La naissance du livre pour enfants

Marc Soriano

Trop souvent les livres pour enfants n'ont aucune valeur éducative, artistique et ne facilitent pas le goût des bons et beaux livres. La psychologie de l'enfant, la pédagogie pourraient rendre de grands services aux auteurs, aux illustrateurs, aux éditeurs dans la « naissance du livre pour enfants ». Les données obtenues par les recherches sur le vocabulaire, sur la sensibilité esthétique de l'enfant devraient être utilisées systématiquement. Elles pourraient s'exprimer par un système de codage qui mettrait en évidence certains critères permettant de juger de la « lisibilité » d'un ouvrage

Naissance ou confection.

Le terme naissance contient implicitement l'idée que le livre pour enfants peut être comparé à un être vivant. Et effectivement, dans la mesure où il est une œuvre d'art, cette comparaison est relativement justifiée : un beau livre semble avoir sa « respiration », sa vie propre. Sa « naissance » suppose, dans cette perspective, un concours de circonstances favorables; les artisans de cette naissance (auteur, éditeur, illustrateur, critique, etc.) doivent poursuivre des buts communs, prendre un certain nombre de précautions, etc.

Malgré le charme et l'intérêt de cette comparaison, nous voudrions situer notre communication sur un terrain moins métaphorique et aborder le thème proposé dans une perspective plus scientifique ou en tout cas plus précise. La question que nous nous proposons de traiter est celle-ci : comment les artisans du livre pour enfants peuvent-ils utiliser (ou mieux utiliser) les acquisitions et les données nouvelles que ne cessent d'accumuler la psychologie de l'enfant, la pédagogie et d'une façon générale toutes les sciences humaines ? Quel rôle ces données nouvelles peuvent-elles jouer dans la « naissance » du livre pour enfants ?

Cette façon de comprendre le thème proposé est, nous semble-t-il, légitime. Si l'on considère le livre pour enfants comme un être vivant, il faut admettre aussi que le progrès de la médecine (ne serait-ce que par la diffusion des pratiques de l'hygiène) a notablement amélioré le processus de la naissance humaine et réduit la mortalité infantile.

Il n'est pas question pour nous de nier qu'un livre pour enfants est d'abord un livre, c'est-à-dire doit s'efforcer d'être une œuvre d'art, une « cohérence complexe » qu'on ne saurait (en tout cas dans l'état actuel de nos connaissances) réduire à une formule. Nous admettons sans difficulté que l'artiste, l'éditeur, l'illustrateur, etc. se laissent guider par leur « goût », leur « talent », leur « génie » s'il y a lieu. Nous n'avons pas l'intention de mettre en question tous ces concepts difficiles à analyser et peu satisfaisants du point de vue scientifique, mais qui, provisoirement en tout cas, sont bien utiles dans la pratique. Oui, il est clair qu'à notre époque, un beau livre, une œuvre d'art réussie sont des sortes de miracles, des chances qui exigent, chez ceux qui les élaborent, beaucoup de dons et de flair, réalités dont il est bien difficile de donner des définitions précises.

Nous ne nions évidemment pas cet aspect du problème qui est essentiel; mais nous voudrions insister sur un autre aspect, qui, à notre avis, n'est pas moins essentiel : les données objectives, scientifiques qui entrent en ligne de compte - et qui doivent entrer en ligne de compte - quand il s'agit d'un livre pour enfants. Données qui, à notre époque, ont une importance particulière. En effet, le livre pour enfants s'adresse à un public spécifique, dont les possibilités intellectuelles, les intérêts, les degrés de maturation, les stades de développement sont étudiés par une série de sciences qui ne cessent de progresser.

Or bizarrement, ces progrès, ces connaissances nouvelles ne parviennent pas jusqu'aux artisans du livre pour enfants. Bien plus, éditeurs, artistes, illustrateurs considèrent souvent, ces données nouvelles avec méfiance. Décrivant cette situation paradoxale en 1956, dans un numéro spécial de la revue Enfance consacré à a littérature enfantine en France, le grand psychologue, aujourd'hui disparu, Henri Wallon écrivait :

« Toute cette confection (du livre pour enfants) paraît fonctionner en vase clos. Informations nulles ou très indirectes venues de l'extérieur : pas de contact avec les enfants ni les parents, ni les pédagogues, ni les psychologues. Il en est comme de « recettes maisons » plus ou moins contrôlées par la vente (...) Les libraires n'ont que des données très vagues sur les préférences du public. Ils sont consultés plus qu'ils ne peuvent interroger. Ils constatent la vogue de certaines collections, l'attrait de certaines présentations, et comme trait plus personnel, l'influence chez les parents du souvenir que leur ont laissé leurs propres lectures d'enfant. Ce n'est pas là un facteur de modernisation.

Quant aux écrivains et aux illustrateurs (...) leurs repères sur le public des enfants sont en général assez limités. Certains font l'essai de leurs récits ou de leurs dessins sur leurs propres enfants ou sur des enfants de leur connaissance. D'autres disent évoquer leurs propres goûts du temps où ils étaient des enfants. Il y en a qui se flattent d'être devenus des adultes sans cesser d'être ou de pouvoir redevenir enfants. »

Dix ans après cette analyse d'une lucidité parfois cruelle, nous sommes obligés de constater que le problème des rapports entre le livre pour enfants et ce que nous pourrions appeler les sciences annexes en est toujours au même point.

