Service non compris
Le problème du paiement dans les bibliothèques publiques
John C. Beard
Présentation des premiers résultats d'un groupe de travail. Après enquête dans différents pays, il apparaît que les positions sur le problème de la gratuité sont extrêmement diverses; celle-ci est inscrite dans la loi (cas de la Norvège) ou seulement réservée aux enfants (Pays-Bas). L'intrusion des nouvelles technologies redéfinit le problème dans la mesure où le recours à l'informatique permet de rendre des " services à valeur ajoutée " plus rapides et plus performants que par les moyens traditionnels mais occasionnant des coûts de consultation identifiables. Le Groupe présente une liste des services pouvant donner lieu à facturation, organisés en cinq grandes catégories; il insiste sur la nécessité, en la matière, de distinguer entre revenus bruts et revenus nets. Tout en réaffirmant le principe de la gratuité pour le prêt et la consultation de livres, le Groupe appelle les différentes associations professionnelles à prendre position sur les services à valeur ajoutée. Contestation des conclusions de ce pré-rapport par une bibliothécaire norvégienne : celle-ci conteste la séparation opérée entre les différents médias, l'affichage de préoccupations de rentabilité et l'amalgame entre différents services.
Presentation of the conclusions given by a working group. An enquiry held in several countries reveals the multiple opinions about free public libraries. In Norway, for instance, public libraries are free by law; in the Netherlands, they are free only for children. The question is being taken into consideration again with the new technologies, as automation adds some value to the services : faster and more performing, their costs can easily be identified. All the services on which charges should be imposed are listed and divided into five categories; a distinction must be made between net and gross income. Although upholding free lending and book consultation, the Group invites the various professional associations to declare themselves about services with added value. A Norvegian librarian raises some objections to the conclusions of this draft : she contests the dividing line between the medias, too much concern for profitability and grouping different services.
Gratuite un jour, gratuite toujours. Le dicton est soumis à rude épreuve dans les bibliothèques publiques qui voient les innovations technologiques et les nouveaux services remettre en cause le principe de la gratuité. Un groupe de travail a été constitué au sein de l'IFLA pour étudier cette question; à peine présentées, les premières conclusions ont donné lieu à controverses. Le problème de la gratuité se pose-t-il en termes politiques ou économiques ? En termes de services à valeur ajoutée ou de service tout court ? C'est là tout le sens du débat : même si, de fait, les services dont on préconise la facturation sont souvent payants, l'intrusion du principe de paiement bouscule la définition du service.
Le groupe de travail sur les services payants dans les bibliothèques publiques a commencé par faire une enquête auprès de nombreuses bibliothèques ; en dépit d'un taux de réponses inférieur à 100 %, des informations utiles ont pu être recueillies dans différents pays tels que le Brésil, la République démocratique allemande, les Pays-Bas, la Norvège, la Grande-Bretagne. Ces éléments ont permis de dresser un état de l'opinion sur la question du paiement direct des services par l'usager. L'enquête a aussi permis de réunir une information d'ensemble sur des services, actuellement gratuits, qui, à l'avenir, pourraient donner lieu à redevance.
Il est dangereux d'aborder cette question d'un seul point de vue. Le Groupe avait conscience de cet écueil et, plutôt que de formuler une recommandation globale sur la question des différents paiements, il a débattu des différents aspects du problème. Même dans l'optique traditionnelle du service « gratuit » de la bibliothèque publique, certains services donnent lieu à redevance. Il est manifestement impossible de proposer gratuitement à chacun l'ensemble des différentes prestations effectuées par une bibliothèque ou un service d'information, sans tenir compte des coûts réels.
