L'audiovisuel et le local invisible

Une expérience de production d'audiocassettes dans de petites régions rurales

Philippe Mallein

Claire Weulersse

Compte rendu d'une expérimentation menée dans le Bas-Grésivaudan, les Chambarands et le Vercors sur la production et les usages de l'audiocassette à des fins d'information dans le cadre de Télépromotion rurale Rhône-Alpes-Auvergne, un organisme chargé de fournir l'appui de l'audiovisuel aux activités des agents du développement rural. L'idée d'étudier les usages possibles de ce support a été suggérée par des recherches antérieures sur les modes d'information et de communication des agriculteurs qui ont mis en évidence la valeur prépondérante accordée aux échanges interpersonnels et aux témoignages dans le cadre d'un réseau de personnes clairement identifiées (autres exploitants, techniciens). La mise en place de petites cellules de production dans des structures d'accueil diverses a permis d'observer l'apport d'un média comme la cassette-son, peu coûteux, maniable et assez facile à maîtriser techniquement, ainsi que les conditions nécessaires pour que de telles cellules puissent durer. Ce travail a fait apparaître des réseaux de communication locaux (en général masqués par la prédominance des médias régionaux et nationaux) qui ont pour fonction de permettre des échanges sur les conditions de vie, sur la façon d'appréhender les problèmes, et d'apporter aux interlocuteurs des éléments d'identification sociale et culturelle plus que des données techniques ou des informations standard. L'introduction dans ce réseau local « invisible » de supports de communication adaptés, comme la cassette, suppose la présence locale d'un technicien professionnel assurant la permanence et la continuité de cette action.

Review of an experiment tried in three rural areas (Bas-Grésivaudan, Chambarands and Vercors) about the production of soundtapes for information. This operation takes place in the programme of « Télépromotion rurale Rhône-Alpes-Auvergne », which is an organization instructed to supply the agents of the rural development with audiovisual means. The analysis of the possible uses of this support has been induced by previous investigations on the communication and information means of the farmers. These investigations have revealed the value of personal exchanges and evidences. After the establishment of small production units in various reception structures, it has been possible to study first the impact of such a media - the sound tape - which is cheap and technically easy to handle, and then the life conditions required for such units. This work has revealed small local communication networks which are often hidden by the regional or national media. These small networks aim to promote the dialogues about living conditions, about how to weight problems, and how to provide interlocutors with material for social and cultural identifications, more than technical and standardized information. Introducing this communication support - the tape - inside the « invisible » local network, induces the appointment of a professional technician in order to guarantee the continuity of the operation.

Comment circule l'information en milieu rural ? Quelles formes de communication sont privilégiées par les agriculteurs ? S'appuyant sur une pratique déjà ancienne de l'utilisation des outils audio-visuels dans des actions de développement agricole, Télépromotion rurale Rhône-Alpes-Auvergne mène une réflexion sur la complémentarité des moyens d'information dans ce milieu spécifique. Chaque expérimentation sur un support particulier - ici la cassette-son - a pour projet de cerner ses caractéristiques pour mieux les replacer dans l'ensemble des supports de communication possibles. Faire porter l'attention sur les usages d'un média, du côté des producteurs comme des destinataires, sans rechercher à toute force le canal miracle qui supplantera tous les autres, prévenir contre la tentation de n'apporter de réponses que techniques aux questions de communication sociale et culturelle, refuser le gadget pour promouvoir des usages nouveaux de techniques banalisées en matière de production et de diffusion de l'information, autant de thèmes qui recoupent les préoccupations des bibliothécaires, et particulièrement de ceux qui travaillent sur le même terrain, dans les zones rurales.

Et affirmer que la présence sur place d'un médiateur professionnel est nécessaire pour assurer la pérennité d'un réseau de communication local, n'est-ce pas développer une problématique que ne démentirait pas l'expérience de BCP ?

