Journées des bibliothèques centrales de prêt (24 et 25 mars 1982)

Une réunion des directeurs des 94 bibliothèques centrales de prêt s'est tenue à Paris les 24 et 25 mars 1982. Quatre carrefours ont été organisés sur les thèmes suivants : les rapports avec l'école, au-delà du prêt de livres, l'automatisation, un réseau pour la lecture publique dans le département. On a aussi discuté du nouveau budget et des perspectives d'avenir dans le cadre du transfert aux départements

A report on a meeting of the heads of central lending libraries. Four debates were held on the following subjects : retationship with the school, beyond book lending, automation, a system for public reading within the department. The new budget and the futur prospects when assigned to the departments were also discussed.The Role played by the Special libraries in the interlibrary loan activity : the example of the Library of the Oceanographic Museum of Monaco

Deux journées d'étude, organisées par la Direction du livre et de la lecture, se sont tenues les 24 et 25 mars 1982 au Centre national d'art et de culture Georges-Pompidou, sous la présidence de M. Jean Gattégno, directeur. Elles ont réuni les conservateurs chargés de la direction des 94 bibliothèques centrales de prêt ou leurs représentants, en présence de MM. les inspecteurs généraux des bibliothèques, des responsables de la sous-direction des affaires générales et du service des bibliothèques publiques de la Direction du livre et de la lecture.

C'est la première fois qu'une telle réunion plénière était organisée depuis 1973 1. Le contexte en était exceptionnel, avec la décentralisation et le transfert prochain des bibliothèques centrales de prêt aux départements, la création de 17 bibliothèques centrales de prêt au 1er mars 1982, marquant l'achèvement du réseau, et un budget en forte augmentation par rapport à l'exercice précédent.

En préalable à ces deux journées, différents documents avaient été envoyés aux participants ; il leur avait été également demandé quelles questions ils souhaitaient voir aborder au cours de ces échanges. Le traitement de leurs réponses concernant les thèmes d'intérêt général a permis de dégager 4 pôles principaux, entraînant l'organisation de 4 carrefours.

Matinée du 23 mars

Le directeur du livre et de la lecture ouvre la séance en remerciant les participants. Manifestant son désir d'institutionnaliser de telles rencontres et qu'une nouvelle réunion puisse avoir lieu en 1983, M. Gattégno précise les raisons qui l'ont amené à décider l'organisation de ces journées :

. Souci d'établir un dialogue avec les représentants de la Direction du livre et de la lecture dans les départements que sont les directeurs des bibliothèques centrales de prêt, le rôle de ces établissements devant être redéfini dans le contexte de la décentralisation.

. Information concernant la politique volontariste du ministère en faveur de la lecture publique. A cet égard, M. Gattégno précise que deux lois doivent être soumises au Parlement au début de 1983, définissant les responsabilités de l'Etat et des collectivités locales d'une part, fixant le programme d'équipement du territoire en matière de bibliothèques, d'autre part.

. Réponse aux inquiétudes du personnel concernant les projets de décentralisation.

Un court dialogue s'engage ensuite avec les participants, au cours duquel M. Gattégno précise que si seuls les chefs d'établissement ont été invités à ces travaux, c'est uniquement pour des raisons matérielles. Les prochaines rencontres pourraient avoir lieu dans les régions, les différents personnels étant représentés. Interrogé ensuite sur la disproportion de l'accroissement des crédits consacrés en 1982 aux bibliothèques municipales et aux bibliothèques centrales de prêt, M. Gattégno précise que les subventions accordées aux bibliothèques municipales sont destinées à alléger les charges des collectivités locales et que ce choix du Gouvernement et du Parlement de privilégier ces dernières s'inscrit dans la politique de décentralisation ; au demeurant, les bibliothèques centrales de prêt ont aussi bénéficié d'un accroissement important de leur budget de fonctionnement.

M. Gattégno invite ensuite M. Louis Yvert, conservateur en chef chargé du service des bibliothèques publiques à commenter le budget et à présenter le plan de développement des bibliothèques centrales de prêt.

Sans minimiser l'importance de contributions remettant en cause les structures actuelles (textes élaborés par les bibliothèques centrales de prêt de la région Rhône-Alpes, par B. Calenge ou par l'Association des bibliothécaires français), M. Yvert pense que, comme l'ont souligné les rapports Vandevoorde et Pingaud, la question des moyens prime celle des réformes de structure et qu'il avait donc paru utile, dès le début de cette rencontre, de parler des moyens actuels ou à mettre en œuvre.

Pour répondre aux critiques concernant la faiblesse relative des moyens affectés aux 77 bibliothèques centrales de prêt déjà existantes, M. Yvert souligne qu'en permettant la création d'une nouvelle bibliothèque centrale de prêt dans chacun des 17 départements qui en étaient dépourvus, le budget 1982 constitue une phase essentielle du développement, entrepris en 1945, de la lecture publique dans les petites communes et constitue un pas majeur dans la réduction des inégalités entre les départements. Il s'agit là d'un choix fondamental.

L'effort porté sur les nouvelles bibliothèques centrales de prêt n'amène pas, toutefois, à négliger les anciennes 2. Pour ces dernières, les crédits de fonctionnement passent en francs constants 1982 de 38 400 F par agent en 1981 à 53 900 F en 1982, soit une augmentation de 40 %. Il fallait veiller à ne pas dépasser une certaine augmentation de la charge de travail par agent - mesurable en francs - et, sauf à transformer les modes de gestion, on ne pouvait avoir de progression plus importante.

M. Yvert indique que 8 000 m2 nouveaux devraient être construits cette année (zéro en 1981), 58 bibliobus fabriqués et 127 postes créés, dont 67 de catégorie A et B.

Cet accroissement important des moyens constitue la première phase d'un programme pluri-annuel de développement des services dans lequel s'inscrivent le projet de loi sur les bibliothèques publiques, le projet de loi-programme d'équipement des bibliothèques et le programme quinquennal d'informatisation des bibliothèques publiques 1982-1986.

M. Yvert rappelle également trois autres données :

. pour une meilleure coopération inter-bibliothèques, des négociations viennent d'être entamées entre les ministères de la Culture et de l'Éducation nationale, l'objectif étant d'étudier la réorganisation des centres nationaux de coopération actuels et la création éventuelle de centres régionaux.

Dans le domaine particulier du patrimoine des bibliothèques, la commission présidée par M. l'inspecteur général Desgraves doit remettre en juin son rapport du directeur de livre et de la lecture.

. Pour le secteur privé ou semi-public (bibliothèques des comités d'entreprises, des hôpitaux, des prisons, des armées, des associations), un chargé de mission travaille d'ores et déjà à la Direction. Des moyens financiers ont été prévus lors de l'élaboration du budget 1983.

. Des crédits particuliers ont, dès 1982, été réservés aux villes de 10 à 20 000 habitants pour qu'elles créent des services minima (locaux provisoires et collections) et recrutent du personnel qualifié ; de plus, à terme, les bibliothèques centrales de prêt devraient concentrer leur action sur les communes de moins de 10 000 habitants et, à cet égard, les responsables des 17 nouvelles bibliothèques centrales de prêt ont été invités à ne desservir les villes e plus de 10 000 habitants qu'à titre exceptionnel et provisoire.

