Bibliothèques et handicapés

Nicole Granet

Portant sur 622 réponses, les résultats de cette enquête démontrent que les bibliothèques publiques restent encore largement inaccessibles aux handicapés, en raison de la difficulté des accès et de l'absence de fonds spéciaux pour les non-voyants

An assessment of 622 replies demonstrates that public libraries are still largely inaccessible to disabled persons, because of the difficulty of access and the lack of special material for the blind

A l'occasion de l'année des handicapés, la rédaction du Bulletin des bibliothèques de France a adressé le questionnaire figurant en annexe à 1 300 bibliothèques publiques (bibliothèques municipales et bibliothèques centrales de prêt), afin de présenter une synthèse de l'activité des bibliothèques en faveur des handicapés.

Les 622 réponses enregistrées et dépouillées ont servi de base à l'étude suivante présentée par Mlle Nicole Granet.

Quelques remarques préliminaires

L'expression « handicapé » est un terme générique qui recouvre des cas personnels très divers. On peut néanmoins délimiter trois grandes catégories : les handicapés moteurs, les handicapés mentaux et les handicapés sensoriels (aveugles et déficients visuels, sourds et sourds-muets), chacune d'elles n'excluant malheureusement pas les autres. A chacun de ces handicaps correspondent des besoins précis que les bibliothèques publiques, dans la mesure de leurs moyens, doivent prendre en compte, comme elles prennent en compte ceux des autres catégories d'usagers minoritaires ou pas, afin que tous puissent se côtoyer au sein du service public et trouver la part d'information, de culture ou de distraction qu'ils recherchent.

La situation extrêmement disparate des bibliothèques françaises, telle qu'elle se reflète dans les réponses reçues fait que nombre d'entre elles sont incapables de satisfaire ces besoins. Plus du tiers des questionnaires de bibliothèques municipales proviennent de villes ou de villages dont la population est inférieure à 10 000 habitants (37,5 %). Le reste est ainsi ventilé :
23,5 % pour la tranche de 10 000 à 20 000 habitants ;
24,5 % de 20 à 50 000 habitants ;
9 % de 50 à 100 000 habitants ;
5,5 % pour les villes de plus de 100 000 habitants.

Mais trop souvent, aux impossibilités matérielles s'ajoute une certaine absence de prise de conscience de l'existence et des besoins de cette catégorie d'usagers.

L'année 1981, déclarée « année internationale des handicapés », a quelque peu sensibilisé l'opinion et les responsables des bibliothèques ; le questionnaire lui-même a été pour certains l'occasion d'une réflexion sur le sujet. Mais si aucune concertation nationale, si aucune action commune à un niveau autre que local, ne viennent relayer cet intérêt, il est permis de craindre que le bilan établi au vu des résultats de l'enquête ne s'améliore que très lentement.

L'accessibilité des lieux

C'est une condition sine qua non de l'ouverture aux handicapés des bibliothèques et plus particulièrement aux handicapés moteurs sur fauteuil roulant, à ceux qui se déplacent difficilement, et aux aveugles et déficients visuels.

Si les transports en commun sont pratiquement inutilisables par les premiers cités, ils peuvent constituer pour les autres un moyen de se rendre à la bibliothèque de façon autonome. Sur ce point, 10 % des établissements déclarent n'être pas accessibles par le réseau de transports en commun, ce qui est à la fois peu et beaucoup, si l'on songe qu'une bibliothèque devrait par définition se trouver au centre des agglomérations, dans des lieux de passage, ou à défaut, avoir les moyens de drainer vers elle le plus possible d'usagers, qui ne sont pas tous des automobilistes. Cela ne signifie pas pour autant que les 90 % restant sont facilement accessibles ; en particulier, les bibliothèques des petites villes, non dotées de transports en commun nécessitent automatiquement, pour les handicapés n'ayant pas la chance d'habiter à proximité, le recours obligatoire à une tierce personne.

En ce qui concerne l'automobile, 72,5 % des bibliothèques disposent d'un parking ou de facilités de garage à leurs abords immédiats ; une dizaine signalent même des places réservées pour les handicapés. Mais la voiture est un moyen de transport accessible à une petite minorité d'entre eux, la plupart devant se faire accompagner.

