L'informatique en réseau

Françoise Pellé

Annick Leroy

Un réseau de bibliothèques spécialisées en informatique s'est formé depuis 1981 pour répondre à des besoins documentaires. Cinq bibliothèques y participent - dont la plus importante, celle de l'INRIA de Rocquencourt - gérant en commun plusieurs bases documentaires (livres, périodiques, rapports, etc.). L'organisation est souple, sans instance de décision centralisée. Chaque site décide de son propre fonctionnement, choisissant d'avoir accès, soit au fonds local (qui comprend uniquement les notices de la bibliothèque), soit au fonds global (regroupant l'ensemble des notices des différents sites). Outre le catalogue partagé, le système assure les fonctions des commandes, du prêt et du PIB.

In 1981, five libraries specialized in informatics - the main one is the library of INRIA in Rocquencourt -gathered in a network, in answer to information needs. They manage several databases (books, periodicals, reports, etc.) ; the structure is flexible and the network is not subjected to a central authority. Each site chooses its own access mode : either to the local collection (which contains only the entries of the library) or to the main stock (which covers the entries of all the sites). In addition to the shared cataloguing, the system provides orders, loan and interlending tasks.

Le club des cinq est revenu ! S'il n'est plus tout à fait celui imaginé par E. Blyton, ses activités n'en sont pas moins passionnantes : cinq centres documentaires spécialisés en informatique ont mis en commun leurs activités.

BBF. Ce réseau informatisé de bibliothèques spécialisées est assez novateur. Quelles en sont les bibliothèques membres ?

Françoise Pellé. Elles sont au nombre de cinq, toutes spécialisées en informatique. Trois bibliothèques de l'INRIA 1 - une à Rocquencourt, une à Sophia-Antipolis, et celle de l'IRISA 2 à Rennes - et deux autres: celle de l'IMAG 3 à Grenoble et celle de la Section informatique-recherche à la BIU scientifique de Jussieu. Ces bibliothèques ont donc trois appartenances différentes : les trois premières, dépendant de l'INRIA, sont sous la tutelle du ministère de l'Industrie, la quatrième, qui est une bibliothèque d'institut, est sous la tutelle directe de l'université dont elle dépend, la dernière a la double appartenance DBMIST/université.

BBF. Pourquoi la bibliothèque de l'IMAG, qui est une bibliothèque d'institut de mathématiques ?

FP. Son appellation est un peu trompeuse par rapport à la réalité de ses fonds documentaires. C'est en fait une bibliothèque spécialisée en mathématiques appliquées et en informatique, et c'est à ce dernier titre qu'elle s'est intéressée au réseau et que le réseau s'est intéressé à elle. Ceci étant, les mathématiciens ne disent-ils pas toujours que l'informatique est une application des mathématiques ?

BBF. Qui fréquente ces bibliothèques ?

FP. Ce sont essentiellement des chercheurs. 99 % de chercheurs de l'INRIA dans les bibliothèques de l'INRIA, le reste du public étant constitué d'étudiants de DEA ou de thésards en stage à l'INRIA. Autrement dit, ce sont des gens qui ont des besoins en informatique extrêmement pointus et précis, et qui ont personnellement les moyens matériels d'accéder aux bases documentaires à partir de leur bureau, de leur laboratoire ou même de leur domicile.

Des fonds et une histoire

BBF. Quelle est l'importance des fonds ?

FP. Le fonds le plus important se trouve à la bibliothèque de l'INRIA de Rocquencourt, qui possède 18 000 ouvrages, 15 000 rapports de recherche et environ 400 titres vivants de périodiques. L'IRISA de Rennes, dont le centre de documentation a démarré il y a cinq ans à peine, a environ 5 000 ouvrages et 5 000 rapports de recherche. Le fonds de Sophia-Antipolis est d'environ 2 500 ouvrages. L'IMAG possède environ 12 000 ouvrages, 7 000 rapports de recherche et 300 périodiques vivants, et Jussieu 20 000 ouvrages et 15 000 rapports de recherche. Ce ne sont pas des fonds très importants, et un certain nombre de titres se recoupent d'une bibliothèque à l'autre.

BBF. Etant un pôle d'information pour tout ce qui concerne la littérature informatique, le réseau reçoit-il des demandes extérieures comme les CADIST peuvent en recevoir ?