En 1982, les crédits de fonctionnement consacrés aux 77 bibliothèques centrales de prêt créées auparavant seront de l'ordre de 44 000 000 de francs, y compris la réserve (voir annexe A), soit une augmentation de 65 % en francs courants et de 46 % en francs constants par rapport aux 26 700 000 F, CNL (Centre national des lettres) compris, de 1981.

Jusqu'en 1977, la répartition des crédits de fonctionnement privilégiait les bibliothèques centrales de prêt les mieux dotées en personnel, celles qui étaient jugées les plus dynamiques et/ou qui conduisaient des expériences particulières, notamment le prêt direct scolaire. Il n'a pas été possible jusqu'à cette année de corriger ces inégalités avec des budgets constants, voire en régression.

L'augmentation notable des crédits 1982 permet une nouvelle répartition plus en harmonie avec les moyens en personnel et en véhicules dont disposent les services :

a) Nouvelles bibliothèques :

. 1 180 000 F par établissement, dont 250 000 F pour le mobilier et le matériel.

b) Autres bibliothèques :

. 90 000 F par bibliobus (d'État ou d'association).

. 170 000 F de base par bibliothèque, afin de favoriser les petits établissements, très généralement mal dotés jusqu'à présent, cette somme devant probablement être réduite au cours des prochaines années.

. Crédits d'entretien et de fonctionnement ordinaire (éclairage, etc.) exprimés par les bibliothèques.

. Chauffage : idem.

. Crédits exceptionnels (matériel à remplacer, réparations, acquisition de livres pour bibliobus supplémentaires, mise à niveau des bibliothèques centrales de prêt récentes) : idem.

A partir de l'an prochain, la répartition des moyens supplémentaires (personnel, véhicules, crédits) sera soumise au Comité technique paritaire qui doit être prochainement créé auprès de la Direction du livre et de la lecture.

Par ailleurs, les dépenses de fonctionnement seront publiées dans les statistiques annuelles, dont l'automatisation est imminente ; cette automatisation pourra être étendue à la répartition des moyens, avec croisements envisageables.

M. Yvert parle ensuite du plan de développement des bibliothèques centrales de prêt.

En cours d'élaboration depuis fin 1981, il comprendra 2 volets :

. une grille des moyens de fonctionnement (véhicules, personnel, livres et disques) compte tenu de la population à desservir ;

. la répartition de ces moyens entre plusieurs points de desserte (centrale et annexes), en fonction de la géographie de chaque département, et l'élaboration de nouveaux programmes indicatifs pour les bâtiments. Ce deuxième volet a donné lieu à l'enquête lancée en janvier 1982 auprès des 77 bibliothèques existantes, enquête en cours d'exploitation.

Dans le but de réfléchir à la grille des moyens, un groupe de travail comprenant 8 directeurs d'établissement a estimé, lors d'une première réunion qu'il convenait de réduire le champ d'activité des bibliothèques centrales de prêt aux communes de moins de 10 000 habitants.

Par ailleurs, les bibliothèques centrales de prêt touchant un petit nombre d'habitants devraient se voir attribuer proportionnellement des moyens supérieurs à ceux des établissements plus importants : c'est ainsi qu'une bibliothèque centrale de prêt desservant 100 000 habitants avait des moyens par habitant supérieurs de 50 % à ceux d'une bibliothèque centrale de prêt desservant 1 100 000 habitants.

Les propositions provisoires retenues pour les effectifs et les moyens sont les suivantes :

. pour les bibliobus, 7,7 en moyenne, avec un minimum de 3 et un maximum de 25 ;

. pour le personnel, 42,5 agents en moyenne soit 5,5 par bibliobus avec un minimum de 17 et un maximum de 138, 10 % de conservateurs, 36 % de sous-bibliothécaires (2 par bibliobus), 23 % de magasiniers de service de bibliobus (1,3 par bibliobus), 12 % de magasiniers de service général ou ouvriers, 19 % d'administratifs (catégorie C, B ou éventuellement A) ;

. pour les livres, 286 000 en moyenne (dont 13 % d'acquisitions annuelles) avec un minimum de 113 000 et un maximum de 925 000 ;

. pour les disques ou cassettes : 28 500 en moyenne.

Si on compare la situation 1982 à cette grille, on peut voir que les services sont actuellement satisfaits de façon très variable selon les différents types de moyens :

. Bibliobus .......... 32%

. Personnel .......... 23%

. Livres .......... 40%

. Disques .......... 3%

Ils le sont également très diversement selon les départements. Ainsi en ce qui concerne le personnel : 7 % pour le Nord, contre 61 % pour l'Indre-et-Loire ; 11 bibliothèques centrales de prêt seulement dépassent les 40 % et parmi les bibliothèques centrales de prêt n'atteignant pas 25 %, 5 ont été créées il y a plus de 30 ans.

Il est clair que les inégalités ne pourront être réduites qu'au terme d'une période de plusieurs années, selon le « plan de rattrapage » recommandé dans le rapport Pingaud et qui reste à élaborer de façon précise.

Après-midi du 23 mars

Elle devait être consacrée aux carrefours. Le lendemain, jusqu'en milieu d'après-midi, il y eut des comptes rendus des discussions de ces carrefours et des questions diverses.

Après-midi du 24 mars

Exposé de clôture de M. le directeur du livre et de la lecture

Il s'est articulé autour des quatre interrogations majeures des participants, découlant du transfert des compétences :

. Y aura-t-il un plan de rattrapage avant ce transfert ?

. Quel sera l'avenir des personnels des bibliothèques centrales de prêt ?

. Quelle sera la position de la bibliothèque centrale de prêt face au département et à la région ?

. Envisage-t-on une loi sur la lecture publique ?

Devant la crainte de la décentralisation exprimée par la majorité des directeurs de bibliothèques centrales de prêt, M. Gattégno affirme d'emblée sa volonté de concertation, aucune proposition ne devant être faite au Gouvernement sans discussion préalable avec le personnel concerné, des groupes de réflexion devant se créer au niveau départemental, réunissant notamment bibliothécaires et organisations syndicales.

Pour apaiser les inquiétudes du personnel quant à l'éventualité d'un transfert immédiat, le directeur souligne qu'on n'en est encore qu'au stade de préparation du texte de loi au ministère de 'l'Intérieur et de la Décentralisation, texte amendé par les propositions du ministère de la Culture.

Il commente le projet de loi de décentralisation disponible à cette date, déclarant que les deux ministères étaient actuellement acquis à l'idée qu'un transfert immédiat ne ferait qu'aggraver les disparités ; en conséquence un moratoire a été demandé, laissant le temps de mener à son terme le plan de développement avant transfert des responsabilités culturelles au niveau local.