L'étude 1 que nous avons menée sur les usages de l'audiocassette comme support de communication dans un milieu agricole a été guidée par le souci de mettre en place une réflexion à partir de réalisations concrètes. Elle s'est donc appuyée sur l'expérimentation de la création de cellules de production d'informations sonores dans trois petites régions autour de Grenoble : le Bas-Grésivaudan, les Chambarands et le Vercors. Il s'agissait de proposer dans différentes structures d'accueil (comité de développement agricole, associations socioculturelles, etc.) une formation aux techniques du son et de la réalisation de programmes d'information sur audiocassettes, tout en observant les utilisations spécifiques. Pour être compris, ce travail doit être replacé dans le cadre des activités de Télépromotion rurale (TPR) : parti de la réalisation d'émissions de télévision à destination des agriculteurs, cet organisme a élargi avec les années son champ d'action en intégrant les différents moyens de communiçation, des plus traditionnels à ceux mettant en œuvre les technologies de pointe, dans des campagnes de formation ou d'information. Cette activité de centre de production et de ressources s'accompagne d'une réflexion, étroitement liée aux expérimentations, sur les usages des techniques de communication dans le champ d'intervention de TPR, le monde rural (cf. encadré). L'expérimentation des conditions de l'usage des cassettes à des fins d'information participe de cette orientation; elle a été suggérée par les constatations faites lors d'une enquête d'ensemble sur les formes d'information et de communication utilisées par les agriculteurs de la région Rhône-Alpes dont il convient d'évoquer les principaux résultats avant de s'intéresser à la question plus particulière des audiocassettes.

Démarches d'information et de communication des agriculteurs

La nécessité d'une enquête 2 sur les modes d'information et de communication des agriculteurs nous est apparue lorsque nous avons entrepris une étude sur la place possible du vidéotex comme outil d'information en milieu agricole. Il s'agissait pour nous, conformément à l'orientation de notre activité professionnelle, d'attirer l'attention sur le fait que des projets télématiques de cet ordre devraient être construits selon une logique d'expérimentation d'usage et non de test de produit.

Cette enquête a permis de dégager nettement certaines caractéristiques des démarches d'information et de communication.

Ce qui est valorisé

Les agriculteurs sont particulièrement attachés à un réseau de personnes clairement identifiées dans lequel ils reconnaissent soit des exploitants qui ont les mêmes préoccupations qu'eux, soit des techniciens de terrain qui parlent le même langage. L'ensemble de leurs systèmes d'information prend sens dans ce cadre où la parole, l'échange interpersonnel, et le témoignage sont très valorisés et contribuent fortement à la crédibilité des informations médiatiques.

Pour qu'une information fasse sens et s'intègre à l'ensemble de leurs connaissances, il importe qu'elle soit véhiculée par différents supports permettant ainsi la mise en jeu d'une pluralité sensorielle. La lecture, l'écoute, la vision ne suffisent pas en elles-mêmes à l'appropriation de l'information, c'est la combinaison de ces sens, résumée souvent sous le terme générique du voir ou du toucher, qui la permet.

Au fil de nos interviews nous avons entendu :
« Ecouter, oui, mais confirmer par le regard »
« Ecouter sans texte, non »
« Lire et voir c'est efficace, ça permet de retenir beaucoup mieux »
« Ecouter, j'aime quand j'aime la voix » ...

C'est donc bien une combinaison sensorielle qui donne sa nature, sa pertinence à l'information. C'est la légitimité de ce rapport à l'information que les agriculteurs souhaitent voir reconnaître.

L'information retenue

Quelle que soit l'information, est pertinente celle qui est en rapport directe avec la propre connaissance de l'agriculteur. Ce qui peut s'exprimer en deux principes génériques.

L'information peut être très technique, très spécialisée, elle est acceptée si elle passe à travers un témoignage. L'agriculteur se sent alors impliqué, il peut comparer avec sa propre expérience, il fait confiance. « J'aimerais bien qu il y ait des situations (gestion, sols, traitements) qui me permettent de comparer avec les miennes ».

