Le cercle en ligne
La banque de données Electre-Bibliographie
L'information catalographique intéresse au premier chef les bibliothécaires. Parallèlement au service fourni par la Bibliothèqne nationale, qui constitue une de ses missions, et à la mise en commun des ressources qu'incarnent le CCN, la base LIBRA ou le réseau SIBIL, le Cercle de la librairie produit et vend cette information.
Organisme interprofessionnel, il a fondé un certain nombre de sociétés commerciales qui assurent des prestations pour l'ensemble des métiers du livre : Livres-Hebdo (Editions professionnelles du livre), Editions du Cercle de la librairie et Société de banque de données bibliographiques (SBD). Nous avons interviewé le directeur technique de la SBD, Suzanne Santiago.
BBF. Comment le Cercle de la librairie a-t-il été amené à créer un service d'information bibliographique sur Minitel ?
Suzanne Santiago. Dans les années 1980-1983, le Cercle de la librairie a mené un certain nombre d'études sur l'informatisation des relations entre éditeurs et libraires. Pour moderniser la circulation du livre, il fallait améliorer l'accès à l'information bibliographique. C'est pourquoi le Cercle a décidé de restructurer ses activités d'éditeur de répertoires bibliographiques et de leur donner une nouvelle dimension en constituant une base de données interrogeable en ligne, à la disposition de la profession pour alimenter un système de transmission de commandes automatisé, baptisé Electre.
BBF. Aviez-vous déjà une expérience en matière de gestion de base de données ?
SS. La masse d'informations à traiter avait dès auparavant introduit l'informatique dans l'élaboration de nos produits. Le répertoire des Livres disponibles était organisé, depuis 1977, en banque de données. Mais elle n'était utilisable que pour la création et la mise à jour de l'information nécessaire à la parution sur papier et microfiche des trois volumes, auteurs, titres et sujets.
La rubrique « Les Livres de la semaine », publiée dans Livres-Hebdo, était saisie et traitée à l'imprimerie Jouve de façon informatique, afin de générer les différents cumulatifs, mensuels, trimestriels, annuels, et leurs index. D'autres répertoires (Editeurs, Livres et matériels d'enseignement) étaient réalisés ailleurs. Mais faute d'un service propre au Cercle, ces opérations étaient sous-traitées de manière différente. Il en résultait un éparpillement des tâches, des mises à jour multiples et de grandes difficultés pour envisager une évolution commune et des développements nouveaux indispensables au projet de la profession.
En 1984, le Cercle a choisi de s'informatiser, se donnant les moyens d'une indépendance totale pour produire l'information et l'exploiter. Ce qui impliquait, outre le choix de matériel et la programmation indispensable, une nouvelle organisation de la production d'information elle-même.
Nous avons choisi pour matériel un IBM 38 et des terminaux 3180 avec la richesse de caractères indispensable au traitement de données textuelles qui font l'objet de publications papier traditionnelles. Le travail d'analyse et de programmation a commencé début 1984, avec la société Telemos, une société de service qui a délégué deux puis trois personnes en permanence dans les locaux du Cerclé. On ne saurait trop redire à cette occasion à quel point la réussite en ce domaine est le fruit d'une analyse précise de ses besoins de la part du client et de bonnes facultés d'adaptation de la part d'informaticiens à qui les subtilités du point virgule, de la mention de responsabilité ou le caractère éminemment variable de la notice bibliographique ne sont pas immédiatement perceptibles.
Nous avons suivi un calendrier extrêmement serré (cf. encadré), puisqu'il nous fallait transformer toute la chaîne de production sans cesser pour autant de faire paraître les répertoires.
BBF. Quel est le contenu de la base ?
SS. Elle recense les livres qui sont disponibles dans le commerce, quelle que soit leur date de publication, publiés en France, quelle que soit la langue, et publiés en français, quel que soit le pays. L'entrée dans la base d'une notice et sa publication sont totalement gratuites pour le fournisseur de l'information. Nous cherchons à être le plus complet possible, sans pratiquer aucune sélection. Les grands éditeurs ne sont pas mieux traités que les petits. Ils ont forcément plus de titres, mais le suivi et la régularité de l'information sont les mêmes pour tous.
BBF. Comment est organisée la production de l'information ?
SS. La SBD est la filiale du Cercle qui regroupe ses services bibliographiques. Elle est prestataire de services pour les autres filiales, presse et édition : les « Livres de la semaine » de Livres-Hebdo, les répertoires papier, Livres disponibles, Répertoire des livres de poche, Répertoire international des éditeurs, sont générés désormais par une seule et même banque de données.
