Le premier festival international du livre à Nice

Guy Rohou

Le premier festival international du livre s'est tenu à Nice du 31 mai au 9 juin 1969. En prenant l'initiative de cette manifestation, M. Jacques Médecin, Député-Maire, avait souhaité que pour la première fois au monde tous ceux qui ont partie liée avec le livre, de sa conception à sa réalisation et à sa diffusion, puissent se rassembler en un même lieu. Dessein d'autant plus ambitieux que l'on ne pouvait prendre modèle sur aucune manifestation semblable, les autres foires déjà existantes - à l'exception de la première foire du livre de Bruxelles qui s'était tenue en mars 1969 et permettait aux visiteurs d'acheter sur place les livres de leur choix - étant uniquement destinées aux professionnels de l'édition soucieux d'acheter et de vendre des droits, d'envisager des traductions et de préparer des co-éditions.

Une association conforme à la loi du Ier juillet 190I était alors constituée sous la présidence du Député-Maire assisté de deux vice-présidents : Robert Davril, Recteur de l'Académie de Nice et Robert Laffont, éditeur. Quelques responsables désignés par la ville de Nice et par le Syndicat national des éditeurs et assistés d'un secrétariat et des services administratifs de la Foire de Nice devaient mettre sur pied, comme l'indiquaient les statuts « une manifestation culturelle internationale qui aura lieu chaque année à Nice et sera dénommée Festival international du livre ». Primitivement prévu pour 1968, le Festival fut reporté à 1969 et les responsables durent en un peu moins d'un an se répartir une tâche rendue difficile par la méfiance suscitée par l'énormité du projet. La prospection commerciale fut confiée, par contrat, à un organisme parisien de publicité chargé de négocier avec les éditeurs français et les organismes étrangers, la location des stands qui devait assurer, avec une subvention municipale, le financement du Festival.

Après de multiples démarches et de nombreuses séances de travail, un certain nombre de décisions furent prises.

I) Éditeurs et pavillons nationaux seraient rassemblés dans le vaste Palais des expositions, immense hall de 20 mètres de hauteur dont la voûte mesure 95 mètres d'une seule portée. Après avoir dessiné l'implantation qui prévoyait, au-delà de l'accueil, des zones de verdure et de repos, le décorateur devait établir un modèle de stand unique imposé à tous les exposants mais de dimensions variables et qui pourrait être utilisé les années suivantes. Il y eut ainsi 143 stands couvrant environ 5 ooo m2 et abritant, individuellement ou en emplacements collectifs, 776 éditeurs provenant de 22 pays.

2) La vocation culturelle du Festival devait être affirmée par une participation officielle française. M. Étienne Dennery, Directeur des bibliothèques et de la lecture publique, avait considéré avec bienveillance le projet du Festival et accepté d'y faire participer activement ses services.

a) Une exposition de 102 pièces précieuses de la Bibliothèque nationale (manuscrits à peintures, incunables, livres illustrés et reliures) ayant fait l'objet d'un catalogue s'est tenue durant tout le mois de juin à la Galerie des Ponchettes, spécialement aménagée par le service des expositions de la Bibliothèque nationale. Près de 2 500 visiteurs, dont beaucoup furent vivement frappés par l'intérêt et la beauté des pièces exposées, ont visité cette exposition de prestige.

La présentation dans la Galerie de la Marine de livres et d'estampes des Bibliothèques municipales d'Edimbourg et de Nice (ayant fait l'objet de deux catalogues différents) pâlissait un peu de ce fastueux voisinage mais elle reçut cependant la visite de plusieurs centaines de personnes.

b) Sous la direction de Mlle Garrigoux, Conservateur en chef du Service de la lecture publique, la Direction des Bibliothèques concevait un stand qui devait être réalisé dans l'enceinte du Palais des expositions par les décorateurs de la Bibliothèque nationale et les services du Festival. Présentant, grâce à des photographies, des plans, des cartes et des graphiques un panorama aussi complet que possible de la lecture publique en France sous le titre général « Les Bibliothèques de France au service du public », l'ensemble offrait aux visiteurs une documentation fidèle sur la vie de la Bibliothèque nationale, des bibliothèques municipales, universitaires et centrales de prêt. Ce panorama un peu statique était animé par la reconstitution d'une bibliothèque enfantine (où les enfants se pressèrent nombreux et firent fête aux albums mis à leur disposition) et la projection permanente de quatre-vingts diapositives en couleurs. Un bibliobus neuf entièrement garni de livres et spécialement venu de Paris complétait ce stand de 150 m2; à chaque visiteur une hôtesse remettait une brochure faisant le point de la lecture publique en France.

