L'automatisation de la partie officielle de la bibliographie de la France

Suzanne Honoré

Depuis le Ier janvier 1975, la partie officielle de la Bibliographie de la France fait l'objet d'une publication indépendante réalisée à partir d'une bande hebdomadaire d'enregistrements bibliographiques produite par ordinateur. Les suppléments de la partie officielle, dont la structure et l'appellation ont été modifiées, seront également progressivement automatisés.

L'année 1975 apporte à la Bibliographie de la France / Biblio de grands changements. Certes, tous les bibliothécaires auront remarqué, non sans appréhension pour leur budget, l'augmentation considérable du prix de l'abonnement. Ils auront noté, avec regret, que la partie officielle était désormais séparée, avec un prix d'abonnement distinct s'ajoutant au premier. Ces innovations ne sont pas le fait de la Bibliothèque nationale. Les prix du papier, de l'impression, de l'expédition ont monté en flèche; le Cercle de la librairie, dans l'obligation de procéder à des économies rigoureuses, s'est avisé que la partie officielle - les notices rédigées par la Bibliothèque nationale d'après les exemplaires reçus en dépôt légal - n'était pas également nécessaire à tous ses abonnés, qui sont en majorité des libraires, et qui ont rarement des recherches bibliographiques approfondies à mener. Aussi les dirigeants du Cercle ont-ils estimé qu'en faisant de la première partie de la Bibliographie de la France / Biblio une édition à part, ils économiseraient du papier.

Cette décision a été prise beaucoup trop tardivement pour que la Bibliothèque nationale puisse envisager une autre formule. Au surplus, nous tenons beaucoup à nos liens étroits avec les éditeurs. C'est en 1857 que le Cercle de la librairie, alors âgé de 10 ans à peine, a pris en main la publication du Journal général de l'imprimerie et de la librairie, dont la première partie portait seule le titre de Bibliographie de la France; et c'est Napoléon, par le décret d'Amsterdam de 18II, qui, en créant notre bibliographie nationale, lui a donné d'emblée sa formule originale, réunissant dans un même organe de presse les notices bibliographiques officielles et le « Feuilleton d'information professionnelle comprenant les annonces des éditeurs 1. Les deux parties sont complémentaires, même si les éditeurs et les libraires ne sont pas toujours assez conscients du supplément d'information que leur apporte la partie officielle : si l'on compare le nombre annuel des nouveautés recensées par le Syndicat national de l'édition et le nombre de notices parues dans la partie officielle, on s'aperçoit que le quart des livres français échappe aux statistiques du Syndicat national de l'édition 2. Quelle serait l'image de la production française si elle était réduite aux annonces payées par les seuls éditeurs décidés à faire de la publicité?

Mais ce changement de prix et de présentation, bien que le plus apparent, ne constitue pas la grande nouveauté de l'année 1975. Cette nouveauté, c'est l'automatisation de la série hebdomadaire « Livres ». A l'étude depuis la fin de l'année 1967, l'automatisation de la bibliographie officielle avait été décidée comme la première opération à entreprendre après l'automatisation de l'IPPEC (Inventaire permanent des périodiques étrangers en cours) qui l'a précédée. Le choix des moyens a donné lieu à des essais avec des organismes extérieurs, jusqu'au moment où la création du Bureau pour l'automatisation des bibliothèques (BAB) a donné à l'opération les assises et le personnel informaticien nécessaires. La Bibliothèque nationale a été dotée de son propre matériel d'enregistrement des données, un MITRA 15 de la Compagnie internationale pour l'informatique, et de terminaux. Les enregistrements une fois contrôlés et validés sont ensuite transmis par ligne téléphonique directe à l'IRIS 50 qui fonctionne à Grenoble. On n'a pas voulu se contenter d'un enregistrement sur bande : comme pour l'IPPEC, on a voulu passer immédiatement à la photocomposition programmée. Les études menées avec Alphanumeric ont été concluantes. Si la réalisation s'est trouvée quelque peu retardée par rapport à la date du Ier janvier 1974 qu'annonçait Mme Motais de Narbonne dans ce Bulletin 3, c'est essentiellement en raison des problèmes posés par le matériel. C'est aussi qu'il a fallu de nombreux programmes et mises au point, parce qu'en même temps les règles internationales de catalogage se précisaient, et que le format d'enregistrement INTERMARC, primitivement destiné aux pays francophones d'Europe et maintenant élargi à d'autres pays, prenait la place du format MONOCLE II dû à Marc Chauveinc.