Quand il s'agit de livres pour enfants, mieux vaut éviter le terme noble de « naissance » et utiliser celui, plus terre à terre, mais plus exact aussi, de confection.

Nous parlons ici de ce qui se passe en France mais nous ne pensons pas qu'il s'agisse d'un phénomène uniquement français : notre marché du livre pour la jeunesse (qu'on le veuille ou non, il s'agit bien d'un marché) est encombré de livres de série d'origine étrangère ou « made in France » suivant les mêmes recettes, et à peu près tous coulés sur le même moule : généralement une intrigue policière où un superboy ou une surpergirl-insubmersible, incombustible et totalement imperméable aux projectiles de tout calibre, tire au clair des mystères que des détectives adultes n'ont pas su démêler.

Ces livres, d'une lecture relativement facile, connaissent un réel succès auprès de notre jeunesse. Or, la plupart d'entre eux n'ont aucune valeur, ni éducative ni artistique. Construits pour être des livres de « pur divertissement », fuyant avec soin tout problème général ou toute donnée d'ordre didactique, même exposée ou utilisée de façon indirecte, ces ouvrages donnent au jeune lecteur le goût d'un « suspense » qui se suffit à lui-même, l'habituent à une certaine paresse intellectuelle, et finalement le détournent de la lecture plutôt qu'ils ne facilitent chez lui le goût des bons et beaux livres.

Dans un autre rapport, présenté il y a deux ans, à Madrid, nous avons tenté d'étudier les causes de cette évolution. Nous ne reviendrons pas sur cette analyse, mais rappellerons seulement que le facteur fondamental qui a déterminé cette évolution est économique.

Comme l'a bien marqué Henri Wallon dans l'étude que nous avons citée : « c'est le critère commercial avec tous ses dangers qui domine dans la confection du livre destiné aux enfants ».

Or la concentration des entreprises se poursuit, éliminant impitoyablement les petites éditions qui pouvaient maintenir, dans un cadre quasi artisanal, des traditions de qualité ou le souci des intérêts de l'enfance. L'évolution de la situation n'a fait que renforcer, en tout cas à titre d'orientation générale, cette priorité du critère commercial sur les autres critères, éducatifs ou psychologiques.

Une preuve très probante de cette évolution nous est donnée par la façon dont certains grands éditeurs utilisent les progrès de la psychologie.

Ils pratiquent des sondages d'opinions suivant les techniques les plus modernes qui mettent en œuvre des cartes perforées et des machines très perfectionnées mais ces enquêtes ne visent pas à étudier les possibilités de compréhension des enfants; elles préfèrent établir une sorte de carte des goûts existants, immédiatement utilisable.

Le livre pour enfants, bien loin de chercher à modifier ces goûts, à les utiliser dans une perspective éducative, les considérera comme une donnée objective, comme une indication sur l'art et la manière d'assurer à un livre un succès commercial, comme une technique capable de dégager des « recettes » pour élaborer des livres pour enfants.

Naturellement, nous avons aussi, nous avons encore chez nous de bons et beaux livres, des éditeurs scrupuleux et soucieux des intérêts de l'enfant, des dessinateurs qui sont de grands artistes, des critiques et des historiens lucides et consciencieux, des éducateurs qui ont une vue claire de ces problèmes.

Mais (à quoi servirait il de le cacher ?), ces honnêtes artisans du livre, ces chercheurs travaillent dans des conditions difficiles, dans un contexte historique contradictoire qui ne facilite pas spécialement la victoire de la qualité.

En France, en 1966, la « naissance » d'un bon et beau livre pour enfants est à peu près toujours une naissance difficile, qui exige, tantôt de la part de l'artiste, tantôt de la part de l'éditeur ou du critique ou du public, un effort à contre-courant.

Malgré les apparences, cette analyse de notre situation n'est pas pessimiste : un public toujours plus vaste, en France, prend conscience des ces problèmes. La lutte contre la littérature de série est organisée et bien organisée. Des parents et des éducateurs de toutes les confessions, de toutes les philosophies se rencontrent et forment une sorte d'union sacrée sur une plate-forme axée sur les intérêts fondamentaux de l'enfant, comme l'ont montré par exemple les récentes journées de l'Union des femmes françaises ou la Semaine nationale de la lecture au cours du printemps dernier. Aux Journées Nationales de bibliothécaires de lycées, en 1965, l'Inspectrice générale Brunschvig, dont l'action pour la lecture des jeunes est particulièrement efficace et intelligente, faisait remarquer que même dans le cadre de notre libéralisme, nous avons en main tous les éléments qui nous permettraient un retournement de situation. Il suffirait d'unir les « consommateurs », de faire prendre conscience aux parents, aux éducateurs de l'importance des problèmes éducatifs posés par le livre pour enfants, et corrélativement, de faire comprendre aux éditeurs, aux bailleurs de fonds que finalement la qualité est payante et que la loi du profit maximum n'est pas incompatible avec le souci des intérêts de l'enfance.

