La presse pour enfants en France

Simone Lacroix

La presse enfantine est née en France au début du XIXe siècle, mais c'est à partir du XXe siècle qu'elle connut son immense développement. Elle est aujourd'hui pour tous les enfants une possibilité permanente de distraction et de détente.

La presse enfantine n'est qu'une partie de la presse mais sa forme, où prédomine l'image, l'apparente à d'autres modes d'expression : le cinéma, la télévision. Cette forme particulière et le contenu d'un journal pour enfants - histoires et informations - tels qu'ils se présentent à l'analyse sont-ils de nature à contribuer à la formation intellectuelle et morale de la jeunesse?

Éducateurs et psychologues s'interrogent. La presse d'aujourd'hui est-elle une auxiliaire ou une ennemie de l'éducation? Quelle est la portée réelle de son influence? Tout débat sur ce point se déroule généralement dans une atmosphère passionnée. Il y a les certitudes établies sur les faits. Il y a les hypothèses opposées, relatives et provisoires en l'absence d'informations précises.

Des études sont en cours non seulement en France, mais dans le monde entier. Le récent ouvrage de M. P. Fouilhé : « Journaux d'enfants, journaux pour rire 1»? montre la complexité des problèmes et pour quelques-uns expose l'état de la question.

Nous avons voulu, à l'occasion de la publication récente de ce livre, saisir dans sa constante évolution l'aspect actuel de la presse enfantine et indiquer l'orientation des recherches.

En 1954, on dénombrait environ 153 publications périodiques destinées aux enfants de 6 à 15 ans 2. Les évaluations donnaient en moyenne un chiffre annuel de tirage de 234.000.000 d'exemplaires soit 4.500.000 d'exemplaires par semaine 3. Il serait illusoire d'accorder à ces derniers chiffres une rigueur trop grande. Ils ne sont que des moyennes. Les chiffres de tirage, au cours d'une même année, subissent de très grandes variations. Pour certains périodiques ils sont même complètement ignorés (en novembre 1954, le Service juridique et technique de la presse n'avait pu obtenir le chiffre de tirage de 44 d'entre eux; en janvier 1956, 18 échappaient encore à ses investigations). Les chiffres de vente permettraient une juste appréciation de l'étendue de la clientèle des journaux pour enfants. Mais la presse dont la mission est d'informer, entoure ses activités d'une extrême discrétion. Toutefois, même en tenant compte du nombre des exemplaires invendus (Coq Hardi 44 %, Intrépide 31 %, Tintin 32 %, Vaillant 40 % 4) soumis lui aussi à des fluctuations mensuelles, on mesure aujourd'hui l'importance de la presse enfantine. Son succès va croissant. Les chiffres de tirage des périodiques les plus importants sont en constante augmentation 5.

Cette progression est due à un accroissement de la population enfantine et à son goût plus vif pour cette forme de lecture. Une infiltration relativement récente et de plus en plus grande dans les campagnes en est peut-être aussi la cause 6. Si nous manquons encore sur ce point de renseignements nombreux on peut mentionner à titre d'indication que, dans un bourg de 800 habitants du centre de la France, 7 hebdomadaires, 19 publications mensuelles ou bi-mensuelles sont régulièrement vendus en un grand nombre d'exemplaires 7.

De fréquentes modifications interviennent dans les éléments qui composent cette presse 8. En décembre 1950, elle comptait : 29 hebdomadaires, 20 bi-mensuels, 78 mensuels ou « irréguliers ». En 1954 9 : 23 hebdomadaires, 25 bi-mensuels, 105 mensuels ou « irréguliers » (dans cette catégorie on compte, depuis la guerre, les fascicules ne comprenant qu'une ou deux histoires qui tantôt sont des récits complets tantôt relatent en plusieurs livraisons les exploits du même « héros »).

Il semble donc que l'on doive enregistrer à l'heure actuelle une diminution des hebdomadaires, une légère augmentation des bi-mensuels, et un accroissement sensible du nombre des mensuels.

Toutefois quelles que soient ces modifications, l'examen du nombre des livraisons permet de conclure à une relative stabilité du marché 10 depuis 1951 : 1951 (2.073 livraisons), 1952 (1.919), 1953 (1.924), 1954 (2.119).

Le grand nombre de titres ne permet que rarement un chiffre élevé de tirage. En janvier 1956, 6 périodiques tiraient à plus de 200.000 exemplaires, 21 seulement à plus de 100.000 exemplaires.

Dans l'ensemble de cette presse, deux courants se dessinent, certains journaux se veulent éducatifs; les autres n'ont point d'autre but que de distraire. Les premiers sont rattachés à des mouvements, groupements ou associations laïcs, politiques ou confessionnels et s'appuient sur eux. Leur but est de former l'enfant selon l'idéal qui les inspire et selon des principes pédagogiques qui leur sont propres.