Maintenant, le but est atteint, du moins pour la partie hebdomadaire « Livres ». A partir du premier numéro de janvier 1975, l'impression est faite par Berger Levrault à partir du film photocomposé qui lui est fourni; encore s'agit-il d'une étape transitoire, puisque bientôt l'imprimeur choisi par le Cercle de la librairie traitera directement la bande d'enregistrement. La présentation des notices n'a pas changé, là typographie est aussi proche que possible de l'ancienne, la richesse de corps et de caractères a été conservée. Toutefois, dans les premiers numéros quelques imperfections se glisseront encore, notamment pour les notices en langues étrangères demandant des caractères spéciaux et des signes diacritiques; ce sont là des défauts qui disparaîtront peu à peu.

L'amélioration la plus apparente concerne les index, qui sont bien évidemment établis par la machine - gain de temps considérable pour un travail parfaitement fastidieux. L'index Auteurs donne désormais tous les auteurs, principaux et secondaires (éditeurs, préfaciers, illustrateurs, etc), avec leurs prénoms. L'index Titres, qui auparavant ne portait que sur les titres d'anonymes, comporte maintenant tous les titres, que la notice ait ou non une vedette d'auteur. Il n'y a pas encore d'index analytique de matières; sa conception est à l'étude et nous pensons pouvoir le réaliser dès l'année prochaine.

Les suppléments continuent à être imprimés en typographie traditionnelle. Leur automatisation suppose d'abord l'étude d'un format d'enregistrement pour chaque type de document : le format INTERMARC pour les publications en série, fondé sur l'ISBD(S) (International Standard Bibliographic Description for Serials), est actuellement à l'étude. Ce sera aussi une question de moyens : outre les programmes spéciaux que l'équipe d'informaticiens peut être amenée à écrire après des analyses poussées, il faut prévoir dans chaque service produisant un supplément des terminaux d'enregistrement et de contrôle, qui posent des problèmes de locaux et de personnel. Il faut ensuite que la machine puisse absorber ce surcroît d'informations. L'automatisation des suppléments se fera par étapes selon un ordre à déterminer.

On a profité toutefois du changement de formule, d'une part pour rebaptiser les suppléments, d'autre part pour leur donner une périodicité régulière. L'ancien « supplément B, Estampes » n'a pas paru depuis 1968. Le « supplément D, Thèses », a été supprimé en 1972. Nous avons donc conservé les quatre suppléments restants en les numérotant. Le « supplément I, Publications en série », paraîtra tous les mois; signalons que dès cette année la forme des notices va changer : elles seront rédigées selon l'ISBD(S); le supplément comportera des index récapitulatifs annuels. des titres et des collectivités.

Le « supplément II, Publications officielles », paraîtra six fois par an et comportera, comme d'habitude, un index récapitulatif annuel. Le « supplément III, Musique », aura 4 numéros par an, et le « supplément IV, Cartes et Plans )), en aura deux. L'ensemble des suppléments donnera donc un numéro tous les quinze jours. La mise en place de la nouvelle formule demandera quelque temps, mais une grande régularité de publication devrait être atteinte dans quelques semaines. Signalons que le « supplément III, Musique » donnera désormais les notices bibliographiques selon les nouvelles règles à l'étude au sein de l'Association internationale des bibliothèques musicales (AIBM), règles adaptées de l'ISBD(M) (International Standard Bibliographic Description for Monographic Publications).

La partie « Livres » conservera un index trimestriel récapitulatif. Aucune décision n'est encore prise quant à la publication des tables annuelles; mais il est évident que la confection de ces tables, qui demandait jusqu'ici des mois de travail, représentera pour l'ordinateur un travail de quelques jours.

Sur le plan du personnel chargé de la rédaction des notices bibliographiques, comment se traduit l'automatisation ? Le livre, à son entrée au Dépôt légal, est l'objet d'un premier enregistrement qui permettra plusieurs opérations : la tenue du registre de dépôt légal, la vérification du numéro ISBN, la tenue à jour du fichier des éditeurs, et, dans un second temps, le contrôle du dépôt des éditeurs par celui des imprimeurs.

Pour le catalogage, les rédacteurs des notices, au lieu d'écrire sur une fiche de papier, remplissent un bordereau où chaque élément de la notice est codé sous une étiquette suivant le format INTERMARC. Cette notice, après vérification, est enregistrée par une dactylo. Un listing des enregistrements de la journée (notices nouvelles ou corrigées) est édité chaque soir. Il donne le texte complet des notices, plus un certain nombre de messages correspondant aux erreurs détectées par un programme de contrôle. Ce listing est vérifié par un conservateur ; les corrections demandées sont ensuite enregistrées et le circuit vérification-enregistrement se poursuit jusqu'à ce que la notice puisse être déclarée valide. Elle entre alors définitivement en mémoire et paraîtra dans un des numéros de la bibliographie officielle.

