Les bibliothèques publiques suédoises. Colloque du centre culturel suédois mars 1975

Les 17 et 18 mars 1975 s'est tenu au Centre culturel suédois, 11 rue Payenne à Paris, un colloque sur « La Bibliothèque, service public » placé sous la présidence d'honneur de M. Jean-Pierre Soisson, secrétaire d'État aux universités. Ces deux journées étaient destinées à permettre aux bibliothécaires français et suédois ainsi qu'aux administrateurs, architectes et personnels concernés de rendre compte de la situation actuelle des bibliothèques publiques en France et en Suède et de présenter le rôle qu'elles sont appelées à jouer dans l'avenir et les moyens dont elles devraient disposer pour y parvenir. Le 17 mars, la séance dont le thème était « La bibliothèque centre d'information et de formation » fut ouverte par M. Gueth, président de la section des bibliothèques publiques de l'Association des bibliothécaires français, conservateur de la Bibliothèque municipale de Colmar. Mlle Garrigoux, conservateur en chef à la Direction des bibliothèques et de la lecture publique dressa un tableau d'ensemble des bibliothèques publiques en France, M. Rune Arnling, bibliothécaire en chef de la Région de Kalmar présenta les bibliothèques suédoises et M. Seguin, conservateur en chef de la Bibliothèque publique d'information traita du rôle de la bibliothèque comme centre d'information et de formation. Le 18 mars la séance, placée sous la présidence de Mme Gascuel vice-présidente de l'Association des bibliothécaires français, conservateur de la Bibliothèque publique de Massy, porta sur la bibliothèque centre d'animation et de création avec exposés introductifs de Mlle Lecacheux, conservateur de la Bibliothèque municipale de Caen et Mlle Wingborg, bibliothécaire en chef de la région de Växjö.

« Les équipements, besoins et priorités » thème traité au cours de la séance de l'après-midi placée sous la présidence de M. Guy Baudin, vice-président de l'Intamel ("Inter-national Association of Metropolitan City Libraries") et conservateur en chef des bibliothèques de la ville de Paris, fut illustré par les exposés de Mlle Morin, conservateur en chef de la Bibliothèque municipale de Toulouse et de M. Sigurd Möhlenbrock, bibliothécaire en chef de la ville de Göteborg. Chacune de ces séances fut suivie de débats qui permirent de fructueux échanges de vue. Pour illustrer le thème développé une exposition dont le sujet était « La Bibliothèque publique aujourd'hui et demain, comment construire les bibliothèques en 1980 » fut présentée aux participants et ouverte au public dans les locaux du centre culturel jusqu'au 4 avril 1975. Elle comprenait six panneaux d'exposition et un jeu de construction composé d'éléments de mobilier en bois (rayonnages, tables, chaises) et de cloisons en plastique transparent permettant de construire la bibliothèque de son choix selon les normes requises. Une exposition présentant les services offerts au public par des bibliothèques françaises édifiées ces dernières années accompagnait la présentation suédoise. Nous reprenons ci-dessous certains points des comnaunications présentées par les responsables suédois au cours de ces journées sur l'histoire et le développement des bibliothèques suédoises.

Les bibliothèques suédoises peuvent être classées en quatre groupes principaux : les bibliothèques scientifiques ou de recherche, les bibliothèques d'entreprises, les bibliothèques scolaires et les bibliothèques dites populaires. Ces dernières apparaissent aux environs de 1800. Vers 1835 furent créées des bibliothèques communales et la loi de 1842 qui institua l'école communale obligatoire comportait également des directives relatives à la création des bibliothèques communales. Ainsi, bien qu'il n'existât pas de subventions de l'État à proprement parler, un grand nombre de nouvelles bibliothèques populaires virent-elles rapidement le jour et vers 1860 on en comptait environ 1500. On assista ensuite à un déclin dû au fait que les collections des bibliothèques ne se renouvelaient pas à un rythme suffisant et que les ouvrages de caractère pratique ou à buts moralisateurs et religieux y avaient une place trop importante. Par ailleurs un mouvement migratoire se produisit des campagnes vers les villes où l'on assista à un développement des organismes d'éducation populaire suscités par l'accroissement de la population urbaine et par la transformation de la vie sociale. Pour permettre l'accès aux livres nécessaires aux études et pour satisfaire les besoins de lecture, les organismes d'éducation populaire furent naturellement amenés à créer des bibliothèques dont le nombre atteignit jusqu'à 5000.

En 1905 le parlement décida pour la première fois d'attribuer à chaque bibliothèque populaire une subvention annuelle de 75 couronnes. En 1912 la réglementation augmenta le montant de la subvention et en étendit le bénéfice aux bibliothèques des cercles d'études et des écoles.