Les directeurs des bibliothèques centrales de prêt sont très soucieux de préserver les avantages du personnel d'État par rapport à celui des collectivités locales, en ce qui concerne notamment les possibilités de carrière, de mobilité et de stabilité de l'emploi ; ils sont, en particulier, hostiles au détachement et font part de leurs inquiétudes devant l'extension éventuelle de cette procédure.

M. Gattégno indique qu'aucune solution n'est encore retenue par le ministère de l'Intérieur et de la Décentralisation, d'une part, et celui de la Fonction publique, d'autre part, et évoque les hypothèses les plus plausibles. Il demande que les personnels fassent connaître leur point de vue par l'intermédiaire des organisations syndicales et les communiquent également directement au ministère de l'Intérieur et de la Décentralisation.

A ceux qui souhaitent qu'aucune autorité ne prévale sur les professionnels ou n'interfère dans l'orientation du service, M. Gattégno répond que les futures relations d'un directeur de bibliothèque centrale de prêt avec le Conseil général de son département seront analogues aux rapports existant entre le directeur d'une bibliothèque municipale et son maire ou entre le directeur d'une bibliothèque universitaire et le président de l'Université, dont les avis sont déterminants, notamment en ce qui concerne les nominations du personnel.

M. Gattégno souhaite que les responsables des services fassent preuve d'imagination dans leurs contacts avec les élus, qu'ils trouvent le moyen de susciter des structures, notamment par le biais d'une collaboration avec les associations, de manière à renforcer leur autorité devant le Conseil général.

Quant au rôle de la région, M. Gattégno souligne l'importance que devraient avoir les nouveaux chargés de mission pour le livre et la lecture, qui seront, pour les directeurs régionaux, les représentants de la Direction du livre et de la lecture et ceux des bibliothèques et seront chargés de proposer une politique de collaboration aux instances régionales.

Beaucoup considèrent qu'une loi sur la lecture publique contraignante pour les élus, pas toujours bien disposés en faveur du domaine culturel, est la condition cardinale d'un transfert réussi.

M. Gattégno dit qu'une telle loi ne peut être envisagée avant 1983, après la série de mesures législatives préparées actuellement dans le domaine de la décentralisation. Il ajoute, qu'en tout état de cause, cette loi pourrait être plus incitative que contraignante, faisant des propositions pour encourager les autorités territoriales à ouvrir des bibliothèques.

Le directeur du livre et de la lecture conclut la réunion en évoquant l'immense « travail de fourmi », trop souvent méconnu, auquel se livrent les bibliothèques centrales de prêt dans le pays et leur connaissance approfondie des réalités départementales ; il se dit persuadé que c'est en saisissant la chance historique de la décentralisation qu'elles pourront au mieux exploiter leurs avantages, dialoguer avec le Conseil général et lui faire des propositions pour le développement d'un réseau de lecture dans le département.

ANNEXE A : BCP. Budget 1982

Voir tableaux.

ANNEXE B :

COMPTES RENDUS DES CARREFOURS

I. La bibliothèque centrale de prêt et l'école

Président : M. Georges Perrin (Bibliothèque centrale de prêt de la Loire).

Rapporteur : Mme Françoise Boucheron (bibliothèque centrale de prêt d'Indre-et-Loire).

A ce carrefour participaient également M. le directeur du livre et de la lecture et Mlle Boulle, représentant M. Favret, directeur des écoles au ministère de l'Éducation nationale.

1. Quelques jalons en guise d'introduction :

M. Perrin fait un bref historique des bibliothèques centrales de prêt, en rappelant les textes qui ont fixé leurs objectifs et leur mission :
. Créées en 1945, sous l'égide du ministère de l'Éducation nationale, relevant de la Direction des bibliothèques et de la lecture publique (DBLP), elles ont vocation à desservir les communes de moins de 15 000 habitants.
. En mai 1952, une circulaire met l'accent sur le caractère pédagogique des bibliothèques centrales de prêt dans les écoles.
. Une circulaire du 22 février 1968 demande d'accentuer la diffusion du livre auprès des jeunes et des adultes, en étendant le champ d'action des établissements aux villes de moins de 20 000 habitants ; elle introduit des expériences de prêt direct à la population (communes, écoles, collèges).
. Une circulaire du directeur du livre du 17 juillet 1978 vise à introduire un rééquilibrage au profit des lecteurs adultes et insiste sur la satisfaction des besoins de ces derniers.

Cet historique aide à comprendre la situation présente ; en effet, si les bibliothèques centrales de prêt sont des bibliothèques publiques, leur gestion par le ministère de l'Éducation nationale jusqu'en 1975 explique largement que la desserte scolaire soit une part essentielle de leur activité : en 1980, 64,7 % des dépôts sont effectués dans des écoles que fréquentent 11 000 000 d'enfants 3.

2. Les deux modes de prêt dans les établissements scolaires :

Depuis 1968, le prêt direct est venu s'ajouter au prêt dans les dépôts.

2.1 - Le prêt direct

La circulaire du 22 février 1968 relative au développement de la lecture publique préconise comme mesure essentielle le prêt direct aux enfants dans les établissements scolaires, par des bibliobus dont le fonds est spécialement constitué. Les bibliothèques centrales de prêt de huit départements pilotes 4 se voient confier la tâche de desservir par bibliobus les classes primaires et du premier cycle de l'enseignement secondaire, y compris dans les villes de plus de 20 000 habitants : tous les élèves, sous la conduite de leurs maîtres, ont accès au camion, classe par classe, afin de choisir les ouvrages qu'ils souhaitent lire.

En 1981, Mme Levy (bibliothèque centrale de prêt du Haut-Rhin), dans un rapport de synthèse sur l'expérience, l'estimait « globalement positive ».

Si le prêt direct donne satisfaction dans les écoles rurales (3, 4, 5 classes), il n'en est pas de même dans les établissements plus importants et a fortiori dans les collèges dont les structures sont incompatibles avec ce mode de desserte ; plusieurs participants affirment s'en dégager actuellement.

L'échec de ce mode de desserte dans les collèges pose d'ailleurs le problème de la lecture des adolescents et des carences des structures de l'Éducation nationale, encore plus sensibles en l'absence de bibliothèques municipales dans les communes. En effet, si tous les établissements ne possèdent pas un Centre de documentation et d'information (CDI), ceux qui en ont ne bénéficient pas forcément des services d'un documentaliste et n'accordent pas toujours la place qui lui revient à la lecture de loisirs.

2.2 - Le prêt par dépôts

Après 30 années de desserte des écoles, les bibliothèques centrales de prêt retrouvent-elles les adultes qu'elles ont habitués aux livres du temps de leur scolarité ?

Le dépôt de la bibliothèque centrale de prêt semble jouer un rôle important pour l'école mais pas pour l'ensemble de la population ; toutefois, si certains ouvrages déposés sont utilisés par la classe et restent dans l'établissement, d'autres peuvent être emportés chez eux par les élèves, faisant ainsi connaître aux parents les possibilités existantes de lecture.

Si l'intervention de la bibliothèque centrale de prêt dans les écoles permet à tous les enfants d'avoir accès aux livres, ce n'est pas forcément le meilleur endroit : beaucoup d'adultes ne veulent pas s'y rendre et la fermeture pendant les vacances scolaires et en dehors des heures de classe est un handicap ; le dépôt en mairie est préférable dans les communes d'une certaine dimension.