La décision d'imposer le paiement des services peut aussi dépendre d'un autre facteur, l'ampleur du consensus rencontré dans les différents pays sur les questions d'ordre politique, économique et social. Par exemple, souhaite-t-on promouvoir l'éducation en fournissant gratuitement des livres à tous ? Lorsque les réponses reçues en ont fait état, ces éléments ont servi davantage à alimenter le débat qu'à orienter réellement ses conclusions. Aussi n'a-t-on pas cherché à s'appesantir sur le sujet mais à mettre en lumière le fait que les objectifs de la bibliothèque déterminent largement son organisation et l'ordre des priorités entre ses différentes activités; un tel état de choses est à la fois juste et nécessaire. Ainsi les discussions au sein du Groupe ont bien montré que le Danemark attache une très grande importance à la diffusion d'une littérature de qualité, plutôt que de rechercher les suffrages du public via le recours à une production de masse. De même, a-t-on pu observer que les bibliothèques britanniques privilégiaient la demande d'information et de formation au détriment de celle en matière de loisirs. Tous les services de prêt doivent être gratuits : ce principe a aussi trouvé de vigoureux défenseurs. Les missions et objectifs de la bibliothèque publique ont été formulés comme suit : « Elément de maintien de la qualité de la vie dans toutes ses composantes: éducation, économie, industrie, science, culture. Défense de la démocratie à l'intérieur d'une société où chacun aura les mêmes chances de devenir un véritable citoyen et d'épanouir harmonieusement sa personnalité, où l'homme prendra davantage conscience de lui-même, des autres et de son environnement et pourra vivre plus heureux. Aider à atteindre cet idéal est le rôle de la bibliothèque publique, organisme aux multiples misssions d'information, de formation et de culture. Elle doit permettre à tous ceux qui le souhaitent d'accéder aux enregistrements de la pensée humaine conservés sous forme de livres et autres documents, contribuant ainsi à la libre circulation des informations et des idées. »
Le Groupe s'est également intéressé aux effets des technologies de l'information tant sur le service rendu que sur les politiques de tarification. En relation directe se pose la question du rôle des courtiers en information, un sujet qui donne lieu à maintes controverses et discordes ; ces derniers se procurent l'information, la mettent en forme, lui apportent, peut-être, une valeur accrue, et, en dernier lieu, la vendent à leurs clients. Conscients du fait que l'évolution technologique pourrait poser des problèmes nouveaux dans les prochaines années, les membres ont rapidement examiné les changements à venir.
La règle
Le service des bibliothèques publiques concerne essentiellement des documents imprimés sur papier et comporte deux volets : le prêt à domicile ; la présentation de collections organisées pour la consultation sur place avec, dans l'idéal, l'assistance et la médiation de personnels formés.
Les pays scandinaves, le Brésil, la République démocratique allemande et la Grande-Bretagne ont tous insisté sur le principe de la gratuité du service. Pour ce dernier pays, on a fait valoir que le service de la bibliothèque est fondé sur la gratuité (grâce au financement des impôts locaux) depuis le premier « Public library act » de 1850. A cette époque, aucune mesure n'était prévue pour assurer l'achat de documents ; on considérait que les ouvrages entreraient à titre de dons ! Cette loi comportait une disposition fondamentale, le principe du financement sur fonds publics d'un service qui s'adressait à l'ensemble de la population, et non aux seuls individus qui avaient les moyens de payer une cotisation. Au Brésil on a insisté sur la nécessité d'attirer les gens vers les bibliothèques, car les habitudes de lecture n'y sont pas aussi fortement ancrées que dans d'autres pays. En clair, les bibliothèques redoutent que le paiement des services n'exerce un effet dissuasif sur ceux qui, précisément, ont le plus besoin d'un service gratuit.
Dans certains pays, le principe de la gratuité du service est inscrit dans la législation. C'est ainsi qu'en Norvège le prélèvement de droits était autrefois prohibé par la loi. Néanmoins, à l'occasion de l'examen d'un nouveau projet de loi, on avait inséré dans le préambule les termes sùivants : « Le Roi pourra prendre des arrêtés et règlements complémentaires définissant les modalités de tarification des différents services des bibliothèques, à l'exclusion du prêt de livres ». Il est intéressant et important de noter que le vote final, après débat devant le Parlement, supprima cette clause, si bien que la législation actuelle maintient le principe d'un service de bibliothèque gratuit, sans la moindre restriction.
