Photographie et conservation des originaux précautions à prendre au cours des prises de vues
Des avis autorisés ont à plusieurs reprises attiré l'attention des conservateurs sur les dangers que peuvent présenter la lumière et la chaleur pour la conservation des documents sur parchemin comme sur papier, et plus particulièrement pour les peintures des manuscrits.
C'est donc à bon droit qu'on doit se préoccuper des conditions dans lesquelles ces documents sont soumis à l'action des sources lumineuses employées pour les prises de vues (photographie ou microscopie), comme pour la lecture des textes plus ou moins effacés.
Dans plusieurs grands dépôts européens, ces questions font l'objet d'études minutieuses, dont les résultats définitifs ne seront sans doute pas obtenus avant quelque temps; mais on peut penser qu'en maintenant dans certaines limites le niveau et la durée de l'éclairement et de l'échauffement auxquels sont exposés les documents au cours des prises de vues photographiques, celles-ci peuvent continuer d'être autorisées.
C'est pour préciser ces conditions que la Bibliothèque nationale a sollicité l'avis d'un spécialiste de la chimie des peintures et vernis. Au cours de la visite des ateliers, on a constaté que le travail pouvait y être poursuivi dans les conditions de fait qui se trouvaient réunies dans la plupart d'entre eux et sont indiquées plus loin. A l'issue de cette visite, il a paru opportun de rappeler les notions et consignes suivantes.
Il ne faut pas confondre l'action de la lumière proprement dite (radiations visibles dont les longueurs d'onde vont de 3.800 à 7.600 Angströms), et celles des radiations ultraviolettes (1.800 à 3.800 A) et des radiations infrarouges (7.600 à 200.000 A).
Il faut encore distinguer :
- l'ultraviolet proche (4.000 - 3.150 A) produit par les lampes à vapeur de mercure à haute pression ou à pression normale, les rayons solaires et l'arc électrique, et qui traverse le verre ordinaire;
- l'ultraviolet moyen (3.150 - 2.800 A) et l'ultraviolet lointain (2.800 -200 A) qui ne traverse pas le verre ordinaire;
- l'ultraviolet très lointain (2.800 - 1.850 A) qui ne traverse aucun verre 1.
En ce qui concerne l'ultraviolet proche qui accompagne la lumière solaire ainsi que celle des différentes sources artificielles d'éclairage utilisées pour impressionner les surfaces sensibles, ces radiations, qui n'ont pas d'action antibiotique, sont néanmoins capables, en particulier pour les longueurs d'onde les plus courtes de cette zone, de modifier certaines substances chimiques parmi lesquelles les colorants organiques, les peintures, les protéines, la cellulose. On peut donc redouter ces radiations à la fois pour les parchemins et pour la colle (gélatine ou caséine) des papiers et pour le papier lui-même; toutefois, l'encollage, qui serait surtout sensible aux radiations les plus courtes, peut être protégé par un filtre de verre à vitre tandis que celui-ci serait moins efficace pour la préservation de la cellulose du papier 2. Ces actions sont généralement accélérées par la chaleur, l'humidité, l'air (oxygène) et sont capables de se prolonger après exposition.
Parmi les radiations infrarouges, qui sont calorifiques, on retiendra la distinction entre l'infrarouge proche, dit aussi photographique (7.600-10.000 A) et l'infrarouge dit de « séchage » (10.000-20.000 A) 3.
Chacun de ces groupes de radiations est plus ou moins à redouter selon la source de lumière ou de rayonnement employée pour impressionner la surface sensible : lumière visible produite par des lampes incandescentes ou des lampes à décharges, rayonnements infrarouges ou ultraviolets eux-mêmes. Quoi qu'il en soit, si le rayonnement ultraviolet est dans certains cas presque entièrement absent, il n'en est jamais de même de l'infrarouge 4 et celui-ci semble assez important avec les lampes à incandescence, encore presque exclusivement employées, pour que l'on puisse redouter pour les documents des dommages analogues à ceux que produisent de mauvaises conditions climatiques de conservation.