En 1946 le Syndicat des instituteurs, la Ligue de l'enseignement, la Coopérative de l'enseignement laïc (Freinet) et les Francs camarades ont lancé Francs-jeux. En 1949 un groupe d'enseignants a fondé à Toulouse Terre des jeunes. Ce périodique après avoir été repris par les éditions Rageot est maintenant édité par les mêmes associations qui soutiennent Francs-jeux, auxquelles sont venus se joindre les syndicats de l'enseignement secondaire et technique. Il convient également de signaler les journaux édités par les mouvements laïcs et La Gerbe, journal de la Coopérative de l'enseignement laïc créé en 1927 et qui réunit les meilleures pages des journaux édités par les enfants suivant la technique de l'imprimerie à l'école.

Vaillant est le journal des organes d'extrême gauche. Il est né en 1945 de la transformation du Jeune patriote, journal clandestin. Il fut le premier à reparaître après la libération. Notons à l'heure actuelle, de la même inspiration, l'effort fait pour les enfants de 5 à 7 ans avec Roudoudou et Riquiqui les belles images.

La presse catholique dispose, comme avant la guerre d'ailleurs, du choix le plus varié des journaux éducatifs pour enfants. Ames Vaillantes, Bayard, Bernadette, Cœurs Vaillants, Fripounet et Marisette sont les plus connus. A côté des grands titres, toute une gamme de « journaux de mouvements » s'appuie sur une clientèle limitée mais fidèle (mouvements scouts, jeunesses catholiques, mouvements de la Propagation de la foi, etc.).

Les publications protestantes, dont Grain de sel, et israélites, dont l'Ami, disposant en France d'un public beaucoup moins étendu n'ont pas la variété des publications catholiques.

Si le nombre de ces périodiques éducatifs est au total assez élevé, leur chiffre global annuel de tirage n'atteignait en 1953 que 2.116.500 exemplaires représentant à cette date 1 /8 environ de la presse enfantine 11.

On groupe généralement les autres publications sous le nom de presse commerciale, mais les éditeurs de ces périodiques lui préfèrent le terme de presse récréative. Cette deuxième appellation traduit un but, celui de divertir. La première suggère que la presse récréative, plus que la presse éducative, est soumise à certains impératifs dont, en premier lieu, la difficile conquête de la clientèle. Pour soutenir une concurrence nécessairement assez âpre elle s'appuie sur de puissants moyens financiers et techniques et souvent sur une remarquable organisation publicitaire. Elle les trouve auprès d'importantes sociétés de presse et de maisons d'édition auxquelles ces journaux sont parfois rattachés. Elle les trouve également dans une importante concentration commerciale qui groupe un grand nombre de publications enfantines entre les mains de quelques éditeurs 12. Parmi les hebdomadaires le Journal de Mickey sort des mêmes presses que Confidences et Samedi-soir. Hurrah et l'Intrépide sont publiés avec les mêmes capitaux que Nous-Deux, Intimité, Madrigal, Boléro, Festival, Mondanités, Révélation, Secrets de Femmes. Mireille est financée, pour 50 %, par le même éditeur.

Les éditions Montsouris impriment, non seulement le Petit Écho de la Mode, mais encore Pierrot, Lisette et Coq Hardi. Benjamin est soutenu par Réalités; Line et Tintin par les éditions Dargaud qui éditent par ailleurs A tout cœur et des revues de tricot. Les éditions Gautier-Languereau publient la Semaine de Suzette. Enfin, nouveaux venus sur le marché de la presse enfantine, certains périodiques, pour le moment très rares, sont édités, à titre publicitaire, par de grosses sociétés : ainsi Kim est imprimé par la Shell et diffusé par les dépositaires.

D'autre part, sur 85 titres d'albums de récits complets, 70 appartiennent à 8 éditeurs :
Éditions Artima (Tourcoing)................................................. 15
(Ardan, Audax, Aventures films, Dynamic, Météor...)
Éditions Rouff (Paris)...................................................... 9
(Les Aventures de Poucette, les Aventures de Bouclette...)
Société anonyme générale d'éditions (Paris) .................................. 10
(Héroïc, Sciuscia, Tom et Jerry, Pécos Bill, Roy Rogers, Petit shériff...)
Société nationale de presse illustrée (Paris).................................... 9
(L'Invincible, Zorro, Bimbo...)
Éditions Lug (Lyon)........................................................ 7
(Pipo, Rodéo...)
Éditions des Remparts (Lyon)..... 9
(Capucine, Junior-espionnage, Junior-aventures...)
Éditions Impéria (Lyon).................................................... 6
(Buck-John, Cassidy, Super Boy, Prairie, Garry...)
Éditions de la Foux (Draguignan)..... 5
(Gais jeudis, Casse-cou...)