L'information peut être très technique, très spécialisée, elle est acceptée si, à ce moment précis, elle correspond à la situation concrète dans laquelle se trouve l'agriculteur.

Les modalités d'application

Le journal agricole, local, professionnel est la source principale d'information des agriculteurs. D'une part, parce qu'ils identifient aisément les signataires des articles et ce qu'ils représentent; d'autre part, parce que le caractère local rend concrètes et comparables à leur propre situation les informations qui leur sont fournies. D'ailleurs, lorsqu'ils expriment des critiques envers ce média, c'est justement à l'égard d'une évolution de celui-ci qui l'éloignerait de son caractère local et « identificatoire ».

Pour l'agriculteur, l'intérêt de l'information se définit, du point de vue du contenu par toutes les possibilités de comparaison et d'identification selon les modalités particulières des différents types d'exploitation.

Ces modalités se caractérisent à différents niveaux :
- un même mode de faire-valoir (exploitation productiviste ou non par exemple);
- un même niveau de technicité;
- un même niveau d'information de l'exploitant, en fonction de ses études, des stages suivis, de son appartenance syndicale ;
- une même unité géographique qui suppose une information très localisée.

Ces différents niveaux sont reliés entre eux. Au-delà de leurs contenus explicites, ils expriment en arrière-plan des choix globaux d'exploitation qui engagent l'ensemble de la vie de l'agriculteur (relations aux modèles parentaux, relations de couple, comportement à l'égard du patrimoine, relations à l'extérieur de l'exploitation, etc).

En fin de compte, l'agriculteur cherche dans ces informations la rencontre avec des profils socio-culturels diversifiés d'exploitants agricoles. Ces informations l'aident à définir son identité au sein d'un milieu agricole en pleine transformation, où le modèle de l'agriculteur productiviste tel qu'il a pu apparaître dans les années 60 ne fait plus systématiquement recette.

La place d'un nouveau média

Un nouveau média pour exister réellement doit permettre une comparaison avec les informations fournies par ce qui lui préexiste. Actuellement, quel que soit le système médiatique, les agriculteurs pensent que les intermédiaires sont prépondérants et s'estiment donc « au bout de la chaîne ». Ils se demandent s'il en ira de même avec un système télématique.

Si tous les facteurs évoqués plus haut ne sont pas pris en compte, le vidéotex n'aura pas de spécificité. Il ne sera qu'un moyen de plus, identique aux autres pour s'informer et, après de grandes idéalisations fantasmatiques préalables, inspirera méfiance, comparaison et vérification. Par contre, si un nouveau média fournit un appui technique au témoignage, à l'échange interpersonnel, à la comparaison avec différents profils d'exploitants, s'il ne cherche pas à concurrencer tous les supports mais à s'inscrire dans une pluralité de systèmes nécessaires à la pluralité sensorielle, il pourra trouver une place dans les démarches d'information des agriculteurs. Cette place ne devra et ne pourra toutefois qu'être modeste dans un premier temps, ne serait-ce que pour se démarquer et dédramatiser les grands fantasmes de toute puissance suscitée par l'informatique et la télématique.

Du vidéotex à la cassette son

A partir de ce constat, nous avons donc défini un certain nombre de principes qui devraient guider la mise sur pied d'un système vidéotex pour une population agricole : dédramatiser la technique informatique, construire le système sur une autre logique que celle de la banque de données, réinscrire le vidéotex dans un dispositif multimédia...

Mais, par ailleurs, cette étude nous a confirmés dans notre prise de distance à l'égard de la fascination de la technique nouvelle et, sans rejeter l'utilisation possible du vidéotex, nous avons voulu mettre en oeuvre immédiatement une expérimentation plus économe en moyens sur des usages nouveaux d'une technique largement répandue dans la population (y compris rurale) : la cassette son. En effet, notre enquête nous avait montré qu'il y avait une place possible pour cet outil, en particulier dans le cadre de petites régions rurales, afin de revaloriser le statut de l'information et de la communication très localisée et d'expérimenter ce média comme support d'interaction sociale au sein d'une petite région et même entre petites régions, le « local » pouvant renvoyer à d'autres « locaux » qui se reconnaîtraient dans une information et une communication territorialement marquée.