Annick Leroy. En tant que réseau, non. Mais les bibliothèques participantes peuvent en recevoir indépendamment. N'importe qui peut interroger à l'INRIA par exemple.

FP. A Jussieu, nous n'avons pas encore ouvert la base aux demandes extérieures. On juge qu'elle n'est pas encore assez importante, car, actuellement, une partie seulement du fonds a été saisie.

AL. Les bases n'ont jamais été mises sur un serveur comme le SUNIST par exemple. Nous en faisons fréquemment la demande à l'INRIA - c'est en effet à lui de prendre la décision puisqu'il produit la plupart des notices -, mais ses promesses n'ont pas encore été suivies d'effet. Peut-être craint-il un surcroît de demandes de prêts ?

BBF. Qui a pris l'initiative de fonder le réseau ? Y a-t-il eu, dès le départ, une entente entre les participants ?

FP. Il y a plutôt eu une série d'adhésions successives. C'est, en fait, la bibliothèque de l'IRISA qui a fait démarrer le réseau. La bibliothèque la plus ancienne, celle de Rocquencourt, s'est informatisée il y a huit à dix ans pour pouvoir répondre aux besoins purement documentaires de ses chercheurs, à savoir : quels types de documents possède la bibliothèque ? Sur quels sujets ? Où se trouvent-ils ? Et comment se les procurer ?

Puis les laboratoires de Rennes et de Sophia-Antipolis se sont créés - les laboratoires de l'INRIA sont dispersés sur tout le territoire -, engendrant vite des besoins documentaires et, par là-même, la création de nouvelles bibliothèques. Celles-ci, et plus précisément celle de Rennes, la première créée après Rocquencourt, ne jouissant pas d'un fonds documentaire tel que celui de Rocquencourt, n'ont pas tardé à ressentir le besoin de connaître les ressources documentaires des autres centres. Ce qui a posé la question du réseau. Il s'est mis en place en 1981 avec Rennes. Grenoble y est entré ensuite, puis Sophia-Antipolis, et enfin Jussieu.

BBF. Le besoin initial était donc un besoin documentaire. Est-ce que c'est encore l'objectif essentiel du réseau ?

FP. Tout à fait. Mais il remplit aussi un certain nombre de fonctions de gestion, dont l'importance dépend de la taille du fonds de chaque bibliothèque. Un petit centre a besoin avant tout de savoir ce que les autres possèdent, et doit pouvoir leur adresser rapidement des demandes de prêt interbibliothèques ; un gros centre comme Rocquencourt n'a pas la même demande. Ayant la couverture documentaire la plus importante, il a surtout besoin de connaître son propre fonds, et de gérer le prêt localement en liaison avec sa base documentaire.

BBF. Avez-vous des spécialisations par centre et une politique d'acquisition répartie ?

FP. Non. Hormis notre spécialisation générale, qui est l'informatique au niveau recherche, nous n'avons aucune spécialisation par sous-disciplines d'un centre à l'autre. S'il y en a, elles sont variables et répondent aux besoins documentaires du moment, non à une volonté d'organisation du réseau. Les acquisitions se font en effet en fonction du public, de ses thèmes de recherche et des différents laboratoires que la bibliothèque est supposée desservir. Le réseau ne mène aucune politique d'acquisition répartie et ne s'organise pas en recours. C'est un réseau qui s'est conçu uniquement sur la parenté des besoins, des outils utilisés et du mode de fonctionnement administratif des différents partenaires.

Un réseau de facilités

BBF. Matériellement, comment s'est-il créé ?

FP. Il s'est mis en place à partir de la base de Rocquencourt, initialement créée, qui a d'abord utilisé un logiciel documentaire fort simplifié, avec des notices qui présentaient peu de champs et peu de sous-rubriques, ce qui n'offrait pas de possibilités d'interrogation documentaire. Puis, devant la demande de changement, les informaticiens de l'INRIA ont décidé d'acquérir Texto, produit français existant sur le marché et assez peu onéreux à mettre en place. Texto gérait la base documentaire de Rocquencourt depuis quelques années quand le réseau s'est formé.

En ce qui concerne le matériel, il n'y a pas eu de véritables difficultés : en tant que centre de recherche sur l'informatique, l'INRIA dispose de moyens informatiques en équipement de matériels lourds, terminaux, imprimantes, maintenance et aides techniques de toutes sortes, qui font partie intégrante de son fonctionnement et auxquels tout le monde a accès « gratuitement ». Gratuitement, car il n'y a pas de facturation réelle entre services INRIA, par conséquent pas de facturation entre le centre de calcul et le centre de documentation. Le centre de calcul met ses moyens informatiques à la disposition du centre de documentation, ce qui facilite grandement l'organisation administrative.

