Claude-Henri Feydeau de Marville, lieutenant général de police à Paris
1740-1747, suivi d'un choix de lettres inédites
Suzanne Pillorget
Découvertes à la fin du XIXe siècle par Arthur de Boislisle, l'éditeur de Saint-Simon, et publiées alors en partie, les lettres de Feydeau de Marville sont conservées à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris et datent de l'époque où Feydeau de Marville était « un véritable ministre de la capitale ».
De noblesse de robe, il fait toute sa carrière au Conseil d'État et succède à son beau-père Hérault de Fontaine en 1739 dans les fonctions de lieutenant général de police à Paris.
Ses attributions sont vastes : police, « bureau de la ville », finances, urbanisme, surveillance de la librairie, et elles entraînent souvent des conflits avec les autorités municipales.
Dans le domaine de la surveillance des publications, le lieutenant de police doit faire appliquer un nombre important d'actes réglementaires, souvent contradictoires. Les décisions à prendre concernant la vente et la publication des livres français sont partagées entre le lieutenant général de police, le Garde des Sceaux, le Conseil d'État et le Parlement. Le lieutenant général de police peut désigner certains commissaires enquêteurs pour visiter les imprimeries de la ville et pour y dresser procès-verbal des presses, caractères et autres ustensiles qui s'y trouveraient rassemblés. Lorsqu'il s'agit de livres importés de l'étranger, le contrôle en incombe au lieutenant général de police, à la douane et à la Chambre syndicale. Depuis 1741 les marchandises de librairie venant de Rouen vers Paris doivent être uniquement acheminées par eau, et un inspecteur de la librairie est nommé le 28 mai 1742 au port Saint-Nicolas pour veiller à l'application de cette mesure. Le 23 juin, Feydeau de Marville rend un jugement contre deux voituriers par eau accusés de n'avoir pas mentionné dans l'inventaire de leur chargement le nom de « ceux qui envoyent de la librairie à Paris ». Les ouvrages sont le plus souvent confisqués et par quatre fois condamnés à être lacérés et brûlés. Parfois, le lieutenant de police prononce l'interdiction d'exercer le métier de libraire. Dix-huit imprimeurs et colporteurs séjournent à la Bastille de 1740 à 1747, certains sur plainte de Voltaire. Feydeau de Marville pourchasse vigoureusement les ouvrages jansénistes et les libelles satiriques. Il fait aussi embastiller l'imprimeur Didot « qui continue à vendre au préjudice des défenses qui lui avaient été faites le cinquième volume des œuvres de Voltaire rempli de libelles diffamatoires contre les ministres... »
Son activité n'est pas moindre lorsqu'il s'agit de surveiller l'Université, toujours prête à faire appel au Parlement contre l'autorité royale représentée par le lieutenant de police, ou d'intervenir dans les affaires jansénistes.
Quant aux comédiens, ils donnent bien du souci aux autorités : « Les comédiens françois se moquent du public, écrit le lieutenant de police au marquis d'Argenson. Nous n'avons point actuellement de comédie italienne ; avant hier ils avoient affiché et n'ont point joué, hier ils en font autant. Ne croiriès-vous pas que il seroit le cas où je devrois les mander ? Au reste, à quoy serviront mes représentations ? »
A travers la vie et la correspondance de Feydeau de Marville, c'est donc tout un aspect de la vie de Paris au XVIIIe siècle qui nous apparaît, et sa lecture apportera aux chercheurs une étude institutionnelle précise et bien écrite, ainsi qu'un ensemble de documents sur l'activité d'un lieutenant de police.