La lecture publique urbaine et rurale dans la République fédérale allemande

Dr Hansjörg Süberkrüb

Depuis leur origine au début du XIXe siècle, les bibliothèques de lecture publique ont connu un essor considérable et constituent à l'heure actuelle un réseau serré que soutiennent de puissantes associations professionnelles

Parmi les bibliothèques publiques d'Allemagne fédérale, les établissements relevant des municipalités ont une importance particulière de par leur nombre et de par leur champ d'action. Selon l'évolution historique locale, elles sont dénommées bibliothèques de communes (Gemeindebibliothek, Gemeindebücherei), bibliothèques populaires (Volksbibliothek, Volksbücherei), bibliothèques municipales (Stadtbibliothek, Stadtbücherei) et dans certains cas, à Hambourg par exemple, « Halles aux livres » (Bücherhalle); cependant ces noms transmis par la tradition n'influent en rien sur la nature et la finalité de ces établissements. Les premières remontent au début du XIXe siècle (Grossenhain, 1828) mais la plupart des bibliothèques trouvent leur origine dans le mouvement des cabinets de lecture et des halles aux livres (Bücherhallenbewegung-Lesehallenbewegung) de la fin du siècle dernier. A côté des florissantes bibliothèques d'études, elles trouvèrent leur spécificité et leur raison d'être dans l'éducation populaire. Avec des collections choisies et limitées d'ouvrages essentiellement en langue allemande pour enfants et adultes (séparés pour ceux-ci en œuvres romanesques et en documentaires), elles favorisèrent la diffusion des connaissances auprès de larges couches sociales ainsi que leur éducation; on mentionnera également les bibliothèques circulantes qui desservent les banlieues et les quartiers périphériques des villes, les bibliothèques d'hôpitaux, d'asiles de vieillards, de prisons, de même que les bibliothèques musicales qui concouraient au même but. Pendant soixante ans environ, ces bibliothèques accomplirent un important travail d'organisation malgré certaines coupures : d'une part la controverse sur l'orientation (le Richtungstreit, équivalent à une transformation de la fonction de la bibliothèque populaire) et d'autre part la destruction des bibliothèques et de leurs fonds au moment du national-socialisme et de la Deuxième guerre mondiale.

Après 1945 fut entreprise une reconstruction intensive des bibliothèques, où l'on remarque principalement le passage au libre accès. L'évolution sociale et culturelle de la population s'accentuait rapidement dans le même temps. Il semblait même parfois que dans le feu de la reconstruction les bibliothèques pouvaient perdre leurs liens avec l'évolution culturelle. Quoi qu'il en soit, la transformation des méthodes et des buts de l'enseignement, la différenciation toujours plus grande des modes de vie et de travail, les procédés modernes d'impression provoquaient d'importants changements dans la conception et le travail des bibliothèques communales. Aujourd'hui elles participent à l'éducation permanente et à l'information scientifique, documentaire, professionnelle, importante aussi bien pour la nation que pour son économie, et sa vie culturelle. Elles servent de tremplin à tout le travail intellectuel. Parce qu'elles reçoivent le patrimoine intellectuel, qu'elles en constituent la source et qu'elles doivent s'adapter à la transformation constante des connaissances et à leur progrès, toutes ont besoin d'un certain potentiel intellectuel pour résoudre les problèmes relatifs aux diverses disciplines.

Cette nouvelle orientation supprime les frontières traditionnelles entre bibliothèques d'études et bibliothèques de lecture publique. Désormais l'on fait une différence entre les bibliothèques de recherche et les bibliothèques spécialisées d'une part et les bibliothèques de culture générale d'autre part.

Les bibliothèques de recherche et les bibliothèques spécialisées dans les écoles supérieures, les instituts et les entreprises fournissent les ouvrages nécessaires à la recherche et à l'enseignement au sens étroit du terme. Elles desservent des groupes d'utilisateurs - souvent peu importants. Leurs collections s'organisent autour de centres de gravité. Elles ne sont prévues ni aménagées pour une utilisation large et indifférenciée de leur fonds, même si parfois leur mission les incline à l'universalité.

Les bibliothèques publiques (Bibliothèques de Land, universitaires - dans leur fonction, de culture générale -, bibliothèques municipales, bibliothèques communales, et bibliothèques d'établissements privés) assurent la diffusion d'ouvrages de tout genre auprès de tous les citoyens, qui ont besoin de l'information la plus récente dans leur domaine de connaissance et de travail, mais qui cherchent également à avoir un aperçu et une documentation solide sur les domaines marginaux de leur spécialité professionnelle; il y a là une source de développement professionnel et de culture générale.

Aucune bibliothèque ne peut avec ses propres collections fournir tous les ouvrages dont ont besoin les membres d'une société hétérogène pour réaliser et maintenir une assise solide devant la complexité de la vie moderne aux aspects multiples et mouvants.