Rappelons à ce sujet que, selon l'opinion la plus généralement reçue, l'humidité relative ne devrait pas s'abaisser au-dessous de 45 %, tandis que la limite supérieure au-dessous de laquelle peut varier la température sans nuire nécessairement à la conservation des documents serait fixée à 24° C; mais on doit s'efforcer de s'approcher le moins possible de cette limite car la tolérance des vélins et des peintures est sans doute plus faible que celle d'autres constituants.
On attribue par ailleurs la plus grande importance à la vitesse à laquelle peuvent se produire les modifications des conditions climatiques (du moins si le niveau atteint se maintient ensuite pendant un temps suffisant pour une « mise en régime » des documents); il semble que plus elles sont rapides, plus les documents risquent de se dégrader; affaiblissement du papier, enroulement et écaillement du parchemin et du vélin, écaillement de l'encre et des peintures. Ce qui est particulièrement à redouter dans le cas des prises de vues photographiques, c'est le desséchement et la différence de température, et par conséquent de dilatation, qui peut se produire entre la couche superficielle des peintures (directement en contact avec les radiations calorifiques et par conséquent rapidement échauffable) et le support, dont la température s'élèvera plus lentement et qui risque de ne pas « suivre » la dilatation de la couche superficielle. Indiquons ici qu'une élévation de 1 degré à l'heure est considérée par le Musée du Louvre comme à proscrire.
Une série de dispositions devront donc être prises pour éviter que les documents ne se trouvent soumis à d'excessives variations d'humidité relative et de température à l'occasion des prises de vues.
On s'efforcera d'autant plus de maintenir dans les ateliers un degré hygrométrique au moins égal à celui des dépôts (50 % -60 %) que l'on peut redouter une élévation de température aux environs du porte-document. En effet, pour une température ambiante de 20° et une humidité relative de 55 %, cette dernière s'abaisse de 6 %, pour un échauffement de 1°, 11 % pour 2°, 16 % pour 3°, 21 % pour 4° 5.
On tiendra compte de la différence de température ambiante qui existe presque nécessairement entre les dépôts et les ateliers. Si les premiers sont maintenus à une température assez basse (inférieure à 12°), il y aurait intérêt à apporter les documents fermés dans un bureau dont la température soit voisine de celle des ateliers vingt-quatre heures avant d'ouvrir les volumes sur le porte-document. Par contre, les documents devront séjourner le moins possible dans les ateliers eux-mêmes, ne serait-ce qu'en raison de la proximité des laboratoires où sont manipulés des produits chimiques dont les émanations sont toujours à redouter.
Il est vain d'espérer maintenir constamment la température des ateliers entre 18 et 20°, zone de « confort », mais, en même temps qu'on utilisera au mieux les dispositifs d'isolation et d'aération naturelle ou forcée dont on pourra disposer, on évitera tout d'abord les dispositifs lumineux capables d'élever considérablement la température ambiante, tels les « spot light », dont le manchon et la lentille forment calorifère.
Si l'on fait usage de lampes à incandescence, ce sont les radiations infrarouges (calorifiques) qui sont surtout à redouter, que le voltage soit faible ou élevé. On devra régler la puissance des sources lumineuses, leur distance par rapport au document et la durée de l'éclairement de façon que l'élévation de température localisée sur le porte-document soit négligeable; c'est ce qui paraît réalisé avec un dispositif totalisant une puissance de 1.200 watts (deux réflecteurs contenant chacun deux lampes miroirs de 300 watts) placé à 80 cm environ du porte-document, et pour des temps de pose de 12 secondes au maximum, du moins si toute la préparation est faite à la lumière ambiante et si l'éclairement de prise de vue n'excède le temps de pose que des quelques secondes nécessaires à la manœuvre du commutateur. En outre, toutes les fois qu'une plaque de verre de 5 à 10 mm d'épaisseur peut être interposée entre la source lumineuse et le document pour filtrer, avec les radiations ultraviolettes, une partie des radiations infrarouges, il semble qu'il y ait intérêt à en user. Placée à proximité de la source lumineuse, elle risque de s'échauffer très rapidement et de diffuser des calories qui contribueront à élever la température ambiante. Placée à proximité du document, elle ne doit présenter que des avantages si on prend soin de ne lui laisser exercer aucune pression mécanique sur le volume à photographier et de la changer dès que, s'étant elle-même échauffée, elle pourrait agir en calorifère.