La SBD compte 25 personnes. Une équipe de 12 personnes s'occupe de la création des nouveautés. Une autre équipe est composée d'un responsable permanent et de personnes sous contrat à durée déterminée pour la mise à jour des produits papier avant leur nouvelle édition.
En avril 1986, ont été chargées sur Electre-Bibliographie les notices créées depuis octobre 1984, car la SBD avait démarré son nouveau programme de catalogage à cette date. Ainsi toutes les notices interrogeables sont conformes à l'ISBD et munies de vedettes-matières. Depuis septembre 1985, deux équipes de quatre personnes ont été mises en place pour corriger les notices contenues jusqu'alors dans les Livres disponibles, les rendre conformes aux normes, et leur ajouter des vedettes-matières. Ce travail devait être terminé au mois de mars 1987, mais il a été décidé d'anticiper sur le programme prévu. Dès le début de l'année 1987, l'ensemble de la base, environ 260 000 notices, sera chargée. Les notices non encore revues ou non pourvues de vedettes-matières seront signalées par un astérisque.
Par ailleurs deux personnes sont chargées de la gestion de la base, qui sera actualisée de façon permanente : une pour la gestion du fichier adhérents, la mise à jour des paramètres commerciaux, changement de distributeur, de prix et de disponibilité ; et une personne pour suivre les problèmes d'ISBN. Comme le système Electre-Transmission fonctionne sur l'identification de chaque produit par un ISBN, il y a un gros travail de vérification, de recherche pour les livres qui n'en ont pas, etc.
Deux autres postes sont rattachés à la SBD : la documentaliste du Cercle et la responsable de l'Agence francophone de numérotation internationale du livre (AFNIL). Nous travaillons ainsi sur un fichier commun de 14 000 éditeurs, la documentaliste pour la partie historique, l'AFNIL pour les créations, et nous, qui avons recensé 5 800 éditeurs vivants à.la dernière mise à jour des Livres disponibles. Nous dépassons même le cadre de l'AFNIL qui ne recouvre que la francophonie, Canada, Belgique, etc., puisque nous recensons les éditeurs qui publient en français dans tous les pays.
BBF. Dans votre travail quotidien, vous n'effectuez donc qu'une seule saisie pour plusieurs produits ?
SS. Effectivement. Nous enregistrons les nouveautés, suivant un rythme de travail hebdomadaire : nouveaux titres ou modifications de notices, réédition, changement d'ISBN... Cette information, qui est traitée rapidement pour la sortie papier des « Livres de la semaine », est basculée directement chaque semaine dans Electre-Bibliographie.
En effet, dans la conception de notre système de gestion interne, l'information est dissociée de son exploitation multiple : presse, édition, vidéotex, fichier articles. La banque contient, pour chaque titre enregistré, la totalité de l'information qui le concerne : la description proprement dite, une indexation analytique matière, deux indexations systématiques CDU (« Livres de la semaine » et Livres disponibles), un commentaire, des paramètres commerciaux, prix, disponibilité. Ce sont les procédures d'exploitation qui varient, pour mettre en forme différemment l'information selon chaque produit.
Le logiciel de catalogage a été conçu pour une saisie facilitée : écran formaté comprenant les zones les plus fréquemment utilisées dans une notice. Le premier écran, d'accès à la notice, permet la recherche et le dédoublonnage grâce aux accès ISBN et titre. Si la notice existe, elle apparaît à l'écran et peut faire l'objet de modifications. Sinon, c'est la grille de saisie qui s'affiche : titre, sous-titre, deux zones de mentions de responsabilité, adresse, collation, collection, numéro dans la collection, ISBN, commentaire, vedette-matière.
Si d'autres zones sont nécessaires (mention d'édition, sous-collection...), le rédacteur crée la zone en indiquant sa place et le type de contenu. Après validation, la notice constituée s'affiche sur un troisième écran où sont ajoutés les paramètres spécifiques à l'édition de produits et les renseignements commerciaux. Toutes les notices créées font l'objet d'une relecture (vérification du contenu, cohérence des vedettes) et d'un traitement de contrôle par comparaison avec les fichiers d'autorité éditeurs et collections.
BBF. Quelle est le rôle de la base bibliographique dans le système de transmission de commandes ? Comment va-t-il fonctionner ?
