Le catalogage des anonymes et des ouvrages classés au titre
La recherche des solutions applicables au catalogage des publications anonymes a été facilitée en France par la définition préalable de la notion de collectivité-auteur. Le traitement des publications dites « anonymes » qui échappe à cette définition a été étudié dans un projet de norme française actuellement à l'étude et qui envisage successivement : les anonymes « dévoilés », les publications collectives, les classiques anonymes, le regroupement sous des vedettes de forme, etc.
Quelques mois avant la réunion de la Conférence internationale sur les principes de catalogage et peu après la clôture de l'enquête publique pour la norme AFNOR concernant la vedette auteur et anonymes 1, il a semblé utile d'essayer de dégager dans un article la position française concernant le catalogage des anonymes.
Pendant longtemps les règles françaises ont été assez imprécises en ce domaine.
La Bibliothèque nationale, ayant différé jusqu'après l'achèvement du catalogue général auteurs la publication de son catalogue des anonymes, s'est contentée jusqu'en 1950 de vivre sur le principe simple - trop simple - du classement des anonymes au premier mot du titre, en faisant des regroupements uniquement pour la Bible, les livres de liturgie, et en excluant du catalogue des anonymes, pour en faire des séries particulières, les catalogues de ventes aux enchères publiques, les actes pontificaux et épiscopaux, les actes royaux et les factums 2. Pour cette raison les Usages suivis dans la rédaction du catalogue général d'E. G. Ledos et A. Rastoul ne traitent que des auteurs et laissent de côté les anonymes.
Les règles publiées par l'A. B. F. en 1913 3, quoique assez imprécises, préconisaient quelques timides regroupements : « pour les livres anonymes qui se présentent, tantôt sous un titre latin, tantôt sous un titre français, tantôt sous un titre en langue étrangère (Bible, Biblia, Bibel; Gospel; Missale, Missel; Chanson de Roland, Rolandslied), on prend uniformément comme vedette la forme française usuelle et l'on fait des renvois pour les autres formes. On suit la même règle lorsque, dans la même langue, le même texte littéraire, juridique, religieux, etc... est désigné par des titres divers, par exemple : Pathelin le grand et le petit (ou : Maître Pierre Pathelin; la Farce de MaîtrePathelin; la Comédie des tromperies...); Pandectes (ou Digeste); les Évangiles (ou : les quatre Évangiles, les Saints Évangiles) ».
Depuis 1950, d'une part à la Commission du code de catalogage où sont représentées les grandes bibliothèques parisiennes et en particulier la Sorbonne, et d'autre part à la Bibliothèque nationale (services des publications officielles, des collectivités et des anonymes), s'est constituée peu à peu une doctrine sur le catalogage des anonymes visant à définir clairement les publications considérées comme telles et à les cataloguer d'après des principes clairs et logiques 4.
Une fois admis le principe qu'une collectivité, personne morale, était l'auteur des publications rédigées sous sa responsabilité, d'innombrables ouvrages échappaient au catalogue des anonymes pour être traités sous des vedettes de collectivités-auteurs ; ainsi fondaient rapidement les inextricables séries qui, par suite du classement au premier mot du titre, s'étaient constituées sous les mots : actes, catalogue, compte rendu, ministère, procès-verbal, règlement, etc...
La création des vedettes de collectivités-auteurs réduisait considérablement le domaine de l' « anonyme » mais ne le supprimait pas.
Les bibliothécaires connaissent bien ces publications, mais il n'est sans doute pas inutile, avant d'exposer les solutions proposées pour leur traitement, de jeter un coup d'œil sur ce type de publication et d'esquisser rapidement son évolution depuis la création de l'imprimerie.
Les publications considérées comme anonymes sont fort nombreuses au milieu du xxe siècle, mais elles ne sont pas semblables aux anonymes des siècles passés, en particulier à ceux des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles.
Le développement de la presse périodique et l'augmentation des frais d'impression ont fait disparaître à peu près complètement le libelle anonyme si florissant aux siècles passés. Les polémiques à coup de libelles anonymes ou de pièces fugitives ont été remplacées, le plus souvent, par des articles, signés ou non, dans les journaux ou les revues. La suppression de la censure politique ou ecclésiastique et aussi un certain goût de la publicité n'incitent plus les auteurs à ne pas signer leurs publications ou à se cacher sous des initiales ou des anagrammes. S'ils ne veulent pas se faire connaître, ils choisissent plutôt de publier sous un pseudonyme que de garder l'anonymat.
Ainsi la brochure personnelle de quelques pages, si fréquente aux siècles passés, est devenue relativement rare de nos jours. Mais ce genre de publication se rencontre très souvent dans les fonds anciens et il est nécessaire de le cataloguer.
Si beaucoup d'ouvrages anonymes, en général assez courts, paraissent actuellement, ils représentent, par le mode de publication et le contenu, des types assez différents : ce sont rarement comme autrefois des ouvrages de caractère littéraire, historique ou politique, mais plutôt des publications collectives à but éducatif, religieux, technique, touristique, etc., qui, pour des raisons diverses, ne peuvent être cataloguées dans une vedette de collectivité et restent du domaine des anonymes.
