébranler quelques solides idées reçues sur l'autonomie et l'initiative du lecteur britannique qui sucerait au berceau l'esprit de la bibliothèque et réciterait les tables de la classification Dewey dès la maternelle.

Reconversions réussies

Les classifications universelles, au reste, semblent, elles aussi, connaître leur petite crise existentielle, subissant les effets directs de l'évolution du papier vers l'écran. Faites pour organiser un accès linéaire à l'information, offrant des structures hiérarchisées fixes, elles semblent, dans leur forme actuelle, remises en cause par les logiques d'accès et de navigation dans tous les sens potentiellement offertes par les services en ligne ; aussi, comme pour tout le secteur des accès thématiques, la nécessité d'une redéfinition plus ou moins prochaine les a mises au second plan des préoccupations des concepteurs de systèmes.

En attendant de trouver leur deuxième souffle, il leur reste tout de même de solides atouts à jouer, puisqu'elles servent de base à la plupart des systèmes de classement, puisqu'elles sont universellement utilisées: la 19e édition de la Dewey, pour sa seule version intégrale, trouve 57 % de ses débouchés hors des Etats-Unis. Aussi Forest press vient-il d'éditer la CDD en ligne ; coexistant pour l'instant avec l'édition papier, elle est en premier lieu un instrument de travail destiné aux indexeurs de tous les pays, mais elle se veut aussi une liste d'autorité utilisable dans les réservoirs bibliographiques à travers le monde, ainsi qu'une application pour de futurs systèmes experts. Ces derniers objectifs pourraient bien, au reste, expliquer le prurit de traduction qui se manifeste dans le petit monde des classifications - ainsi les subjects headings de la Bibliothèque du Congrès ont-ils été récemment traduits en français et en espagnol - mais une telle hypothèse procède peut-être d'un esprit mécréant, encore peu au fait de la démarche oecuménique de coopération qui règne sur l'IFLA et qu'on retrouve invoquée au coin de presque toutes les communications. Encore faut-il, pour que ladite coopération existe, qu'elle puisse être rentable...

La rentabilité ; ce souci, associé à celui de la survie, s'exprime aussi fréquemment que celui de coopération et de façon sans doute moins pharisienne. Comme il est malgré tout peu de bibliothèques à pouvoir y prétendre (le cas de la bibliothèque Mary Evans, déjà mentionné, paraît une exception dans le monde de l'IFLA), la terminologie utilisée, sans doute plus appropriée, parle de gestion, d'efficacité et... de statistiques. Tout le monde s'y met, les bibliothèques publiques comme les bibliothèques spécialisées, avec de gros appareils d'enquêtes ou des micro-ordinateurs, au niveau local, au niveau régional, national, international.

Le monde en chiffres

Les statistiques nationales et internationales avaient leur théorie faite depuis longtemps (instrument d'information, de comparaison et de planification à long terme), on lui adjoint désormais la théorie de l'usage managerial des statistiques, axé sur une gestion à court terme, où les statistiques permettent d'identifier des priorités d'action et les allocations budgétaires, de peaufiner les critères de subvention et de mesurer les outputs, ceux, traditionnels, du prêt (sur place ou prêt-inter), ceux, plus novateurs, qui s'attachent à mesurer les services d'information rendus au public ou les modalités d'occupation (rythme de fréquentation, durée du séjour...) par les usagers. S'y ajoutent l'intégration dans les hypothèses budgétaires d'indices élaborés du coût de la documentation, l'infléchissement dans l'utilisation des statistiques nationales, exploitées dans une perspective diachronique pour des informations finalisées. Savait-on que le trafic de prêt-inter entre bibliothèques publiques avait plus que doublé de 1972 à 1982 ? Que les crédits d'acquisition des bibliothèques de recherche ont progressé de 1978 à 1983, tandis que, parallèlement, le coût unitaire du livre acquis s'abaissait de 30 % ? Que les bibliothèques universitaires n'ont nullement profité de l'augmentation de l'enveloppe des droits d'étudiants ? C'est au Canada - et, pour la dernière question, en Angleterre avec la SCONUL (Standing committee on university library) - que les statistiques nationales ont fourni de si intéressantes réponses aux questions posées.

Assez curieusement, ce regain d'intérêt envers les statistiques locales ou par type d'établissements ne paraît pas avoir de retombées au niveau mondial. L'appareil statistique de l'UNESCO, âgé de près de quarante ans, apparaît, relativement, en crise ; les taux de réponse s'affaissent année après année sans qu'aucune explication rationnelle ait pu être trouvée par les experts de l'UNESCO, et quelle que soit la formule utilisée, réunion en un questionnaire unique des données concernant l'ensemble des bibliothèques ou, à l'inverse, questionnaires spécifiques pour chaque type d'établissements... Peut-on risquer une hypothèse, l'information sur les bibliothèques se diluerait de plus en plus, au fur et à mesure que celles-ci, se diversifiant toujours plus dans leurs services, leurs publics et leurs logiques de fonctionnement, se fractionneraient davantage, relevant d'organismes distincts, hétérogènes et morcelés. Ou alors, le désintérêt pour l'information statistique à l'échelle mondiale traduirait un tassement de l'approche macro-économique, supplantée par l'approche gestionnaire fondée sur la micro-économie ?

Bibliothécaires de tous les pays, unissez vous !