SS. Le système de transmission de commandes repose sur les données d'Electre-Bibliographie. Le libraire saisit la commande à partir de l'ISBN. Pendant la nuit, le serveur reçoit les appels des libraires et traite les commandes : il trie les ouvrages qui ne sont pas disponibles, oriente les demandes vers les différents distributeurs, les répartit par client, mode d'expédition, etc. Avant 6 h du matin, le distributeur dispose d'une information déjà validée, il n'a plus aucune vérification à faire, et dans un format qu'il peut intégrer à son propre système de gestion. Nous n'intervenons pas au-delà : la facturation, les éventuels accords de remise entre distributeur et libraire ne sont pas du ressort d'Electre.
BBF. Où en est la mise en place du système ?
SS. Nous avons présenté au Salon du livre 1985 ce qui était le résultat de la réflexion de l'interprofession et les options retenues pour les deux éléments du système : bibliographie et transmission. Nous avons lancé un appel d'offres pour le choix du serveur et opté pour Télésystèmes en août 1985. Au Salon du livre 1986, nous avons présenté Electre-Bibliographie, qui était opérationnelle, et les maquettes pour la transmission des commandes, qui ont suscité beaucoup d'intérêt. Nous avons alors commencé la prospection de la distribution. Un certain nombre d'éditeurs et de distributeurs ont d'ores et déjà manifesté leur intention d'adhérer au système : Sodis, Interforum, Le Seuil, Belin, Gründ, BRGM, Berger-Levrault, Distique, Alternative-Diffusion, Larousse, Nathan.
En ce qui concerne les autres partenaires du système, nous sommes en contact avec 500 libraires environ. Nous lançons l'opération en réel au début de l'année 1987, avec une centaine de libraires, et nous monterons en charge progressivement. Nous nous heurtons parfois aux problèmes informatiques de nos différents interlocuteurs. La Sodis et les PUF, par exemple, sont en cours de restructuration informatique.
BBF. Les grossistes ont-ils leur place dans le système de transmission de commandes ?
SS. Ils y ont tout à fait leur place. Les libraires peuvent transmettre des commandes aux grossistes qui peuvent eux-mêmes s'adresser aux distributeurs, par l'intermédiaire d'Electre, pour s'approvisionner. La limite est que nous ne pouvons pas assurer le suivi de leurs stocks. C'est le fonds du distributeur qui fait foi pour la disponibilité de tel ou tel ouvrage. Si un libraire souhaite passer par un grossiste, sa commande sera orientée et formatée, mais il n'y aura pas de tri ni de validation préalables.
BBF. Quel intérêt peut présenter Electre pour les bibliothèques ?
SS. Les bibliothèques ne sont pas directement concernées par la transmission de commandes puisqu'elles n'achètent pas les ouvrages directement aux éditeurs. Electre-Transmission est réservée aux professions du livre qui en font le commerce.
En revanche, l'intérêt de la cession des notices bibliographiques sur support informatique paraît évident et immédiat pour les bibliothèques. La création d'Electre-Bibliographie a soulevé rapidement beaucoup d'enthousiasme chez les bibliothécaires. Nous avons répondu aux demandes qui nous étaient faites à ce sujet, mais il est vrai que cela ne constitue pas pour nous une priorité. Le système a été créé pour la transmission des commandes, qui est très lourde à mettre en place et qui mobilise toutes nos énergies. C'est pourquoi nous n'avons pas de politique de vente de nos notices. Nous nous en sommes occupés au coup par coup.
Les bibliothèques nous ont le plus souvent sollicités par l'intermédiaire des sociétés de service qui informatisaient leur gestion. Ces sociétés ont fait appel à nous pour intégrer à leur logiciel l'interface qui leur permettrait de récupérer l'information. Nous avons été ainsi en contact avec les responsables de LIBRA, OPSYS, TOBIAS, ALS, la CLSI et la CNCI à qui nous avons fourni les dessins d'enregistrement du fichier notices. Nous avons fait des tests techniques à la bibliothèque municipale de Nîmes et nous avons signé un contrat avec la bibliothèque municipale de Villeurbanne, qui constitue pour nous une opération pilote.
Chaque semaine, nous leur fournissons une bande qui contient l'ensemble des « Livres de la semaine » à paraître le lundi suivant. Ils peuvent l'utiliser pour les achats : ils choisissent, avec Livres-Hebdo en main, les ouvrages qu'ils veulent commander; ou bien pour le catalogage, une fois que le livre est arrivé. Par la lecture du code barre, l'appel de l'ISBN ou du titre, la notice est copiée dans le fichier de la bibliothèque, qui ajoute les paramètres qu'elle souhaite : l'indice Dewey que nous ne fournissons pas, le numéro d'inventaire, etc.