Comment opérer ce « retournement » ? Comment transformer la « confection » du livre pour enfant en naissance?

C'est là évidemment un très vaste problème qu'il faudrait analyser à différents niveaux, sur le plan de l'œuvre d'art mais aussi en étudiant les divers problèmes concrets que pose l'élaboration d'un livre qui s'adresse à un public déterminé.

Nous l'avons indiqué en commençant, cette communication évite volontairement les problèmes d'ordre esthétique. Nous nous limiterons à dessein à certaines questions qui sont susceptibles d'être étudiées sur le plan scientifique. Bien entendu, nous n'avons pas la prétention de traiter toutes les questions de ce genre que pose la naissance d'un livre pour enfant, ni même d'en donner une idée. Nous nous bornerons, à titre d'exemple, à exposer certaines recherches psychologiques qui sont menées en France en ce moment, recherches qui pourraient rendre de grands services aux artisans du livre pour enfants si elles étaient utilisées. Notre espoir aussi, c'est que cette communication, pour fragmentaire et limitée qu'elle soit, entraîne l'échange d'expériences précises qui, nous le savons d'autre part, sont menées dans d'autres pays.

Notons en passant que notre démarche, inspirée par le désir de sortir des généralités rhétoriques, est fidèle au grand exemple que nous laisse un des meilleurs artistes français de la littérature enfantine, Paul Faucher, plus connu sous le nom du Père Castor.

Ce qui a fait l'originalité du Père Castor dans les années qui ont suivi la première guerre mondiale et plus nettement encore après la seconde, c'est d'avoir essayé de poser les problèmes artistiques dans une perspective expérimentale et scientifique, d'avoir rejeté avec mépris la soi-disant opposition entre l'art et la science. C'est de son exemple que nous nous réclamons. Cette opposition, en tout cas dans le domaine qui nous intéresse, est absurde. Le livre pour enfants est, et doit être, assurément, une œuvre d'art. Mais il doit l'être dans des limites qui sont celles d'une ou de plusieurs sciences, ces sciences qui étudient l'enfant et qui apportent à l'artiste des données qu'il ne peut et ne doit pas, en conscience, considérer comme négligeables : les possibilités de compréhension et d'identification de l'enfant, l'évolution de ses intérêts et de son esprit.

A. Recherches sur le vocabulaire de l'enfant. Le critère de lisibilité.

Actuellement, les livres pour enfants qui paraissent en France portent généralement sur la couverture une indication qui précise la tranche d'âge auquel le livre s'adresse : premiers lecteurs (5-7 ans); deuxième tranche de lecteurs (7-9 ans); lecteurs de 9 à II ans; pré-adolescents (II-14 ans); adolescents (13-16 ans), etc. Il s'agit là, naturellement, d'indications qui tiennent compte de critères complexes, qui ne peuvent pas être les mêmes d'un enfant à un autre. A cause de cela elles comportent une certaine marge d'imprécision : on aura remarqué que chaque tranche « mord » d'un an au moins sur la tranche d'âge précédente et d'un an aussi sur la suivante.

Comment sont, dans l'état actuel des choses, déterminées ces tranches d'âge ? L'enquête que j'avais eu l'honneur de mener, en 1955-56 sous la direction de M. Wallon ne nous avait permis aucun doute. Ces tranches d'âge, à l'époque - et encore maintenant - sont déterminées de façon empirique : par exemple en « essayant » le livre sur tel ou tel enfant donné, ou, dans le meilleur cas (celui du Père Castor) dans une classe. Autre critère couramment utilisé : les connaissances inscrites dans le programme d'une classe donnée. Si un livre les met en œuvre, on admet implicitement qu'il s'adresse à la tranche d'âge qui fréquente la classe correspondante. Naturellement, d'autres critères, eux aussi empiriques, interviennent également : on sait par exemple que les enfants de 9-12 ans (garçons) sont friands d'aventures ou que les fillettes, à partir de 12 ans, apprécient une coloration sentimentale de l'intrigue, etc.

Nous ne mettons pas en doute la conscience professionnelle de beaucoup d'artisans du livre qui font intervenir ces divers critères et qui les dosent de façon subtile. Nous devons toutefois constater que beaucoup de livres pour enfants qui paraissent ne correspondent absolument pas à la tranche d'âge indiquée et sont pratiquement illisibles pour les jeunes lecteurs auxquels ils sont censés s'adresser.

Pour quelles raisons ces livres sont-ils illisibles ? Limités par la place, nous laisserons de côté le problème des intérêts spécifiques des tranches d'âge pour nous intéresser spécialement à un problème apparemment tout simple, celui de la lisibilité. Si un certain nombre de livres pour enfants sont (au sens exact du mot) illisibles pour la tranche d'âge à laquelle ils sont censés s'adresser, c'est très souvent pour une raison très banale : ils font intervenir des mots et des locutions, qui, par leur nombre autant que par leur complexité, excèdent les possibilités de compréhension de l'enfant moyen auquel le livre s'adresse.

