Association française pour la lecture. Quatrièmes journées d'études

Les 20 et 21 octobre 1973 se sont tenues dans les locaux de l'Institut National de Recherche et de Documentation Pédagogiques les quatrième journées d'études de l'Association française pour la lecture 1 (A.F.L.), affiliée à l' « International Reading Association » sur le thème « Lecture et non-lecteurs ».

Au cours de la première journée, Mme Mémin rendit compte d'une enquête qu'elle fit auprès de 986 adultes, parents d'enfants non lecteurs, dans la région parisienne. Il a été noté, entre autres conclusions intéressantes fournies par cette enquête, qu'il ne semble pas y avoir de rapport direct entre le milieu familial et le milieu d'enfants non lecteurs, que le journal ou la revue est lue plus volontiers que le livre, que le roman recule devant la littérature para-informationnelle (reportages, histoire vécue, récits journalistiques, mémoires, biographies et confidences politiques, etc...).

Mme Girolami-Boulinier, présidente de l'A.F.L., invita ensuite l'assistance à visiter l'exposition de livres qui avait été préparée et à participer selon ses centres d'intérêt aux travaux de l'une des trois commissions prévues.

La première, animée par M. Jean Fabre, directeur des Éditions de l'École et de l'École des loisirs, étudia le problème suivant : « le livre doit-il être changé pour atteindre le public auquel il est destiné ? » Il fut surtout question du livre pour enfants et il apparut que, malgré les progrès accomplis ces dernières années dans la qualité des textes et la présentation, il restait encore à faire pour qu'un livre soit bien adapté à l'âge auquel il est destiné (intérêt du sujet, vocabulaire accessible). Les conditions du marché ne facilitent pas la tâche de l'édition de qualité : le livre d'enfants est bien souvent acheté par les parents qui, attachés à leurs souvenirs d'enfance, redoutent les nouveautés et désirent qu'un livre soit avant tout éducatif et rentable. Les circuits de distribution et les impératifs commerciaux ne vont pas toujours non plus dans le sens de la qualité, c'est pourquoi le rôle des bibliothèques est important car il fait connaître à l'enfant (et à ses parents) des ouvrages qu'ils ne pourraient pas toujours trouver dans le commerce.

La deuxième commission, animée par le professeur Robert Escarpit, réfléchissait sur le thème « y a-t-il de bonnes et de mauvaises lectures ? » Il n'est pas facile de répondre à une telle question car nous ignorons l'impact qu'une lecture peut avoir sur l'individu. Bien souvent le message de l'auteur est reçu différemment par le lecteur : à Tunis, les lecteurs de L'Assomoir furent sensibles, non au thème de l'alcoolisme qui ne les touchaient guère mais à celui de la condition de la femme, ce que Zola n'avait certainement pas prévu. Les critères d'un « bon livre » furent recherchés sur les plans esthétique (qualité formelle), éthique (valeur morale), scientifique (de la connaissance qu'il apporte), hédonique (du plaisir qu'il procure). Il semble, en conclusion, que le mauvais livre n'existe pas sauf lorsqu'il est porteur d'idéologie dégradante (racisme, par exemple).

C'est au thème « les non-lecteurs et les bibliothèques » que fut consacrée la troisième commission, animée par M. André Thill, conservateur à la Direction des bibliothèques et de la lecture publique, Service de la lecture publique. Les participants s'interrogèrent notamment sur la façon d'attirer et de retenir les lecteurs. Il est apparu qu'il y avait moins de non-lecteurs que de lecteurs potentiels qui liraient si le livre était mis à leur disposition facilement. Un réseau dense de bibliothèques bien implantées, agréables, disposant d'un choix étendu d'ouvrages, limitant au minimum les formalités du prêt, ouvertes aux heures de loisirs, permet déjà de satisfaire une grande part des besoins de lecture. L'affluence du public dans les équipements qui répondent à ces conditions en témoigne. Mais pour ceux qui ne fréquentent pas habituellement le livre, qui sont intimidés par la bibliothèque, le livre doit sortir du bâtiment et aller à eux. Le bibliobus est alors le moyen privilégié. (Cf. aux États-Unis, les expériences dans les quartiers noirs et porto-ricains des grandes villes 2). Dans tous les cas, le bibliothécaire doit être un animateur, il doit proposer mais non imposer ni s'imposer, gagner la confiance de l'interlocuteur, démythifier la lecture en proposant non un livre considéré comme objet culturel vénérable réservé à une élite mais une réponse à une préoccupation.

Le lendemain, les réflexions échangées dans les commissions furent rapportées successivement, sous la présidence respective de M. l'Inspecteur général Auba, directeur du Centre International d'Études Pédagogiques, du professeur Inizan et de M. l'Inspecteur général Poindron, adjoint au Directeur des bibliothèques et de la lecture publique. Questions et discussions animées s'ensuivirent avec les participants à ce colloque sur les thèmes étudiés et particulièrement sur la nécessité d'implanter des bibliothèques modernes auprès de toutes les catégories de public. Ce sont les équipements qui manquent et non les lecteurs. C'est pourquoi l'A.F.L., qui se veut un groupe de pression, a décidé de poursuivre concrètement son action en faveur de la lecture en agissant directement auprès des collectivités responsables.