En Grande-Bretagne, le principe « pas de paiement direct » pour les services de base de la bibliothèque a été réaffirmé par le « Public libraries and museums act » de 1964 qui, à ce jour, constitue la législation la plus récente sur ce secteur. Toutefois, la possibilité de modifier le système afin de pouvoir percevoir des droits a été évoquée à maintes reprises et de différentes manières au cours des six dernières années. L'une des démarches les plus significatives émanait d'un certain nombre d'administrations responsables de bibliothèques publiques ; elles plaidaient en faveur du prêt de livres payant, mesure qui, selon elles, allégerait les contraintes financières et remédierait au manque de ressources. Cette proposition fut discutée au sein de l'Association des conseils de comtés (Association of county councils), dont les membres furent au départ incapables de s'entendre sur le principe de la gratuité. Toutefois les conclusions du rapport Max Broome **, présenté devant la commission compétente en matière de bibliothèques, permirent d'établir que l'imposition de droits :
- entraverait la libre circulation de l'information nécessaire à un individu tout au long de sa vie, pour son éducation et sa formation ;
- réduirait le nombre de personnes susceptibles de profiter des services d'une bibliothèque à cause de l'obstacle financier ;
- serait d'une mise en oeuvre extrêmement coûteuse ;
- déboucherait sur une altération du service, les documents spécialisés ou n'intéressant qu'une minorité étant supplantés par les livres à succès produisant les revenus les plus élevés ;
- conduirait à une baisse de niveau ;
- ne serait, en termes réels, que d'un faible rapport ;
- provoquerait vraisemblablement de la part du public une réaction telle que cette opération ne serait ni applicable ni politiquement souhaitable.
L'expérience
Tel n'est cependant pas le point de vue de tous les participants. Parmi les pays représentés, les Pays-Bas font payer le public dans la quasi-totalité des établissements ; d'autres, tels la République fédérale d'Allemagne, la France et la République d'Irlande facturent, à des degrés divers, l'utilisation des services des bibliothèques publiques. Dans le cas des Pays-Bas, ce service n'a jamais été gratuit ; l'histoire explique en partie cet état de fait, les bibliothèques étant à l'origine organisées en établissements indépendants, catholiques et protestants, aussi bien qu'en établissements ouverts à l'ensemble du public. Toutes, aux yeux du gouvernement, jouissaient des mêmes droits. C'est ainsi qu'elles ont toutes été, jusqu'à nos jours, assimilées à des organismes à but non-lucratif, même après l'abolition du statut confessionnel à la fin des années 40. Quelques modifications sont intervenues en 1975, lorsqu'une nouvelle loi interdit l'inscription et le prêt payants pour les enfants. La même loi obligeait les bibliothèques à établir un droit d'inscription pour les adultes.
Les informations dont on dispose montrent que la tarification des services de bibliothèque produit les effets suivants : leur utilisation connaît une baisse sensible lorsqu'ils sont facturés. Inversement, l'expérience montre qu'on peut escompter un fort accroissement de la demande en cas d'abandon de la facturation. Ainsi, aux Pays-Bas, les statistiques d'inscription des enfants ont gonflé de façon spectaculaire dès la suppression des droits d'inscription, à partir de 1975 :
1974 : 1 124 350 inscrits (+ 9,1 % sur l'année précédente) ; 1975 (abandon des inscriptions payantes) : 1 556 782 inscrits ( + 38,5 % sur l'année précédente); 1976: 1 882 942 inscrits ( + 21 % sur l'année précédente); 1977: 2 153 651 inscrits ( + 14,4 % sur l'année précédente).
Ces chiffres montrent que 60 % des enfants étaient inscrits dans une bibliothèque publique en 1977 ; pendant la même période, la progression des inscriptions pour la population adulte a été beaucoup plus faible, de l'ordre de 5 % par an. Il est intéressant de noter que le pourcentage d'adultes inscrits est de 18 % ; ce chiffre ne correspond cependant pas à leur niveau d'utilisation véritable et potentiel, car les frais d'inscription sont perçus individuellement, aussi n'y a-t-il souvent qu'une seule inscription par famille afin de limiter les dépenses.