L'interposition d'une glace permet enfin de faire agir sans inconvénient un dernier moyen de maîtriser l'élévation de température; il s'agit de ventilateurs brassant le volume d'air compris entre les sources lumineuses et le porte-document mais dont le souffle pourrait nuire aux documents s'il était dirigé sur eux.
Notons que ces précautions sont moins nécessaires lorsque l'on opère à la lumière monochromatique de sodium (5.890-5.896 A) car, si le tube à décharge est lui-même porté à une température assez élevée (280° C), la chaleur, nécessaire au fonctionnement même de la lampe, est conservée dans le tube par une cloche à vide à double paroi qui s'oppose pratiquement à toute diffusion externe 6.
Pour des documents de grande dimension, à proximité desquels on ne peut placer le filtre de verre, le Musée du Louvre impose aux photographes extérieurs les limitations suivantes :
- puissance maximum : 1.000 watts ou deux lampes de 500 watts chacune;
- distance des lampes au sujet : 3,50 m;
- durée d'éclairement : 10 minutes;
- bonne ventilation, non dirigée vers le sujet;
- la distance des lampes au sujet peut être réduite à 2,50 m pour des lampes munies d'un voile de verre, 1,50 m avec deux voiles.
Ces consignes seraient avantageusement étendues aux photographes extérieurs qui ont à opérer dans les bibliothèques.
Enfin, il est bon de souligner ici quel danger peuvent présenter les prises de vues pour le cinéma ou la télévision si l'on sait que les lampes couramment employées atteignent des puissances de 2.000 à 10.000 watts pour les images en noir, plus encore pour la couleur.
Il résulte de ce qui précède que les prises de vues à l'infrarouge, radiations très pénétrantes, qui permettent d'atteindre le tracé original sous les couches multiples qui ont pu le recouvrir, peuvent être particulièrement dangereuses pour la conservation, si du moins l'on ne fait choix des lampes au sodium décrites plus haut, qui n'émettent que dans l'étroite bande 8.183 à 8.194 A du proche infrarouge 7. Notons au contraire que, surtout avec l'infrarouge dit « de séchage » (1 à 2 μ), la mesure de la température ambiante entre la source de radiation et un document peint ne rend pas compte de l'échauffement de ce dernier : les surfaces sombres en particulier atteignent en quelques minutes une température bien plus élevée que l'air de l'enceinte et que le support, surtout si celui-ci est peu conducteur 8.
Les lumières froides ont d'autres inconvénients : diffusant relativement peu de rayonnement infrarouge, elles sont riches en radiations ultraviolettes. On se méfiera particulièrement des anciennes rampes à vapeur de mercure encore employées parfois pour la photocopie dont elles favorisent le contraste; bien que l'adjonction d'un filtre à ultraviolet supprime du même coup les avantages de ces radiations pour la qualité des reproductions, on ne doit pas hésiter à le faire, car les documents qui sont le plus généralement phototocopiés sont les articles de journaux et ces reproductions ne sont demandées le plus souvent qu'à des fins de documentation ou de preuve d'un intérêt passager. Il est indispensable d'exigerd es fournisseurs le « spectre d'émission » des lampes qu'ils fabriquent; de toute façon, les radiations visibles de la bande violette, très active, étant généralement assez abondantes, il est prudent de munir de filtres 9 ce type de lampe.
Le phénomène de la luminescence se définit comme une émission lumineuse qui n'est pas d'origine purement thermique, la fluorescence comme la luminosité émise par une substance sous l'effet d'une excitation produite par un rayonnement qui, dans la pratique, est le rayonnement ultraviolet de la vapeur de mercure à basse tension. On peut considérer que dans une lampe bien conçue tout le rayonnement ultraviolet est, soit réabsorbé par la vapeur de mercure, soit transformé en lumière visible de longueur d'onde plus grande, tandis que l'émission d'infrarouge est très faible, le rendement en lumière de certaines lampes fluorescentes atteignant 27 % contre 7 % pour l'incandescence 10. Néanmoins, le manque de maniabilité, l'encombrement et le coût d'installation de ces lampes interdisent de les utiliser en dehors d'ateliers très équipés.