Par-delà les vicissitudes d'enquêtes statistiques, ce reflux est peut-être symbolique de la crise de fonctionnement, mais surtout d'identité, qui affecte l'institution bibliothèque. Ecartelée entre sa tradition de service public et sa vocation de marché potentiel, ses modes de financements sur fonds publics et la volonté de se poser en productrice d'information, l'obligation de se présenter en interlocuteur face aux éditeurs de nouveaux services et celle d'offrir des services compétitifs, celle-ci semble menacée de dislocation, soumise à de violentes tensions contradictoires. L'IFLA serait-elle appelée, du moins à terme, à connaître des scissions, elle qui a jusqu'à présent réussi à faire coexister toutes les catégories possibles et imaginables d'établissements, elle dont toute la philosophie s'articule sur des actions communes, elle dont le principe moteur est le réseau ? Il lui reste de belles cartes à jouer en faveur des tendances centripètes qui agitent les professions des bibliothèques, ne serait-ce que la carte « déontologique » d'association professionnelle. Héritière directe comme le rappelait Maria Casas de Faunce, d'associations américaine et britannique centenaires et, à travers elles, des grands regroupements associatifs du XIXe siècle, l'IFLA continue à porter en elle leur vocation originelle d'éthique professionnelle et de défense des droits de l'homme : les positions affichées à propos de l'affaire Spycatcher en sont une illustration éclatante.

Mais la défense des grands principes ne suffit pas à garantir l'unité, et l'IFLA ne semble pas pouvoir continuer à se définir en termes géographiques d'élargissement de territoire et d'imposition de sa marque sur les nouvelles races de bibliothèques sans cesse foisonnantes. Le débat, on s'en doute, concerne en premier lieu les fameux services d'information qui prolifèrent dans tous les sens - dedans, parallèlement, contre la bibliothèque traditionnelle - et qui risquent de faire éclater la chape de l'IFLA et des grandes associations professionnelles. Once more, la très vénérable Library association se retrouve à la pointe de l'évolution et a entrepris tout un processus de redéfinition et d'ouverture. Elle n'a pas encore changé de nom pour s'appeler, comme le préconisait Philip Gill, « Library and information association », mais le projet avoué est d'en faire un organisme représentatif et accueillant à l'ensemble des « travailleurs de l'information », appelés pour le présent à unir leurs forces, à se retrouver en journées d'études, stages de formation continue, démarches communes ; appelés pour le futur à retrouver l'unité perdue... Cet objectif peut ne pas soulever l'unanimité : il est en tout cas probable qu'il aura reçu la bénédiction de l'UNESCO dont toute la stratégie porte sur l'harmonisation des programmes de formation aux professions d'archives, de bibliothèques et de documentation. Comme le soulignait Yves Courrier, les démarches suivies par ces « professions de l'information » devraient trouver des points de convergence (analyse de système, politiques, d'information, gestion, études des utilisateurs, technologie...) en prise directe sur les cursus de formation.

Le monde comme I(L)FLA

Celle-ci, cela va de soi, ressent déjà la révolution de l'information et paraît agitée de secousses contradictoires. Doit-elle, comme l'envisage Bob Usherwood (Université de Sheffield), s'orienter vers une démarcation claire des vocations, culturelles ou informationnelles, un tel voisinage ne profitant guère au secteur des bibliothèques publiques, systématiquement dénigré et promis à une mort prochaine, alors qu'il reste un gros pourvoyeur d'emplois. La convergence des évolutions, le rapprochement des tâches quotidiennes - les bibliothèques publiques intègrent la notion de centres d'information, tandis que les bibliothèques universitaires et spécialisées tendent à se positionner comme des pôles de services en libre accès pour une communauté ciblée - ne suffiront peut-être pas à maintenir l'unité fondamentale de la bibliothéconomie, suggère Birgit Danker (Ecole de Hambourg). Les lignes de clivage pourraient, en fait, dépendre des modes d'approche dans la formation ; la vocation universitaire et « abstraite » d'un établissement privilégiant le savoir dans son acception traditionnelle s'opposerait diamétralement à l'enseignement fondé sur le concret, qui correspondrait aux besoins de la lecture publique.

Quel que fût le camp où se situaient les intervenants, ils semblent pouvoir retrouver un terrain d'entente grâce à l'informatique. Même si, de toute évidence, son enseignement est à redéfinir, elle ouvrirait la voie à de nouveaux consensus, puisque ce sont les militants culturels d'avant-garde qui s'avèrent les plus ardents à pianoter sur le clavier. Verra-t-on, comme l'indiquait Tom Wilson, autre formateur de Sheffield, l'« information management » devenir une sorte de dénominateur commun, une spécialité applicable à l'ensemble des professions de l'information ? Le concept, à l'évidence, est porteur ; d'ores et déjà, au travers des communications, le terme d'information manager supplantait de plus en plus fréquemment celui d'information scientist, naguère le nec plus ultra des profils professionnels.

Ces glissements terminologiques sont sans doute anecdotiques ; ils n'apparaissent pas moins significatifs d'une volonté récurrente de reconquérir le terrain perdu sur le front de l'information. Si les avancées des congrès IFLA reflètent bien les trends agitant le monde des bibliothèques, il est permis de dire que celles-ci partent au combat avec une arme bien britannique, l'obstination. La friandise locale, ce sucre d'orge appelé rocher de Brighton qui affiche « Brighton » quel que soit l'endroit où on le casse, est, de ce point de vue, doublement symbolique : la volonté d'assurer envers et contre tout une vocation de service public ne saurait mieux s'exprimer qu'à travers le titre d'une oeuvre fameuse... Quant au reste, paraphrasant une formule célèbre, il est possible de dire que les bibliothèques ont perdu un combat, mais qu'elles n'ont pas perdu la guerre. Pour la suite des opérations, après l'étape australienne, le rendez-vous a été fixé à Paris, sur le thème des bibliothèques et de l'information dans l'économie d'aujourd'hui. Un thème qui apparaît donc dans la ligne directe des préoccupations exprimées à Brighton; si l'on en croit Marc Chauveinc, on ne fera pas que s'y intéresser aux Folies-Bergère !