Plusieurs participants estiment nécessaire de faire sortir les maîtres et les élèves de l'école, le livre ne devant pas être lié à l'institution scolaire ; il faut inciter les enseignants à prendre contact avec les bibliothèques municipales, les associations. Le décloisonnement de l'école et son ouverture à tous les publics sont également nécessaires.

Depuis 1975, sont mises en place de nouvelles structures dans les écoles élémentaires, les bibliothèques-centres documentaires (BCD). Il s'agit d'une bibliothèque au cœur de l'école, rompant avec la tradition de la bibliothèque de classe et du « coinlecture ». L'ensemble des écoles est toutefois encore loin d'être couvert. Les BCD fonctionnent de façon diverse. Parfois, ce sont les associations de parents d'élèves qui en assurent le fonctionnement avec les directeurs et les enseignants. Les bibliothèques centrales de prêt desservent certaines BCD et il apparaît nécessaire que ces dernières coopèrent avec la bibliothèque centrale de prêt ou la bibliothèque municipale locale.

Le bon fonctionnement du dépôt à l'école repose sur l'instituteur, d'où la nécessité pour les enseignants d'être initiés, notamment, à la littérature pour la jeunesse. Il existe, dans la nouvelle formation des instituteurs, deux unités de français obligatoires, « Technique et apprentissage de la lecture » et « Comment et où l'enfant pratique-t-il la lecture ? ». De plus est offerte la possibilité d'avoir une unité de formation optionnelle traitant de la littérature enfantine ou de la façon dont les enfants du département lisent.

Il apparaît souhaitable que les bibliothécaires interviennent dans les écoles normales afin d'informer les instituteurs sur les services qu'ils peuvent attendre d'une bibliothèque centrale de prêt. Il convient également que les enseignants effectuent des stages de formation technique ; peu l'ont fait jusqu'à maintenant. Enfin, les bibliothécaires devraient prendre part à la formation permanente des pédagogues.

3. Conclusion :

L'ensemble des participants estime que, lorsque le fonctionnement du dépôt n'est pas satisfaisant, un autre lieu doit être trouvé, à la mairie par exemple.

D'autre part, priorité doit être donnée aux zones rurales dans l'intervention de la bibliothèque centrale de prêt. Aussi, le désengagement à l'égard des villes de plus de 20 000 habitants est-il indispensable.

Enfin, même si à l'avenir coopération et collaboration avec le ministre de l'Éducation nationale devraient permettre d'utiliser au mieux les équipements existants, force est de constater que, jusqu'à présent, l'effort a été à sens unique : les bibliothèques centrales de prêt se sont efforcées, souvent mal, faute de moyens, d'apporter de l'extérieur un service gratuit et quasiment sans contrepartie à l'école, faute la plupart du temps de structures susceptibles de prendre le relais.

Discussion

M. Desgraves, inspecteur général, remarque que les raisons qui, à l'origine, pouvaient objectiver la présence du dépôt de la bibliothèque centrale de prêt à l'école, stabilité du corps des instituteurs et résidence sur place, notamment, ont souvent disparu.

On regrette qu'un dépôt dans une école devienne trop souvent un dépôt exclusivement scolaire et que l'école ne soit pas toujours, dans certaines régions, politiquement neutre. C'est aux maires des communes desservies qu'il appartient de choisir des lieux de dépôt et il importe de les convaincre que l'école n'est pas toujours le meilleur.

Certes, d'autres dépôts sont effectués dans des lieux encore plus fermés que les écoles (associations, foyers ruraux, maisons de retraite, entreprises). D'autre part, force est de reconnaître que le bibliobus est le seul moyen d'accès au livre pour nombre de scolaires et que le plus fort taux de lecture est atteint chez les enfants.

Si les participants conviennent qu'on ne saurait rayer l'école des lieux de dépôt des bibliothèques centrales de prêt, tous s'accordent pour souligner que le mode de desserte, qui était à l'origine un avantage pour la lecture publique, est devenu au fil du temps plutôt un handicap. Tout en souhaitant qu'une négociation avec le ministre de l'Éducation nationale amène à modifier l'intervention des bibliothèques centrales de prêt en milieu scolaire, tous soulignent que le dépôt scolaire ne saurait, en tout état de cause, se substituer à un dépôt communal accessible à tous.

II. La bibliothèque centrale de prêt au-delà du prêt de livres

Présidente : Mme Mireille Fayret (bibliothèque centrale de prêt de la Corse).

Rapporteur : Mme Martine Blanc-Montmayeur (bibliothèque centrale de prêt du Val-d'Oise).

Ce carrefour regroupait deux thèmes : la place des documents autres que le livre dans une bibliothèque centrale de prêt, d'une part, l'animation, la sensibilisation et l'aide aux lecteurs, d'autre part.

1. La place des documents autres que le livre :

Les expériences d'introduction de documents audio-visuels (disques, vidéo-cassettes, enregistrements oraux sur cassettes réalisés par les bibliothèques centrales de prêt, diapositives) sont peu nombreuses et il semble que la majorité des participants ne pratique que le prêt de livres. Quand il y a introduction autre que ponctuelle des documents, la décision engage toujours d'autres organismes que la bibliothèque centrale de prêt : association des amis avec prise en charge par le Conseil général ou l'administration centrale, comme dans l'expérience-pilote de l'annexe de Villé dans le Bas-Rhin. Le manque de moyens financiers et de personnel formé à l'utilisation de ces documents spécifiques explique le petit nombre de ces opérations.

Les résultats obtenus sont toujours ressentis comme très positifs par le personnel des bibliothèques centrales de prêt ayant tenté ces expériences. Le public touché est très intéressé et les problèmes techniques qui semblaient insurmontables au début trouvent toujours une solution facile.

Les participants estiment que les bibliothèques centrales de prêt, à l'égal des autres bibliothèques publiques, doivent à brève échéance développer le prêt d'autres documents que le livre, risquant autrement de ne pas offrir aux habitants des petites communes le service qu'ils sont en droit d'attendre, ce qui n'est possible qu'avec une augmentation importante des crédits. Ils demandent, en outre, une formation spécifique du personnel en matière de discothèque et de vidéothèque et regrettent qu'à l'heure actuelle les stages de formation spécialisée du personnel d'État ne soient pas assez nombreux dans ce domaine.

Tous les problèmes généraux devraient être réglés au niveau du ministère (les droits d'auteur pour les cassettes enregistrées, par exemple) et il conviendrait que le résultat de ces accords soit largement diffusé, afin d'éviter à chacun de refaire les mêmes demandes ou de s'interroger sur leur nécessité.

Le temps a manqué pour parler de la place des périodiques, reconnus pourtant comme moyen privilégié de formation permanente. L'utilisation des diapositives et les enregistrements de témoignages de la mémoire populaire et locale, le prêt de cassettes aux mal-voyants, s'apparentent davantage à des opérations d'animation dans l'état actuel des choses.