BBF. Comment est-on passé d'une base isolée à un réseau ouvert à des membres extérieurs ?

FP. Je parlerai de Jussieu : l'INRIA et l'IRISA nous ont, dès le départ, dotés fort généreusement en nous donnant leurs bases documentaires et leurs programmes. Ça s'est fait tout naturellement. Etant alors responsable de la Section informatique-recherche, j'avais pris contact avec l'INRIA de Rocquencourt pour un éventuel échange de publications entre nos laboratoires respectifs. La relation établie, je me suis intéressée à ce qu'ils faisaient, en particulier à l'informatisation, dont ils étaient très satisfaits, tant sur le plan documentaire que sur le plan des fonctions bibliothéconomiques ou de gestion qui étaient assurées. Nous possédions le même matériel, à savoir des DPS8 70 avec système d'exploitation Multics, et, pour répondre à des fonctions d'enseignement, Texto venait d'être acheté à Jussieu par le CICRP 4. Intéressés par notre fonds documentaire, ils nous ont alors proposé d'entrer dans le réseau en nous offrant leurs réalisations.

BBF. Mais ensuite ?

FP. Le CICRP, sur lequel nous travaillons, a très favorablement accueilli l'installation de nos bases et de nos programmes. Situé sur le campus même de Jussieu, service interuniversitaire destiné à être le support d'enseignement pour les étudiants d'informatique de toute la région parisienne, ce centre de calcul doit faire face à deux problèmes : un problème de financement dû à sa vocation pédagogique, et un problème de rentabilité, d'utilisation du matériel. S'il y a en effet surcharge des demandes d'utilisateurs à certaines périodes très courtes de l'année - de février à avril - et à certaines heures de la journée - entre dix et seize heures -, il y en a peu le reste du temps, en particulier pendant la période assez longue des vacances. N'ayant, par contre, aucun problème d'espace mémoire, le centre a jugé intéressant d'accueillir des utilisateurs professionnels plus réguliers que les étudiants, et sans doute pensé que la documentation sur le campus pouvait être intéressante pour les étudiants et les enseignants.

Il nous facture les heures de connexion, ainsi que la place mémoire et le temps de calcul utilisés. Nous n'avons, pour le moment, aucun problème de financement : en effet, par l'intermédiaire du CICRP, qui l'appuie, nous avons fait parvenir une demande de subvention d'équipement et de fonctionnement à la Direction de la recherche. Celle-ci subventionne le centre par le biais de ses utilisateurs, et, d'une certaine façon, elle préfère financer des projets cohérents. Or, même imparfait, notre réseau est quelque chose de précis et d'appréhendable. Les subventions de fonctionnement que nous avons obtenues jusqu'à présent ont largement couvert nos besoins. Nous avons reçu 227 000 F pour deux sections l'année dernière, partie en matériel, partie en fonctionnement. Ce qui contribue à diminuer un peu la facture du CICRP. Cette affaire est en fait une conjonction d'intérêts.

BBF. Quel est le coût de fonctionnement du réseau ?

FP. Pour chaque participant, la moyenne globale du coût mensuel est de 3 500 à 4 000 F. Cette somme comprend toutes les dépenses de fonctionnement : temps de connexion, temps d'utilisation de la mémoire centrale, place mémoire, mises à jour, etc. Ce sont les mises au point de programmes qui reviennent le plus cher. On ne prend que très partiellement en charge les interrogations des utilisateurs. Les factures sont portées sur les crédits de recherche.

Les différentes approches

BBF. Les chercheurs utilisent-ils beaucoup les services ?

FP. L'INRIA n'a pas établi de statistiques d'interrogations, aussi ne sommes-nous pas en mesure de donner des chiffres précis. Ce qu'on peut dire, c'est qu'ils interrogent assez peu sur les terminaux situés dans les salles de bibliothèques. Ils préfèrent de beaucoup interroger de leur bureau, ou adresser leurs demandes de recherche aux documentalistes.