Une solution intéressante peut être apportée par l'utilisation de véhicules spécialement réservés aux handicapés et se déplaçant à la demande, mais ce moyen de transport est encore peu répandu et dépend de l'initiative de collectivités locales ou privées d'une certaine importance. Trente-quatre bibliothèques, soit 5,5 % de l'ensemble, signalent l'utilisation de ces mini-bus mis à la disposition des handicapés par la municipalité, une association ou un établissement spécialisé. C'est le cas par exemple à Aix-en-Provence, Pau, St-Étienne, Gennevilliers ou Saumur.

Lorsque la personne handicapée moteur a réussi à franchir l'obstacle de la distance, il lui reste à surmonter l'ultime épreuve souvent éliminatoire, l'accès à la bibliothèque elle-même : 60 % des établissements sont en effet inaccessibles aux fauteuils roulants. En particulier aucun bibliobus de BCP (Bibliothèque centrale de prêt) ne possède d'équipement adapté.

Il semble pourtant que l'influence de l'année des handicapés se soit fait sentir et que les villes aient fait des efforts pour les bâtiments ouverts au public, dont les bibliothèques. Parmi les 40 % de bâtiments accessibles de l'extérieur, 30 % l'étaient dès l'origine, par pur hasard, signalent certains, ou parce qu'il s'agit de constructions récentes dont les normes intègrent la prise en compte des handicapés ; 10 % ont été aménagés ces dernières années ou à l'occasion de l'année des handicapés par adjonction d'une rampe d'accès, d'un élévateur, ou d'un ascenseur couplé à un interphone pour l'accès aux étages. Enfin une trentaine de bibliothèques ont, à court terme, des projets d'aménagement ou de nouvelles constructions qui prévoiront un accès adapté.

A l'intérieur, certains établissements ont fait réaliser ce que les normes d'architecture prescrivent obligatoirement depuis cinq ans pour les nouvelles constructions : sanitaires et largeur des portes spécialement adaptés, et veillent particulièrement à l'espacement entre les rayonnages dans les salles de prêt.

A signaler enfin que sept villes dont Poitiers, Bourges, Grenoble, Cholet, Fontenay-sous-Bois et St-Maur-des-Fossés sont dotées d'un bibliobus urbain, accessible aux handicapés et que deux autres villes, dont Toulouse, ont une acquisition en projet.

En fait, malgré tous les aménagements destinés à leur en favoriser l'accès, les handicapés viennent peu à la bibliothèque sans doute en raison des obstacles majeurs situés en amont. Témoin cette réaction d'une collègue « Les handicapés existent puisqu'on en parle, mais il est difficile de les rencontrer,... du moins dans les bibliothèques. Les efforts entrepris pour leur en faciliter l'accès sont faiblement suivis d'effet, malgré une publicité importante. »

Conscientes des difficultés que rencontrent toutes ces personnes à mobilité réduite, quelques bibliothèques, au lieu de décréter qu'il n'y avait pas de demande donc pas de besoin, ont décidé d'aller au devant de leurs lecteurs handicapés, en organisant des services de desserte à domicile.

Ce type de service, fréquent dans les pays anglo-saxons, n'en est qu'à ses balbutiements chez nous, à l'exception des BCP qui, dans le cadre de leur tournée, effectuent des dépôts de livres dans les établissements spécialisés ou les maisons de retraite. Sept bibliothèques municipales, dont cinq dans la région parisienne, en signalent l'organisation (St-Maur-des-Fossés, Marne-la-Vallée, Le Raincy, Pontoise, Villetaneuse, Langres et Carcassonne).

Pour sortir de la dimension artisanale, ce système implique d'une part une information des personnes auxquelles il s'adresse, ce qui n'est pas toujours facile à faire, et impose dans tous les cas une coopération avec les associations et les services sociaux des mairies ; et d'autre part, il suppose que la bibliothèque dispose d'un véhicule et d'un chauffeur pour faire les tournées à la demande ou suivant un rythme à définir. Le système, après quelques tâtonnements, fonctionne de façon satisfaisante à St-Maur-des-Fossés. Il pourrait être adopté sans trop de problèmes par de moyennes ou grandes villes qui auraient la volonté et les moyens matériels de faire la prospection préliminaire et de l'organiser.