Les audiocassettes en petite région rurale

L'audiocassette est un support peu coûteux, maniable et diffusable partout, les lecteurs de cassettes existant dans une majorité de foyers. Elle présentait l'avantage, à nos yeux, d'être facilement assimilable tant au point de vue technique qu'au point de vue financier. Elle permettait d'expérimenter les principes établis lors de l'enquête précédente. Et enfin, dernière raison - plus triviale -de notre choix, le fait que nous n'avions encore jamais utilisé ce média, contrairement à l'écrit et à l'image associée au son (vidéo, montages diapos, transparents, etc).

Objectifs et produits

Les objectifs étaient de déterminer les utilisations spécifiques de ce support et ses éventuelles particularités, les informations que le son seul est susceptible de véhiculer, et de tester, dans cet esprit, l'intérêt de la cassette son dans l'ensemble des outils habituels de TPR.

Afin de susciter l'appropriation de ce média par la production de messages sonores, l'expérimentation, qui s'est déroulée de septembre 1983 à décembre 1984, a porté sur la création de cellules de production d'informations sonores dans des structures d'accueil chaque fois différentes. Dans le Bas-Grésivaudan (St-Marcellin), deux programmes ont été réalisés, dans le cadre d'un Comité d'expansion, sur le maintien à domicile des personnes âgées (80 exemplaires diffusés) et sur l'école (50 exemplaires diffusés). Dans les Chambarands (Romans), c'est au sein d'un Comité de développement agricole qu'ont été produits un premier programme sur la gestion agricole (40 exemplaires diffusés) et un second sur le patois d'un village (230 exemplaires diffusés).

L'expérience menée dans le Vercors (Villard-de-Lans) était d'une nature un peu différente : il s'est agi, non pas de réaliser des programmes sur cassettes, mais de mettre en place une formation aux techniques du son et de concevoir des émissions en relation avec la radio locale. Les destinataires étaient les usagers futurs partenaires de cette radio : la Maison pour tous de Villard-de-Lans, des membres d'associations culturelles, un groupe d'habitants du canton de Chichilianne.

Résultats de l'étude

la participation des usagers

Une première constatation est que la participation des usagers s'est appliquée aux contenus mais pas à la forme. En effet, si notre souci était de ne pas faire une étude sur les problèmes de circulation d'information, mais bien de mener une réflexion à partir de réalisations concrètes, en revanche le désir de nos interlocuteurs dans les petites régions était beaucoup plus de trouver les moyens de faire passer leur information sur leur activité, sur leur travail. Le fait que nous sommes arrivés avec l'idée d'un support et en assurant l'aide technique (c'est-à-dire la concrétisation de leur souci) a été vécu comme une prise en charge.

En clair, notre fonction de technicien audio-visuel concepteur de documents a été très bien accueillie, mais nous n'avons pas pu transmettre ces compétences à nos interlocuteurs. C'était notre rôle, notre apport, tout comme c'est le rôle du journaliste de mettre en forme les informations apportées par les correspondants locaux dans les journaux régionaux tels que le Dauphiné libéré. Nous aurions pu proposer n'importe quel support médiatique. Cela ne dépendait que de nous, la réalisation technique étant notre domaine : cette répartition des fonctions n'a pas évolué, malgré nos efforts pour impliquer les participants à la technique. Les seuls transferts de compétence se sont faits avec des personnes qui étaient intéressées uniquement par la technique, un peu comme au premier temps des radios locales, quand des gens créaient des radios seulement pour pouvoir dire: « On fait de la radio », le contenu ayant peu d'importance.

En résumé, d'une part des interlocuteurs s'intéressant au contenu et d'autre part des adeptes de la technique, chacun s'investissant dans l'expérience pour son propre intérêt.

