Éditorial

Le dinosaure, le guépard et le coelacanthe

La question devait bien finir par être posée : pourquoi le succès des banques de données n'est-il pas à la hauteur des espérances de départ ?

Aux discours magiques de « l'illusion télématique » succèdent les considérations désabusées dues à la lecture des bilans financiers, les psychologismes sommaires sur le public ignare et sclérosé, le désenchantement, la morosité...

Désenchantement et morosité se teintent toutefois d'une lueur d'espérance due à l'apparition d'une espèce nouvelle, le grand public, destiné à prendre la relève du public savant et à régner en maître sur le monde de l'information en ligne. Dans cette lutte pour l'existence, on voit réapparaître le médiateur - une espèce pourtant bien décriée et vouée à l'extinction par les grands prédateurs récemment surgis dans l'univers en ligne - un médiateur qui a l'outrecuidance de relever la tête et de défendre sa niche écologique avec des atouts nouveaux. Malgré sa jeunesse, le milieu de l'information en ligne semble déjà figé, soumis à un processus cyclique, et les mutations apparentes sont, pour l'essentiel, de l'ordre du camouflage et du discours.

Comment rompre le cercle, réintroduire le processus de l'évolution ? En évitant l'idéologie, en inversant l'approche traditionnelle, en cessant de supposer l'existence d'usages imposés, en dressant le diagnostic de la confrontation public/produit. Un diagnostic à plusieurs facettes : les démarches présentées analysent les consommations documentaires en termes de sous-consommation, posent la question de l'adéquation aux besoins avant celle de l'adéquation au produit, assignent à la formation sa véritable place - un « savoir-faire expéditif et limité » et non une condition nécessaire et suffisante -, posent le problème du prix comme un obstacle et non comme une obole demandée à un client ravi - à moins qu'il ne s'agisse d'une aumône consentie à un utilisateur reconnaissant... En bref, elles analysent la portée et l'impact du service en fonction de ses usages, partant de l'utilisation véritable avec toutes ses déviations pour prôner des adaptations structurelles.

Si on suit ces analyses, le milieu de l'information en ligne devrait changer de visage au cours des prochaines années, soumis aux pressions évolutives les plus fortes qui soient, celles de l'usage. Dans la course à l'information, ce sont l'innovation, la créativité et l'adaptation aux besoins qui l'emporteront sur l'exhaustivité, l'universalité, l'encyclopédisme. Déjà le minitel suscite une remise en cause des formes classiques de l'information bibliographique... Or, comme chacun sait, le processus de l'évolution est fondé sur la crise, l'accident, qui donne naissance à des faunes nouvelles : verra-t-on, tout comme son homologue animal, le guépard télématique s'engager sur la voie de l'extinction, coincé dans un cul-de-sac évolutionnaire ? Mais il n'est pas sûr que la question ne puisse se poser qu'en termes de territoire et de concurrence pour capter qui un domaine d'intervention, qui une clientèle. Il y a aussi la logique du « bien public » qui peut justifier la pérennité d'un service : le coelacanthe a survécu aux dinosaures et aux mammaliens ; peut-être enterrera-t-il les mammifères...