Les fonds spéciaux

Il s'agit bien entendu des collections de documents adaptés aux personnes qui sont dépourvues, en partie ou en totalité, du sens de la vue. Selon le degré de leur déficience visuelle et les origines de ce handicap, ces personnes auront besoin de livres en gros caractères, de livres parlés enregistrés sur cassettes ou de livres en Braille.

- Les livres en gros canactères : ils sont assez largement répandus dans les bibliothèques et proviennent essentiellement des collections de l'éditeur Laurence Olivier Four. 58,5 % des établissements en possèdent dans des proportions plus ou moins importantes. Parmi ceux-ci 44 % ont plus de cinquante titres en un ou plusieurs exemplaires, c'est le cas par exemple de toutes les BCP (sauf trois), 41 % ont entre dix et cinquante titres et 15 % moins de dix titres. Ces livres sont très demandés par les personnes âgées dont la vue est faible ; mais la difficulté est souvent de les leur réserver surtout lorsqu'ils sont intégrés dans le fonds, les lecteurs ayant tendance à les emprunter comme les autres livres. Les titres du catalogue sont encore limités et dépendent du bon vouloir des éditeurs. Mais on constate actuellement un réel effort pour enrichir ce catalogue d'ouvrages plus récents que les classiques qui en constituaient l'essentiel au départ.

- Les enregistrements sonores de teates : les collections de ce type sont encore très peu répandues, en partie du fait des difficultés particulières pour constituer les fonds.

Trente-huit bibliothèques dont cinq BCP déclarent posséder actuellement ce genre de documents (6,10 % de l'ensemble) et une douzaine, dont quatre BCP ont des projets dans ce domaine. Seulement treize établissements franchissent la barre des cinquante titres, déjà bien insuffisants. Quatre bibliothèques se détachent par l'importance de leur fonds :
Caen : 1104 titres, 5 419 unités et 10516 cassettes prêtées.
Amiens : 1 000 titres, 6 000 unités environ et 74 prêts.
La BCP du Haut-Rhin à Colmar : 789 titres, 4 329 unités et 4 070 prêts.
Toulouse : 696 titres, 3 000 unités environ et 5 767 cassettes prêtées.

Ces fonds sont d'une importance, comme on le voit, toute relative.

Une collaboration originale s'est instaurée entre un certain nombre de bibliothèques et une association privée : l'Association des donneurs de voix. A Colmar, à Caen ou dans d'autres établissements, la bibliothèque met à la disposition de l'Association un local, du personnel, les livres à enregistrer et l'infrastructure de traitement des cassettes, l'Association se chargeant du recrutement des lecteurs bénévoles et des enregistrements. D'autres bibliothèques se contentent plus simplement de diffuser le catalogue de l'Association lorsqu'elle existe dans leur commune.

Les autres villes, Toulouse ou Lyon, qui a ouvert sa section sonore en octobre 1981, fonctionnent de façon autonome, en recrutant leurs propres lecteurs bénévoles et en leur fournissant magnétophones, cassettes et livres à enregistrer.

A défaut d'une édition de textes sur cassettes suffisamment variée (la seule source commerciale importante étant les cassettes de Radio-France), les bibliothèques recourent à la pratique du bénévolat avec toutes les difficultés que cela comporte : jlongueur des délais, irrégularité dans le travail d'enregistrement et surtout mauvaise qualité de la lecture si les lecteurs ne sont pas testés auparavant ; un roman ou un documentaire qui s'étendra sur quatre cassettes au minimum, demande, pour ne pas lasser l'auditoire, une qualité de ton et de diction qui est loin d'être donnée à tout le monde.

Pour les aveugles et déficients visuels, la cassette est très souvent, sauf s'ils lisent le Braille, le seul lien qui leur reste, autre que la radio, avec l'information et la distraction ; il serait donc particulièrement important qu'ils puissent trouver au sein d'un service public, dans leur ville ou leur région, un choix d'enregistrements de qualité (les cassettes bénéficient, comme tout le courrier pour aveugles, de la franchise postale).