2. Animation, sensibilisation et aide aux lecteurs :

Bien que l'animation soit évoquée couramment dans les bibliothèques depuis plus de 10 ans, et soit même un concept dépassé pour certains qui préfèrent parler d' « action culturelle », un consensus n'a pu être dégagé sur cette notion elle-même.

Tous les participants ont une large pratique d'activités de promotion de la lecture et des livres : catalogues, bibliographies critiques, organisations d'expositions, articles dans la presse locale, efforts faits pour organiser des rencontres entre les écrivains (notamment régionaux) et les lecteurs. Dans ces domaines, la bibliothèque centrale de prêt reste seule prestataire de services, bien que l'organisation d'expositions comme de fêtes autour du livre soit de plus en plus faite en liaison avec des associations culturelles du département.

La plupart des expériences de promotion de la lecture tournent autour de la littérature, qu'elle soit enfantine ou destinée à un public d'adultes. Le rôle de la bibliothèque centrale de prêt en tant que centre documentaire de formation permanente ne semble pas encore donner lieu à des opérations spécifiques d'animation. D'autre part, la participation des dépôts aux animations organisées par la bibliothèque centrale de prêt semble faible.

Les efforts d'animation portent également sur la formation et l'information des élus et dépositaires, mission importante de la bibliothèque centrale de prêt, facile à cerner sinon à réaliser. Les établissements s'attachent enfin à établir une liaison systématique avec les autres organismes s'occupant d'activités culturelles dans l'ensemble du département ; mais, en la matière, la bibliothèque centrale de prêt a souvent des difficultés à cerner son rôle spécifique face aux autres animateurs et c'est la raison pour laquelle elle privilégie souvent d'abord toutes les autres formes d'animation avant de développer ces liaisons départementales.

Ainsi, peu d'établissements semblent encore avoir une véritable politique d'action culturelle au niveau départemental, sauf en matière de formation des dépositaires, et les opérations ponctuelles sont encore trop souvent privilégiées.

Discussion

Elle ne concerne que l'animation. Certains en ont une conception empirique, pensant qu'elle se fait au coup par coup et dépend beaucoup de ceux qui en sont chargés ; d'autres en ont une vue plus globalisante et préconisent la mise en route d'un plan d'ensemble.

La définition acceptée par tous est que l'animation dans les bibliothèques centrales de prêt doit être - et ne doit qu'être - un moyen de faire lire.

Si, pour éviter une perte de temps et atteindre une meilleure efficacité, une concertation plus grande entre les différents établissements semble souhaitable, beaucoup pensent qu'il serait bon de faire appel à des animateurs professionnels, notamment départementaux, puisqu'en ce domaine existent des structures locales sérieuses : à cet égard, la création d'offices culturels départementaux permettrait le rapprochement des bibliothèques centrales de prêt et des animateurs locaux. Doit-on créer des emplois d'animateurs dans les associations, le gouvernement aidant actuellement à la création d'emplois associatifs ? Ou mieux, doit-on créer des postes d'animateurs dans les bibliothèques centrales de prêt ? Aucune réponse précise n'a pu être apportée sur ce point.

III. L'automatisation des bibliothèques centrales de prêt

Président : M. Pierre Louis (bibliothèque centrale de prêt de la Moselle).

Rapporteur : Mme Françoise Regrain (bibliothèque centrale de prêt de l'Allier).

1. L'expérience des bibliothèques centrales de prêt de l'Est :

Elle est présentée par M. Pierre Louis, qui en est l'initiateur.

Il s'agit d'un catalogage automatisé qui ne concerne que les nouvelles acquisitions. Un bordereau commun a été mis au point, ainsi qu'un manuel d'utilisation.

Le bordereau suit le circuit du livre. Au moment de la commande, les zones déjà connues sont remplies : auteur, titre, éditeur, nombre d'exemplaires, nom du fournisseur, prix. Après réception de la commande, le bordereau est complété, livre en main, corrigé le cas échéant ; le catalogage est simplifié, les zones sont fixes (ce qui présente un inconvénient pour l'éditeur et la collection), mais il peut y avoir jusque 10 entrées, 10 bordereaux pour le même ouvrage (5 titres, 4 auteurs, 3 indices).

Le bordereau est ensuite traité par l'École nationale d'ingénieurs de Metz et les produits sortis par ordinateur sont les suivants :
. la liste d'inventaire : elle remplace complètement le registre d'inventaire manuel traditionnel,
. les catalogues par auteurs, titres et indices Dewey,
. des statistiques pas encore vraiment exploitées.

C'est, à l'automne 1982, 35 000 volumes qui seront en mémoire en Moselle.

2. Le logiciel:

Un logiciel destiné aux bibliothèques centrales de prêt et proposé gratuitement aux bibliothèques municipales qui le souhaitent est en préparation.

M. Pascal Sanz (Direction du livre et de la lecture) replace ce travail dans son contexte : d'abord la commission « Livre et informatique » constituée au ministère en octobre 1981, lieu de réflexion commune ayant pour but de définir les orientations, ensuite la constitution d'un groupe de travail élaborant un logiciel de oatalogage adapté aux nouvelles techniques à partir du format d'échanges « Intermarc » qu'il est nécessaire d'assouplir et d'alléger, enfin, dans le futur, l'utilisation de la base de données bibliographiques élaborée par la Bibliothèque nationale et le Cercle de la librairie.

Parallèlement, un conservateur et les trois informaticiens détachés à la Direction du livre et de la lecture travaillent à l'élaboration du logiciel de prêt, en concertation étroite avec un groupe de directeurs de bibliothèques centrales de prêt.

Le but est d'automatiser les acquisitions, le catalogage, le prêt, les réservations et les statistiques, le livre n'étant traité qu'une seule fois. Ce logiciel devrait être à la disposition des nouvelles bibliothèques centrales de prêt à la fin de 1982.

3. Le prêt :

Une installation fixe à la centrale sera nécessaire, ainsi que des terminaux portables dans les bibliobus. Le terminal doit être capable d'associer des numéros d'inventaire et des numéros d'emprunteur.

Le nombre de terminaux par bibliobus (1 ou 2) n'est pas encore arrêté définitivement, les avis étant partagés. Il faut cependant redouter, en particulier pour le prêt direct, des erreurs de manipulation si on enregistre sortie et retour sur le même terminal.

Le choix du mode de saisie reste à faire : carte magnétique ALS (Automated library system) ou codes à barres avec stylo optique, le code à barres ne pouvant être le code commercial construit à partir de l'ISBN.

Toute la gestion interne de la bibliothèque centrale de prêt devrait être automatisée, rendant caducs les fichiers. Toutefois, le prêt par le dépositaire devrait rester manuel.

Il sera difficile par ce système de faire le point sur place avec les dépositaires, en particulier pour les retards. Cet inconvénient peut être supprimé par l'envoi d'une liste avant le passage, une comparaison étant faite au moment de la visite, confirmée par un courrier au retour à la centrale.