Les indications recueillies aux Pays-Bas font apparaître une autre donnée significative, le pourcentage d'enfants ne renouvelant pas leur adhésion lorsqu'ils atteignent 18 ans, âge auquel ils doivent acquitter un droit d'inscription individuel pour une année. Même s'il ne s'agit que d'une extrapolation, due au phénomène déjà mentionné de l'inscription familiale, on peut estimer que 40 % des usagers cessent de renouveler leur inscription lorsqu'ils arrivent à cet âge. Quant aux adultes, la majoration, significative, des droits d'inscription intervenue au début des années 80 a entraîné une baisse du nombre d'inscrits ; lorsque le prêt d'ouvrages est payant, on enregistre une diminution des sorties.
D'autres indications, communiquées par l'Irlande dans un autre contexte, font apparaître un déclin sensible des prêts, depuis qu'ils ont été soumis à redevance, il y a quelques années.
La technique
On a déjà évoqué le cas de l'accès gratuit à des collections organisées pour la consultation sur place. Ce service incluait l'assistance d'un bibliothécaire professionnel, capable de guider l'utilisateur vers les documents les plus pertinents et de répondre à sa demande sur un large éventail de sujets. Dans nombre de grandes bibliothèques, l'importance de la fréquentation aux fins de consultation sur place dépasse de loin celle des simples emprunteurs. En Grande-Bretagne, on a pu établir que 60 % des visites avaient lieu non pas pour emprunter des livres, mais pour utiliser les autres services offerts par la bibliothèque. Une telle situation est déjà chose courante. En République démocratique allemande, on prélève des droits lorsque le volume du service atteint un certain niveau. En Grande-Bretagne ,on envisage de maintenir l'accès gratuit aux collections et de faire payer pour les renseignements dépassant un certain niveau de complexité. Il ne s'agit pas là d'un problème lié aux nouvelles technologies, encore que ce principe ait vraisemblablement été conforté par l'utilisation de systèmes de recherche informatisés, qui permettent d'identifier les différents coûts constitutifs de la fourniture d'information.
Il convient de noter que, dans plusieurs pays, la réservation des ouvrages qui ne sont pas immédiatement disponibles sur les rayonnages ne donne lieu à aucun paiement. A l'inverse, en Grande-Bretagne, il arrive qu'on fasse payer le lecteur pour l'avertir que l'ouvrage réservé l'attend à la bibliothèque, mais cette redevance n'inclut pas les frais occasionnés par la recherche du livre et sa mise à disposition. Dans de nombreux pays, le port des documents réclamés par cette voie est gratuit; dans d'autres, on demande une participation, à. l'exemple de ce qui se fait en RDA.
Il est malgré tout vraisemblable que l'impulsion la plus forte vers une redéfinition des politiques de tarification est due à l'utilisation de l'informatique pour la recherche documentaire. L'information ainsi obtenue comporte une différence de forme qui est fondamentale ; sauf cas de télédéchargement, toutes les interrogations en ligne peuvent donner lieu à la perception d'un droit, le plus souvent calculé sur la base du temps de consultation. Cette situation est à l'opposé de ce qui se passe pour les documents imprimés : une fois ces derniers achetés, les coûts additionnels dus aux consultations multiples sont extrêmement faibles.
Certains fournisseurs d'information ont, de ce fait, considéré que les consultations en ligne devaient être intégralement facturées aux usagers de la bibliothèque. D'autres font valoir que l'information en ligne est un bien immatériel ; l'élément à considérer est que l'électronique fournit une information plus rapide et plus complète que les sources imprimées traditionnelles. Le personnel chargé de faire la recherche dispose d'instruments qui lui permettent d'être plus efficace qu'auparavant. Il est donc illogique, si on accepte cet argument, de faire payer l'utilisateur pour une information obtenue au meilleur rapport coût-efficacité possible.