BBF. Fournissez-vous aussi des notices rétrospectives ?
SS. Nous n'assurons ce type de service que pour les nouveautés. Nous ne faisons pas de livraison de notices sur les reprises de fonds. Pour deux raisons : les notices des Livres disponibles ne couvrent pas tous les besoins des bibliothèques car les ouvrages de leurs fonds ne sont pas forcément tous dans le commerce. D'autre part, comme je vous l'ai dit, nous sommes en train de reprendre complètement les notices des ouvrages publiés avant 1984.
BBF. Quels sont vos tarifs ?
SS. Nos tarifs actuellement sont de 10 F la notice. Des études sont en cours pour évaluer les paramètres d'exploitation qui nous permettront de proposer une tarification définitive. Les coûts pour la bibliothèque sont estimés sur la base de ses acquisitions françaises annuelles, par contrat, afin de ne pas pénaliser les petites bibliothèques. Ceci dit, les bibliothèques qui nous ont contactés pour ce type de prestation sont plutôt grandes ou moyennes. Avec 4 000 à 5 000 titres par an, la cession des notices leur fait faire une réelle économie de travail et donc de coûts. Il y a un seuil minimum d'acquisitions au-dessous duquel elle n'est plus intéressante ni pour les bibliothèques, le catalogage n'y est pas très important, ni pour nous, les charges induites seraient plus élevées que ce qui peut être facturé.
BBF. Quels sont les tarifs pour consulter Electre-Bibliographie sur Minitel ?
SS. Le service est ouvert depuis avril 1986 sur Télétel 2, c'est-à-dire que le client règle ses consommations de téléphone aux PTT et paye la consultation de la banque par abonnement à la SBD. Pour l'année 1986, nous avons proposé un prix de lancement de 72 F/h + une heure gratuite. A partir de 1987, le prix est de 90 F/h, avec un minimum de 5 heures d'abonnement. Ce prix est peu élevé et ne tient pas compte du coût réel de l'information. Les frais de création et de mise à jour des notices ne sont quasiment pas répercutés dans ce tarif, dans la mesure où nous éditons d'autres produits.
BBF. Savez-vous qui est votre clientèle ?
SS. Au bout de six mois, nous avons 500 abonnés, avec 5 à 10 nouveaux abonnements par semaine. Le public est composé pour une grosse moitié de libraires, pour une petite moitié de bibliothécaires, et pour le reste, d'éditeurs, journalistes littéraires, etc. Parmi les bibliothèques, il faut noter une forte percée vers les centres de documentation. L'indexation matière de la banque est de type « généraliste » et n'est pas toujours assez fine pour un domaine précis, mais la possibilité d'interroger par les mots du titre offre beaucoup de ressources pour les recherches pointues de centres spécialisés. La banque représente également un outil intéressant pour la formation des libraires et des bibliothécaires, et pour toutes les manifestations professionelles : journées sur le livre, sur l'informatique...
Il sera possible pour une meilleure souplesse d'utilisation (éviter l'abonnement préalable) de passer au système « kiosque » (Télétel 3) après la phase d'installation, selon le succès rencontré et pour permettre un accès grand public.
BBF. Que pensez-vous du télé-chargement dont seront bientôt capables certains terminaux Minitel ?
SS. Les gens qui s'abonnent à Electre-Bibliographie signent un abonnement de consultation. Ils n'ont pas le droit à la recopie. D'ailleurs, se superposerait un problème technique, car l'information disponible sur Minitel est une information « texte », qui ne peut pas être intégrée telle quelle dans un système de gestion de bibliothèque.
Nous aurons évidemment du mal à vérifier chez chaque abonné ce qu'il fait de l'information qu'il consulte. Mais nous souhaitons que les utilisateurs prennent conscience du fait que l'information s'achète et que ce n'est pas un service copiable indéfiniment. C'est pour certains une habitude de copier le catalogage des « Livres de la semaine ». S'ils le font manuellement, il est sûr qu'ils chercheront à le faire par les moyens informatiques. Le Cercle surveille avec attention les tentatives d'opération parasitaire. A cet égard, nous tenons à rappeler que l'information que nous produisons, n'ayant d'intérêt que par la valeur ajoutée que nous y apportons, est rigoureusement sous copyright. Ce protectionnisme n'a pour seule fin que de poursuivre notre mission, qui est d'être au service de l'inter-profession.
Décembre 1986