En 1930 une nouvelle réglementation augmenta les subventions et créa des bibliothèques départementales. Relevant du contrôle de l'État, celles-ci sont chargées de développer et d'aider les petites bibliothèques de leur ressort géographique; elles contribuent à l'adoption des méthodes modernes de gestion tel que l'accès direct aux rayons et jouent un rôle important dans le système des prêts intercommunaux de livres.

En dépit d'une limitation des ressources consécutives à la seconde guerre mondiale et à la crise qui la précéda, les bibliothèques connurent un développement régulier. Pour leur permettre d'améliorer les services qu'elles rendaient à la collectivité, les communes commencèrent vers 1950 la construction d'un grand nombre de bibliothèques dans les villes. Cet effort fut accéléré par la réforme communale de 1952 qui ramena le nombre des communes de 2 500 à 1 000 environ et permit la création d'unités plus importantes et plus efficaces. Parallèlement les bibliothèques des centres d'études furent progressivement absorbées par les bibliothèques municipales dont elles deviennent en partie des succursales.

L'importance accrue des bibliothèques dans les dépenses communales provoqua la réalisation de 1958 à 1960 d'une étude de rationalisation publiée sous le titre « Organisation et méthodes de travail dans les bibliothèques communales », étude qui eut un rôle important dans la détermination des effectifs du personnel et les méthodes de travail au cours des années 60. Mais l'expansion des bibliothèques populaires et la multiplication de leurs activités culturelles modifia rapidement le schéma de fonctionnement tel qu'il avait été défini en 1960. Aussi le parlement décida-t-il en 1965, pour tenir compte de cette évolution, de supprimer les subventions de fonctionnement de l'État aux bibliothèques populaires et de les remplacer par une subvention de développement. Celle-ci visait à concentrer les efforts sur un certain nombre de bibliothèques qui serviraient de modèles pour d'autres communes.

A la suite d'une nouvelle réforme communale en 1974 qui ramena le nombre des communes à 278, on opéra à nouveau des fusions de bibliothèques en de plus grandes unités disposant de davantage de ressources pour des activités plus diversifiées. Chaque commune a désormais une bibliothèque municipale principale. Pour une meilleure desserte des populations, les succursales ont été multipliées dans les banlieues des villes et on peut à l'heure actuelle compter environ 1 200 locaux de bibliothèques auxquels s'ajoutent 75 bibliobus communaux qui étendent leurs services à quelque 85 communes et dont l'action est particulièrement importante dans les vastes régions à faible densité démographique.

En 1973 les prêts de ces bibliothèques ont porté sur quelque 66 millions de volumes (soit 8,1 volumes par habitant et un rythme d'accroissement des prêts annuel de 7 à 10 %). Il existe à Stockholm, Malmô et Umea des « centrales de prêt » qui grâce à des subventions de l'état représentent l'instance supérieure du système de prêt interurbain, procurant et distribuant les ouvrages que les 24 bibliothèques départementales ne sont pas en mesure de fournir et coopérant avec les bibliothèques universitaires. On notera que les bibliothèques scolaires sont séparées au point de vue de leur organisation des bibliothèques populaires mais qu'elles travaillent en étroite relation avec elles.

En 1973 les collectivités locales ont accordé des subventions d'un montant de 328 374 355 couronnes aux bibliothèques populaires et l'État 7 774 000 couronnes soit au total 336 148 355 couronnes ou 41,35 couronnes par an et par habitant 1.

Depuis 1912 la gestion des bibliothèques est assurée par un service initialement rattaché au Ministère de l'Éducation et du culte puis, plus tard, à la Direction de l'enseignement. Ce service fut d'abord chargé de veiller à ce que les bibliothèques remplissent les conditions requises pour recevoir des subventions. Au début des années 1920 il se vit également confier la formation des bibliothécaires et l' « École de bibliothécaires de la Direction de l'enseignement », assura ce rôle jusqu'à la création en 1972 de l' « École supérieure de bibliothécaires » à Borås, non loin de Göteborg.

La réforme du régime des subventions en 1965 fit de ce service un organisme essentiellement consultatif. En 1974 le parlement décida de créer le Conseil culturel de l'État, dont la compétence couvre tout le secteur culturel et au sein duquel existe une commission pour la littérature et les bibliothèques qui remplace la Section des bibliothèques de la Direction de l'enseignement. Du Conseil culturel de l'État relèvent non seulement toutes les questions afférentes aux bibliothèques, mais également celles touchant à l'aide accordée par l'État aux revues et à partir du printemps 1975 au secteur littéraire. C'est dire que les bibliothèques se trouvent désormais étroitement liées à toutes les décisions qui peuvent être prises en matière culturelle.

