Réponse à la communication de M. John Beard

Aud Nordgarden Grimstad

En tant que représentante de la Norvège au Comité permanent pour les bibliothèques publiques, et sachant que ce pays est l'un de ceux dans lesquels le Groupe de travail a puisé son information pour ce rapport, je soulignerai plus spécialement le point de vue norvégien sur la question de la non-gratuité. Je formulerai également un certain nombre de commentaires sur le rapport. Je pense que la façon de voir que je vais exposer est assez proche de celle qui prévaut dans les autres pays nordiques.

Ainsi que le rapport le fait remarquer, la nouvelle loi sur les bibliothèques publiques a été votée au Parlement norvégien en décembre 1985, et est entrée en vigueur au 1er janvier 1986. Au terme de vives discussions sur l'hypothèse de la non-gratuité, le Parlement a adopté la disposition suivante, qui maintient le principe d'un service gratuit sans conditions: « Les bibliothèques publiques ont pour tâche de promouvoir la connaissance, l'éducation et toute autre activité culturelle en fournissant l'accès à l'information et en facilitant la diffusion du livre et de tout support approprié, à titze gratuit, à toute personne résidant dans le royaume ».

Le débat sur le principe de la non-gratuité a bien sûr été suscité à partir des nouveaux médias et des nouvelles technologies; nous considérons en effet qu'il ne saurait y avoir discussion sur le bien-fondé de la volonté de diffusion de l'information et de la connaissance. Nous convenons d'avance que « connaître, c'est pouvoir ». De même, nous postulons que toute société considère l'homme comme une ressource d'autant plus profitable pour elle que son degré d'éducation est élevé. Ceci s'applique aux pays en développement comme aux sociétés industrialisées.

A présent que la puissance de la concurrence commerciale investit davantage chaque jour les différents secteurs d'activité, il semble important de souligner que le principe de la gratuité ne peut pas être évalué du seul point de vue d'une politique culturelle, mais doit aussi prendre en compte le droit de chaque individu à l'information dont il a besoin, inhérent à toute société démocratique, et ceci quel que soit le statut économique ou social de chacun. L'apparition de marchands d'information conduira inévitablement à décider de prix de vente pour telle ou telle donnée, ce qui rendra cette dernière inacessible à un grand nombre de personnes. L'accès gratuit à l'information au travers des bibliothèques publiques permettra d'éviter d'en arriver à une situation aussi regrettable.

Cependant il ne va pas de soi pour les détenteurs du pouvoir de création et les décideurs des secteurs « dynamiques » de l'économie, qu'un service gratuit conserve malgré tout une valeur non négligeable et doive être pris au sérieux. Il en résulte que ce principe de la gratuité que nous considérons comme intangible peut facilement nous mettre en difficulté, si nous ne savons pas lui donner une valeur en rapport avec les exigences d'une société moderne. Pour cette raison, nous ne devons pas chercher à éluder le débat qui s'impose à nous comme une évidence, ni sur le principe, ni sur d'éventuels tarifs.

Le rapport cite les exemples des comtés du Hertfordshire et du Hampshire en Grande-Bretagne, où les autorités locales compétentes ont considéré qu'elles avaient intérêt à soutenir de façon significative des services « à valeur ajoutée ». D'autre part, et même si on s'alarme exagérément de la condamnation du support papier, nous devons nous préparer à la disparition de certains types d'écrit sous leur forme actuelle, par exemple les encyclopédies. Dans ce cas, il va de soi que le devoir de la société consiste à faire en sorte que chacun, quel que soit son statut économique, puisse avoir accès à toute information fournie par les bases de données. De la même façon, je ne vois aucune différence entre le prêt de livres et celui d'autres médias, par exemple des films vidéo ou des enregistrements sonores. Traditionnellement, le livre constitue le fondement de toute activité bibliothéconomique, et il le restera. Mais ce serait manquer à notre devoir que de ne pas exploiter les autres médias dans notre effort pour satisfaire les demandes du public.