La lumière de Wood ou ultraviolet filtré au moyen de verres noirs à l'oxyde de nickel (3.650-3.663 A, 3.341 A) 11, qui sert aussi à la lecture directe de documents effacés, dégagerait encore assez de chaleur pour élever la température de 3° C en 20 minutes à 90 cm.
Mention doit être faite, pour terminer, du « flash électronique », très court éclair (1 /1.000.000 à 1 /800.000 de seconde) produit par la décharge d'un condensateur à forte différence de potentiel dans un gaz rare (tel que le xénon). Ce « tube-éclair », qui ne chauffe pas extérieurement, a permis par exemple la photographie de cristaux de pénicilline extrêmement sensibles à la chaleur 12. Il est admis par le Musée du Louvre pour les prises de vue photographiques. Mais, compte tenu d'une émission ultraviolette qui n'est sans doute pas négligeable 13, et de certains inconvénients pratiques (encombrement du condensateur, difficulté de synchronisation avec l'obturateur), peut être est-il d'usage trop récent pour qu'on doive dès maintenant en généraliser l'emploi.
C'est en effet dans la perspective de bibliothèques de moyenne ou de faible importance qu'il sied de se placer si l'on veut rassembler quelques conclusions, provisoires certes, mais suffisamment pratiques pour guider, jusqu'à plus ample informé, le bibliothécaire dans la surveillance des prises de vues photographiques.
Sur le rapport entre la puissance des lampes et leur distance au document, on peut adopter le règlement du Musée du Louvre (voir ci-dessus, p. 600), en recourant, si besoin en est, à l'avis d'un électricien de l'administration pour apprécier les caractéristiques du matériel apporté par les photographes étrangers à la bibliothèque. Il faut surtout exiger que le temps d'éclairement soit réduit au minimum indispensable à la prise de vue, la préparation devant être faite soit à la lumière ambiante soit en utilisant un fantôme à la place du document 14. Si l'éclairement, fût-il intermittent, doit durer quelque temps (photographie d'un volume d'une certaine grosseur), disposer un thermomètre de précision en avant et à proximité du document, et faire modifier le dispositif d'éclairage si l'élévation thermique est rapide et de toute façon si la température dépasse 23° C. Si l'on fait usage d'un ventilateur, vérifier la propreté des pales et éviter de diriger l'air vers le document 15.
En terminant cette sommaire revue des dangers que présentent pour les documents les sources lumineuses utilisées en photographie, il convient de noter que les précautions qui peuvent être prises dans le choix et l'emploi de la lumière ne suffisent pas à écarter tout danger de détérioration. Placés dans des conditions nécessairement très différentes de celles que leur assurent habituellement les dépôts ou même les salles de travail, les documents doivent alors êtres considérés comme plus fragiles, plus vulnérables. Ils doivent donc être maniés avec plus de soin encore, s'il est possible, qu'en toute autre occasion. On ne peut nier que sous les projecteurs il n'y ait plus de risque de briser une reliure en l'ouvrant trop fortement, de craqueler des feuillets en les tournant trop brusquement, d'écailler l'encre ou la peinture par un aplanissement trop énergique, que celui-ci soit obtenu à l'aide d'une glace ou au moyen de pinces ou de liens. Pour certains volumes dont la reliure ancienne est trop serrée ou pour certains parchemins gondolés sous des peintures il faut savoir sacrifier la perfection de la photographie à la conservation de l'original 16. Plus simplement encore, il n'est pas possible non plus de confier des documents à un photographe dont les mains seraient peu soignées ou à un atelier qui ne disposerait pas de rayonnages où placer les volumes en instance. C'est donc un ensemble de précautions de tout ordre, appliquées avec une constante attention, qui permet de concilier les exigences de la conservation avec celles de la diffusion au moyen de la photographie. Il ne s'agit pas seulement de consignes précises dont la violation serait strictement sanctionnée. Il importe d'éveiller l'attention et l'intérêt du personnel photographe en lui faisant comprendre à la fois la valeur des documents qu'il est appelé à manier, leur constitution et les points sur lesquels ils sont le plus vulnérables. C'est en s'initiant aux problèmes des restaurateurs que le photographe peut devenir sans réserve l'auxiliaire de la conservation.