Dans cette perspective, si quelques éditeurs se sont constamment souciés d'offrir à leur public des lectures récréatives de plus ou moins grande qualité mais toujours sans danger, un certain nombre d'autres ont vu leur sens des responsabilités s'estomper devant des préoccupations spéculatives. Augmenter le chiffre de vente par des concessions au goût du public avait amené, après la guerre, une dégradation continue de la valeur esthétique, littéraire et morale de la presse enfantine. Les éditeurs de magazines ne faisaient plus eux-mêmes une rigoureuse discrimination entre les publications destinées aux adultes et celles destinées aux enfants. Nous nous acheminions vers cette presse de l' « horreur » qui sévit en d'autres pays. Une réaction s'est amorcée. Nous verrons, plus loin, comment et sous quelles influences.

Le journal est un des moyens de divertissement le plus accessible aux enfants. Il a en outre, pour beaucoup d'entre eux, l'attrait d'être librement choisi. Son prix relativement bas (de 25 à 65 francs environ) le met à la portée de tous, dans tous les milieux et dans toutes les classes sociales. Le lecteur peut même en acquérir plusieurs à la fois. De grandes entreprises de diffusion le déposent périodiquement dans les kiosques et dans les librairies. L'enfant l'achète seul ou en compagnie de ses parents. Une enquête menée auprès des dépositaires fait ressortir qu'il leur impose le plus souvent son goût (85 %) 13. Plus rares sont ceux qui le reçoivent par abonnement.

La semaine ou le mois écoulé, les camelots, dans les rues, les métros ou les gares, offrent encore « à la sauvette », mais avec succès, des poignées d'invendus. Les militants des organisations confessionnelles et politiques se chargent auprès des jeunes adhérents de la diffusion des « journaux de mouvements ». Dédaigneux des rubriques d'actualité, le journal pour enfants garde un intérêt plus durable que les éphémères quotidiens ou hebdomadaires des adultes. Il se prête à la création de tout un réseau de prêts et d'échanges échelonnés sur plusieurs mois. Il se trouve enfin toujours quelques gamins, à l'esprit pratique, pour créer à la porte des écoles ou dans les jardins publics une « bourse aux illustrés » animée par de jeunes lecteurs, tour à tour revendeurs et acheteurs. Le journal a ses fervents et ses tièdes. Des statistiques établies par M. P. Fouilhé montrent que 50% des enfants lisent de 3 à 8 journaux par semaine; 45 % de 1 à 2; 5 % seulement moins de 1 par mois. Les groupes des lecteurs se répartissent comme suit 14 :

Une enquête menée par le même chercheur en janvier-février 1950 dans un collège parisien, sur 350 enfants des classes de 6e, 5e et 4e révèle que l'intérêt varie selon l'âge et le milieu social  15. Les plus jeunes enfants sont les lecteurs les plus fervents : 72 % à 10 ans, 50 % à 13 ans, 61 % à 14 ans, 25 % à 15 ans. Les enfants issus des milieux ouvriers sont ceux qui d'abord manifestent le goût le plus vif pour les journaux mais aussi ceux qui s'en détachent le plus rapidement. 85 % de lecteurs en 6e, 32 % en 4e. Ceux de la petite bourgeoisie sont ceux qui lui sont le plus fidèles : 68 % en 6e, 55 % en 4e. Le journal exerce un attrait moins grand sur les enfants issus du milieu des professions libérales : 65 % en 6e, 37 % en 4e. On constate entre 12 et 15 ans une diminution croissante des acheteurs correspondant à un détachement progressif de l'enfant.

Il semblerait qu'à partir de 15 ans le journal n'ait plus guère de succès? Mais nombre d'adolescents le disputent encore aux plus jeunes pour le lire. Et maints adultes, si on les pressait, finiraient par avouer qu'ils y trouvent un plaisir extrême. La presse enfantine est un domaine aux frontières imprécises.

Nous avons parlé jusqu'ici de journaux mais le terme qui les désigne plus volontiers est celui d'illustrés. Ils doivent ce nom, par comparaison avec les anciens périodiques, au renversement des proportions à l'intérieur d'un récit entre le texte et l'image. Ils le doivent aussi à la place très importante, parfois prépondérante, que l'image occupe à l'intérieur d'une même publication.

Le dessinateur d'autrefois illustrait un texte, mais nous sommes loin, en vérité, des journaux du XIXe siècle, austères, à l'illustration rare accompagnant quelques moments privilégiés du récit, filtrés par l'imagination d'un Tony Johannot ou d'un Gustave Doré. L'illustrateur d'aujourd'hui raconte une histoire par l'intermédiaire d'images enfermées dans une série de cadres successifs, alignés en bandes et couvrant toute la page. Le texte, généralement en style direct, est réduit à quelques lignes ou à quelques mots.