Les objectifs des bibliothèques sont bien sûr d'atteindre, éventuellement en recourant à la publicité, les groupes socio-culturels qui ne connaissent pas encore le chemin de la bibliothèque. Dans ce but ont été intensifiées toutes les actions qui permettent d'assurer une présence des bibliothèques sous les formes les plus diverses. Ainsi existe-t-il des bibliothèques dans les hôpitaux qui sont soit des établissements autonomes, soit des filiales de la bibliothèque communale locale. Les bibliothèques communales desservent les prisons et les bibliothécaires oeuvrent à la réinsertion sociale des détenus. Les maisons de retraite sont visitées et des activités d'animation y sont parfois réalisées. Les personnes âgées ou handicapées bénéficient d'un service à domicile. Les aveugles ont accès aux livres et aux journaux enregistrés sur bandes magnétiques par les soins des bibliothèques départementales. Les handicapés et les retardés mentaux disposent de collections spécialement adaptées pour eux quant à leur présentation et à leur contenu. La présence du livre est assurée sur les lieux de travail, dans les grandes villes et dans les communes où les industries sont particulièrement développées et où, soit la situation géographique des usines, soit les horaires de travail ne permettent pas une fréquentation satisfaisante de la bibliothèque communale. La méthode est en pareil cas de placer les livres de bibliothèque dans des endroits judicieux, dans les cantines en particulier et d'y instaurer un service de prêt très simple. On constitue aussi des collections de livres d'art, de partitions musicales et on s'efforce de réunir des fonds d'ouvrages destinés aux immigrés là où ils sont en nombre. Pour répondre aux besoins de formation des individus et des groupes, la bibliothèque réunit le maximum de documents quel qu'en soit le support : livre, disque, bande magnétique, diapositive. Certaines bibliothèques prêtent même des magnétophones.

Les bibliothèques veillent à être représentées dans les conseils locaux de formation des adultes et souhaitent d'une façon générale que les centres communaux d'information sur la formation des adultes soient installés dans leurs locaux. Quelques-unes ont spécialisé des membres de leur personnel pour ces problèmes. Des études faites sur les méthodes de travail des bibliothèques ont montré une forte augmentation au cours des années des tâches d'information et de renseignement qui représentent actuellement jusqu'à 23 % du temps de travail global du personnel des bibliothèques étudiées. Il convient de dire que la création d'unités administratives de plus en plus importantes au cours des 25 dernières années avait rendu nécessaire les services de renseignements que les bibliothèques étaient particulièrement qualifiées à créer puisqu'elles disposent non seulement des comptes rendus des séances du conseil municipal mais des rapports publiés par les différentes commissions et qu'elles peuvent organiser des expositions sur les projets d'aménagements urbains par exemple et offrir ainsi une ample information aux habitants de la commune.

Depuis la seconde guerre mondiale les activités des bibliothèques ont été de la sorte en se multipliant : soirées littéraires animées par des écrivains, projections de films suivies de débat, expositions, concerts, représentations théâtrales, conférences, débats publics. Peu à peu ces manifestations sont apparues comme faisant partie intégrante de la gestion des bibliothèques qui sont devenues des centres d'animation et de création et collaborent étroitement avec les musées, les associations et les établissements scolaires. Aussi est-il désormais naturel, chaque fois qu'une création de bibliothèque publique est à l'étude, de prévoir des locaux pour l'audition, des salles d'exposition et de réunion. Un public nouveau a fait son apparition dans ces salles prenant ainsi un premier contact avec l'ambiance et le fonctionnement des bibliothèques et s'il n'a pas toujours fait immédiatement augmenter les emprunts de livres, il a permis à la bibliothèque de s'intégrer à la vie culturelle des villes. Cette orientation a été renforcée par la création de commissions culturelles dans les communes (seules quinze communes n'en ont pas encore) qui ont remplacé et intégré les conseils d'administration des bibliothèques et dont les compétences s'étendent à toutes les activités culturelles.

L'exposition présentée à l'occasion de ce colloque visait précisément « à imaginer » à partir du rôle actuel de la bibliothèque ce que celle-ci devrait être dans les années 1980 et les caractéristiques de ses locaux pour répondre à un meilleur service du public, caractéristiques qui peuvent se résumer ainsi :
- vastes espaces aménagés pour le stockage, la consultation des livres et des périodiques et la documentation de la collectivité;
- augmentation des surfaces réservées aux sections enfantines;
- accroissement des services intérieurs nécessaire pour répondre à la diversification des tâches;
- installation de salles permettant l'utilisation des différents moyens audio-visuels ;
- aménagement de locaux d'accueil des diverses activités de la communauté;
- souplesse d'adaptation des locaux aux différentes tâches qui peuvent être confiées à la bibliothèque.