Le dilemme fondamental est celui-ci : faut-il oui ou non faire payer le recours à la technologie dans la recherche documentaire ? Certains estiment que, pour le moment, il ne s'agit pas d'un problème crucial pour les bibliothèques publiques car, pour nombre d'entre elles, la consultation intensive de banques de données reste une activité occasionnelle. Pour celles qui sont déjà passées au stade de l'électronique, des décisions diverses ont déjà été prises. Ainsi, en Grande-Bretagne, la Library association a, depuis plusieurs années, formulé des recommandations en faveur de la gratuité des recherches en ligne. Bien que de nombreuses bibliothèques publiques aient maintenant recours à de tels services, il faut bien dire que la plupart d'entre elles imposent une participation. Une pratique courante consiste à offrir une recherche gratuite pour une durée déterminée ; au delà, elle devient payante au prorata du temps de connexion. D'autres estiment que c'est au bibliothécaire qu'il appartient de déterminer le mode de recherche le plus performant et, en particulier, de décider s'il convient d'aller plus loin que la recherche manuelle de documents imprimés. En conséquence, la recherche devrait être gratuite.
Il convient par ailleurs de remarquer que la Library association est en train de réexaminer sa position sur le sujet, tenant compte des liens entre secteur public et secteur privé dans le domaine de la fourniture d'informations. En 1984, le rapport final du groupe de travail de l'IFLA sur l'impact des technologies de l'information sur les bibliothèques publiques concluait sans ambiguïté en ces termes : « Tout service de bibliothèque doit être gratuit pour ses utilisateurs ; il s'agit là d'une des règles fondamentales de la bibliothéconomie, qui, au reste, figure dans le manifeste de l'UNESCO. L'utilisation des nouvelles technologies n'altère en rien ce principe fondamental et, aux yeux du groupe, il n'y a aucune raison pour que le savoir se mute en marchandise, pour la simple et unique raison qu'il serait emmagasiné sur un support autre que le papier. Au tout début d'une ère où l'information va prendre de plus en plus d'importance pour l'individu et les sociétés, il ne semble pas logique de préconiser une restriction à la gratuité de son accès. »
La valeur ajoutée
De l'utilisation des technologies découle la notion de service à valeur ajoutée ; en voici quelques exemples :
- un service « sur mesures » adapté aux besoins de chaque client ;
- un service qui donne la priorité à la rapidité de la prestation ; le client reçoit son information plus rapidement que par le service ordinaire ;
- un service qui prend en charge les procédures de commandes, conditionnement et commentaires de l'information obtenue au bénéfice de l'utilisateur final ;
- un service qui fournit synthèses et états de la question sur un sujet donné ;
- un service qui procure l'information à partir d'une source précise, à la demande expresse de l'utilisateur.
On remarquera que nombre de ces services pourraient légitimement être assurés par des sociétés privées ou par des consultants en information travaillant à leur compte. Si les bibliothèques publiques prennent en charge de tels services, doivent-elles les faire payer ? Dans quelle mesure les fonds publics doivent-ils couvrir le financement de prestations qui, d'évidence, sont plus sophistiquées ?
Le fait que la contribution demandée à l'usager ne saurait représenter qu'un apport marginal constitue un point important du débat et pourrait faire pencher la balance en faveur d'un financement sur fonds publics. Les bibliothèques publiques fournissent déjà maints services à valeur ajoutée, dont la valeur et l'intérêt pour leurs usagers sont tels qu'on pourrait considérer que leur maintien représente l'apport de la bibliothèque au développement industriel national et son soutien aux idéaux de démocratie et d'égalité sociale.