Aux deux types de publications que nous venons d'évoquer convient assez bien le système traditionnel du classement au premier mot du titre, ces ouvrages ayant en général un titre significatif se suffisant à lui-même.
Le classement au titre de l'ouvrage s'applique également assez bien à un type de publication qui lui, au contraire, va en se développant : il s'agit des ouvrages à auteurs multiples.
Depuis très longtemps les bibliothécaires français (et étrangers) se sont heurtés aux difficultés que représente le catalogage de ces ouvrages. Devant la multiplicité des auteurs ils ont dû renoncer à rédiger des fiches au nom de chacun des collaborateurs et classer l'ouvrage à son titre en ayant l'impression que ce classement au titre d'ouvrages dus à des auteurs nombreux, mais qui ne dissimulaient pas leur identité, a quelque chose d'arbitraire. Mais il ne faut pas s'exagérer cet arbitraire. Il y a une différence considérable entre la rédaction d'un ouvrage personnel et la collaboration à une entreprise collective. Il peut paraître choquant de classer au titre un ouvrage rédigé en collaboration par six ou sept personnes, mais on n'envisage pas de classer autrement une encyclopédie, fruit de la collaboration de cinquante ou cent personnes, qui ont toutes signé leurs articles. De la première à la seconde publication, on passe par des degrés insensibles, mais, formellement, elles sont très proches l'une de l'autre. Il n'est donc pas tellement arbitraire de décider que les ouvrages en collaboration seront traités au titre au-delà d'un certain nombre de co-auteurs. C'est le choix de ce nombre qui est vraiment arbitraire ; il était normal que d'un établissement ou d'un pays à l'autre on ait fait des choix différents. Le classement au titre des ouvrages rédigés par plus de trois collaborateurs étant le plus communément admis, c'est celui qui a été choisi par la Commission du code. La Bibliothèque nationale traitait au titre au-delà de cinq auteurs. Pour la première tranche de son futur catalogue quinquennal 1960-1964, elle vient de s'aligner sur les règles proposées par l'AFNOR 5.
L'application de cette règle est facile pour les ouvrages en un seul volume; elle devient plus délicate pour les ouvrages qui en comportent plusieurs. Il convient ici de faire intervenir la notion d'unité bibliographique, notion que la plupart des codes de catalogage n'ont pas définie suffisamment clairement.
Prenons deux exemples :
Le Nouveau traité de chimie minérale publié sous la direction de Paul Pascal ou l'Histoire générale des civilisations dirigée par Maurice Crouzet constituent deux unités bibliographiques comprenant chacune plusieurs tomes (division intellectuelle) ou volumes (division matérielle) rédigés par divers collaborateurs. La fiche de base de chacun de ces ouvrages doit, en toute logique, être rédigée au titre de ces deux « suites » ; chaque tome (ou volume) ne constitue pas une unité bibliographique distincte, mais une partie de cette unité. Les directeurs de ces deux entreprises font l'objet d'une fiche secondaire de directeur. Restent les collaborateurs.
Nos deux exemples présentent ici quelques différences : le Nouveau traité de chimie minérale annonce une centaine de collaborateurs, chaque volume étant rédigé par un nombre assez élevé de collaborateurs (5 ou 6 en moyenne). L'Histoire générale des civilisations, entreprise moins considérable, a plusieurs volumes dus à un ou deux rédacteurs. Convient-il de faire des fiches secondaires aux cent collaborateurs du Nouveau traité de chimie minérale et à la dizaine de collaborateurs de l'Histoire générale des civilisations? Si l'on applique strictement la règle du classement au titre au-delà de trois auteurs certainement non. Mais cette règle doit être assouplie et l'usage est de rédiger des fiches secondaires de collaborateurs notamment lorsque certains volumes d'un grand traité sont rédigés par un, deux ou trois collaborateurs 6.
Le classement au titre des anthologies, avec une fiche secondaire au nom de celui qui a fait le choix, dérive logiquement de l'application du principe du classement au titre des ouvrages à auteurs multiples.
Nous passerons rapidement sur les dispositions du projet de norme concernant les anonymes dévoilés. La rédaction de la fiche de base au titre de l'ouvrage avec, en note, identification de l'auteur et référence à la source de cette identification, correspond à un souci de rigueur bibliographique : un ouvrage publié sans nom d'auteur doit paraître à son titre afin d'être retrouvé facilement par un usager en droit d'ignorer certaines identifications savantes. La seconde fiche rédigée, avec en vedette l'auteur dévoilé, satisfait les lecteurs « savants » et respecte le principe de la réunion de tous les ouvrages d'un auteur sous une même vedette.
Certains ouvrages sont signés d'initiales : il n'a pas été envisagé de faire des fiches à ces initiales ainsi qu'il était d'usage autrefois à la Bibliothèque nationale et dans d'autres grandes bibliothèques; les essais de classement aux initiales n'ont pas donné satisfaction 7.
Les nouveautés les plus considérables apportées par le projet de norme résident dans la codification du système de classement de certains anonymes sous des vedettes de forme.