Nous utilisons en effet du Texto « habillé », avec interrogation guidée. Or, on a souvent reproché à l'interrogation guidée d'être longue et contraignante, d'enfermer la recherche dans un carcan et de l'alourdir par des retours aux menus... L'une des perspectives de développement est d'ailleurs d'interroger en langage naturel, ou sous forme graphique, mais ce n'est pas envisageable avant deux ou trois ans.

BBF. Combien de documentalistes travaillent sur le réseau ?

FP. Dix-huit ou dix-neuf à Rocquencourt, deux à Rennes, deux à Sophia-Antipolis, trois à Grenoble et quatre ou cinq à Jussieu. Mais il y a seulement deux informaticiens - un à Rennes et un à Rocquencourt - pour assurer la maintenance et le développement des programmes autour de Texto.

BBF. Comment le personnel a-t-il intégré l'informatisation ?

FP. Diversement selon les centres. A Rocquencourt, ils utilisent tous peu ou prou Texto. Certains se sont même tellement passionnés pour la mise en place de systèmes documentaires informatisés qu'ils sont devenus eux-mêmes informaticiens par la suite.

A Jussieu, l'entrée dans le réseau, il y a un an et demi, a représenté une mutation importante, le personnel en place n'ayant pas choisi a priori d'utiliser l'informatique. Il y a d'abord eu quelques inquiétudes, mais les réticences se sont dissipées une fois le matériel installé, chacun mettant alors un point d'honneur à s'y adapter. Par le biais de la formation permanente de Paris VI et de la DBMIST, nous avons organisé une série de stages d'initiation générale à l'informatique puis, toujours par la formation permanente, et pour ceux que ça intéressait, des stages plus précis, sur tel ou tel langage par exemple. Enfin, des stages de trois jours d'initiation au système Multics ont été assurés par le personnel du CICRP. Ce même personnel a bénéficié de stages Texto offerts par Chemdata, stages auxquels la bibliothèque n'a pas eu droit, n'étant pas elle-même acheteur du logiciel. J'ai personnellement appris Texto avec le manuel, en expérimentant les diverses commandes, ce qui m'a ensuite permis de former le personnel de la section. Nous pouvons, bien sûr, faire appel au centre pour résoudre tout problème éventuel.

Tout nouvel arrivant dans la section doit avoir une formation minimum, aussi envoyons-nous régulièrement des gens aux stages d'initiation au système organisés par le centre de calcul, qui sont des stages de trois jours. La formation doit se poursuivre à tous les niveaux, que ce soit au niveau de Texto, de Multics, ou du système adopté, qui est relativement complexe.

BBF. Quelle incidence l'informatisation a-t-elle eue sur l'organisation du travail ?

FP. A Jussieu, l'informatisation n'a pour ainsi dire rien changé. Les commandes sont faites en liaison entre le conservateur et les bibliothécaires-adjoints, et les documents sont immédiatement saisis à leur arrivée - c'est-à-dire dans les deux à trois jours -, puis équipés et mis dans le circuit. Notre tâche est sans doute facilitée par le nombre très relatif des arrivées -environ 300 achats de livres par an, et plus aucun rapport de recherche depuis deux ans -, la proximité entre eux des bureaux qui traitent le livre, et le fait que c'est souvent le même personnel qui catalogue et met les livres en rayons. En fait, la taille modeste de notre section a permis d'éviter les problèmes de réorganisation.

AL. A Rocquencourt, les acquisitions sont réparties entre les documentalistes selon leur spécialité - ouvrages, thèses, conférences. La saisie se fait en trois temps par trois personnes différentes : l'une pointe le document sur la commande et le saisit sur bordereau, l'autre le saisit sur écran, et la troisième contrôle notice et saisie avant de décider de son introduction dans la base. Les références sont introduites, par paquets, tous les vendredis.

A Rennes, les envois se font en fonction des besoins. Autrement dit, si l'on a beaucoup de documents à saisir et qu'ils doivent très vite figurer au prêt, on les bascule plusieurs fois par semaine ; pendant les vacances, il y a par contre très peu de basculements.

Une organisation souple

BBF. Chaque centre pratique donc la saisie de façon autonome. Cela n'entraîne-t-il pas d'inévitables doublons ?

