Nécrologie

Odette Dourver

Jacques Pons

Odette Dourver était née, le 22 janvier 1904, à Saint-Pierre-Quilbignon, petit village de la banlieue de Brest rattaché à la grande cité voisine en 1945, dans une vieille famille de marins brestois. Après d'excellentes études classiques, elle entra à l'École du Louvre et obtint le titre d'ancien élève de cette école en 1934. Elle présenta, en mai 1943, aux heures sombres de l'occupation, un mémoire sur « La Représentation du labeur dans la peinture française depuis les origines jusqu'à la Révolution », qui reçut la mention « Bien ». Elle fut donc, à cette date, diplômée de l'École du Louvre. Mais, déjà, elle avait découvert les bibliothèques, certainement grâce aux amitiés qu'elle avait su établir lors de son séjour en Grande-Bretagne. Elle fut, en effet, durant un an, étudiante au collège d'Hertford-Bridge, à Londres, et c'est en revenant en France qu'elle entra à l'école américaine de formation des bibliothécaires. C'est au passage dans cette école, au contact de professeurs sachant communiquer leurs méthodes, mais encore plus leur foi dans les hommes et dans les livres, que Mlle Dourver faisait remonter sa « vocation » de bibliothécaire et sa confiance inébranlable dans l'avenir de la lecture publique en France. Voulant mettre aussitôt les idées nouvelles en pratique, Mlle Dourver fut engagée comme bibliothécaire stagiaire bénévole, le Ier mars 193I à la Bibliothèque municipale d'Issy-les-Moulineaux, où elle fut nommée bibliothécaire titulaire le Ier janvier 1933. Elle allait rester dans cette bibliothèque jusqu'à l'exode de juin 1940 accomplissant un travail remarquable dans le domaine de la lecture publique, accroissant considérablement par son action, par sa parole, le rayonnement de l'établissement. Elle essayait d'appliquer les idées nouvelles, se faisant le porte-parole de la bibliothèque publique. Aussi, rien d'étonnant à ce que nous retrouvions son nom parmi les membres du « Conseil de l'Association pour le développement de la lecture publique » (1937) où elle figurait avec Mlle Berna, Mlle Oddon, Mlle Verine, Mlle Reville, M. Collon, M. Vendel... etc., c'est-à-dire tous les bibliothécaires désireux, à cette époque-là, de promouvoir la lecture publique et de sortir les bibliothèques municipales de leur léthargie. Elle fut en 1940-194I, employée au Centre national d'information sur les prisonniers de guerre, installé rue des Francs-Bourgeois, à Paris. Mais les bibliothèques lui manquaient trop, aussi, sollicita-t-elle et obtint-elle le poste de bibliothécaire de la ville de Colombes, le Ier avril 194I. Elle devait y rester jusqu'au 16 septembre 1943. Elle devint bibliothécaire adjointe de la Comédie française, du Ier octobre 1943 au 19 février 1945. Au début 1945, elle reprit ses fonctions à Colombes, où elle allait rester 10 ans (1945-1955) en donnant la pleine mesure de ses immenses possibilités. Le travail qu'elle fit dans cette ville est considérable et s'il me fallait faire un choix parmi toutes ses réalisations, je crois bien que je citerais la bibliothèque pour enfants.

Sur sa demande elle fut mutée à la Bibliothèque municipale de Brest, le Ier août 1955. Courageusement, avec rage même, Mlle Dourver se met aussitôt au travail. La vieille bibliothèque, ouverte en 1857, n'existait plus. Alors, dans une baraque, d'abord rue Yves Collet, puis, avenue Foch, la bibliothèque essayait de reconstituer son fonds. Sur 110 ooo volumes existant avant guerre, 10 000 à peine avaient pu être sauvés. Des dons de la Direction des bibliothèques, des acquisitions nouvelles, vinrent peu à peu grossir ce maigre bagage. Les baraques furent aménagées, les lecteurs y vinrent nombreux, et surtout, les travaux de construction de la nouvelle bibliothèque avançaient rapidement (première pierre posée le 21 octobre 1954). Aussi, Mlle Dourver, constamment sur la brèche, s'occupait à la fois de faire vivre « sa » bibliothèque en baraque, de contrôler les travaux de construction du nouveau bâtiment et aussi de penser au déménagement et au réaménagement. Elle « vécut » deux ans dans les baraques de l'avenue Foch; en septembre 1957, elle commença le transfert des collections et, le 8 octobre, elle pouvait enfin ouvrir la nouvelle bibliothèque de la rue Traverse. Mais que de choses restaient encore à faire : aménagement des locaux, reclassement des divers fonds, ouverture de nouvelles sections, de multiples problèmes matériels à résoudre, et tout cela, elle le fit, toujours avec le sourire, avec verve et humour bien souvent, avec fermeté et dureté même parfois et sans se plaindre jamais. De la nouvelle bibliothèque, elle allait faire en 10 ans un grand centre de rayonnement intellectuel. Conférences, expositions, manifestations diverses se succédaient rapidement. Tout Brest retrouvait le chemin de la Bibliothèque. En même temps, grâce aux dommages de guerre, elle augmentait considérablement les collections, si bien que vers 1966, le fonds de la nouvelle bibliothèque avait déjà dépassé celui existant avant la guerre.