3) Les responsables avaient choisi de donner au premier Festival un sous-titre général : « Le livre aujourd'hui », qui permettrait une confrontation assez vaste pour attirer un public de non spécialistes mais assez précis pour justifier la présence de professionnels de la lecture, de l'édition et de la librairie. Quatre colloques (auxquels s'ajouta une série d'exposés sur « le livre et l'audio-visuel » organisés par un éditeur français) furent ainsi confiés à quatre personnalités. Louis Armand, entouré de François Le Lionnais et de Denis de Rougemont, traita de la place du livre dans l'information de l'homme moderne. Pierre de Boisdeffre, assisté de François Nourissier et de Jean-Louis Curtis, s'interrogea sur le livre et la création, Julien Cain et Jacques Guignard s'entretinrent du livre de bibliophilie et Joffre Dumazedier parla longuement du livre et des loisirs. L'ensemble de ces communications et des interventions subséquentes a été intégralement enregistré et le texte en est actuellement mis au point aux fins d'impression. Le volume sera édité dans quelques mois par le Festival du Livre.

4) Pour le grand public qu'aurait pu lasser la simple visite des stands, il fallait prévoir une animation dépassant la présentation des livres - fussent-ils plusieurs dizaines de milliers - sur des éventaires. Aussi chacune des journées du Festival s'était-elle vu attribuer un thème et un responsable chargé de le mettre en valeur. Cette énumération donnera quelque idée de cette animation :
- 3 juin : Journée de la poésie sous la direction de Luc Bérimont. Des affiches portant des citations extraites de poèmes d'auteurs célèbres avaient été placardées sur les murs de la ville, tandis que le Palais présentait une exposition des principales revues de poésie vivante ainsi que des poèmes calligraphiés et ornementés par les poètes eux-mêmes, d'Aragon à Louise de Vilmorin. Une jam-session « Chansons et poésies » avec Félix Leclerc et Anne Vanderlove était organisée le soir dans un théâtre de Nice.
- 4 juin : Journée de la Nature, du Tourisme et des Sports sous la direction du docteur Fernand Méry. Table ronde sur l'aventure et le sport. Excursions commentées au Musée océanographique et au Jardin exotique de Monaco, démonstrations d'activités nautiques à l'École d'initiation et de perfectionnement aux sports de la mer à Antibes.
- 5 juin : Journée de la Radio, de la Télévision et du Cinéma sous la direction de Roger Vrigny qui présenta en direct du studio du Festival l'émission « Actualité littéraire ». Aux Arènes de Cimiez, présentation du spectacle sur « le Livre vivant ».
- 6 juin : Journée des Arts. Au Palais, exposition de livres et de défets de Matisse. Visite des Musées Picasso à Antibes, Fernand Léger à Biot. A la Fondation Maeght à Saint-Paul de Vence, ouverture au public de l'exposition consacrée aux « Peintres-illustrateurs : le livre illustré moderne depuis Manet », 94 livres de bibliophilie, de Bonnard à Tal-Coat, de Toulouse-Lautrec à Ubac (Catalogue préfacé par Jacques Guignard).
- 7 juin : Journée des Sciences et des Techniques sous la direction de Michel Chodkiewicz. Exposition sur l'océanographie, présentation de revues scientifiques françaises et étrangères, visite commentée de l'Observatoire de Nice.
- 8 juin : Journée double : Littérature et Théâtre sous la direction de Robert Kanters, Histoire et document sous la direction de Henri Amouroux.

Bien avant l'ouverture du Festival cinq jurys avaient commencé de sélectionner les livres auxquels seraient décernés les « Aigles d'Or » de la Ville de Nice. Les dernières réunions permirent l'attribution de ces récompenses aux ouvrages suivants :
Aigle d'Or de la Poésie ............. NORGE, pour le Vin profond (Flammarion).
Aigle Spécial de la Poésie............. KOWALSKI, pour Sommeils (Grasset).
Aigle d'Or du Roman ............... Andrea GIOVENE, pour Autobiographie de San Severino (Denoël).
Aigle d'Or du Document et du Témoignage .......................... Jean-Raymond TouRNoux, pour le mois de mai du Général (Plon).
Aigle d'Or du Meilleur Livre ......... Stèle, de Victor SEGALEN (Bibliophiles de Provence).