- Les livres en Braille :

Si les cassettes représentent la seule possibilité de « lecture » pour les personnes âgées ou les gens qui perdent la vue par accident, le Braille constitue en revanche pour les aveugles de naissance ou tous ceux qui ont les moyens de l'apprendre, un accès autonome et direct au texte. Une anecdote à ce sujet : lorsqu'a été décidé, il y a cinq ans à la bibliothèque Braille de Toulouse de créer un fonds de cassettes, une délégation d'aveugles travaillant dans les établissements spécialisés de la ville est venue s'assurer que l'on n'abandonnait pas la transcription des livres en Braille au seul profit des enregistrements sonores. Ils insistaient tout particulièrement sur le rôle primordial du Braille qui leur permet une liberté de lecture équivalente à celle des voyants.

Le seul obstacle majeur est que dans le domaine de l'information et des loisirs qui intéresse les bibliothèques, l'édition Braille est pratiquement inexistante. Deux ou trois associations d'aveugles éditent, en dehors d'ouvrages scolaires, quelques romans ou documentaires, mais le choix est restreint et les nouveautés très rares.

Actuellement les aveugles désirant s'abonner à une bibliothèque Braille ne disposent que de la bibliothèque de l'Association Valentin Haüy, la plus importante par le nombre de titres et, dans une plus modeste mesure, de la bibliothèque Braille de la ville de Toulouse.

Toutes les deux éditent elles-mêmes leurs ouvrages, seul moyen d'enrichir le fonds.

La bibliothèque de l'Association Valentin Haüy dispose d'un réseau à travers la France de quelques centaines de copistes bénévoles, qui ont accepté d'apprendre le Braille pour pouvoir transcrire des livres à la main ou à la machine.

Elle compte actuellement plus de 200 000 volumes et son fonds s'accroît au rythme de quelques centaines de titres par an.

La bibliothèque Braille de la ville de Toulouse rétribue à la page une douzaine de copistes, tous non-voyants sauf un, pour transcrire des nouveautés. Ceux-ci doivent d'abord demander le titre à transcrire à la bibliothèque Valentin Haüy pour pouvoir le copier à leur rythme à partir du Braille. Le fonds de la bibliothèque est actuellement de 2 562 titres qui représentent environ 15 000 volumes, il s'accroît au rythme d'une vingtaine de titres par an.

La bibliothèque de Toulouse est une exception dans les bibliothèques publiques françaises par l'existence et l'importance relative de son fonds. Trois autres établissements signalent qu'ils possèdent une centaine de titres en Braille : Tours, Auxerre et Le Mans, mais au moins dans les deux derniers cas, il s'agit de fonds morts ou « inaccessibles » et aucun prêt n'est effectué.

L'exception toulousaine s'explique par les origines et l'ancienneté du fonds. Celui-ci remonte en effet aux lendemains de la Première Guerre mondiale et avait été constitué au départ par une association d'aveugles de guerre qui en a ensuite fait don à la bibliothèque municipale à charge pour elle de l'enrichir régulièrement. Actuellement, la bibliothèque compte 232 lecteurs (l'inscription est gratuite) qui peuvent emprunter livres Braille et cassettes. Les trois quarts habitent la région Midi-Pyrénées, le reste est disséminé dans tout le Sud de la France.

Dans le cas des deux bibliothèques dont on vient de citer l'exemple, bien qu'à des échelles différentes, on ne peut que constater l'archaïsme et la lenteur des moyens utilisés, qui condamnent à peu près sûrement de nouvelles tentatives sur le même modèle. Alors que paradoxalement existe à Toulouse au sein de l'Université un laboratoire de recherche qui a mis au point depuis quatre ou cinq ans un système de transcription automatique du Braille par ordinateur. Faute de soutien conséquent au niveau national les responsables ont dû renoncer à effectuer des travaux d'impression par manque de moyens en finance et en personnel, et ils se consacrent de nouveau à la recherche.

En fait, tant qu'une impulsion décisive ne sera pas donnée au niveau national par un soutien financier et la mise en œuvre d'une politique de collaboration entre les bibliothèques à l'échelon régional, les fonds Braille resteront toujours aussi inexistants dans les bibliothèques.

L'accueil des handicapés dans les bibliothèques

L'aspect quantitatif et qualitatif de l'accueil des handicapés dans les bibliothèques est difficile à appréhender ; en effet les réponses reçues manquent pour la plupart de précision : cette catégorie d'usagers ne faisant évidemment pas l'objet de statistiques particulières.

Cependant, parmi le public de handicapés qui fréquente les bibliothèques, une distinction très nette s'établit entre adultes et enfants.