Le problème de catalogage n'a pas encore été abordé, dans l'attente des résultats du groupe de travail sur la notice allégée. Le livre ne devrait être catalogué qu'une seule fois et devrait figurer dans la base nationale de données alimentée d'abord par la Bibliothèque nationale et le Cercle de 'la librairie, puis par d'autres bibliothèques (thèses, fonds local, dépôt légal imprimeur). La notice sera utilisable selon les normes scientifiques ou sous forme allégée.

4. La mise en œuvre :

Elle devrait nécessiter 900 terminaux pour l'ensemble des bibliothèques centrales de prêt.

Une enquête doit être lancée prochainement dans le but de connaître les possibilités locales pour une utilisation en temps réel. Plusieurs solutions sont possibles : l'utilisation d'un ordinateur départemental, municipal, ou celle d'un mini-ordinateur à la bibliothèque centrale de prêt.

Un bordereau pour le catalogage doit être fourni aux nouvelles bibliothèques centrales de prêt, un catalogage commun étant prévu pour les achats par centralisation, qui devrait aboutir à la création d'une base de données. En attendant le catalogage automatisé, les bordereaux pourront servir de fichier manuel.

Le travail d'entrée des fonds existants des anciennes bibliothèques centrales de prêt devrait être simplifié pour tous les titres déjà présents, la base de données s'étoffant avec le temps. L'équipement des volumes sera également nécessaire et un recours à du personnel supplémentaire devrait être envisagé pour mener à bien cette tâche.

Ce carrefour technique ne suscite pas de discussion à proprement parler, mais des demandes de précisions.

Les participants insistent toutefois sur la nécessité et l'urgence de stages d'initiation pour les personnels.

IV. Un réseau pour la lecture publique dans le département

Présidente : Mme Brigitte Richter (bibliothèque centrale de prêt de la Sarthe).

Rapporteur : Mme Jeanne-Marie Guenebaud (bibliothèque centrale de prêt de Haute-Savoie).

Le rapport introductif de Mme Brigitte Richter sert d'amorce au débat. En voici le texte :

« Du questionnaire que la commission présidée par Bernard Pingaud adressait aux bibliothèques centrales de prêt à la fin de 1981, il ressortait clairement que la structure actuelle de ces bibliothèques donnait satisfaction à ceux qui en ont la charge et qu'ils ne souhaitaient pas qu'elle soit remise en cause. La bibliothèque centrale de prêt qui est le service culturel le plus décentralisé a en effet une structure qui lui permet de s'adapter facilement, dans chaque département, aux réalités géographiques, démographiques et sociologiques. Les réponses insistaient cependant sur la nécessité de donner aux bibliothèques centrales de prêt les moyens de développer cette structure décentralisée jusqu'au bout de sa logique interne en lui permettant de mettre en place un réseau de service public rationnel, cohérent et rentable.

On a beaucoup parlé de l'égalité des Français devant la lecture en comparant le développement du réseau urbain et celui du réseau rural. Il est certain que les bibliothèques centrales de prêt ont un rôle primordial à jouer en milieu rural. Pourtant, en dépit de leurs efforts, il faut bien constater qu'il existe des différences quantitatives et qualitatives entre ces deux réseaux, comme il en existe également entre les réseaux de différents départements. La moindre bibliothèque centrale de prêt doit faire face aux besoins d'une population équivalente à celle d'une ville moyenne ou d'une métropole régionale ; à l'importance de ce public potentiel s'ajoute un handicap de départ : cette population est dispersée dans ces petites unités que sont les communes françaises et parfois aussi dans des habitats isolés, écarts et lieux-dits. Si la bibliothèque centrale de prêt veut travailler à l'échelle humaine, celle de l'individu ou de groupes d'individus dans la commune ou les écarts, quelle sorte de réseau doit-elle mettre en place pour ne pas éparpiller ses forces et amener le livre à chaque lecteur dans des délais raisonnables ?

Le réseau actuel, le plus répandu, s'articule sur deux caractéristiques : un mode de prêt qui privilégie le dépôt de livres confié à un intermédiaire, d'une part ; d'autre part, des déplacements vers la population assurés par des bibliobus qui rayonnent à partir d'une unique bibliothèque placée de façon centrale dans le département. L'examen des qualités et des faiblesses de ce réseau me conduira à poser des questions précises pour engager le débat.

1. Le dépôt de livres

Confié à un intermédiaire dont l'intérêt et la compétence sont variables, le dépôt de livres a l'avantage d'être un lieu fixe de prêt et de lecture dans la commune, un embryon de bibliothèque, dans lequel on peut venir échanger un document, rencontrer d'autres lecteurs, travailler sur des livres. Cette description est trop souvent idéale. A combien de locaux inhospitaliers, mal installés, mal chauffés, rarement ouverts, où les livres sont enfermés à clef dans une armoire, devons-nous donner le nom de « dépôt » faute d'un terme mieux adapté ou clairement défini ? Combien de collections d'une ou deux centaines de livres sont ainsi pompeusement dénommées ? Une définition des réalités du service minimal que le dépôt devrait assurer est nécessaire. En l'absence de cette définition, on risque de rejeter a priori ce mode de prêt et de rêver de gros moyens qui feraient disparaître ces lieux mal équipés, les intermédiaires jugés comme gênants ou incompétents, au profit d'un prêt fait directement aux lecteurs dans les bibliobus de la bibliothèque. Mais le prêt direct dans un bibliobus est-il apte à satisfaire tous les besoins de lecture ? L'enfant ou l'adulte qui doivent choisir dans un bibliobus de 2 à 3 000 ouvrages quelques livres pour un mois, sont-ils des lecteurs plus satisfaits que ceux qui doivent fréquenter un petit dépôt sans véritable choix ? Les heures pendant lesquelles fonctionne ce prêt direct permettent-elles à tout habitant d'être un emprunteur de livres ? Le prêt direct permet-il d'utiliser le livre autrement qu'en lecture courante ?

2. La bibliothèque centrale et ses bibliobus

Le réseau de dépôts et le réseau de prêt direct fonctionnent, à l'exception de 15 départements, à partir du noyau central que constitue la bibliothèque centrale de prêt traditionnelle. La bibliothèque centrale est principalement conçue, dans les plans de construction notamment, comme un lieu de traitement et de stockage des documents qui vont alimenter les bibliobus. Lorsque cette bibliothèque n'a pas une situation géographiquement centrale, on s'efforce de la corriger en créant, selon les cas, une ou deux annexes dont le seul rôle est alors de recentrer les déplacements. Donc, dans la grande majorité des départements, les bibliobus font des déplacements qui rayonnent à partir du lieu fixe et unique dans lequel la bibliothèque centrale est installée.

De cette constatation découlent 5 remarques.

1. La bibliothèque centrale traditionnelle cumule deux fonctions très différentes : la fonction de centrale administrative, technique et de coordination des activités ; la fonction de prêt des documents à l'extérieur par des bibliobus.