Cette présentation rappelle celle des « histoires en tableaux » sorties de la célèbre fabrique d'Épinal, adaptées par N. Pellerin et Vadet et orientées vers la clientèle enfantine. La structure interne de nos modernes illustrations en est toutefois fort différente. La collaboration, aux États-Unis, au début du siècle des premiers dessinateurs de bandes illustrées (dont Geo Mac Manus) et d'un des créateurs du dessin animé (Emile Cohl) devait conduire ces deux modes d'expression à s'influencer réciproquement. L'histoire en bandes devait y acquérir non seulement le nom de « comics » sous lequel on la désigne aujourd'hui mais encore « sa grammaire et son style ».

M. P. Fouilhé en a tenté le premier l'analyse. Nous reprenons, en les résumant, ses conclusions 16. Le film de dessin animé nous restitue la vision du mouvement. L'illustré nous le suggère. Le dessinateur d'une bande le décompose et ne retient que les éléments qui pourront le mieux nous en donner l'illusion. Dans cette perspective la force d'expression d'une image, sa valeur, dépendent du talent de l'illustrateur mais plus encore de son habilité à ne choisir que certaines scènes et certains angles. « Le dessinateur manipule donc son image. Véritable metteur en scène, il choisit également le point de vue sous lequel celle-ci sera présentée. Nous retrouverons là un vocabulaire familier aux cinéastes : plans d'ensemble, qui situent le décor, qui plantent le cadre de l'action, plans moyens utilisés pour suivre une action, une scène précise. C'est celui des bagarres, des combats corps à corps, un des plus fréquents, avec le plan rapproché (ou plan américain) qui coupe les personnages à mi-corps. C'est celui des discussions. Enfin le gros plan qui isole une tête, une arme, un détail particulier... ». « Cette mobilité des points de vue est la grande leçon que l'illustré a reçue du cinéma ».

La stylisation du dessin, qui schématise les personnages et le milieu, les réduisant à quelques éléments essentiels mais leur donnant aussi plus de relief facilite la compréhension de l'histoire par une vision rapide et continue. Il reste que ces options diverses de l'illustrateur donnent l'impression d'un temps discontinu dont souffre la logique interne du récit. D'où ces « ballonnets » sortis de la bouche des personnages ne renfermant que quelques lignes et dont le rôle est d'assurer la liaison avec l'image suivante, chevilles entre deux images. (Il serait intéressant de noter la multiplicité des indications qui donnent aux lecteurs l'illusion de l'écoulement du temps).

L'illustré est devenu, on le voit, une des formes de l'expression de la pensée. Ne pourrait-il à ce titre se hausser au niveau d'une œuvre d'art? Le crayon d'un grand artiste créera peut-être un jour grâce à lui « des œuvres dignes de figurer parmi les productions de l'esprit humain, géniales dans leur conception, moralement indiscutables, poétiquement inspirées, merveilleuses dans leur technique » et portant l'empreinte du génie national.

Sommes-nous loin des vœux à la réalité? En feuilletant nombre de journaux on serait tenté de le croire. La platitude du dessin le dispute souvent à une étonnante vulgarité. Ici les traits sont écrasés, là les couleurs inharmonieuses et criardes. Cet état ne tient pas, nous venons de le voir, à la forme même de l'illustré. Il faut en chercher la cause parfois dans le choix de médiocres dessinateurs, mais aussi dans les conditions du marché en France de la presse enfantine. Le prix de vente relativement bas où se maintiennent les journaux oblige les éditeurs à tirer sur du papier de très mauvaise qualité des illustrations originales quelquefois excellentes. Elles y perdent ainsi toute valeur esthétique.

Toutefois un examen plus attentif de la presse enfantine montre qu'elle n'est plus le domaine exclusif de la médiocrité. La convergence de causes diverses l'oriente vers une présentation meilleure, élégante et de bon goût. En 1952, le lancement du Journal de Mickey auquel il fallut bien reconnaître un certain nombre de qualités techniques, son immense et immédiat succès, d'autre part l'apparition sur le marché de journaux à la forme plus soignée (en 1954 Jocko et Poustiquet, en 1955 Line) firent réfléchir des concurrents qui s'installaient dans la facilité.

Dans les anciens hebdomadaires, de notables améliorations se remarquent ici et là : meilleur tirage, dessins plus nets, couleurs vives et variées. Une évolution se dessine d'ailleurs vers une augmentation des pages en couleurs (Fillette deux pages supplémentaires, Francs-jeux quatre pages supplémentaires, Tintin huit pages supplémentaires; quant à Vaillant il a éliminé complètement le noir et le blanc).