- L'accueil des enfants : les enfants fréquentent en général la bibliothèque collectivement avec la classe de l'établissement spécialisé où ils se trouvent. C'est donc dans leur direction que s'exerce de façon privilégiée le travail d'accueil et d'animation. 48 % des bibliothèques déclarent connaître dans leur ville ou leur département l'existence de centres pour jeunes handicapés, mais 34 % seulement entretiennent des relations plus ou moins régulières avec ces établissements (Instituts médico-pédagogiques, Section de l'enfance spécialisée, Hôpitaux de jour sont parmi les plus cités).

Celles-ci prennent des formes assez variées mais la plus courante est la venue collective d'une classe pour visiter la bibliothèque et emprunter des livres ; souvent à la venue collective s'ajoute la fréquentation individuelle des enfants. Enfin, certaines bibliothèques déclarent ne recevoir des enfants qu'à titre individuel.

Un petit nombre de bibliothèques, dont vingt et une BCP, pratiquent également le système du dépôt de livres.

Pour certaines bibliothèques la venue des classes se renouvelle de façon régulière, ce qui permet d'effectuer un travail plus approfondi qui, en ne se limitant pas seulement à une visite ou à l'emprunt de livres, débouche sur des activités d'éveil ou d'animation. C'est le cas, semble-t-il, d'une cinquantaine d'établissements dont six signalent une dizaine de séances par an, et quarante-quatre consacrent plus de dix séances dans l'année ; pour quarante d'entre eux, c'est l'occasion d'organiser de temps en temps des séances d'animation spécialement consacrées aux jeunes handicapés.

Les enfants sont toujours accompagnés par des éducateurs qui servent d'intermédiaires entre eux et les bibliothécaires. Ceux-ci, en effet, soulignent souvent leur manque d'expérience pour s'adresser à ce public.

L'activité la plus fréquemment citée est l'Heure du conte ; celle-ci doit être adaptée en fonction du handicap de l'enfant : lecture gestuelle pour des enfants mal-entendants ou sourds, à haute voix pour des déficients visuels. L'Heure du conte est parfois suivie d'activités telles que dessin ou modelage. Sont également signalées des projections de diapositives ou des réalisations un peu plus originales telles que la représentation par un groupe d'enfants handicapés moteurs à Montauban, du conte d'Eluard Grain d'aile, ou à Lyon la présence de l'exposition tactile « Les mains regardent ».

Les jeunes handicapés mentaux, débiles légers ou moyens ont également leur place à la bibliothèque. Ils viennent en petits groupes pour des séances sur place de simple contact avec le livre ou suivies d'emprunt. Il n'y a pas à proprement parler de livres qui leur soient plus particulièrement destinés, en effet ils choisiront souvent n'importe quel ouvrage car ils sont davantage sensibilisés par le simple plaisir de feuilleter le livre, que par son contenu propre ; ou bien ils se polariseront sur des ouvrages traitant toujours du même sujet.

Dans tous les cas, il est important que le bibliothécaire, en accord avec l'éducateur accompagnateur, vérifie le contenu de l'ouvrage emprunté pour éviter d'éventuels chocs psychologiques. On cite le cas d'albums de Harlin Quist qui auraient fortement perturbé un groupe de jeunes handicapés mentaux. Il faut souligner aussi à ce propos que la venue de ces jeunes nécessite une grande disponibilité, comme pour tous les enfants d'ailleurs, de la part du personnel de la bibliothèque, doublée d'une attention constante et d'une grande solidité morale pour pouvoir faire face aux questions ou aux attitudes les plus imprévisibles.

L'inconvénient des visites de groupes, qui se font pendant les heures scolaires, est que les enfants handicapés restent entre eux ; c'est d'ailleurs ce que recherchent certains éducateurs. D'autres, en revanche, s'accordent à dire que l'aide la plus importante que puisse accorder une bibliothèque aux enfants handicapés est de les intégrer aux autres enfants lors de séances d'animation. D'autres mettent aussi l'accent sur le fait que des adolescents venus dans un cadre collectif reviennent ensuite, seuls et de leur propre chef à la bibliothèque.