Qu'on ne se méprenne pas sur cette remarque. Il ne s'agit nullement de niveler par le bas, ni de présenter aux enfants des livres dont tout le vocabulaire leur serait connu. Nous savons parfaitement que l'une des utilités du livre, pour l'enfant, c'est de lui apprendre de nouveaux mots. Un livre doit comporter un certain nombre de mots et d'expressions nouvelles pour l'enfant, mots et expressions qu'il comprendra soit par leur rôle dans le contexte soit en recourant (dans le meilleur cas) au dictionnaire ou à l'adulte qui est censé être toujours disponible pour sa tâche éducative.

Mais cet apprentissage des mots et des locutions ne peut s'effectuer que si une certaine proportion entre le nouveau et l'acquis se trouve respectée. Au-delà d'un certain seuil, l'enfant perd le fil de sa lecture, se trouve perdu et abandonne sa lecture. Or justement des recherches psychologiques précises existent qui nous indiquent ces seuils, par tranches d'âge et par milieux sociaux.

En fait, notons-le bien, il s'agit encore de recherches isolées et non systématiques, sauf pour la période de l'apprentissage du langage qui a été abordée de façon plus approfondie en France par les travaux de Wallon, de Marcel Cohen et d'Irène Lézine (voir à la fin de cette étude une bibliographie succincte des principaux classiques français et étrangers de la description du langage enfantin). Les tranches d'âge les moins étudiées sont celles qui vont de l'acquisition des mécanismes de la lecture à l'adolescence, qui seraient justement les plus utiles pour les artisans du livre pour enfants.

Schématiquement, les psychologues ont abordé les problèmes du langage de l'enfant par quatre méthodes ou par quatre voies d'approche distinctes :

Soit en notant de façon systématique toutes les paroles d'un enfant pendant une longue période (Piaget);

Soit en procédant à des sondages par tests (Dr, Simon, Mlle Descœudres, Claparède) ;

Soir par des tentatives d'exploration systématique du lexique de quelques enfants (Mlle Descœudres);

Soit par des sondages « au dictionnaire » (L, et E. Anfroy ont ainsi cherché combien de mots les enfants connaissent sur une liste de trois cents termes pris au hasard dans un dictionnaire, une règle de trois leur fournissant le total approximatif des mots connus).

Nous rattacherons à cette dernière méthode les recherches entreprises par la revue et le centre de recherches du Français à l'Étranger. Une équipe de linguistes a déterminé (à l'intention des étrangers francophones ou désireux d'apprendre le français) des listes de mots, plus utilisés que les autres et qui définissent une sorte de Français fondamental.

Nous laisserons de côté les innombrables problèmes de méthode que posent ces recherches, malgré l'incidence certaine qu'ils ont sur la question qui nous occupe, c'est-à-dire sur le nombre de mots, d'expressions ou de tournures connues par un enfant à un âge donné. Je renvoie ceux que la question intéresserait à l'excellente synthèse de Charles Oudiard sur Le Vocabulaire à l'école primaire (1955, Bourrelier) que nous utilisons d'ailleurs ici à plusieurs reprises. Il va de soi que les chiffres que nous indiquerons doivent être considérés comme des évaluations très approximatives.

Mlle Descœudres énumère dans son ouvrage Le Développement de l'enfant de deux à sept ans (Delaschaux et Niestlé éd. Neufchatel et Paris) le lexique de trois enfants âgés de respectivement trois ans, cinq ans et sept ans et qui disposent respectivement de 639, 1954 et 2903 mots. En interprétant ces tests partiels, elle aboutit à la conclusion suivante sur la variation du lexique total de l'enfant entre deux ans et demi et sept ans et demi, que nous donnons à titre indicatif (voir figure).

Les sondages de L. et E. Anfroy, eux, nous assurent que le vocabulaire de l'enfant passe de 4 900 mots à sept ans à 19 800 à quatorze ans. Pour apprécier ces chiffres à leur juste valeur, il faut se souvenir que le vocabulaire courant de l'adulte sans culture spéciale est, d'après les estimations les plus courantes, d'environ 25 ooo mots. Rappelons enfin à titre de repère que le Petit Larousse, dictionnaire qui est actuellement le plus répandu en France contient entre 47 et 50 000 mots. Il faut donc se souvenir que l'enfant entre à l'école avec un bagage de mots assez réduit, environ le huitième des mots courants et qu'il doit acquérir pendant sa scolarité (et pas seulement à l'école) un nombre relativement important de mots, une dizaine de milliers au moins, c'est-à-dire multiplier son capital de mots par trois ou par quatre.

Mais ces considérations d'ordre purement chiffré ne rendent pas compte de la complexité des problèmes réels. La psychologie de l'enfant nous apprend que l'enfant à tel ou tel âge n'est pas capable d'apprendre n'importe quels mots. Sans entrer ici dans des analyses techniques, notons simplement que le vocabulaire de l'enfant, d'une année à l'autre non seulement s'accroît, mais change de nature. L'évolution de l'enfant est caractérisée par une marche très lente vers l'abstraction.