Cette recherche de la qualité s'accompagne d'un effort vers plus d'originalité. Une plus faible utilisation des bandes illustrées étrangères en est, semble-t-il, la cause. Ces bandes avaient fait la conquête du jeune public français grâce à Mickey importé en 1935. Leur adoption par les journaux français provoqua à partir de cette date un ample développement de la presse enfantine. En 1936, Georges Sadoul soulignait déjà la « colonisation » de nos journaux par les flans américains d'ailleurs concurrencés par des flans d'origine italienne et vendus par de grandes agences internationales qui imposaient aux dessins un style uniforme. Disparus pendant la guerre, les flans étrangers réoccupèrent victorieusement la place à partir de 1946. Le choix, malheureusement, était aussi mauvais qu'autrefois et la publication de bandes qui s'étaient faites une spécialité de l'apologie de la violence et du crime soulevèrent une légitime émotion parmi les éducateurs et les familles. Dans le cadre d'une campagne menée contre les illustrés, les dessinateurs français menacés par le dumping des importateurs s'insurgèrent à leur tour. Les pouvoirs publics prirent en considération leur situation. Dans une proposition de loi du 8 juillet 1949, un article précisait que la surface réservée aux auteurs et dessinateurs français ne pouvait être inférieure à 75 % de la surface totale des publications. Voté en première lecture à l'Assemblée nationale, cet article disparut assez singulièrement de la rédaction définitive.

A l'heure actuelle, il semble qu'il faille toutefois enregistrer une régression dans la place faite aux « comics » étrangers. Pourquoi? Les journaux éducatifs en ont toujours refusé l'emploi. Leur qualité n'y perdait rien, leur chiffre de tirage n'en souffrait pas davantage. Il y avait là, pour les éditeurs de journaux commerciaux, un exemple à méditer. D'autre part, les protestations dont nous avons souligné ci-dessus l'importance ne restèrent pas sans écho. Enfin, la nocivité de certains thèmes de « comics » attirait fâcheusement les observations de la Commission de contrôle des publications destinées à la jeunesse dont nous verrons plus loin l'origine et le rôle. Une politique de prudence conseillait de réduire la place de ces flans et de chercher ailleurs des sources de renouvellement susceptibles d'attirer la jeune clientèle. L'ensemble de ces facteurs explique, en partie, pourquoi une place de plus en plus grande est réservée dans les illustrés aux dessinateurs français. En conséquence, l'illustré se dégage peu à peu du « style américain » qui le dominait et y gagne en personnalité. Mais ne soyons pas exagérément optimistes. Nous ne sommes encore qu'à l'aube d'une amélioration et elle ne touche que les hebdomadaires. Les éditeurs d'albums de récits complets ne semblent que rarement avoir éprouvé le besoin de puiser à ces sources nouvelles.

Quelle surface occupent aujourd'hui dans une publication enfantine ces bandes illustrées dont nous venons d'analyser la structure? On a dénoncé l'impérialisme de l'image. On a reproché à ces bandes d'éliminer le texte à leur profit. Parmi les albums de récits complets, Pépito, à l'exception des pages de couverture et de deux pages de publicité, leur est entièrement consacré. Dans le dernier album de Zorro, 118 pages sur 132 sont formées d'histoires en bandes; de même dans Bimbo. Dans Super Boy, 68 pages sur 100. Dans les principaux hebdomadaires commerciaux, la surface qu'elles occupent varie entre 52 % et 90 % : Hurrah, 22 pages sur 24, l'Intrépide, 20 sur 24, Lisette, 8 sur 20, le Journal de Mickey, 10 sur 16, Pierrot, 16 sur 20, Tintin, 16 sur 32. Mais, dans l'ensemble, on discerne l'amorce d'un changement. L'image cède un peu de terrain. Des textes, des rubriques prennent la place qu'elle abandonne. Mais, parallèlement, ces histoires en bandes font une apparition de plus en plus fréquente dans les journaux éducatifs : Ames Vaillantes, 4 pages ½ sur 12, Francs-jeux avec son supplément, 7 sur 24, Fripounet et Marisette, 3 ½ sur 8, Vaillant, 10 ½ sur 16. Jusqu'à ces dernières années, les pédagogues jetaient l'anathème sur les illustrés. Leurs journaux avaient tendance à éliminer les bandes. Les introduisait-on? C'était à regret et comme une concession au goût du public. Pourquoi cette évolution? Quelle critique adressait-on aux « comics » et ces critiques étaient-elles toujours valables? Ce qui revient à dire : quel intérêt l'enfant trouve-t-il à ces bandes illustrées et les sources de cet intérêt sont-elles condamnables? Quelles influences exercent-elles sur sa formation intellectuelle? Quelle est la portée réelle de cette influence? L'accord sur ces divers points est loin d'être fait. Des enquêtes, des interviews, des études se multiplient tant en France qu'à l'étranger (en Amérique, en Allemagne, en Angleterre, en Autriche, en Italie, etc...). Fragmentaires peut-être, mais de plus en plus nombreuses. Les conclusions s'affrontent. Que peut-on en dégager?

