Le bibliobus de Valenciennes et la lecture publique dans cette ville

Paul Lefrancq

La Bibliothèque municipale de Valenciennes depuis la dernière guerre, face à l'accroissement démographique de la ville. Mise en circulation d'un bibliobus en décembre 1964

Lorsque le bibliobus fut mis en circulation le 23 décembre 1964, la lecture publique n'avait été marquée à Valenciennes par aucune réalisation saillante depuis plus de vingt-cinq ans. La création d'une « Heure joyeuse » en 1938 avait, certes, mis en évidence les services que la bibliothèque pouvait rendre dans ce domaine. Malheureusement, dès septembre 1939, cette action fut rendue inopérante par les événements dramatiques qui se déroulèrent alors. Les personnes qui, bénévolement ou professionnellement, n'avaient pas ménagé leur concours à cette œuvre culturelle d'avenir, avaient été dispersées par les circonstances. Le matériel, mobilier et livres, que l'on croyait en sûreté dans un établissement d'enseignement, ne s'y retrouva plus, ni ailleurs, après l'exode de 1940.

Quand, après les dures années de la guerre, la situation fut à peu près redevenue normale dans une ville où, cependant, les destructions de la guerre posaient de dramatiques problèmes de locaux, la Bibliothèque municipale, dont trois salles furent jusqu'en 1962 un chantier des monuments historiques, souffrait du manque de place; lorsqu'en avril 1946 les manuscrits et livres précieux furent ramenés de leur lieu de repli, force fut de les installer provisoirement dans la vaste pièce du deuxième étage où l' « Heure joyeuse» avait fonctionné pendant dix-huit mois à peine.

Une salle ancienne, mal éclairée à la vérité, partiellement ouverte alors à tous les vents et garnie de rayonnages sommaires, put alors être récupérée. C'était celle qui, en 1932, avait été concédée par la ville, au rez-de-chaussée de la bibliothèque, à l'Association d'enseignement populaire pour y abriter le service de prêt à domicile fondé en janvier 1870 par cette société, pour lors dépossédée de son ancien local. Cette petite bibliothèque, de la catégorie appelée « bibliothèques Franklin », qui connut un certain succès dans la seconde moitié du XIXe siècle et le début du xxe, avait peu à peu décliné; elle n'avait pas survécu à son secrétaire général, Victor Henry, mort au cours de la dernière guerre.

En septembre 1945, il se trouvait encore dans ce local 1500 à 1 800 volumes disparates qui servirent de base à la réorganisation de la section de prêt, reprise en main par la direction de la Bibliothèque municipale. Le fonds fut porté à 7 ooo volumes en patiente augmentation et renouvellement périodique. La création d'un rayon pour enfants, timide rappel des splendeurs de l'ancienne « Heure joyeuse » montra, d'autre part, la voie à suivre dans une ville en rapide transformation et où les éléments jeunes prenaient une importance démographique de plus en plus grande.

Valenciennes est, en effet, une ville fort ancienne et assez bourgeoise, passée insensiblement au stade de cité moderne. Elle a mis cent ans pour doubler le chiffre de sa population, qui n'est encore que de 50 ooo habitants. Mais le développement des moyens de transport depuis le début du xxe siècle a porté la conurbation effective à environ 300 000 habitants.

La démographie urbaine a connu à Valenciennes des facteurs topographiques très nets et son développement a comporté plusieurs étapes caractéristiques. Après 1896-190I, le démantèlement de l'ancienne enceinte de Vauban avait provoqué la création, autour du centre ancien, de quartiers résidentiels et, le long des grands axes d'accès et de circulation, le développement sporadique et désordonné de quartiers ouvriers. Si la guerre de 1914-18 n'avait été marquée que par un bref ralentissement de la poussée démographique, celle de 1940-44 amena la destruction de tout le centre suivie d'une reconstruction dont la lenteur déplaça nécessairement la population vers la périphérie. Ce mouvement vient d'être intensifié par la construction de plusieurs grands ensembles habités par une population dont la moyenne d'âge est très sensiblement plus jeune que dans le centre de la ville, situation qui a été peu modifiée par la brusque arrivée en 1962 des Français rapatriés d'Algérie. Enfin, un brassage très net de la population s'est fait, accentuant le caractère extra-local, ou même extra-régional de l'origine des habitants.

Cette population nouvellement affluente pouvait difficilement connaître l'existence des services municipaux de lecture publique, dont la population ancienne tendait à oublier le chemin. Puisque le lecteur hésitait à venir au livre, il fallait que le livre aille au lecteur par le même moyen de transport que les habitants de la périphérie pour aller en ville. La vocation d'un bibliobus urbain s'éveillait ainsi à Valenciennes.