Nous n'avons pas été très étonnés par cette réaction, même si elle compromettait les suites possibles de l'expérience; d'autres études autour de nous soulèvent ce problème de la nécessité d'un spécialiste. De plus, il est vrai qu'arriver avec une qualification sur le terrain, et donc plaquer une initiative, entraîne une acceptation automatique de ce pouvoir. C'est un apport d'énergie, alors pourquoi ne pas le prendre tel quel, surtout quand on s'aperçoit que les personnes qui ont constitué les groupes, (responsables d'associations, membres des conseils municipaux...) croulent déjà sous les responsabilités locales ? La critique courante aux actions telles que la nôtre c'est « toujours les mêmes » !

Cette expérience a donc été bien accueillie parce qu'elle apportait une force vive supplémentaire et non pas une technique possible à acquérir.

Un autre point découle de celui-là : la lenteur de l'évolution des groupes. Tous les participants étant saturés, nous avons rencontré de multiples difficultés pour planifier les réunions, les interviews. Il y a toujours eu un effilochage des énergies. Cela a donc signifié pour nous un important investissement en temps pour maintenir les structures mises en place.

La nécessité d'un médiateur

Assurant la réalisation des programmes sans pouvoir la transmettre, nous sommes donc restés au centre de l'expérience pour servir de contact aux différents partenaires. La tâche était lourde sur trois régions où une présence effective sur le terrain s'est avérée nécessaire afin d'assurer un brassage permanent des participants, des démarches incessantes auprès des diffuseurs potentiels et des partenaires financiers en vue d'une pérennisation de l'expérience et surtout une ouverture des groupes sur toute la région. Pour cela, il fallait sur place quelqu'un qui y croyait. Il manquait la passion. Cela rejoint le point précédent : une idée venant de l'extérieur est prise comme un apport.

Toute initiative de ce genre, -nous l'avons vu en Bretagne et dans le Midi également autour d'une expérience sur des nouvelles technologies informatiques -, part souvent d'une seule personne implantée dans une région. Elle y passe son temps et son énergie entière, dans un premier temps au moins, remuant en permanence la marmite, activant le feu des idées; c'est elle, en fait, qui concrétise les idées et les envies des participants. Nous avons voulu susciter cet enthousiasme, mais sur trois régions et sans y être réellement implantés, ce n'était pas possible. Il aurait fallu trouver sur le terrain un relais aux épaules solides.

La revalorisation de l'information décentralisée

Le statut social de l'information décentralisée est dévalorisé. Sa revalorisation passe par le « local » qui peut rencontrer d'autres « locaux ».

Ces problèmes tiennent bien sûr à l'image que les ruraux ont d'eux-mêmes, à leur mentalité. Dans le rapport d'étude sur les circuits d'information en milieu agricole nous expliquions que l'agriculteur était aussi l'habitant d'une zone rurale qui se considérait vraiment comme le bout de la chaîne de l'information. La spécificité locale n'est pas valorisée et donc ses activités propres sont considérées comme secondaires par rapport à l'information régionale et nationale. Ce courant commence à s'inverser avec les efforts de décentralisation, avec les radios locales et avec la multiplication d'expériences comme celle que nous avons réalisée, mais il reste un réel travail à faire dans ce domaine.

Nous nous sommes aperçus aussi que la diffusion des programmes en petites régions se faisait très simplement vers des publics identiques dans d'autres régions et que le contenu très local (accent, lieux, etc.) n'était pas négatif. vis-à-vis de l'information que l'on voulait faire passer. Bien au contraire, ce contenu captivait les auditeurs et stimulait leur attention.

Il y a donc place pour des circuits d'information du local au local.

La médiation sociale

Là réalisation d'un document sonore d'information a réuni des personnes travaillant dans le même domaine, mais pas forcément de concert. Cela les a poussées à réfléchir sur leur action. La réalisation d'interviews a suscité aussi chez les habitants concernés un brassage d'idées. En fait nous avons assisté à une circulation d'informations avant même que la cassette soit terminée et à une valorisation de l'action des participants indépendante du produit fini.