L'illustré a tout de suite trouvé une clientèle enthousiaste qui ne fait que croître. Comme le cinéma et la télévision. Fait significatif : les congrès nationaux et internationaux les inscrivent tous trois simultanément au programme de leurs travaux. C'est que l'enfant se trouve spontanément adapté à leur forme d'expression : l'image : « L'activité sensorielle commande les premières acquisitions intellectuelles de l'enfant, qui adhère intuitivement au concret, bien avant que son esprit puisse exercer ses capacités discursives. L'image, au fur et à mesure que l'enfant grandit, garde cette puissance de contact direct, spontané, derrière laquelle, il faut bien le reconnaître, la réflexion s'efface, ce qui explique son pouvoir de fascination sur le tout jeune enfant, d'attraction sur l'enfant plus maître de son affectivité 17 ».

Cet illustré qui capte l'attention des jeunes, ne met-il pas en péril, par l'incorrection et la pauvreté de sa langue, leur formation littéraire? L'excès d'image entretient, dit-on, leur paresse intellectuelle, leur ôte le goût de la lecture, leur désapprend le chemin de la bibliothèque.

Certes les petits « nuages » qui s'échappent de la bouche des personnages ont été longtemps remplis de fautes d'orthographe, de grammaire, de syntaxe, et gonflés d'injures dont s'enrichissaient les dialogues enfantins. Les interjections tendaient à se substituer aux mots et les onomatopées à l'expression des pensées. Un argot grossier et intelligible pour les seuls initiés remplaçait peu à peu la langue française. La critique était unanime. Elle n'était que trop vraie. Ces excès n'allaient pas dans le sens des efforts des éducateurs. Ils s'atténuent peu à peu. Sous l'effet de critiques répétées, des phrases comme celles-ci : « Toi, cézigue, tu ne piges jamais rien... », « moi, des martiens je m'en balance, mais ce que je sais c'est que je vais te casser la figure si tu ne cesses de m'enquiquiner » sont beaucoup plus rares. Mais voici plus grave. Confrontant un album du Père Castor (Froux le lièvre) et un texte tiré d'une aventure de Héroïc, M. Brauner met en évidence l'insignifiance de la langue du second 18. Parmi les 500 premiers mots du début de Froux, on relève 94 substantifs différents. Un texte de longueur identique dans Héroïc n'en contient que 68. Même remarque pour les verbes qui sont plus choisis dans Froux. Pour « prendre, arriver, perdre, emporter, laisser, aller, venir, lâcher, dormir, etc... » dans Héroïc, on trouve « nourrir, dorloter, quitter, friser, borner, croquer, grimper, rencontrer, enregistrer, etc... » dans Froux. Et M. Brauner d'ajouter : « On pourrait faire une expérience semblable avec des textes d'une simplicité réputée parmi les chefs-d'œuvre de la littérature enfantine ou autre. La petite chèvre de M. Seguin qui vraiment n'avait qu'une seule petite idée dans la tête s'est exprimée avec vingt fois plus de mots différents et bien choisis que tel bandit fort éloquent qui accompagnait chaque coup de revolver d'une oraison funèbre. »

Mais la lecture de l'illustré détourne-t-elle effectivement les enfants de Daudet, des classiques et des livres en général? A cette question, M. P. Fouilhé apporte les résultats d'une enquête menée sur 150 enfants environ des classes de 5e et de 4e d'un collège moderne du XVIe arrondissement qui sont peut-être de nature à calmer les inquiétudes 19. Ayant eu à noter sur 20 quatre lectures différentes : un livre de Closterman, un livre de Jules Verne, les illustrés sportifs, les illustrés, les enfants ont donné à ces publications les notes suivantes : Jules Verne, 16,6, Closterman, 14,5 illustrés sportifs, 11,4, illustrés, 7,5.

Enfin, d'une étude faite par le même chercheur dans les établissements du 2e degré du département de la Seine, il ressort que, parmi les loisirs préférés des enfants, la lecture d'un livre et la pratique des jeux viennent avant la lecture d'un illustré. Ces recherches demanderaient à être plus nombreuses et plus étendues. M. Fouilhé le reconnaît lui-même.

Faut-il conclure d'ores et déjà que l'empire du livre n'est pas menacé? Il se pourrait. La magie des mots garde son pouvoir. Elle nourrit toujours la puissance créatrice de l'imagination enfantine. « Le livre et l'illustré, fondés sur des principes esthétiques distincts, répondent chez l'enfant à deux formes distinctes de son intérêt ». Le texte et l'image, on le voit, ne s'excluent pas forcément. Est-ce vers leur coexistence harmonieuse que certains illustrés cherchent leur voie. Peut-être?

Si, après avoir exposé les aspects d'un journal pour enfants, nous abordons le contenu de ces bandes illustrées et des textes, que trouvons-nous?