Dirons-nous qu'il passe des noms aux verbes, puis aux adjectifs ? Cette remarque, vraie dans son ensemble, ne rend pas compte des différenciations complexes qui s'opèrent. En fait les mots de l'enfant, ses premiers substantifs sont en même temps des actions. L'évolution se fait dans le sens d'une différenciation qui sépare peu à peu des notions primitivement liées dans la perception et l'expression de l'enfant. Il n'y a pas passage du mot au verbe mais passage du mot-phrase à la phrase composée de deux ou trois éléments, élaboration qui suppose que la pensée distingue l'action du sujet et celle de l'objet. L'adjectif concret (qui exprime une sensation) apparaît nettement plus tard et c'est compréhensible puisqu'il suppose, comme le note Whipple, « une certaine maturité : la capacité de discerner les qualités des objets et d'abstraire ces qualités des choses auxquelles elles sont attachées ». L'inventaire du vocabulaire des cinq enfants étudiés par Mlle Descœudres aboutit aux mêmes conclusions : la proportion des adjectifs y est très faible, variant de 4,7 % du vocabulaire total à deux ans et neuf mois, jusqu'à 9 % à sept ans, alors que la proportion des substantifs se maintient aux environs de 60 % du total général des mots connus.

Ces recherches montrent aussi que la compréhension des mots à proprement parler abstraits est relativement tardive. L'enfant ne semble capable de les assimiler que vers huit ou neuf ans et à l'inverse de ce qui se passait pour les mots concrets qui se trouvaient plus vite compris que les adjectifs, il devra ici au contraire passer par les adjectifs abstraits (mais rendus moins abstraits par le substantif qu'ils qualifient) pour accéder aux substantifs abstraits. A titre d'exemple, l'enfant comprendra ce qu'est un homme triste ou un ami dévoué avant de comprendre ce qu'est la tristesse ou le dévouement.

Mais le vocabulaire n'est qu'une partie des problèmes posés par l'acquisition du langage. L'enfant n'a pas seulement à accroître son capital de mots, il doit encore les mettre en œuvre dans des phrases qui appliquent des règles de grammaire, de syntaxe, règles qui tantôt sont des expressions de nécessités logiques, tantôt sont le reflet de transformations historiques qui s'expriment par des exceptions, par des locutions toutes faites. Toutes ces règles qui s'entrecroisent et qui font la qualité et le charme de notre langue, lorsque l'artiste ou simplement « l'honnête homme » parviennent à la manier correctement ou subtilement, toutes ces richesses ne peuvent être apprises en même temps par l'enfant. Et il est évidemment indispensable que l'artiste qui souhaite écrire pour les enfants s'initie à ces problèmes.

On nous objectera peut-être que la littérature enfantine existe depuis de longues années et comporte déjà des chefs-d'œuvre, qui ont été écrits par des gens qui ne se souciaient guère de toutes ces recherches.

C'est vrai. Mais la pratique de la procréation existe aussi depuis un certain temps. Pendant des siècles, naître, pour un enfant, était une grande aventure qui relevait du miracle et du hasard. La recherche scientifique a-t-elle eu tort de procéder à des recherches et d'étudier systématiquement les conditions qui permettent à un nouveau-né de venir au monde dans les meilleures conditions ?

L'accroissement des connaissances, le développement des lois scolaires, la démocratisation de l'enseignement, sans que les chefs-d'œuvre du passé soient pour autant périmés (ils nous apporteront toujours de précieuses leçons) rendent utile, indispensable l'apparition de nouveaux chefs-d'œuvre de littérature pour la jeunesse, de beaux livres qui correspondent aux besoins et aux possibilités actuelles de notre jeunesse.

Nous opposera-t-on que l'écrivain se trouvera gêné ou limité par ces « directives » concernant le vocabulaire, la grammaire, la syntaxe, etc... dont il pourra disposer ?

En fait, nous l'avons vu, ces limitations sont des indications, et l'écrivain est toujours libre de les tourner, d'utiliser son talent justement pour apprendre (incidemment et comme sans y prendre garde) à ses jeunes lecteurs à mieux utiliser sa langue. Je considère au contraire, que l'écrivain, quand nous aurons su lui montrer les possibilités effectives et réelles de son public, sera passionné par sa tâche, qui pourra lui apparaître à la fois comme une réflexion sur sa langue et sur les possibilités de compréhension de son public; possibilités dont on lui montrera en même temps qu'elles dépendent finalement de lui, puisque les ressources de son talent peuvent les étendre de façon quasi indéfinie.

Des considérations de ce genre, discutées en commun pendant plus de deux ans, ont abouti chez nous à une réalisation pratique, celle des fiches de lecture du « Français dans le monde ».

Apparemment, ce sont des fiches de lecture qui ressemblent à toutes les autres : on y retrouve un certain nombre d'indications utiles aux bibliothécaires et éducateurs : titre du livre, format, édition, résumé du livre, thèmes principaux qui y sont abordés, appréciation sur la qualité artistique, etc.

Mais une partie de cette fiche, partie qui est évidemment la plus neuve, concerne le vocabulaire. Nous avons utilisé les équipes de chercheurs dont nous avons parlé et qui, pour la revue Le Français dans le monde poursuivent des recherches sur le français fondamental. Un certain nombre d'ouvrages choisis dans la production de littérature enfantine sont régulièrement soumis à ces chercheurs qui y pratiquent des sondages linguistiques concernant la fréquence des mots et des locutions qu'on y trouve. Nous aboutissons ainsi à des indications objectives, destinées il est vrai à des consommateurs étrangers, mais qui peuvent facilement être adaptées par l'éducateur aux cas particuliers des enfants dont il oriente les lectures.