On pourra s'étonner que cet éveil ait été si tardif dans la patrie d'un bibliothéconome français qui fut l'un des pionniers du bibliobus urbain dans notre pays où il fit connaître les premières expériences réalisées dans ce domaine aux États-Unis (Henri Lemaitre, en 193I, au Congrès international de la lecture publique à Alger). Mais nous venons assez de montrer que les circonstances, plus que les individus, ont retardé une création, décidée finalement assez vite, mais étudiée sérieusement à la lumière des premiers résultats acquis en France et qui venait donner corps à une idée de décentralisation de la lecture caressée dès 1946 par le conservateur de la bibliothèque.

Les premières conclusions qui peuvent être tirées au terme d'un peu plus d'un an de fonctionnement du bibliobus sont les suivantes : bien que le véhicule desserve une fois par semaine vingt et un points d'arrêt dans la périphérie, cette desserte n'est pas suffisante dans certains quartiers où une périodicité plus grande s'avère nécessaire. La création d'antennes périphériques fixes de la bibliothèque centrale s'imposera alors.

L'implantation topographique de ces 21 « postes », faite après étude raisonnée des facteurs culturels et sociaux, s'est révélée excellente et très suffisamment dense, puisque, dans un rayon de 500 mètres, la quasi totalité des usagers peut trouver à sa disposition non pas un seul point de stationnement, mais deux et parfois trois. L'échange des volumes empruntés peut donc se faire à un rythme assez rapide. Deux livres étant prêtés à la fois à chaque lecteur adulte, cela peut donc faire quatre livres lus par personne et par semaine, soit près de 150 à 200 par an. Si l'on tient compte des inscriptions multiples relevées pour certains foyers, le chiffre annuel de 200 lectures par abonné pourrait même être dépassé. Ceci dénoterait un degré remarquable d'élévation du niveau de culture générale du public si l'on n'était pas obligé d'ajouter, malgré tout, ce correctif que le choix des emprunteurs, surtout adultes, se porte principalement sur des lectures faciles.

La part de la jeunesse scolaire dans la fréquentation du bibliobus est importante et animée.

Les adolescents de quinze à dix-huit ans sont, comme les jeunes de huit à quatorze ans, dispensés de la cotisation annuelle qui a été fixée à cinq francs pour les adultes (gratuit pour les économiquement faibles). Les adolescents, plus de 500 inscrits, peuvent emprunter deux livres par séance, mais un seul est prêté aux jeunes du cycle primaire, très nombreux dès le début (plus de la moitié sur près de 2 000 inscrits). Cette restriction, indispensable pour que le personnel dévoué mais restreint (un chauffeur, une employée auxiliaire) ne soit pas débordé, a été parfaitement admise.

Un lecteur inscrit à l'un des points de stationnement peut changer son livre à un autre, ce qui permet à certains d'entre eux, des jeunes surtout, particulièrement avides de lecture, de renouveler plusieurs fois leurs livres dans le cours de la semaine.

L'accueil fait par la population est très sympathique. Partout on déclare que l'on ne voit pas encore assez la « Bibliothèque municipale ». Le nom de bibliobus, en effet, d'usage plutôt oral, n'est pas inscrit sur le véhicule, mais celui de « bibliothèque municipale ». Les journaux locaux, qui donnent chaque matin son itinéraire et son horaire, font connaître le service aux nouveaux arrivants; ils indiquent, de même, l'horaire de la bibliothèque centrale, salle de lecture et service permanent de prêt. Une société nouvelle, les Amis du livre de Valenciennes, créée à la fin de 1964, habilitée à recevoir subventions et cotisations, sert de comité de patronage à la bibliothèque de prêt et intensifie aussi la propagande en faveur du bibliobus.

Dans des perspectives d'avenir, il faudra envisager le remplacement du véhicule actuel, acquis d'occasion et aménagé suivant les plans du conservateur de la bibliothèque sur avis favorable du service technique de la Direction des bibliothèques. Il conviendrait aussi que le parc de « bibliobus » puisse être doublé par un second véhicule à l'usage de l'ensemble de la population et par un troisième qui, lui, serait réservé exclusivement aux enfants, qu'il apparaît juste de mettre dans leurs meubles, comme à l' « Heure joyeuse ». Il est évident que ces projets, à plus ou moins longue échéance, ne pourront prendre corps sans les augmentations de personnel et les investissements en livres correspondant à la mise en marche des nouveaux véhicules et au réassortiment du fonds déjà existant.