Les thèmes des bandes semblent se rapporter à cinq genres principaux. Le genre comique met en scène, le plus souvent, des animaux afligés de travers humains, imités de Walt Disney. Rares sont les journaux dont les numéros ne comportent pas au moins une ou deux de ces bandes humoristiques. Elles prédominent même dans certains albums qui se veulent des « digests comiques ». On a souligné leur absurdité. Leur reprocher un humour pénible et vulgaire serait une critique plus valable. Le western, le récit historique, l'aventure et le policier sont les quatre autres principaux genres qui se partagent équitablement les bandes illustrées d'une même publication. L'origine du western se confond avec celle de l'illustré. Le cow-boy est le « héros » le plus ancien. Il est aussi celui dont le succès ne s'est jamais démenti. Évoluant dans un far-west stéréotypé avec ses plaines, ses ranchs et ses petitesv illes, armé du revolver ou du lasso, de Buffalo Bill à Zorro et Pécos Bill il exerce sur l'enfant une fascination durable.

L'histoire offre de célèbres personnages dont les hauts faits sont de nature à enthousiasmer la jeunesse. « Et Duguesclin, Bayard, c'est tellement loin qu'on peut tout imaginer sur leur compte et même leur inventer des prouesses supplémentaires. » Mais le nombre des grands hommes est limité. Pour assurer la durée d'un genre qui est fort en vogue, les auteurs et les dessinateurs en ont créé de fictifs, modelés de préférence sur le chevalier, le croisé, le corsaire et le mousquetaire, tous gens fort turbulents. Il est difficile de dire pourquoi à l'heure actuelle les récits historiques jouissent de la faveur des lecteurs. « Peut-être l'ambiance, les costumes, les décors, les armes de l'époque, excitent-ils chez l'enfant un engouement à base de regrets du passé. »

L'aventure, mot magique qui évoque les voyages, les explorations - des profondeurs sous-marines à l'univers sidéral -, la vie dangereuse. C'est le genre le plus exploité, le plus vaste. Il serait aussi le plus riche si l'indigence de l'imagination des auteurs ne le réduisait à une série de compétitions, de batailles et de guerres. Enfin, l'anticipation, forme particulière de l'aventure, use d'un fantastique qui n'a pas toujours de base rigoureusement scientifique.

A l'aventure se rattache parfois l'histoire policière à travers laquelle circulent les voleurs, les bandits, les gangsters, les assassins et bien entendu le détective amateur, le cinéaste, et le jeune reporter plein d'avenir.

Ces quatre genres offraient maintes ressources qu'un Jules Verne de l'illustré eût merveilleusement exploitées. Ils sont au contraire sclérosés par l'abus d'un certain nombre de conventions d'où les auteurs ne désirent pas ou ne parviennent pas à s'échapper. Chaque histoire semble en effet obéir à une sorte de règle de l'unité, de lieu et de temps. Les données géographiques et chronologiques sont volontairement très imprécises. Les récits se déroulent selon le genre, dans un état du Far-west, au xixe siècle; quelque part dans la jungle; entre terre et lune, en l'an 2.000; dans une ville ou dans un château dont on connaît rarement la situation et le nom et à une époque que l'on peut tout au plus situer vaguement dans l'antiquité, le moyen âge ou les temps modernes.

Le cow-boy, le chevalier, l'aventurier, le policier ne sont jamais eux-mêmes que les incarnations du « héros », personnage dont les traits essentiels sont immuablement fixés.

Le « héros » est jeune (entre 12 et 30 ans), célibataire, dégagé des contingences matérielles, immortel (sauf toutefois quand il s'agit d'un personnage historique réel), fort, invaincu, invincible : surhomme parmi les hommes. Il échappe à l'oubli (ce qui n'est point le cas des « héros » de roman) car les auteurs, de semaine en semaine, de mois en mois, excitent l'attente des lecteurs par d'habiles « suspenses ». Sa vie est une lutte continuelle car, dans le monde de l'illustré, l'existence est un champ clos où s'affrontent les « bons » et les « méchants ». Le « héros », dans le camp des premiers, ramène l'ordre invariablement troublé par les seconds et, in extremis, la morale est sauve comme il se doit dans les histoires.

Ces conditions sont toutefois une des sources de l'intérêt que l'enfant porte à ces récits. Elles stimulent son goût du rêve et de l'évasion, permettent l'identification à un « héros » à la fois proche et lointain. Elles correspondent au manichéisme d'un être jeune et à ses valeurs morales simples.

Dans les cadres que nous avons indiqués, la presse éducative et la presse récréative ont usé du « héros ». La première modérément, en essayant toujours de lui donner un visage et un comportement humain. Elle en fit, très souvent, auprès des enfants le messager des diverses idéologies qui l'inspirent.