La bibliothèque centrale n'est donc jamais une bibliothèque au plein sens du terme puisque ses utilisateurs ne peuvent accéder à l'ensemble de ses collections. Cette situation ne risque-t-elle pas de privilégier la lecture de détente au détriment de la lecture de documentation ? Si ce dernier besoin n'est pas couvert par la bibliothèque centrale de prêt qui pourra rendre ce service à sa place ?

L'ambiguïté de cette situation devrait être levée par une meilleure définition des services que doivent rendre le prêt par dépôt et le prêt direct, et surtout comment ils devraient se compléter dans une zone géographique donnée.

2. Ces deux fonctions sont assurées par les mêmes personnels. Le personnel qui fait fonctionner les bibliobus est aussi celui qui doit traiter les documents, ranger et entretenir les collections. Un bibliobus utilisé avec un bon rendement fait de 20 à 30 heures de service public par semaine, ce qui mobilise deux agents pendant la moitié ou les trois-quarts de leur temps de travail. Cette nécessité entraîne une dispersion des efforts et un morcellement du temps de travail qui sont cause de fatigue et de mauvais rendement.

L'organisation rationnelle du réseau ne passe-telle pas d'abord par une spécialisation des personnes et par une redéfinition des qualifications professionnelles ? La spécialisation des personnes n'est possible que si le nombre d'agents de chaque caté

gorie permet une certaine souplesse dans l'organisation du travail et dans la répartition des tâches.

3. Le nombre de lieux de prêt desservis par des bibliobus rayonnant à partir d'un lieu central, se trouve limité en premier lieu par les distances à couvrir, le trajet le plus long ne pouvant être éliminé d'un tel schéma de desserte.

Réduire les trajets pour augmenter les possibilités de prêt passe par l'abandon de ce schéma rayonnant, au profit d'une déconcentration de la tâche de prêt par bibliobus, assurée jusqu'à aujourd'hui par la bibliothèque centrale traditionnelle. Cette tâche peut-elle être retirée à la centrale et confiée à des unités de distribution annexes déconcentrées ?

4. Le schéma rayonnant traditionnel oblige à préférer le dépôt de livres au prêt direct, comme une solution plus économique en temps et en bibliobus. Le prêt par dépôt est-il encore une solution viable ? Si on conserve ce mode de prêt, dans quels cas doit-on l'utiliser ?

5. L'annexe, quand elle est créée dans ce schéma traditionnel, ne se voit le plus souvent attribuer qu'un rôle correctif qui consiste à réduire les distances les plus longues et à alléger ainsi le service de prêt que la bibliothèque centrale continue d'assurer. L'annexe n'existe pas alors comme un service de prêt à part entière mais plutôt comme la béquille obligée d'un ensemble qui continue à boiter. Ceci est évident si l'on observe les moyens qu'on attribue à ces annexes : équipe réduite à deux personnes, mal intégrées à l'ensemble du personnel ; direction d'annexe confiée à un sous-bibliothécaire et non à un conservateur ; pas de véhicule de liaison pour que l'équipe puisse se déplacer vers la centrale. Ces conditions placent les annexes existantes au rang de « branches rapportées » ou de « parents pauvres » de leurs bibliothèques centrales respectives.

Ce rôle de l'annexe, curieusement amoindri, ne serait-il pas à redéfinir ? L'augmentation du nombre des annexes n'est-elle pas un moyen rationnel de déconcentrer et démultiplier l'action de la bibliothèque ? Un service aussi décentralisé que l'est la bibliothèque centrale de prêt dans son département doit-il à son tour centraliser toutes les actions ou seulement les coordonner ?

Ce schéma traditionnel a valu aux bibliothèques centrales de prêt de nombreuses critiques quant à la qualité des services qu'elles rendent et à la rentabilité des moyens dont elles disposent. Leur réseau actuel, qui comporte plusieurs centaines de points d'impact par département, peut-il être amélioré sans bouleversements de structures ? Les bibliothèques centrales de prêt qui pratiquent le prêt direct conjointement au prêt par dépôt, celles qui disposent d'annexes doivent être interrogées particulièrement et conviées à faire objectivement le bilan de leur expérience.

Je poserai donc, pour ouvrir et organiser notre débat, les questions suivantes. Ces questions portent sur 4 points.

1. Les notions de bibliothèque centrale et de bibliothèques annexes doivent être redéfinies

1.1 La bibliothèque centrale peut-elle devenir une véritable centrale administrative, technique et de coordination des activités du réseau en cessant d'assurer elle-même le prêt de ses documents par des bibliobus ?

1.2 Dans ce cas, n'est-il pas nécessaire de doter cette centrale de personnel nouveau pour assurer les tâches qu'elle centralise : magasiniers de service général, agents administratifs, ouvriers relieurs, ouvriers spécialisés, chefs de garage ?

1.3 La bibliothèque centrale peut-elle être chargée de prêter dans ses locaux des documents ayant un caractère spécifique et d'assurer la consultation sur place de certains fonds ?

1.4 Les annexes peuvent-elles cesser de jouer un rôle correctif pour devenir des bibliothèques chargées du prêt et de l'animation sur une zone géographique à population limitée ?

1.5 Un découpage du département en zones desservies par des annexes doit-il s'appuyer sur les divisions administratives : arrondissement, canton, commune ? Jusqu'à quel nombre d'habitants le travail d'une annexe est-il possible ?

1.6 Quels personnels, en qualité et en quantité, sont nécessaires pour faire fonctionner chaque annexe ?

1.7 Le bibliobus est-il le seul moyen pour prêter des documents ? Des véhicules de moindre importance ne peuvent-ils rendre des services appréciables dans les petites communes ou dans les écarts ?

2. Est-il nécessaire d'utiliser en même temps deux modes de desserte : le prêt par dépôt et le prêt direct ?

2.1 A quel type de lecture correspond le prêt par dépôt ?

A quel type de lecture correspond le prêt direct ?

Répondent-ils aux mêmes besoins ? Offrent-ils le même service ?

2.2 Quelles sont les conditions matérielles qui permettent de définir le dépôt en tant que lieu de service public : importance, situation et installation du local ; quantité, variété et mise en accès libre des collections ; existence de fonds laissés à titre permanent ; calendrier des permanences d'ouverture au public ; qualité et nombre des responsables ? Par quels moyens et à quel rythme doit-il être renouvelé ? Dans quelles communes le préférera-t-on au prêt direct ? Doit-il être ouvert à des habitants extérieurs à la commune ?

2.3 Dans quels cas préférera-t-on le prêt direct ? Doit-on alors créer à distance un lieu d'accueil pour la documentation et la lecture sur place, largement ouvert aux populations desservies par le prêt direct ?

Quelles sont les meilleures conditions pour que le prêt direct soit efficace : lieu et durée du stationnement ; rythme de renouvellement du prêt ; à quels moments de la journée et de la semaine ; avec quelles sortes de véhicules ?

2.4 Pour chaque mode de prêt est-il nécessaire d'envisager un aménagement spécial des horaires de travail pour mieux toucher le public ?