FP. Il a été mis en place un certain nombre d'aides à la saisie qui dépistent les doublons grâce à des vérifications automatiques, et nous faisons confiance aux personnes qui saisissent pour ne pas créer de doublons volontairement... Il y en a toutefois, mais pas en nombre suffisamment important pour poser de réels problèmes. Le réseau étant d'ailleurs très peu hiérarchisé, personne n'est autorisé à décider de leur suppression. On les tolère donc. Mais c'est un problème qu'il faudra examiner si la base grossit - nous avons actuellement 22 000 ouvrages sur la base globale - et si le nombre des participants augmente.

AL. Pour le moment, c'est à chacun de supprimer ses doublons localement, c'est-à-dire ceux qu'il a lui-même introduits. Les modifications sont apportées annuellement au fonds global lors de sa reconstruction générale.

L'organisation du réseau est souple. Selon les sites et selon les bases (ouvrages, rapports, périodiques, conférences à venir, fichier d'adresses des universités, annuaire téléphonique multicentre), on dispose en effet soit d'un fonds local et d'un fonds global, soit de l'un ou de l'autre. Le premier contient uniquement les notices des documents de la bibliothèque locale, le second est une copie de l'ensemble des notices saisies par tous les sites.

Avant de saisir un document, chaque site interroge - par contrôle manuel ou contrôle automatique -le fonds global pour vérifier s'il existe déjà ou non dans la base. Si le site ne possède pas de fonds global, il se connecte sur un autre - ce que fait Rocquencourt sur Sophia-Antipolis, car il ne dispose pas d'assez d'espace mémoire pour avoir un fonds global. Si la notice existe déjà, on la complète avec des informations locales propres au site : le numéro d'inventaire, la cote, la date d'acquisition par exemple. Après vérification et validation, le document complet est introduit dans le fonds local. Si la notice n'existe pas, c'est un nouveau document à saisir entièrement (partie documentaire et informations locales). Après vérification, le document est introduit dans le fonds local et dans le fonds global. Dans le cas de très grosses bases, on pourrait d'ailleurs envisager de réduire le fonds global aux documents récents et d'éditer le reste en catalogue papier, car ce sont en fait ces documents qui sont intéressants à récupérer au niveau de la saisie. Mises à jour et ajouts sont ensuite diffusés à l'ensemble des fonds globaux avec un délai de transmission de quelques minutes. Les transferts se font en messagerie Multics et en différé la nuit.

BBF. Combien coûte un message ?

AL. Entre 1,50 F et 3 F selon sa taille. Au maximum, chaque message contient un paquet de 250 notices. Si l'on envoie un message par semaine avec introduction dans le fonds global, ça revient donc à 15 F pour les cinq sites. C'est en basculant le plus souvent possible les fichiers de saisie, toutes les 24 heures par exemple, qu'on pourra réduire le nombre des doublons.

Outils, fonctions, expansion

BBF. Quel format de catalogage avez-vous adopté ?

AL. Un format essentiellement orienté vers l'interrogation documentaire, l'édition étant un besoin secondaire.

FP. Il est issu du premier fichier informatisé très simple de Rocquencourt, que j'ai mentionné, qui s'est perfectionné progressivement. La notice actuelle contient d'une part des champs communs et obligatoires, avec une syntaxe de saisie définie, à laquelle chacun doit se plier, d'autre part des champs locaux donnant des informations locales. Certains champs sont principalement destinés à l'interrogation documentaire (auteurs, mots du titre, etc.), d'autres aux besoins éventuels d'édition, le troisième type facilite la gestion d'un certain nombre de tâches (cote, numéro d'inventaire...). Ce format n'a rien à voir avec le format MARC, mais on essaie autant que faire se peut de respecter l'ISBD.

AL. A mon avis, le respect absolu de l'ISBD est un aspect très secondaire quand on fait une simple présentation sur écran ou sur papier. C'est bien différent d'une édition de fiches en vue d'un échange entre bibliothèques pour intercalation dans des fichiers classiques.

Nous éditons également des catalogues papier du fonds local, bien que ce ne soit pas indispensable puisque les utilisateurs peuvent interroger sur terminal et, l'an dernier, Grenoble a édité un catalogue du fonds global qui a été diffusé à tous les sites. Mis à part Rocquencourt, où les chercheurs utilisent beaucoup les bases, le réflexe de l'interrogation n'est en effet pas généralement acquis et le catalogue papier reste encore très demandé.

BBF. Envisagez-vous un équipement en minitels ?

AL. On pourrait l'envisager, mais resterait le problème du coût d'interrogation. Dans les meilleures conditions, une question revient à 2 ou 3 F, mais elles ne sont pas toujours très précises ni très bien posées et les utilisateurs s'arrêtent rarement à une seule question...