L'aspect quantitatif, c'est-à-dire le nombre d'enfants reçus, est assez difficile à cerner car les chiffres manquent de précision : sur les 213 établissements (34 % du total) ayant des jeunes lecteurs handicapés, 42 % déclarent en recevoir moins de dix, 36 % entre dix et cinquante, 13,5 % plus de cinquante. Les 8,5 % restant ne peuvent pas fournir de chiffres précis. Mais sur le plan qualitatif, il semble que l'action entreprise par un nombre assez élevé de bibliothèques tant au niveau de l'accueil des groupes et des enfants isolés, que des animations soit positive.

- L'accueil des adultes : le public des handicapés adultes a des contours extrêmement flous, car à la différence des enfants, lorsqu'ils viennent dans les bibliothèques, c'est en tant que lecteur individuel et ils ne se distinguent pas des autres lecteurs, au niveau des statistiques. Les groupes d'adultes venant collectivement à la bibliothèque sont très rares, et il s'agit dans ce cas, de débiles légers qui sont reçus à la section enfantine.

Quantitativement la proportion de lecteurs handicapés au sein des établissements est infime ; sur 246 bibliothèques (39 %) déclarant en compter parmi leur public, vingt-neuf en reçoivent plus de dix, cent quarante moins de dix (en général deux ou trois) et soixante-dix-sept ne peuvent donner de chiffres.

Les diverses animations organisées s'adressent à l'ensemble du public et constituent en général des tentatives de sensibilisation à leurs problèmes. Les réalisations le plus souvent citées sont des expositions montées par la bibliothèque, seule ou en collaboration avec des associations de handicapés. Il s'agit soit simplement d'expositions de livres acquis sur le sujet, avec tirage d'une bibliographie, soit d'expositions plus élaborées telles que « Le sport et les handicapés » à Meylan, « Les aveugles et la communication » à Toulouse avec édition d'un catalogue, l'exposition itinérante du club des bibliophiles handicapés, ou une exposition illustrée par la réalisation de quatre vidéocassettes à Laval.

Des œuvres artistiques réalisées par des handicapés font aussi l'objet d'expositions.

Des conférences-débats ont été organisées dans quelques bibliothèques : « Lecture et mal-voyant » à Bourg-lès-Valence et à Mourenx ; à Grenoble, Patrick Segal a été invité à l'occasion de la sortie de son livre.

Enfin certains établissements signalent la diffusion de revues d'associations locales ou nationales de handicapés.

Quarante-cinq bibliothèques déclarent avoir réalisé des actions de ce genre en 1981 ; et, remarque subsidiaire, sept établissements signalent la présence d'employés handicapés parmi leur personnel.

Conclusion

Parvenus au terme de ce constat sur les services offerts par les bibliothèques publiques aux handicapés, nous avons été conduits à mettre l'accent sur les quelques aspects positifs. Il faut d'une part souligner que ces réalisations restent minoritaires et rappeler d'autre part un certain nombre de chiffres qui sont les négatifs de ceux cités plus haut.
- 60 % de bibliothèques n'ont pas d'accès pour handicapés ;
- 41,5 % n'ont pas de livres en gros caractères ;
- 94 % n'ont aucun enregistrement de texte ;
- aucune bibliothèque sauf Toulouse n'a de fonds en Braille exploitable ;
- 66 % ne reçoivent aucun enfant handicapé ;
- 61 % ne reçoivent aucun adulte handicapé.

Ces chiffres reflètent l'ensemble des bibliothèques ayant répondu au questionnaire, et bien sûr, les petites bibliothèques de villes de moins de 10 000 habitants pèsent d'un poids important en répondant souvent par la négative à toutes les parties du questionnaire.

Cependant l'action menée en faveur des handicapés est loin d'être proportionnelle à l'importance de la ville où la bibliothèque exerce son activité. Ainsi tel établissement d'une ville de 18 000 habitants réalise un travail régulier avec des classes de jeunes handicapés, alors que telle grande ville de plus de 100 000 habitants n'en accueille aucune dans sa bibliothèque municipale classée. En fait, au sein de villes comparables par leur population, l'action des bibliothèques dans ce domaine est extrêmement disparate. A titre d'exemple, on peut examiner le cas des bibliothèques municipales classées.

Quarante sur cinquante-quatre ont envoyé une réponse ; à l'exception de deux ou trois, ces bibliothèques se situent toutes dans une tranche de population supérieure à 50 000 et même 100 000 habitants.