Pour un grand nombre de personnes, la manière la plus simple d'assimiler un savoir passe par une combinaison de texte et d'image, et il semble évident qu'un film vidéo sur tel ou tel sujet peut, dans certains cas, s'avérer plus efficace qu'un document imprimé sur le même sujet. En Norvège, nous venons d'achever une expérience de prêt gratuit de films vidéo dans deux bibliothèques moyennes. Cette expérience est un succès. Elle démontre que de nouvelles catégories de lecteurs sont venues dans les bibliothèques publiques, et que ces nouveaux usagers ont aussi emprunté des livres et d'autres films vidéo sur différents sujets.

Il est intéressant de noter que le rapport met en évidence le fait que certains lecteurs cessent de fréquenter la bibliothèque dès que le prêt devient payant. L'objectif primordial que nous nous sommes fixé, à savoir le droit à l'information pour tous, s'effondre dès qu'on introduit la notion de service payant. D'ailleurs, pourquoi un objet, tel qu'une cassette vidéo ou un terminal par exemple, devrait-il donner lieu à un service payant ? C'est au bibliothécaire d'apprécier quel type de document ou quelle méthode de recherche sera la plus appropriée à telle situation. On ne s'est jamais interrogé sur le temps nécessaire à une recherche traditionnelle. Un service de consultation en ligne ne peut donc pas servir de base d'évaluation pour une tarification.

Je pense que le rapport va aussi dans le sens du point de vue des pays nordiques sur cette question, et constitue un bon point de départ pour des discussions futures. C'est pourquoi je suis un peu surprise de voir le Groupe parler de revenu net et de revenu brut, ainsi que de profit. Je vois là une façon dangereuse de penser. Où cela s'arrêterait-il si nous commencions à faire entrer en ligne de compte nos dépenses générales, telles que frais de personnel et d'équipement ? Dans ces conditions, il n'y aurait plus de service gratuit dans aucune bibliothèque. Parmi les exemples mentionnés figure celui du prêt payant des disques, dans le but d'amortir le coût des nouvelles acquisitions. Si une bibliothèque décide de proposer un service de prêt de disques ou de cassettes, elle ne peut pas faire dépendre sa politique d'acquisition du volume des prêts. Et que dire si le produit de ces prêts devait aussi couvrir les dépenses générales évoquées plus haut ?

Faire payer au lecteur la notification qu'un ouvrage réservé est disponible est contraire à la notion de service gratuit. Je ne vois pas pourquoi le lecteur devrait payer parce que l'ouvrage n'était pas disponible à un moment donné. De même, pourquoi tous ces services devraient-ils soudain être rétribués, alors qu'il n'a jamais été envisagé une quelconque rémunération pour de longues et fastidieuses recherches manuelles ?

Les cinq groupes de services dont on a suggéré la création afin de faciliter la discussion sur le sujet sont décrits plus en détail. Le mélange de services propres à la bibliothèque et de services d'une nature différente y devient plus clair. On mentionne pêle-mêle la vente de documents, les amendes de retards et les taxes provenant de consultations en ligne. Mon avis est que la discussion s'engagera dans une mauvaise direction si le Groupe ne s'en tient pas à des services ne relevant que de la bibliothèque. Je ne vois pas en quoi la vente de rafraîchissements, la location de locaux ou la vente de titres de transport, de cartes ou de plans relèvent d'un service de bibliothèque ni pourquoi nous en discuterions ici.

Ces services ajoutés dépendent des conditions locales, et sont assurés en raison d'exigences et de pratiques locales. Par ailleurs, je doute qu'il faille faire entrer dans la catégorie des services à valeur ajoutée le prêt de disques ou de cassettes vidéo ou les consultations en ligne. C'est à la bibliothèque de décider, après une réflexion sur les coûts induits et l'ordre de ses propres priorités, d'offrir ou non ces services.

Je dirai enfin que nous devons nous battre pour ce qu'un grand nombre d'entre nous tient pour un droit naturel dans une société démocratique : l'égalité dans l'accès aux biens sociaux. Ceci signifie le droit d'emprunter gratuitement des livres ou tout autre type de document, et le droit de fréquenter librement la bibliothèque la plus facilement accessible à n'importe quel moment, quel que soit le lieu de résidence de l'usager. Nous devons donc travailler, établir et étendre nos services dans la mesure de nos possibilités, en tenant compte des exigences de nos sociétés.