Plusieurs expériences de « systèmes coopératifs d'information » ont déjà été réalisées en Grande-Bretagne ; ces coopératives, qui regroupaient différents services tels que des bibliothèques publiques, universitaires, centres documentaires d'administrations et du secteur privé, ont fait l'objet de deux études qui ont montré que ces systèmes évoluaient dans des directions fort différentes. Pour ne prendre que les deux plus importantes, HERTIS (Hertfordshire technical information service) prend appui sur l'Institut polytechnique d'Hatfield et dessert la clientèle du secteur industriel sur l'ensemble du comté ; à l'inverse, HATRICS (Hampshire technical research industrial and commercial service) a pour support le Service de la bibliothèque du comté ; ce dernier a pour rôle de faciliter la diffusion de l'information entre plus de 370 membres d'un réseau comprenant des entreprises publiques, des instituts de recherche, des établissements d'enseignement supérieur et plusieurs bibliothèques de comté. Dans les deux cas les institutions abonnées acquittent tous les ans un droit d'inscription peu élevé et bénéficient ensuite d'un service gratuit, ce qui revient fort cher aux conseils des comtés (county councils) concernés. Les autorités compétentes ont admis que le niveau des services à valeur ajoutée fournis à cet ensemble d'usagers justifiait un soutien significatif, d'où la décision de ne pas percevoir de taxes à l'utilisation. Dans les deux cas on attribue une valeur considérable à la contribution de chacune des entreprises adhérentes à la prospérité économique du pays.
Avant d'abandonner cette question, il convient de faire état des innovations technologiques qui pourraient modifier l'ensemble des services à valeur ajoutée. Comme on l'a montré, la fourniture d'information à distance peut constituer un service à valeur aj outée, surtout si la présence d'un intermédiaire (un bibliothécaire) entre la base de données et l'utilisateur final se révèle nécessaire. Toutefois, si l'évolution technique permet aux bibliothèques et aux services d'information d'acquérir, tout comme des livres, d'importantes bases de données, la réalisation d'une telle hypothèse pourrait apporter un argument extrêmement puissant en faveur de la fourniture gratuite à domicile de services en ligne. Par exemple, le CD-ROM fournira, au moyen de l'informatique, une information dont le coût marginal d'utilisation est extrêmement réduit. Il n'entre pas dans le propos de cet exposé de discuter de ce qui pourrait être stocké sur un tel support ; il suffit de dire que celui-ci ouvre des possibilités prometteuses qui, très certainement, feront l'objet d'améliorations au cours des prochains mois. La technologie de l'information tout entière lance véritablement un défi aux bibliothèques publiques ; il s'agira de travailler avec les autres professionnels des bibliothèques, de l'information et de l'édition, pour faire en sorte que l'accès à l'information ne soit pas entravé par des mécanismes de facturation.
Les services qui paient
Il existe, dans le secteur des bibliothèques publiques, d'autres activités pour lesquelles une taxation pourrait être et est parfois établie. Lorsqu'on évalue les hypothèses ouvertes par la tarification des services, il convient de distinguer clairement entre revenu net et revenu brut ; il s'agit d'un élément important, souvent négligé, qui conditionne le calcul. Très souvent, lorsqu'un revenu est généré par le secteur public, on ne pourra parler de profit si on tient compte des frais généraux, de personnel, de locaux, etc. ; d'où la nécessité de préciser le niveau des revenus attendus d'une activité donnée. Nous proposons, à titre d'aide à la réflexion, la typologie suivante :
1. les services pouvant dégager un bénéfice à chaque opération (exemple de la photocopie) ;
2. les services dits à valeur ajoutée et pour lesquels la participation demandée est censée couvrir le prix de revient des documents (en Angleterre, de nombreuses bibliothèques publiques font payer le prêt de disques. Les sommes ainsi perçues couvrent approximativement les coûts de nouvelles acquisitions) ;
3. les services qui, pour une raison quelconque (coutume locale), donnent lieu à une redevance symbolique: en Angleterre l'avis de disponibilité d'un ouvrage réservé ;
4. les services qui s'intègrent dans le fonctionnement général de la bibliothèque et dont l'utilisation occasionnelle donne lieu à paiement ; la somme ainsi perçue représente une participation aux coûts d'entretien (location de salles d'expositions et de réunions appartenant à la bibliothèque) ;
5. les services partiellement ou intégralement refacturés aux autres administrations.