Il semblerait que la réalisation d'un document sur un support appartenant à la panoplie audiovisuelle soit générateur de ce décrassage des mentalités et de cette libération par rapport aux cadres de pensée et que l'information avant la réalisation soit déjà une médiation sociale.

Le son, l'imaginaire et l'identification

La diffusion des programmes sur le maintien à domicile et sur la gestion dans le cadre de réunions et de débats a mis à jour la spécificité de ce support. Entendre des cas et des expériences concrètes, contenant donc les faits et les émotions, a amené les participants à démarrer sur des bases humaines la réflexion propre à la réunion à laquelle ils participaient. Cela leur a permis d'appréhender la part émotionnelle nécessaire à l'adhésion aux actions envisagées. Le contenu émotionnel de la voix et la place importante de l'imaginaire - « Qui parle ? Où est-il ? Qu'est-ce qu'il fait ? », etc. - suscite l'attention de l'auditeur et permet de situer le problème abordé dans une réunion, par exemple.

Cette spécificité nous a fait reconsidérer le contenu possible de l'audiocassette. La vulgarisation technique, ou l'exposé didactique, y a certes sa place. Mais c'est surtout le vécu des gens par rapport à cette technique qui y prend toute son importance. C'est un outil de sensibilisation au vrai sens du terme : c'est rendre l'information sensible, c'est permettre de faire la liaison entre des données précises, théoriques et l'expérience vécue. A ce titre, Céréales conseil Loire, pour qui TPR a réalisé des documents écrits, affiches et tracts, dans le cadre de leur campagne de sensibilisation, nous ont proposé de réaliser un compte rendu de la campagne sur audiocassette, qui accompagnerait les écrits et les statistiques, à destination des responsables nationaux, auxquels il permettrait d'appréhender la sensibilisation réelle à cette action.

Pour la cassette sur le patois, cela a été encore plus flagrant. Il y a eu complète identification aussi bien des anciens que des plus jeunes. L'impression d'appartenir à une communauté s'est trouvée renforcée. Ainsi quelques phrases entendues dans les interviews d'évaluation : « Mais c'est vraiment nous ! », « Ça nous ressemble tellement », « On se sent pas seul ».

Et puis bien sûr cela a provoqué une formidable envie de raconter sa propre histoire, donc une valorisation personnelle très forte.

Ecoute individuelle et en groupe

La cassette peut s'adresser à un groupe ou à l'individu, et dans ce cas elle peut être la ramification d'autres supports.

En groupe, l'apport de la cassette est très riche. D'une part, il y a le contenu et d'autre part, tout le vécu émotionnel se rapportant au sujet traité. L'attention est quelquefois difficile à soutenir, l'imaginaire et la propre expérience des participants étant sollicités. Cela entraîne des apartés, des discussions, des réflexions nombreuses qui animent les réunions et permettent de dégeler l'ambiance. La souplesse du support permet d'arrêter et de reprendre l'audition quand cela est nécessaire. Le contenu, dans ce cas, doit être court et bien organisé en séquences isolables (le programme sur le maintien à domicile répond bien à cette optique).

L'écoute individuelle permet à ce face à face émotionnel et imaginaire de prendre toute son ampleur. Elle attise la réflexion et la valeur du contenu. A TPR, nous pensons que l'audiocassette (dans la panoplie des moyens audio-visuels utilisés dans les campagnes multi-médias) est un support important, permettant de ramifier les circuits d'information jusqu'à l'individu. De ce fait, elle permet de compléter les éléments écrits qui eux aussi s'adressent à la personne (journaux, brochures...).

Les situations d'écoute sont donc très souples, mais elles doivent être prises en compte dès la réalisation du sujet et sa mise en forme. La diffusion et l'optique retenues dans la cassette sont des éléments qui doivent être clarifiés très vite.

Les exigences de la réalisation

Un programme sur audiocassette se différencie énormément d'un programme radio.