Une partie considérable des anonymes et certainement l'une des plus intéressantes bibliographiquement et intellectuellement est composée des « classiques anonymes » : textes de caractère religieux ou littéraire dus à des auteurs inconnus ou légendaires. Ces classiques, variés et nombreux, comprennent notamment la plus grande part des livres sacrés d'Orient et d'Occident et de la littérature médiévale. Ces ouvrages ayant fait l'objet de multiples éditions (complètes ou partielles) et de traductions en différentes langues, ne peuvent être catalogués utilement au premier mot du titre qui peut varier considérablement selon la fantaisie ou la nationalité de l'éditeur.
Ainsi le texte en ancien français de la Chanson de Roland pourra être intitulé tour à tour : Chanson de Roland, Rencesvals, Roncisvals, Rolandslied, Altfranzösische Rolandslied, the Song of Roland, etc... La Bible sera tour à tour : Biblia, Sacra Biblia, Bibel, Sainte Bible, Holy Bible, etc... et chacune de ses parties maintes fois éditée en toutes langues aura les titres les plus variés. Un regroupement de toutes les éditions ou traductions sous une vedette unique est donc nécessaire si l'on veut permettre au public d'utiliser au mieux les ressources d'une bibliothèque donnée.
Dans le système mis au point par la Commission, la vedette comprend un titre conventionnel, la langue (ou les langues) dans laquelle le texte est publié et la date de l'édition.
Le titre conventionnel est constitué, en principe, par le titre le plus courant du texte dans sa langue originale. Le choix de la langue originale du titre a été fait en vue de permettre un accord international sur des vedettes d'anonymes. Dans d'assez nombreux cas, toutefois, quand il existe un titre français consacré par l'usage, on pourra préférer celui-ci tout en faisant un renvoi du titre original au titre choisi 8.
Les mentions, dans la vedette, de la langue et de la date de publication ont été recommandées pour faciliter les intercalations des fiches entre elles.
Afin de permettre l'application du système du titre conventionnel sur le plan national (et encore plus sur le plan international), la publication d'une liste aussi complète que possible de ces titres conventionnels est infiniment souhaitable 9.
Au texte de la norme, on pourrait ajouter que le choix d'un titre conventionnel s'impose également pour un certain nombre d'ouvrages ou collections d'ouvrages qui n'ont pas de titre original :
Mer morte (manuscrits de la).
Ras Shamra (textes de).
Tell El-Amarna (texte de), etc...
Le projet de norme française, après avoir envisagé les anonymes classés au premier mot du titre et ceux ayant pour vedette un titre conventionnel, comprend une troisième partie réservée aux anonymes ayant pour vedette une vedette de forme.
La vedette de forme diffère complètement du titre réel ou conventionnel qui a pour but de rassembler sous une seule vedette le même texte dans ses différentes éditions ou versions. Son but est de rassembler des publications d'une même forme ou d'un même type mais différentes par le contenu.
Il convient de ne pas oublier que le système de catalogage adopté actuellement en France distingue très nettement catalogue auteurs, collectivités-auteurs, anonymes d'une part, et catalogue alphabétique de matières d'autre part. Si l'on décide, à l'intérieur du catalogue alphabétique auteurs-anonymes, la création d'un certain nombre de rubriques de forme, il faut prendre garde à ne pas constituer à l'intérieur d'un catalogue alphabétique des regroupements ayant leur place au catalogue matières. Les vedettes de forme conviennent uniquement aux ouvrages anonymes difficiles à trouver s'ils étaient classés à leurs titres et que le catalogue matières ne permet pas de regrouper utilement. Il semble donc à conseiller de ne pas multiplier à l'infini ces vedettes.
Mais dans un nombre de cas assez restreint et pour des publications de types bien déterminés, elles permettent d'éviter la constitution de ces catalogues particuliers envisagée jadis par Léopold Delisle, les ouvrages regroupés sous chaque vedette étant insérés dans le catalogue général à cette vedette.
Particulièrement utiles semblent devoir être les vedettes de forme : Cartulaire, Collection 10, Coutume, Mélanges, Traité 11, Vente 12, etc. Un accord international est souhaitable sur la création de telles vedettes de forme : ce sera un des point difficiles à résoudre pour la Conférence de 196I.
En effet, certains pays ne font pas la distinction entre catalogue auteurs-anonymes et catalogues matières et préfèrent des catalogues du type dictionnaire, ce qui complique l'établissement des vedettes de forme; d'autres préfèrent des catalogues particuliers, etc... D'autre part, les vedettes de forme, création des rédacteurs de catalogues, sont évidemment choisies dans la langue d'un pays donné. Si un accord peut se faire sur un nombre restreint de ces vedettes, il faudra ensuite établir un répertoire polyglotte des équivalences de ces vedettes. Quoi qu'il en soit sur le plan français, l'expérience récente démontre la grande utilité des vedettes « Cartulaire » et « Coutume » pour les ouvrages anciens et des vedettes « Mélanges », « Traité » et « Vente » pour les livres contemporains.