Les bibliothèques publiques de culture générale et les bibliothèques de recherche se complètent donc. Le prêt interbibliothèque sur le plan national et sur le plan régional réunit ces deux catégories d'établissements. A ces bibliothèques publiques de culture générale correspond la grande bibliothèque en libre accès qui permet, le plus conformément au but de la bibliothèque, le contact direct de l'utilisateur avec des collections importantes et classifiées (à Duisbourg : 120 000 volumes). Elle propose des collections toujours plus importantes de périodiques et de vastes collections d'ouvrages spécialisés, conservées en magasins. Les procédés techniques modernes (reprographie, microfilm, moyens audio-visuels) augmentent la rentabilité des bibliothèques.

Grâce à une totale exploitation des procédés techniques, les bibliothèques développent une vaste section d'études et une vaste section d'information générale.

Dans la section d'études, les bibliothèques communiquent les livres de leurs propres fonds et les ouvrages empruntés aux collections des autres bibliothèques. Pour donner à l'usager un aperçu de ce qui est disponible, elles élaborent des bibliographies et des listes choisies, spécialisées. Cela permet souvent au lecteur de mieux trouver les ouvrages, même ceux dont il ne connaît pas les titres.

Dans la section d'information, les bibliothèques publiques de culture générale donnent - par écrit, par téléphone ou oralement - les renseignements sur telle ou telle question avec références aux sources correspondantes. Puisque l'information est le point de départ et le fondement de tout dialogue - dans la mesure où en premier lieu chaque auteur informe le lecteur - les bibliothèques considèrent de leur devoir d'offrir aux citoyens les moyens de se faire une opinion devant la multiplicité des opinions d'une société hétérogène. Leur but est en effet de communiquer au demandeur de quoi alimenter sa propre critique et son propre jugement et de lui offrir toute possibilité de jugement personnel.

Pour s'adapter au développement de la littérature et à la différenciation des besoins des utilisateurs, les établissements se sont organisés en un réseau de bibliothèques de lecture publique : cette organisation en système et les relations de prêt déjà mentionnées leur permettent de rendre disponibles les ouvrages nécessaires à chacun, à n'importe quel moment et à n'importe quel endroit. C'est seulement par une union étroite et durable que la section d'études et la section d'information peuvent être maintenues complètes, à jour.

Un plan sur les bibliothèques, esquisse d'un réseau complet de bibliothèques publiques de culture générale, décrit le procédé et le but d'une coopération fonctionnelle. Il a été publié le 10 janvier 1969. Ce plan a été établi en collaboration par les différents directeurs de bibliothèques, les groupes de travail et les associations de bibliothécaires.

Puisque ce plan peut être considéré comme le point de départ de la future loi sur les bibliothèques, réclamée avec insistance, une large adhésion a toutes les chances de donner au futur développement une puissante impulsion générale.

Une telle impulsion est aujourd'hui particulièrement urgente. Les transformations sociales obligent les bibliothèques à en tirer des conséquences pour leur travail. Mais une nouvelle planification est rendue nécessaire. L'essor de la reconstruction n'a pas réussi à attirer les bibliothèques vers des voies nouvelles.

La situation actuelle est significative. Le 3I décembre 1967 on dénombrait 19,7 millions de volumes pour 300 villes d'environ 50 millions d'habitants, c'est-à-dire 69 volumes pour 100 habitants. Ces villes consacraient aux bibliothèques 120,7 millions de DM, dont 17,8 millions pour les acquisitions. La norme vers laquelle on tend actuellement est de un volume par habitant et de 1 DM au moins par an et par habitant pour les acquisitions, la réalité n'y est pas conforme.

De plus la plupart des bibliothèques travaillent dans des locaux insuffisants qui ne permettent pas un service maximum. Les nouveaux bâtiments, par exemple les bibliothèques d'Heidelberg, de Stuttgart, de Duisbourg ou de Wolfsbourg peuvent servir de modèles, mais ne constituent pas la règle générale. 4 300 employés, dont 1 850 bibliothécaires diplômés, ne suffisent pas à toutes les tâches actuelles. Un développement planifié des établissements est donc nécessaire dans les villes. En milieu rural une organisation totalement nouvelle est indispensable. Les bibliothèques rurales sont subventionnées, dirigées, organisées par des services relevant de l'Etat (32 actuellement). Ils sont réunis en un conseil spécialisé (Fachkonferenz der Staatlichen Büchereistellen). L'état, c'est-à-dire les Länder, non compris les Länder de Hambourg, Brème et Berlin, ont consacré en 1967, 16,383 millions de DM; s'y ajoutent les subventions des municipalités. Mais les collections des bibliothèques rurales sont trop petites et le fait que l'administration de la plupart d'entre elles soit confiée à des employés bénévoles les empêche de fonctionner à plein temps. Tout doit être ici complètement réorganisé. Il faut créer des bibliothèques, qui, dirigées avec compétence, seront ouvertes chaque jour et offriront un premier fonds de livres suffisamment important (environ 10 000 volumes); pour procurer les ouvrages d'importancesecondaire, elles feront partie d'un vaste réseau. Puisque dans les Länder l'administration est réformée, qu'apparaissent de grandes communes viables, que l'enseignement est réorganisé, il se crée des centres qui, dans l'avenir, pourront subvenir à la viabilité des bibliothèques.