Ne nous le déguisons pas : il s'agit là de recherches très minutieuses et qui exigent un personnel spécialisé c'est-à-dire de recherches qui sont très coûteuses. Nous n'avons pu les mener à bien que grâce aux subventions attribuées par notre Ministère des Affaires Étrangères au groupe qui anime Le Français dans le monde et à la Section française de l'Union internationale de littérature de jeunesse. Nous ne pouvons pas exclure le cas où ces recherches devraient être interrompues. Mais, même dans ce cas, à notre avis, elles n'auraient pas été inutiles, dans la mesure où elles auraient rendue évidente l'existence du critère de la lisibilité. L'entreprise privée, d'ailleurs, pourrait prendre le relai de ces recherches qui finalement sont rentables. Il importe beaucoup, il devrait importer beaucoup aux « consommateurs » du livre pour enfants que ce critère fondamental ne soit pas laissé à l'appréciation parfois incertaine d'un employé anonyme, mais soit étudié par un organisme compétent et spécialisé qui d'ailleurs pourrait être conçu non comme un organisme de contrôle, mais comme un conseil dont l'artiste pourrait bénéficier.

Évidemment, nous nous trouvons obligés, à partir de là, de remettre en question la sacro-sainte idée de l'auteur pour enfants travaillant seul dans son cabinet sous la dictée de son inspiration, mais un certain nombre d'arts nouveaux, la radio, la télévision, le cinéma nous ont, nous semble-t-il, habitués à un style de création d'équipe. (C'est le cas pour l'Atelier du Père Castor.) Nous ne voyons donc aucune objection de principe contre cette nouvelle conception du travail artistique, qui nous semble dictée par l'intérêt du jeune lecteur et par les données complexes que fait intervenir le livre pour enfants à notre époque.

Pour en terminer avec cette question du vocabulaire, nous souhaitons parvenir dans un délai plus ou moins bref au résultat suivant. Ce serait l'éditeur lui-même (et non plus un organisme critique comme celui que nous avons constitué) qui procéderait à l'étude du vocabulaire que nous avons décrite.

Chaque livre pour enfants se présenterait avec une indication précise concernant les connaissances en vocabulaire qui seraient souhaitables pour une lecture aisée.

Ce n'est là, évidemment qu'un aspect du problème : celui des difficultés matérielles, les obstacles de base que rencontre un enfant dans sa lecture. Mais cette indication, si elle devenait habituelle, éviterait de cruels mécomptes aux jeunes lecteurs qui, souvent rebutés par des lectures trop difficiles, se trouvent en quelque sorte rejetés vers les livres de série ou vers la « littérature à ballon » qui, eux, pratiquent systématiquement la politique du vocabulaire pauvre et même indigent.

Cette solution serait avantageuse pour tout le monde. Pour l'auteur d'abord, qui se trouverait conseillé et soutenu par un organisme spécialisé qui attirerait son attention sur certaines difficultés de son vocabulaire. Pour l'éditeur, qui réduirait ainsi l'incertitude concernant l'audience d'un livre. Pour les consommateurs enfin, les enfants eux-mêmes, qui certes ne sauraient pas de façon certaine si un livre est pour eux, mais qui seraient au moins avertis qu'en l'abordant, ils ne rencontreront pas d'obstacles linguistiques insurmontables.

La généralisation et la systématisation de l'étude du vocabulaire des livres pour enfants au niveau de son élaboration même présenterait aussi un avantage sur le plan international. L'éditeur étranger à la recherche de bons livres à traduire aurait ainsi une première indication sur la nature du livre qui se présente à lui, indication qui certes concerne le jeune lecteur français mais qui pourrait certainement être transposée sans peine pour un autre public juvénile, car nous le savons bien, les recherches sur le vocabulaire de l'enfant, ainsi que sur les mots fondamentaux dans chaque langue, sont menées dans un certain nombre de pays, par exemple les États-Unis et l'U.R.S.S., la Suisse, la Tchécoslovaquie, etc. (voir notre bibliographie succincte).

Jusqu'à présent, faute de mieux, pour ne pas trop surprendre le public français, nous livrons nos appréciations sur le niveau linguistique des livres pour enfants sous forme non mathématique, par des formules nécessairement un peu vagues. Nous avons toutefois publié dans « le Français dans le monde » nos fiches développées avec les données chiffrées qu'elles font intervenir. Une des tâches d'un organisme comme le nôtre pourrait être de confier à une commission de linguistes la tâche de trouver une convention plus précise, si possible chiffrée, qui préciserait le niveau linguistique d'un livre pour enfants. Cette commission pourrait préciser, à l'intention des éditeurs, des critiques et plus généralement des éducateurs, la manière dont ces indications doivent être établies, de façon que le personnel destiné à faire ce travail puisse être formé plus facilement, et de façon aussi que ces critères d'évaluation soient soumis pendant un certain temps à une critique de spécialistes et de consommateurs destinée à les rendre plus précis et plus sensibles.