L'adaptation des catalogueurs à la rédaction des bordereaux ne paraît pas avoir posé de gros problèmes : un bon catalogueur ne trouve là rien d'insurmontable, et même la codification prévue le met en garde contre des oublis éventuels.

L'automatisation de la bibliographie officielle était essentielle, car c'est elle qui doit servir de base à une série d'opérations subséquentes.

Tout d'abord, la France aura maintenant une bande hebdomadaire d'enregistrements bibliographiques qu'elle pourra échanger contre celles des autres centres bibliographiques nationaux. Quand nous pourrons recevoir en échange de notre bande celles de la British National Bibliography et de la Deutsche Bibliographie par exemple, nous pourrons étudier les moyens de tirer de ces enregistrements étrangers des notices à l'usage de toutes les bibliothèques françaises qui achèteront des ouvrages anglais et allemands. C'est le principe de base du Contrôle bibliographique universel (C.B.U.) : chaque publication cataloguée une fois pour toutes dans son pays d'origine est mise à la disposition de tous les autres pays. La bande française existe désormais. Les bandes étrangères suivent déjà ou suivront bientôt, en dépit de la diversité des langues et des codes de catalogage, les normes internationales; leur adaptation à l'usage français ne devrait donc pas poser d'obstacles insurmontables, mais simplement demander des adaptations, et notamment un contrôle très strict des vedettes (auteurs, collectivités-auteurs et anonymes). La France est prête désormais à prendre sa place dans le réseau international d'échanges bibliographiques qu'implique le C.B.U.

De plus, la distribution des fiches des ouvrages français aux bibliothèques intéressées va pouvoir commencer sur la base des enregistrements de la Bibliographie de la France. Conçue par le B.A.B. sur un mode expérimental en 1975, la distribution pourrait être effective dès l'an prochain. Elle ne rendra pleinement service que si les notices sont disponibles à court délai après la mise en vente des ouvrages. Aussi, sans attendre d'avoir résorbé le retard actuel, la Bibliographie officielle annoncera-t-elle en priorité les ouvrages remis au dépôt légal à partir du Ier janvier 1975.

Enfin, ces enregistrements, tant français qu'étrangers, doivent permettre, grâce à la participation des bibliothèques, notamment universitaires et de recherche, l'élaboration de catalogues collectifs nationaux ou régionaux, selon un plan à l'étude.

Une étape importante est donc franchie. Je voudrais remercier, en terminant, toutes les équipes qui n'ont pas ménagé leurs efforts pour aboutir à la réalisation de l'automatisation de la Bibliographie de la France, partie officielle : à la Bibliothèque nationale, l'équipe du Dépôt légal, animée par Mlle Brigitte Picheral, qui a donné sans compter son temps et sa peine; l'équipe du Service français, conduite par M. Joël Poncet, dont la double compétence d'analyste et de catalogueur, jointe à une capacité de travail peu commune, a permis la réussite du projet; au B.A.B. enfin, l'équipe d'informaticiens et de programmeurs, tant à Paris qu'à Grenoble, qui a manifesté une grande compréhension de nos besoins, et je veux notamment remercier ici Mme Guelton.

  1. (retour)↑  Voir l'étude de Mlle de Buzareingues dans « Bibliographie de la France », numéro du cent-cinquantenaire, sept. 196I, p. VIII-XXXVI.
  2. (retour)↑  En 1972 le Syndicat national de l'édition recense 9 982 nouveautés et 1 632 nouvelles éditions, donc 11 614 titres, soit 75 % du nombre des notices de la partie officielle, qui compte 15 290 notices, non comprises les publications officielles.
    En 1973 le Syndicat national de l'édition recense 10 092 nouveautés et 1 369 nouvelles éditions, soit 81,5 % du nombre des notices de la partie officielle (14 070). Mais il faut noter qu'en 1973, en raison du changement des règles de catalogage, la partie officielle a publié moins de notices; les chiffres de 1974 seront très supérieurs. La même année 1973, les annonces ont recensé 10 350 titres.
  3. (retour)↑  Motais de Narbonne (Anne-Marie). - Le Bureau pour l'automatisation des bibliothèques. Bilan pour 1971-1972, in « Bull. Bibl. France », 18e année, n° 2, févr. 1973, p·55·