3. Les intermédiaires dans le réseau

3.1 Les intermédiaires chargés d'un dépôt : quel est leur rôle ; doivent-ils être formés et avec quelles compétences ; qui doit assurer leur formation ; doivent-ils rester des bénévoles ou avoir un statut administratif ; quelle est l'autorité du maire, de la bibliothèque, sur ces personnes ?

3.2 D'autres intermédiaires sont-ils possibles et souhaitables pour atteindre un public spécifique : établissements d'enseignement, entreprises, associations, etc. ?

4. La bibliothèque centrale de prêt et les autres réseaux de lecture

Dans le département existent d'autres réseaux de lecture ; certains sont publics : les bibliothèques municipales ; d'autres sont privés : les bibliothèques d'associations, de comités d'entreprises, etc. ; d'autres semi-publics : centres de documentation et bibliothèques d'établissements d'enseignement.

4.1 Comment la bibliothèque centrale de prêt peut-elle situer ses actions par rapport à celles de ces réseaux ?

4.2 Doit-elle, selon les cas, les ignorer, les aider, s'y associer, les intégrer à ses propres activités ? »

Les interventions sont foisonnantes et traitent à la fois le thème proprement dit (notion de réseau dans le département : définition, but, éléments du réseau, financement) et la question de la décentralisation et ses conséquences pour le personnel.

a. Le réseau dans le département :

Actuellement coexistent un réseau propre à la bibliothèque centrale de prêt (centrale et parfois annexes, dépôts, éventuellement prêt direct) et d'autres bibliothèques.

De l'avis des participants, le réseau à envisager doit être cohérent et coordonné, faisant coopérer plusieurs institutions et organismes différents. Il faut un système souple, s'adaptant aux fluctuations de la démographie et aux contraintes socio-économiques.

Le clivage entre lecture urbaine et lecture rurale doit disparaître de façon à permettre l'accès du lecteur à la bibliothèque voisine (suivant le principe de la bibliothèque « appelante », selon un système pyramidal, chaque lecteur pouvant accéder aux éléments supérieurs du système).

Le réseau comprend les bibliothèques municipales (qui pourraient être obligatoires à partir d'une certaine taille des communes), les autres bibliothèques (d'associations, notamment) et la bibliothèque centrale de prêt, avec ses techniques classiques mais redéfinies et adaptées aux conditions du monde rural actuel : points fixes pour ceux qui se déplacent (bibliothèques cantonales, par exemple), éléments mobiles (bibliobus, envois postaux) pour les sédentaires. Mais doit-on proposer la desserte par bibliobus jusqu'aux plus petits hameaux ?

Cette mise en place d'un réseau pose trois problèmes :

. S'il est vrai que dans les bibliothèques municipales, le dépôt de la bibliothèque centrale de prêt offre un véritable service public, comme de plus en plus souvent dans les relais-bibliothèques, ne doit-on pas s'interroger sur les dépôts ouverts à une catégorie particulière de population dans des lieux spécifiques ?

. Les responsables de ces dépôts devant être formés et rémunérés à tous les niveaux, quels sont les moyens de rétribution à envisager : personnel payé par le département et mis à la disposition de la bibliothèque centrale de prêt par les syndicats intercommunaux (bibliothécaires intercommunaux), personnel volant provenant de la bibliothèque centrale de prêt ?

. Par ailleurs une hiérarchie doit-elle être établie entre les différents éléments ou ne doit-il s'agir que d'une simple collaboration ?

Le financement du réseau doit être croisé (État, régions, départements, communes) et les structures de coopération intercommunales (comme les SIVOM) doivent être utilisées. Le risque que la bibliothèque soit considérée comme un « bien idéologique » par les élus est évoqué.

b. La décentralisation :

Cette perspective ne réjouit pas les participants ; si elle est inévitable, cependant, la formule de l'établissement public départemental apparaît préférable.

Le futur statut de la bibliothèque conditionnera ses possibilités d'action réelle. Si la bibliothèque centrale de prêt est chargée, en collaboration avec d'autres institutions et d'autres organismes, de constituer le réseau de bibliothèques dans le département, cela lui sera plus facile étant décentralisée ; toutefois, la décision finale sur la constitution du réseau appartenant dans ce cas aux élus locaux, il convient de prendre des précautions, en veillant notamment à ce qu'une loi-cadre précède la décentralisation, afin d'éviter que les crédits alloués aux départements pour la lecture publique soient détournés de leur but.

Plusieurs participants évoquent les craintes du personnel (particulièrement les catégories B, C et D) devant l'éventualité d'une transformation de leur statut. Tous sont d'accord pour défendre le statut actuel, garantissant la possibilité de mutation. Personnel communal, départemental et d'État doivent pouvoir coexister dans les établissements ; toutefois, si le recrutement local présente des avantages du point de vue de la stabilité des agents dans certaines régions, il faut rendre possible la mobilité de tous. La loi-cadre sur la lecture publique devrait aborder ces questions.

Le débat sur le réseau n'ayant été qu'esquissé, faute de temps, on pense qu'il conviendrait de prolonger cette réflexion en organisant des commissions regroupant des représentants d'établissements situés dans des départements présentant des caractéristiques analogues.

Discussion

L'essentiel porte sur le seuil d'intervention de la bibliothèque centrale de prêt, l'opinion dominante étant que toute ville de plus de 10 000 habitants devrait avoir sa bibliothèque autonome. Toutefois, la notion de ville est-elle toujours signifiante dans la mesure où, dans certaines régions, des communes de faible population forment, réunies, une conurbation de plusieurs dizaines de milliers d'habitants sans équipement culturel ? On ne saurait donc écarter les cas d'espèces amenant à étudier avec les maires les solutions envisageables.

Une ville de 10 000 habitants pourra-t-elle toutefois supporter les acquisitions et le renouvellement d'un fonds de bibliothèque et ne conviendrait-il pas que de tels établissements puissent être aidés pendant les premières années de leur fonctionnement ? La question reste posée.

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Matinée du 23 mars

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ANNEXE A : BCP. Budget 1982 (1/2)

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ANNEXE A : BCP. Budget 1982 (2/2)

  1. (retour)↑  Les 7 et 8 décembre 1973 (compte rendu in Bull. Bibl. France, vol. 19, n° 3, mars 1974, p. 147-157). Des réunions inter-régionales des bibliothèques centrales de prêt ont eu lieu dans l'intervalle, respectivement à Arc-et-Senans (29 et 30 juin 1978), Poitiers (12 et 13 décembre 1978), Alençon (10 et 11 mars 1979) et Marseille (6 et 7 novembre 1979).
  2. (retour)↑  Pour toutes les références budgétaires, le tableau « BCP - Budget 82 » qui figure en annexe A, avait été remis aux participants.
  3. (retour)↑  Il est à noter toutefois que la part des dépôts installés dans les établissements scolaires diminue très lentement mais régulièrement : 68,8 % en 1976, 67,7 % en 1977, 66,7 % en 1978, 65 % en 1979.
  4. (retour)↑  En plus de l'Indre-et-Loire, pionnier dans ce domaine : Cantal, Doubs, Seine-et-Marne en 1968, Tarn, Haut-Rhin en 1969, Aube en 1973, Charente en 1974.