Jean Cocteau et son temps

Accueilli par M. Julien Cain qui, depuis quelques mois, préside aux destinées du Musée Jacquemart-André, un hôte célèbre s'est installé, pour quelques semaines, sous les lambris dorés de l'hôtel du boulevard Haussmann.

Voici Jean Cocteau, représenté par ses nombreux portraits dus à Madrazo, Jacques-Émile Blanche, Lipchitz, Romaine Brooks, Modigliani, Picasso, Picabia, Christian Bérard. On peut suivre, à travers les salons, l'itinéraire de sa vie fulgurante : fils, petit-fils, et frère d'agents de change, Jean Cocteau, dans sa jeunesse, représentait la bourgeoisie française du xxe siècle et ses traditions. Les enfants étaient terribles, et fréquemment les parents. Mais, chez ces raffinés, fleur de la finance, de la magistrature ou de l'industrie, un charme exerçait ses prestiges. On admire Mme Georges Cocteau, la maman de Jean, avec son ombrelle de la belle époque, qui paraît goûter la douceur de vivre. Non loin d'elle, la blonde Madeleine Carlier, comédienne « sur les bords », surgit d'une photographie très ancienne, dédiée à Jean, avec cet aveu autographe : « Je t'aime... ». Il avait dix-sept ans et elle vingt-neuf et, de cette liaison, naîtra le Grand écart, ce récit aux métaphores inattendues.

Depuis les premiers recueils de poèmes La Lampe d'Aladin et La Danse de Sophocle jusqu'à l'ultime Clair-Obscur, en passant par les romans de la maturité Thomas l'imposteur, Les Enfants terribles, La Fin du Potomak, on retrouve dans les vitrines de Jacquemart-André toute l'œuvre de ce grand fantaisiste qui fut aussi un conteur de bonne race.

Plus encore que poète et romancier, Cocteau fut homme de théâtre. On retrouve ici, autour de lui, les monstres sacrés d'hier et d'aujourd'hui : Mounet-Sully, Sarah, De Max et Jean Marais, la danseuse Karsavina, la danseuse Karyathis (Élise Jouhandeau), et enfin Édith Piaf, l'interprète du Bel indifférent, qui mourut le même jour que l'auteur du Testament d'Orphée.

Un tout jeune érudit, M. Pierre Georgel, qui depuis quatre ou cinq ans étudie la vie et l'œuvre de Jean Cocteau, a rédigé pour cette attachante exposition un catalogue qui est une mine de renseignements et se lit comme un roman.