En ce qui concerne l'accès des handicapés, vingt-sept bibliothèques signalent qu'il est possible, dont une dizaine avec des restrictions (la plupart du temps une annexe sera accessible et pas la centrale, ou vice-versa). Ce qui signifie que les handicapés ne peuvent accéder à treize établissements.

Pour ce qui est des collections, trente-quatre possèdent des ouvrages en large vision, sept des cassettes de texte enregistré et une, un fonds de livres en Braille.

Vingt-neuf accueillent des classes d'enfants handicapés dont une quinzaine en nombre important et de façon régulière.

Trente-deux signalent avoir des lecteurs adultes handicapés, dans des proportions assez faibles, à quelques exceptions près.

Ainsi, pour ces quarante établissements exerçant presque tous au sein de capitales régionales et qui devraient jouer un « rôle pilote », le bilan sur ces divers points n'est guère satisfaisant.

Quelques aires géographiques se distinguent pourtant par un certain dynamisme en faveur des handicapés ; il s'agit de la région parisienne, de l'Alsace, de la région lyonnaise et dans une moindre mesure, de la région toulousaine. On peut expliquer cela par un effet d'entraînement, une bibliothèque qui se montre active dans ce domaine sert en quelque sorte d'exemple et de stimulant pour les autres établissements existant dans la région.

L'aménagement des accès et l'accueil des lecteurs handicapés dans la bibliothèque posent des problèmes matériels, en finances et en personnel, qui peuvent être résolus au sein de chaque bibliothèque si la volonté de les résoudre existe ; en revanche la question des fonds spéciaux pour les aveugles et malvoyants ne peut être réglée à l'échelon local ; il serait absurde et utopique de vouloir mettre dans chaque bibliothèque des textes en Braille ou sur cassettes. Pour cela le niveau régional semble tout indiqué, à partir du moment où l'on décide qu'un service public de lecture doit inclure obligatoirement dans ses collections ce type de documents, sans se décharger systématiquement sur les associations, et en collaboration avec elles lorsqu'il y a volonté réciproque.

Ces services régionaux pourraient ainsi envoyer livres et cassettes, soit directement par la poste, en franchise postale, chez les lecteurs, soit dans des bibliothèques qui serviraient de relais.

Reste le problème de l'approvisionnement en documents. Il semble évident qu'on doive dépasser le stade artisanal de l'enregistrement et de la copie bénévole. Pour cela, il faudrait créer à l'échelon national un centre de production de textes sur cassettes, doté du matériel sonore adapté pour l'enregistrement et la duplication, et un centre de production de textes en Braille, avec le personnel compétent nécessaire. Ces centres devraient être mis en place sous la tutelle des services centraux de lecture publique et bénéficier de subventions de l'Etat. Les divers services régionaux pourraient se fournir auprès d'eux, par exemple, suivant le système qui s'est instauré entre la Direction du livre et les médiathèques pour les acquisitions de vidéocassettes.

Le but même de cette enquête, étudier les services offerts aux handicapés, conduit nécessairement à isoler cette catégorie de personnes pour essayer de mieux la cerner lorsqu'elle vient à la bibliothèque ; et c'est d'autant plus malaisé qu'elle y vient difficilement. Certaines réponses au questionnaire ont fait remarquer que les handicapés ne devraient pas être séparés du reste des lecteurs et qu'ils étaient normalement intégrés au public de leur bibliothèque. C'est en effet le but que toute bibliothèque devrait se proposer.

Mais pour que cette conception ne reste pas toute théorique et se traduise dans la réalité des faits, il faut prendre en compte au départ la différence du handicapé, justement pour pouvoir y apporter un remède spécifique lui permettant de s'insérer dans la bibliothèque ; ce n'est que lorsqu'un handicapé moteur aura pu franchir le seuil du bâtiment, lorsqu'un aveugle aura à choisir entre des textes enregistrés ou en Braille, lorsque d'autres handicapés plus ou moins atteints trouveront auprès des bibliothécaires la disponibilité qu'ils en attendent, qu'ils se sentiront des lecteurs comme les autres.

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Annexe - Questionnaire Bibliothèques publiques et handicapés (1/3)

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Annexe - Questionnaire Bibliothèques publiques et handicapés (2/3)

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Annexe - Questionnaire Bibliothèques publiques et handicapés (3/3)