Parmi les prestations offertes par l'ensemble des bibliothèques publiques, il est possible d'identifier les services pouvant donner lieu à redevance ; en reprenant la typologie qu'on vient de présenter, on a établi la liste suivante :
Type 1. Photocopie ; vente de documents dont la bibliothèque n'est pas l'éditeur ; diffusion d'articles de promotion (marque-pages) ; vente de rafraîchissements ; location d'immeubles dont la bibliothèque n'a plus l'usage ou de bâtiments construits pour des usages annexes ; commission sur les ventes d'oeuvres d'art effectuées à la bibliothèque ; vente de titres de transport ; vente de matériel publicitaire (badges, sacs, stylos, etc).
Type 2. Inscription et prêt de disques et audiocassettes ; inscription et prêt de vidéocassettes ; prêt d'oeuvres d'art ; vente de documents publiés par la bibliothèque incluant livres, cartes postales, etc. ; vente de cartes et plans ; location d'emplacements pour des stands tels que photographies ou cartes de la région ; services de reliure ; prêt de jeux de patience ; prêt de logiciels ; prêt et location de micro-ordinateurs à l'intérieur de la bibliothèque.
Type 3. Amendes pour les retards ; réservation de documents (figurant ou non au catalogue de la bibliothèque).
Type 4. Vente de livres retirés du fonds ou d'autres documents périmés ; remplacement des livres perdus par les lecteurs ; pénalités pour perte ou dégradation des documents de la bibliothèque ; parrainage de diverses manifestations ; appels téléphoniques privés, y compris ceux des cabines réservées au public ; animations payantes ; vente de vieux papiers ; vente de pièces d'équipement devenues inutiles ; consultations en ligne ; abonnement à différents clubs (cinéma, musique ou autre) accueillis dans les locaux de la bibliothèque ; location de matériel ; vente de microformes ; adhésions à l'association des amis de la bibliothèque ; remplacement onéreux des cartes de lecteur ; envoi de messages en télécopie; contrats mettant à disposition le savoir-faire de la bibliothèque pour un service d'analyse ou de confection de dossiers de presse.
Type 5. Services contractuels à d'autres administrations, au niveau local et national ; services rendus grâce à des dotations spéciales de l'Etat, s'ajoutant aux subventions courantes.
État de la question
Le présent rapport a été rédigé afin de concourir à la diffusion de l'information sur le paiement dans les bibliothèques publiques. On y a présenté les données collectées par le Groupe de travail en orientant la réflexion sur certains aspects du problème. On a également tenté d'élargir le débat afin d'aborder la question de l'attitude que doit prendre le bibliothécaire face aux services à valeur ajoutée. Enfin on a essayé de cerner les processus spécifiques et les services pouvant donner lieu à redevance. On n'a pas cherché à définir le rôle des entreprises privées dans la chaîne de fourniture d'informations disponibles via le secteur public. On peut observer une évolution des modes d'utilisation en fonction des progrès enregistrés dans les techniques de communication de l'information. Il n'est guère facile d'élaborer des politiques à la fois applicables à grande échelle et durables. Néanmoins, aux yeux du Groupe, le concept de bibliothèque publique implique certaines prises de position philosophiques et des normes définissant un certain niveau de service. Bien qu'ils se soient abstenus de toute recommandation formelle, les membres du Groupe ont convenu que tout obstacle limitant l'accès aux livres et autres documents - comme par exemple l'introduction de redevances - amènerait presque inévitablement une baisse de fréquentation. Les bénéfices apparents qui pourraient en découler resteraient marginaux par rapport au coût total de la bibliothèque et seraient probablement annulés - et même plus qu'annulés - par les incidences néfastes d'une telle mesure sur les acquis culturels et sociaux.
En conséquence, le Groupe fait les propositions suivantes :
- l'IFLA doit réaffirmer le principe d'un service de bibliothèque publique où le prêt et la consultation de livres sont gratuits ; ce service implique la présence de bibliothécaires professionnels chargés d'aider et de conseiller le public ;
- les différentes associations devraient elles aussi discuter de la question et réaffirmer leur position, en accord avec celle prise par l'IFLA ;
- enfin elles devraient étudier le principe d'un paiement pour les services à valeur ajoutée, de manière à pouvoir faire entendre leur opinion auprès de l'IFLA.