BBF. Le fait d'avoir un format spécifique n'est-il pas gênant en vue d'éventuelles connexions avec d'autres secteurs ?

FP. Si, bien sûr. A mon avis, l'uniformisation des formats est un problème de fond. Mais je pense qu'on peut trouver des moyens techniques de le résoudre : on peut transformer une notice MARC en enregistrement Texto. L'inverse est sans doute plus difficile, mais on peut imaginer des solutions intermédiaires telles que la création, à partir de fichiers Texto, de bandes comportant les clés d'interrogation OCLC et les champs locaux.

D'autre part, l'INRIA n'éprouve apparemment pas le besoin de récupérer des notices à partir de bases de données extérieures, et sa politique d'extension suppose que les nouveaux membres adoptent le format des bases existantes.

BBF. Au niveau de l'indexation, disposez-vous d'un thésaurus commun ?

FP. Il existe une liste des mots clés utilisés, unitermes ou expressions, mais sans aucune relation entre eux, d'équivalence ou de générique à spécifique.

AL. Il n'y a pas de liste d'autorité, sinon quelques règles générales à respecter. Chaque membre du réseau peut introduire les termes qu'il juge pertinents et utiles, et, dans les faits, chacun regarde un peu sur son voisin... Nous projetons toutefois d'utiliser Alexis et de reprendre un thésaurus informatique. Les crédits d'acquisition d'Alexis sont déjà demandés.

Le système est ainsi constitué : à chaque base correspond un index. Le fonds global des 22 000 ouvrages représente environ 3 000 quotas, et, avec les index correspondants, qui sont énormes, 6 500 quotas en tout. En ce qui concerne les fonds locaux, les chiffres varient d'une bibliothèque à l'autre. A Rennes, nous arrivons à 2 000 quotas pour cette base, en fonds local.

BBF. Outre les fonctions de type partagé, quelles fonctions gère le système localement ?

AL. Le prêt, le prêt interbibliothèques, les demandes de photocopies intersites, les commandes. En ce qui concerne le prêt, il n'y a pas de saisie spéciale. La saisie d'un document se fait lors de son introduction dans la base locale. S'y adjoignent ensuite les fonctions habituelles de mise à jour, emprunt, retour et réservation. Le système de prêt tourne sur trois fichiers Texto : le fichier documentaire local, le fichier inventaire et le fichier emprunteur, chaînés entre eux.

Pour les prêts de documents ou les envois de photocopies entre bibliothèques, il suffit de se mettre sur la procédure des commandes, d'interroger le fonds global de l'une ou l'autre base et, une fois localisé le document, d'adresser un message au site qui le possède, en précisant le nom du demandeur. Là encore il y a chaînage entre le fichier documentaire, le fichier des prêts intersites et le fichier des photocopies. Il existe des règles d'échange, fixées à cinq titres simultanément.

Au niveau des commandes, il y a à la fois un contrôle dans le fonds global concerné, pour localiser le document s'il existe déjà, et un contrôle dans le module des commandes pour vérifier s'il n'est pas commandé. Les documents sont ensuite rassemblés en une seule commande et, à leur réception, soumis à la personne qui les a commandés.

On ne peut établir de notices de catalogage à partir du fichier des commandes, car il ne comporte pas suffisamment d'informations. Par contre, il est possible de récupérer une notice cataloguée pour passer une commande.

BBF. Le réseau entretient-il des relations avec d'autres réseaux ? A-t-il des liens privilégiés avec les bibliothèques de mathématiques ?

AL. Les bibliothèques d'informatique font régulièrement appel à elles et réciproquement. Certaines bibliothèques de mathématiques ont commencé à s'informatiser avec Texto et ont choisi le même format que Rocquencourt. C'est le cas de Strasbourg, Grenoble, Orsay. Toutefois, il n'existe pas entre elles d'organisation en réseau, et ce pour plusieurs raisons : manque de crédits, matériels hétérogènes, désaccord sur la syntaxe exacte des champs, et, surtout, pas de personnel informaticien d'encadrement.

FP. Plus que la création d'un réseau de catalogage partagé, ces bibliothèques envisageaient au départ d'échanger des disquettes.

BBF. Avez-vous des projets d'extension ?