Mais Mlle Dourver n'avait pas oublié les leçons de l'école américaine et le développement de la lecture publique urbaine à Brest restera son œuvre essentielle. Rapidement, elle fit des vieilles « bibliothèques populaires » de Saint-Pierre et de Saint-Martin, des annexes correctes, et en 1966, elle eut la joie de créer le premier bibliobus urbain. Ensuite, dès que le projet de création d'une Z.U.P. à Brest fut officiel, elle œuvra pour que ce nouveau quartier soit doté d'une véritable bibliothèque annexe. Et enfin, en 1968, elle obtenait de la municipalité les moyens pour mettre rapidement en service un second bibliobus. Aussi, devant ce rapide développement et cette subite expansion, l'administration municipale demandait-elle à la Direction des bibliothèques et de la lecture publique le classement de sa bibliothèque. Pour arriver à ce résultat, Mlle Dourver, bien que sachant qu'elle ne pourrait en profiter, lutta avec ténacité, déploya des trésors de persuasion, suivit le dossier pas à pas et finalement le résultat arriva : la Bibliothèque municipale de Brest fut classée en février

1968. Ce fut là, je crois, sa dernière joie et la dernière preuve d'amour qu'elle donna à sa ville natale. En effet, atteinte par la limite d'âge, elle prit sa retraite le Ier janvier 1969. De cette retraite, qu'elle attendait avec impatience, Mlle Dourver ne devait pas jouir bien longtemps. Elle avait une foule de projets, une multitude d'idées à réaliser, tout ce que la vie professionnelle l'avait empêchée jusqu'à présent d'accomplir. Mais en novembre 1969 les premières atteintes du mal implacable qui allait l'emporter se firent sentir. Elle fut aussitôt hospitalisée à Brest. Son calvaire dura un an. Cependant, lorsqu'en novembre 1970, elle put assister à l'inauguration de la bibliothèque annexe de Bellevue (cette bibliothèque de la Z.U.P., à la création de laquelle elle contribua tant), tous ses amis la crurent sauvée... Mais, ce n'était qu'un court répit. Hospitalisée à nouveau elle alla en déclinant et s'éteignit le 3 juin 1971. Selon sa volonté, elle repose, au milieu de la terre bretonne, dans le cimetière de Lannildut, petit village blotti au bord de l'océan, et qui était la patrie de ses ancêtres.

Quelques jours après son décès, devant le Conseil municipal, le maire de Brest lui rendait un dernier hommage, en ces termes :

« Mademoiselle Dourver n'est plus.

Avec elle disparaît un des pionniers de la petite équipe qui a permis à Brest, dans tous les domaines, de réparer les ruines laissées par la guerre et de préparer les conditions du développement extraordinaire qu'actuellement la Cité connaît. La bibliothèque de Brest, qu'elle a eu la charge de faire revivre après la libération, dont elle a préparé et suivi la reconstruction, n'est devenue bibliothèque d'État que par le travail acharné qui a été le sien, le dévouement, la foi, la compétence qui la caractérisaient.

Mademoiselle Dourver, au terme d'une maladie sans espoir, est morte comme elle a vécu, en toute lucidité et courage.

A cette ville de Brest, à laquelle elle avait donné, avec le meilleur d'elle-même, son cœur, elle a tenu à faire don de sa bibliothèque personnelle, afin de porter témoignage, au-delà de la mort, de l'amour profond qu'elle ressentait pour la Cité. C'est une peine profonde que ressentent et partagent, avec sa famille et ses amis, tous ceux qui ont connu Mlle Dourver et ont eu le privilège de travailler avec elle. Le nom d'Odette Dourver, qui symbolise la ferveur opiniâtre et le don de soi-même à la collectivité que nous formons, sera donné, si vous en êtes d'accord et après consultation de M. Pons, conservateur de la bibliothèque, soit à une des bibliothèques que nous avons édifiées ou que nous édifierons dans les différents quartiers de la ville, soit à une des salles - je pense à la salle de lecture - de la bibliothèque où elle a vécu et œuvré sans compter. »