Des bibliobus assureront la desserte de zones étendues, peu peuplées. Le plan sur les bibliothèques ouvre la voie à cette évolution. Il devra avant tout fixer les directives grâce auxquelles la bibliothèque pourra être en liaison avec tous les établissements, accomplir sa mission : procurer à toute la population tous les ouvrages nécessaires. En même temps l'évolution doit laisser leur part à toutes les solutions régionales, et justifiées là où l'exigent la structure politique, fédérale et les différenciations historiques et géographiques des différentes régions.

Dans cette situation les associations professionnelles constituent le lien entre ceux qui concourent aux mêmes réalisations. Le Deutsche Büchereiverband (DBV) a été fondé en 1949. C'est l'association des bibliothèques de lecture publique, elle subventionne l'institut professionnel qu'est le Service de bibliothéconomie (die Arbeitstelle für das Büchereiwesen). Depuis 1960, grâce à de nombreuses initiatives, elle a fait progresser la profession et la connaissance de l'ensemble des questions bibliothéconomiques. Des statistiques complètes, rapidement établies, permettent une vue d'ensemble et les comparaisons. Des recherches sont menées relativement à l'équipement en machines. Différents services - comme le service des périodiques (Zeitschriftendienst), le service des titres (Titeldienst) - rendent utilisable pour toutes les bibliothèques le travail accompli sur le plan local. Le DBV est le porte-parole des bibliothèques. Sa publication professionnelle est consituée par le Bibliotheksdienst avec ses suppléments, qui sert à diffuser l'information professionnelle récente.

Le Verband der Bibliothekare an öffentlichen Büchereien (VBB) est né également en 1949. Il rassemble tous les bibliothécaires diplômés. On lui est redevable, surtout au moment de sa création, des revendications face aux autorités de tutelle, de la formation d'une volonté commune à tous les bibliothécaires, d'un engagement vers l'extérieur. Le périodique Bücherei und Bildung en constitue la publication professionnelle. Il sera désormais commun aux deux associations. D'après leurs statuts, le DBV et le VBB favorisent le développement de la bibliothèconomie. Actuellement ils collaborent dans un comité, la Bibliothèque de lecture publique (Öffentliche Bücherei). Ils sont en contact avec d'autres associations professionnelles dans le Conseil des bibliothèques allemandes (Deutsche Bibliothekskonferenz). La centrale d'achats pour les bibliothèques de lecture publique (l'EKZ, c'est-à-dire l'Einkaufscentrale für öffentliche Büchereien) installée à Reutlingen, est une socité commerciale fondée par les Länder et les municipalités qui livre aux bibliothèques aussi bien des livres solidement reliés que du mobilier et du matériel. Grâce à ces organismes sont posées les bases d'une direction, d'une organisation centrale du réseau des bibliothèques publiques, dont le développement va de pair avec le développement des divers établissements qui la composent.

En Allemagne fédérale les bibliothécaires sont formés dans six établissements d'enseignement. En 1967, il y avait à Hambourg 266 étudiants, à Berlin 90, à Stuttgart 217, à Cologne 221, à l'école catholique de Bonn 38 et à l'école évangéliste de Göttingen 9.

En général seuls sont admis à la formation qui dure trois ans les titulaires de l'Abitur. Depuis 1968, ils ont une formation théorique de six semestres, des stages pratiques sont organisés pendant les vacances. Le futur bibliothécaire (le Diplombibliothekar) doit être capable de faire face, grâce à une solide connaissance professionnelle, aux problèmes qu'il rencontrera dans l'exercice de sa profession. Les jeunes bibliothécaires peuvent choisir librement le lieu de leur activité professionnelle. Ils commencent comme employés du cadre intermédiaire. Tous les échelons de cette carrière leur sont ouverts, l'accès aux postes supérieurs (la direction d'une bibliothèque) reste possible. Des séminaires de perfectionnement au niveau de la fédération ou du Land ou grâce à des initiatives locales permettent aux bibliothécaires en activité de se recycler. Les bibliothécaires doivent se soumettre au recyclage comme le font les usagers de leurs bibliothèques. Aucun être humain, aucune institution n'échappent aux transformations que nous connaissons aujourd'hui. Les bibliothèques et leur personnel le ressentent particulièrement. Après la seconde guerre mondiale les bibliothèques allemandes de lecture publique ont atteint un développement qui leur permet d'envisager la création d'un vaste réseau de bibliothèques. Elles doivent choisir cette direction si elles veulent être reconnues, à côté d'autres organismes publics, comme établissements indispensables à la société. Dans les cercles professionnels, l'on pense parfois qu'il faut se détacher de l'enseignement. Puisque, selon l'opinion générale, la formation est le résultat de l'éducation permanente, il revient aux bibliothécaires de créer les éléments nécessaires à l'autodidactisme, à la formation, au recyclage, à l'information, à l'explication critique des diverses questions.

Les bibliothèques de culture générale seront alors reconnues comme des établissements de formation de la meilleure espèce. Dans le cadre des services publics une place d'honneur leur est assignée.