AL. L'INRIA de Rocquencourt ne cherche pas plus à étendre le réseau qu'il n'a cherché à le créer. Comme nous l'avons dit, le réseau s'est construit au fur et à mesure de l'entrée des bibliothèques. Si Rocquencourt avance des crédits, c'est parce qu'on a développé des outils utiles et que le fonctionnement général lui paraît intéressant.

Il y a, bien sûr, des candidatures spontanées à l'entrée dans le réseau, mais on les refuse parce qu'elles posent en général divers problèmes, notamment celui du personnel informaticien. Nous ne sommes actuellement que deux pour l'assistance technique et je dois personnellement m'occuper des quatre sites autres que Rocquencourt. Il n'est donc pas possible d'envisager d'étendre le réseau sans augmenter les moyens humains.

Nous songeons d'ailleurs dans l'avenir à placer une personne, connaissant le logiciel et ayant participé au développement du réseau, dans chacun des centres de calcul, pour veiller uniquement aux problèmes techniques.

Présent-futur

BBF. Sur le plan informatique, quels problèmes va poser l'arrêt du développement de Multics ?

AL. Nous nous orientons vers un réseau Unix et NOS/VE. L'INRIA va jouer un rôle moteur dans la ré-écriture de tous les outils développés car c'est à Sophia-Antipolis que Multics va d'abord disparaître. Nous avons défini un plan de ré-écriture sur une année, qui concernera, les six premiers mois, la partie gestion et, les six derniers mois, les petits problèmes utilitaires, messagerie, introduction de nouveaux documents, doublons, indexation, ainsi que la reprise de certains programmes Logotel, comme l'interrogation guidée et la saisie assistée.

Tout le système sera écrit en « C », donc utilisable sur n'importe quelle machine et par toute bibliothèque utilisant Texto.

BBF. Quel bilan pouvez-vous faire actuellement ?

FP. Pour Jussieu, un bilan globalement positif. Du point de vue de l'efficacité du travail, le système accélère considérablement les tâches, le catalogage par exemple. Nous récupérons environ 50 % de la saisie, c'est-à-dire que nous ne créons que la moitié des notices. Du point de vue humain, il n'y a pas eu de réaction de rejet violent. On peut même dire que le réseau apporte une ouverture sur autre chose et donne un regain d'intérêt au travail. Du point de vue financier, il ne nous coûte rien puisque le financement est assuré par des arrivées de crédits spécialement destinés à cette réalisation, et que nous n'aurions pas obtenus à d'autres fins.

Ce qu'on pourrait souhaiter, c'est apporter des améliorations aux programmes au moment de leur ré-écriture. Par exemple, un outil d'aide à la définition d'une base documentaire partagée.

AL. Plus on utilise un système et plus on trouve, en effet, à le perfectionner. Quand j'ai écrit les premiers programmes, je n'avais jamais rien saisi moi-même...

Le bilan que je tire de l'expérience est également très positif, tant au niveau des prêts que des commandes ou de la saisie. La bibliothèque de l'IRISA économise beaucoup de temps et récupère, quant à elle, les trois quarts des notices. Même chose pour celles de Grenoble et de Sophia. Rocquencourt récupère peu. Je ne dirai pas qu'ils créent des notices systématiquement ; ils interrogént, mais leur politique est de participer au réseau quand il marche bien, et les notices des autres membres ne leur conviennent pas toujours. Alors ils testent prudemment les centres sur le catalogage et prennent lentement l'habitude de récupérer. De notre côté, quand nous connaissons les acquisitions qu'ils vont faire, nous attendons souvent qu'ils se chargent de la saisie.

Ils se sentiront sûrement plus impliqués dans le réseau quand ils auront participé à la ré-écriture du logiciel.

BBF. Conclusion ?

FP. Si c'était à refaire aujourd'hui, il faudrait se poser la question du format interne de catalogage en d'autres termes que ça n'a été fait en 1981.

AL. Il faudrait surtout qu'une équipe travaille à la conception du réseau avant qu'il ne démarre. Un réseau qui se construit peu à peu comporte forcément des lacunes et des imperfections.

  1. (retour)↑  INRIA : Institut national de la recherche en informatique et automatique.
  2. (retour)↑  IRISA : Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires.
  3. (retour)↑  IMAG : Institut de mathématique appliquée de Grenoble.
  4. (retour)↑  CICRP : Centre interuniversitaire de calcul de la Région parisienne.