La participation officielle étrangère apportait dans le Palais des Expositions une note particulièrement originale, chaque pays, ou groupement de pays, ayant tenu à concevoir et à réaliser (sur 100 ou 200 m2) un pavillon donnant un aperçu aussi complet et aussi singulier que possible de la vie culturelle : Minaret de la Ligue des États Arabes, pavillon en bois de l'Autriche mais aussi représentation très importante de l'Italie, du Portugal, de la Belgique. A titre d'exemple, soulignons la participation exceptionnelle du Québec (Canada et Québec avaient envoyé cinquante personnes à Nice); le stand se présentait sous forme de construction légère : revêtement de vinyle sur une structure d'acier abritant 500 volumes et publications gouvernementales avec 36 écrans (6 sur chacun des 6 murs) qui recevaient une projection permanente de diapositives sur la littérature québecoise tandis que des écouteurs individuels permettaient aux visiteurs d'écouter des enregistrements sur bandes magnétiques de textes représentatifs de la jeune littérature.

Mentionnons enfin trois réalisations qui attirèrent le plus grand nombre de visiteurs curieux ou passionnés :

I) Présentation par l'École nationale des arts décoratifs de Nice des étapes de la fabrication d'une gravure, d'une illustration de livre et de reliures. En permanence, vingt jeunes gens se livraient au dessin, à la gravure, au tirage, à la reliure avec tout le matériel approprié et conversaient avec les visiteurs qui les interrogeaient ou parfois, lorsqu'il s'agissait de professionnels et d'artistes, leur donnaient avis et conseils.

2) Fabrication de papier à la forme par des ouvriers auvergnats du Moulin Richard de Bas qui avaient apporté tout le matériel utilisé depuis le XIVe siècle. Des feuilles blanches ou parsemées de pointes de fougère pouvaient être acquises.

3) Participation importante de l'Office de Radiodiffusion-Télévision française qui avait conçu un stand-studio en forme de livre ouvert, une partie consacrée à la Radio permettant l'écoute de textes écrits ou adaptés par l'Office, l'autre dévolue à la Télévision présentant chaque jour sur plusieurs écrans deux ou trois « dramatiques » intégrales. De nombreuses émissions étaient envoyées en direct sur l'antenne ou enregistrées et il faut préciser à ce propos les chiffres de « couverture » du Festival par les stations de Radio et de Télévision.

Radiodiffusion :
ORTF : 20 émissions sur France-Culture;
Une journée complète sur France-Inter
14 émissions à Nice-Côte d'Azur.
Radio Monte-Carlo : 22 émissions.

Télévision :
ORTF : II émissions sur les Chaînes nationales
15 émissions sur le programme régional.
Télé-Monte-Carlo : 19 émissions.

Participation pour mémoire, des offices allemand, autrichien, canadien et suisse.

On ne peut donner maintenant qu'un aperçu sommaire, sous forme de catalogue, des différentes activités, représentations et manifestations qui eurent lieu à Nice dans le cadre du Festival et le plus souvent organisées à son instigation ou par ses soins :

Projection permanente et gratuite de courts et moyens métrages apparenté au thème de la journée.

Dans une autre salle, projection permanente de grands films français et étrangers adaptés d'œuvres littéraires (Une vie, Falstaff, Barrage contre le Pacifique).

Représentations théâtrales quotidiennes par la troupe niçoise d'art dramatique : « Les Vaguants » (Boris Vian, Ionesco).

Exposition des plus belles photographies sur le thème : « La Photographie et le livre » organisée par Europhot.

A l'Opéra de Nice, Soirée de ballets avec le théâtre français de la Danse de Joseph Lazzini, Concert Ravel avec Vlado Perlemuter et Concert de clôture.

Au Centre universitaire méditerranéen, lectures publiques pour l'ORTF d'œuvres présentées par leur auteur : Jules Roy, avec François Périer. Congrès nternational des écrivains-médecins.

Assemblée générale de l'Association culturelle des librairies de littérature générale.

Les organisateurs du Festival avaient craint que les élections présidentielles ne compromettent la manifestation. En fait, elles retardèrent simplement l'arrivée du public. Le Festival avait été inauguré le 31 mai par M. Jacques Medecin qui accueillait M. Étienne Dennery et lui faisait visiter le Palais avant que l'Administrateur Général ne reçoive les personnalités à la Galerie des Ponchettes où était vernie l'Exposition de la Bibliothèque nationale.

Le Palais devait recevoir la visite de 70 000 personnes dont beaucoup se pressèrent autour des 150 écrivains qui signèrent leur livres. 200 journalistes s'étaient déplacés pour cette première manifestation et l'accueil réservé par la Presse au Festival devait inciter le Député-Maire à annoncer officiellement lors de la remise des Aigles d'Or, que le second Festival aurait lieu au printemps 1970.