La radio permet le direct et ses imperfections, tant au niveau du son que des hésitations, erreurs de contenu où l'animateur s'adresse directement aux individus. L'utilisateur allumera sa radio sans savoir vraiment sur quelle émission il va tomber, il aura ses préférences pour telle ou telle fréquence, suivant le style général des émissions.

Sur cassette nous n'avons pas tous ces éléments. Il y a obligatoirement démarche de l'utilisateur et les programmes s'adressent à des publics définis et localisés. Toutes les phases par lesquelles passe la réalisation d'un document audio-visuel sont présentes ici, l'équilibre des voix, de la musique, des bruits est très important d'autant que le seul fil conducteur passe par le son. Une réalisation très fine est donc nécessaire et elle doit mêler des éléments subjectifs au contenu : c'est un travail professionnel. Dans le coût d'une production sonore, la part du temps nécessaire à sa réalisation nécessite un investissement plus grand que la partie technique.

En conclusion

Nos études et notre expérimentation de l'audiocassette nous ont permis de faire apparaître l'existence de réseaux d'information et de communication locaux qui sont en règle générale rendus ou tenus invisibles. La prédominance des gros réseaux médiatiques par leur grande visibilité et l'étendue de leur diffusion contribuent à maintenir dans l'ombre et dans le « caché » les caractéristiques et les particularités de ces réseaux d'information et de communication du « rural local ».

Ces réseaux se caractérisent par l'importance de l'échange interpersonnel, par la mise en jeu de la pluralité des sens, par la comparaison entre des situations concrètes exprimées dans le « vécu » et par des recherches d'identité professionnelle, sociale et rurale à travers des processus d'identification à d'autres. Cette identification met en jeu des mobilisations personnelles faisant appel aux ressources de l'imaginaire, en vue de se construire une image du lien social à partir du local et donc une représentation de sa propre intégration sociale. Plus que des informations, ces réseaux véhiculent et mettent en place les conditions d'acquisition et de pertinence des informations nécessaires à la reconnaissance et à la dynamisation éventuelle de l'identité de chacun à partir de son inscription territoriale.

La mise en évidence de ce réseau et la recherche du support médiatique adapté à ses caractéristiques constituent un des objectifs de notre activité. En valorisant par divers moyens audio-visuels ce réseau d'information local et identificatoire, nous pensons que chaque « local » peut s'adresser par ce biais à d'autres « locaux » ayant des affinités de « vécu » et les mêmes questions d'identité à affronter. Les circuits d'information fonctionnent alors plus sur les conditions de vie, la façon d'appréhender les problèmes, l'identité culturelle et sociale que sur les acquisitions de données techniques et d'informations standards...

Cependant, quelle que soit la technique d'information utilisée, l'introduction dans ce réseau « invisible » de supports adaptés à ses caractéristiques nécessite un travail de médiation particulier qui impose une présence locale d'un technicien professionnel qui assure une permanence et une continuité de l'action dans le réseau. En effet, s'appuyant sur le vécu et l'expérience personnelle des gens, ce réseau est par nature fragile et évanescent et doit donc être en permanence consolidé si on veut lui maintenir un minimum de visibilité pour qu'une fécondation inter-locale puisse être réalisée à terme et maintenue.

Illustration
Télé promotion rurale Rhône-Alpes Auvergne

  1. (retour)↑  Claire WEULERSSE, Etude-expérimentation du support audiocassette dans les petites régions rurales, étude effectuée pour la DATAR, le ministère de la Culture, le ministère de l'Agriculture et l'Etablissement public régional, TPR, mars 1985, 34 p. multigr.
  2. (retour)↑  P. MALLEIN, M. PLASSARD, Y. TOUSSAINT, C. WEULERSSE, Télématique et modes d'information et de communication en milieu agricole Rhône-Alpin, étude effectuée pour le Service de la prospective et des études économiques de la Direction générale des télécommunications, TPR, mars 1984, 80 p. multigr. annexes.