B. Pour un « codage » des données qui sont susceptibles d'être codées dans un livre pour enfants.

Cette étude sur le vocabulaire des livres pour la jeunesse n'est, nous l'avons indiqué en commençant, qu'un exemple choisi parmi beaucoup d'autres. Nombreuses sont les recherches psychologiques ou sociologiques menées en ce moment en France et qui ont une incidence sur l'élaboration du livre pour enfants : à titre d'exemple, nous nous bornerons à indiquer les recherches de J. Subes sur « l'enfant et les couleurs » et sur « l'influence du milieu sur la sensibilité esthétique enfantine », ou celles de Mialaret sur la modification de la compréhension entraînée par l'utilisation massive des moyens audio-visuels. Notons en passant que ces recherches psychologiques, comme il convient, ont renoncé à étudier l'enfant « en général », mais s'attachent à l'étude d'un enfant intégré dans un contexte historique déterminé, ce qui permet de passionnantes études comparatives d'un pays à l'autre ou d'une époque à l'autre.

Mais s'il en est ainsi, ne pourrions-nous pas nous proposer une utilisation systématique des informations ainsi obtenues dans le cadre de l'élaboration des livres pour enfants ?

L'idée, à première vue, paraît paradoxale, mais elle l'est moins si l'on précise bien au départ qu'il n'est pas question d'essayer d'enfermer dans une formule la qualité artistique. Il s'agit seulement de rationaliser, de regrouper les informations concernant un livre pour la jeunesse et qui peuvent permettre une approche plus précise de l'œuvre ou une orientation plus correcte des jeunes lecteurs. Ce codage, comportant peu ou point de jugements de valeur, aurait aussi l'avantage de réaliser l'accord d'éducateurs d'orientation différente sur des faits, des données objectives présentées par le livre considéré, donc permettrait une confrontation internationale plus aisée.

Notons en passant qu'un certain nombre de grandes éditions en France pratiquent déjà un système de codage pour analyser et apprécier les livres qui leur sont soumis. Ainsi, nous avons eu entre les mains (et publié) en 1956 le questionnaire-type rempli par le lecteur préposé par la maison Hachette et qui dans une colonne réservée à cet effet note par exemple si le manuscrit comporte des trivialités de langage ou des références au racisme. Ces trivialités et ces touches racistes se trouvent automatiquement proscrites parce que préjudiciables à une bonne diffusion (commerciale) de l'ouvrage.

Le système de codage que nous souhaitons présente des caractères assez différents. C'est d'ailleurs assez normal; il ne concerne pas des livres à paraître, mais des livres qui ont déjà paru et qu'il s'agit de décrire le plus exactement possible, d'une manière positive et non plus négative qui permette au lecteur éventuel, à l'éducateur d'embrasser dans une formule relativement simple et ramassée un certain nombre de caractéristiques du livre étudié.

Le Principe du Codage et les facteurs à coder.

Dans Problèmes théoriques de la traduction (NRF 1963) qui est sans doute une des études les plus importantes et les plus profondes de l'après-guerre, le philosophe et linguiste français Georges Mounin note une orientation qui lui semble caractéristique de notre époque : l'effort pour obtenir toutes les fois que c'est possible une analyse sémantique des objets qui soit indépendante de leurs noms dans telle ou telle langue et qui soit bien entendu indépendante de jugements de valeur susceptibles d'être remis en question. La méthode, schématiquement, consiste à noter l'absence ou la présence de traits qui pourront suffire à décrire et à classer sans ambiguïté un objet.

L'objet décrit de cette façon reçoit une nouvelle dénomination mécanographique, véritable nom qui élimine les ambiguïtés de la terminologie courante, éliminées par la précision des critères choisis. Par surcroît les traits caractéristiques sont repris dans un cadre analytique exhaustif.

Ainsi (Mounin, op. cité, p. 115) pour établir le fichier mécanographique de l'outillage en métal à l'âge du bronze des Balkans à l'Indus, fichier qui contient plus de 4 ooo fiches à l'Institut d'archéologie de Beyrouth, Gardin s'est constitué le cadre suivant :
A : Forme de la partie fonctionnelle de l'outil (15 types).
B : Mode de l'emmanchement (15 types).
C : Dimensions (6 cotes).
D : Sections des faces de l'outil (20 types) etc. jusqu'à S, T et U :
Particularités diverses (210 types).

Ce système permet de donner à un outil donné, par exemple l'outil originaire d'Agha Evlar et de dimension 16,6 cm une dénomination mécanographique d'une grande précision qui se présente ainsi A12, B3, C36, etc.

D'autres systèmes du même genre sont pratiqués couramment en France dans plusieurs domaines : téléphones, assurés sociaux, anthropométrie, etc.

Même si l'on considère un livre comme un être vivant, comme une réalité d'ordre esthétique, donc spécifique et sui generis, nous sommes obligés d'admettre que le livre, en s'adressant à des enfants d'un âge donné, doit tenir compte des données scientifiques dégagées par les sciences humaines; mais c'est là reconnaître la nécessité de situer ce livre par rapport aux divers critères que ces sciences ont définis et anlysés.

Nous n'avons naturellement pas la possibilité de préciser, même de façon schématique, comme nous avons essayé de le faire pour le vocabulaire, les critères que nous pourrions prendre en considération dans notre effort de « codage ». A titre purement indicatif, nous indiquerons de façon très succincte quelques autres critères que le développement des sciences humaines nous permettent du moins d'envisager :

1. Le critère des connaissances moyennes à un âge donné.

En fait ce critère est déjà appliqué en France dans les suites encyclopédiques par référence aux programmes scolaires. On pourrait rendre ce critère plus précis en choisissant des connaissances fondamentales dans des secteurs déterminés (mathématiques, physique, etc.)

2. Le critère concernant le rapport enfants-adultes.

Cette analyse pourrait regrouper deux types de renseignements; les premiers d'ordre quantitatif, les seconds qualitatif.

Données quantitatives : rapport entre le nombre d'adultes et le nombre d'enfants engagés dans l'action du livre étudié.

(L'utilisation de ce premier critère nous permet de constater que les grands classiques de la littérature pour la jeunesse nous présentent autant de héros adultes que de héros enfantins, autrement dit un mélange équilibré d'adultes et d'enfants, comme dans la vie.)

Données qualitatives : dans la réalité, ce sont les parents qui protègent et surveillent les enfants, en attendant de pouvoir leur apprendre à se protéger eux-mêmes. Dans une bonne partie de la « littérature de série », en France, ce sont au contraire les enfants qui surveillent les adultes ou qui les protègent. A noter que ce type de situation peut se révéler utile pour rendre confiance à un enfant déprimé, mais il s'agit d'un rapport malgré tout inhabituel. Toutefois, il ne s'agit pas, dans l'élaboration de notre codage, de juger ce trait, mais de le faire apparaître clairement.

A titre d'exemple, dans mon codage personnel, voici la convention que j'utilise (et qui pourrait être évidemment améliorée).

Rapport (qualitatif) entre enfants et parents :
I° normal (tutelle éducative) 3-7 (filles)
4-6 (garçons).
2° Rapport d'égalité (parents-camarades) : 5-5 (deux sexes).
3° Parents autoritaires : I-9.
4° Parents - démissionnaires 9-1 (filles)
(super-girls et super-boys) 8-2 (garçons).

3. Autres types de critères à envisager, toujours à titre d'exemple :

le critère d'apprentissage qui permettrait de préciser tout de suite si le livre étudié apporte au jeune lecteur une information précise (et bien entendu indirecte) sur un métier donné, ou sur un problème scientifique, ou encore sur des relations humaines;

les critères d'ordre historique et idéologique qui, sans prendre parti dans les oppositions idéologiques de notre époque, nous fourniraient malgré tout des indications sur le contenu et l'orientation humaniste du livre. A notre avis, il n'est pas admissible que le public des parents et des éducateurs à notre époque ne dispose d'aucune défense systématique et efficace contre les livres pour enfants qui contiennent des thèmes racistes ou bellicistes.

Nous sommes prêts à accueillir favorablement et avec reconnaissance toute information concernant des recherches entreprises à l'étranger sur ces problèmes et à envisager avec l'Union internationale pour les livres de jeunesse ou avec tout groupe de chercheurs d'autres pays un travail commun. En particulier, nous sommes prêts à publier dans nos revues spécialisées toute étude ou tout compte rendu de travaux concernant ces problèmes qui nous semblent susceptibles de faire sortir les recherches concernant la littérature pour la jeunesse des généralités mondaines ou irresponsables.

Nous n'entendons pas pour autant récuser ou mépriser les recherches générales, indispensables, sur la valeur artistique, humaine, éducative d'un livre pour enfants.

Nous pensons toutefois que l'explication de critères comme ceux que nous avons indiqués et leur étude systématique constituent une approche utile qui, en plus de ses avantages pratiques, permettra par la suite des généralisations plus audacieuses et plus profondes.

« C'est, dit encore Henri Wallon dans l'étude que nous citions pour commencer, le contrôle du milieu biologique qui a fait baisser dans des proportions considérables le taux de la morbidité et de la mortalité infantiles. Le contrôle du milieu moral et culturel paraît aussi s'imposer. »

Mais ce contrôle, à notre sens, ne peut s'effectuer que sur des bases scientifiques très précises et toujours susceptibles d'être vérifiées et améliorées. Nous éviterons ainsi les politiques d'autorité et les interventions intempestives, et pourrons améliorer la qualité de notre production et faciliter les échanges internationaux en ce domaine. Puisqu'il s'agit en définitive de la naissance du livre pour enfants, pourquoi ne pas tenter d'utiliser au maximum les sciences humaines de notre époque pour que les enfants qui vont naître, ces livres, soient non seulement viables, mais encore bien constitués, riches de dynamisme et capables de contribuer, dans leur modeste secteur, à l'effort que tente l'homme de notre époque pour devenir plus humain?

Illustration
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  1. (retour)↑  Cette communication a été présentée au congrès de l'Union internationale pour la littérature de jeunesse qui s'est tenue à Ljubjana du 28 septembre au Ier octobre 1966 sur le thème « La Naissance du livre pour les enfants ».
  2. (retour)↑  Cette communication a été présentée au congrès de l'Union internationale pour la littérature de jeunesse qui s'est tenue à Ljubjana du 28 septembre au Ier octobre 1966 sur le thème « La Naissance du livre pour les enfants ».