La presse récréative abusa du « héros » et lui permit des excès qui lui attirèrent les plus graves critiques. En effet les moyens employés par le surhomme pour faire triompher la bonne cause devinrent de plus en plus douteux. Il n'eut plus recours qu'à sa seule force, d'ailleurs soutenue par l'approbation tacite des lecteurs. Ses qualités intellectuelles disparurent d'être si constamment inemployées. Le dessin soulignait l'hypertrophie musculaire et la petitesse de la tête de ce demi-dieu sans cervelle. Perdant le jugement, sa notion du bien et du mal s'obscurcit. L'immoralité de ses adversaires, obligatoirement gangsters, espions ou traîtres, de race jaune ou noire de préférence, devint contagieuse. Il fut entraîné dans une série d'actes dont la haine, la cruauté, le racisme devinrent rapidement les seuls mobiles. L'action rebondissant de fuites en poursuites, de vols en meurtres, de scènes de tortures en assassinats, fit de la violence la substance de nombre de récits. L'imagination quelque peu déréglée des auteurs substituait l'incohérence à la logique, bousculait la vérité historique et méprisait les données de la science. L'image accentuant le réalisme de l'histoire, semait la terreur et l'épouvante. Elle menaçait d'impressionner dangereusement la sensibilité des enfants. Les abus d'un bon tiers de cette presse firent de la littérature enfantine une annexe de la « littérature noire ». Il y avait une évidente confusion des valeurs morales.

Déjà, avant la guerre, Georges Sadoul en 1936 avait sans succès signalé ces « condensés de crimes 20 ». Après la guerre, les éducateurs dénoncèrent ces journaux où « l'on tue à chaque page ». Les magistrats près les tribunaux pour enfants virent dans la lecture des illustrés une cause de la délinquance juvénile.

Une exposition à la Direction générale de la jeunesse et des sports en 1947, des meetings, des conférences, des débats alertèrent l'opinion 21. Toutes ces protestations, orchestrées par les grans quotidiens du Figaro à l'Humanité, émurent les pouvoirs publics. Le 16 juillet 1949 fut enfin promulguée une loi 22 bannissant (article 2) des publications, les illustrations, les récits, les chroniques et les rubriques ou toutes autres insertions présentant « sous un jour favorable le banditisme, le mensonge, le vol, la paresse, la lâcheté, la haine, la débauche ou tous actes qualifiés crimes ou délits ou de nature à démoraliser l'enfance ou la jeunesse ». La loi du 29 novembre 1954 23 complétait ainsi cet article 2 « ou à inspirer ou entretenir des préjugés ethniques ». L'article 3 portait création, au Ministère de la justice, d'une Commission chargée de la surveillance et du contrôle de la presse enfantine. Elle fixait sa composition et définissait ainsi sa fonction : « signaler aux autorités compétentes les infractions à la présente loi, ainsi que tous agissements ou infractions de nature à nuire, par la voie de la presse, à l'enfance et à l'adolescence ». La commission était chargée en outre de proposer toutes mesures susceptibles d'améliorer les publications. Une censure préalable sur manuscrit aurait porté atteinte à la liberté de la presse. La commission fut donc chargée d'examiner les périodiques après leur publication. Elle jugea inopportun de faire appliquer immédiatement les rigueurs de la loi qui prévoyait amendes et emprisonnements et de faire poursuivre par le Garde des sceaux les infractions qu'elle estimait établies. Elle préféra une autre procédure ; après examen des cinq exemplaires de chaque livraison, obligatoirement déposés au Ministère de la justice, elle envoie éventuellement à titre d'avertissement une lettre à l'éditeur, l'invitant à améliorer sa publication. Si celle-ci est jugée trop dangereuse, cet avertissement est complété par une mise en demeure d'avoir à retirer de la vente les exemplaires invendus. Si le périodique est défectueux, l'éditeur est convoqué pour entendre quelques recommandations. On trouve d'ailleurs celles-ci dans le premier compte rendu des travaux de la commission publié en 1950 24. Elles furent envoyées à chaque éditeur. Le second compte rendu, publié en 1955, permet d'apprécier sur une plus longue période les activités de la commission 25.

Les éditeurs eux-mêmes, conscients de leurs responsabilités et « estimant pénible de faire systématiquement devant la commission figure de suspects à contrôler », ont créé, à l'intérieur du Syndicat national des publications destinées à la jeunesse fondé en octobre 1954, un bureau d'examen des publications, sorte de bureau conseil, aux critiques duquel les adhérents peuvent, s'ils le souhaitent, soumettre leurs journaux. « Ils espèrent ainsi arriver à se réformer eux-mêmes pour répondre au voeu du législateur. » Quels furent les résultats? Sous l'effet de ces menaces et de ces bénéfiques influences le « héros » dans bon nombre des publications récréatives incriminées reprit quelque esprit et s'humanisa. Le « méchant » aussi d'ailleurs. Chacun mit un peu d'ordre dans ses actions et s'en fut près de l'homme de science et de l'historien acquérir quelques connaissances élémentaires. Toute une gamme de sentiments plus variés leur permit un comportement plus conforme au rôle de redresseur de torts pour l'un et de fauteur de troubles pour l'autre. La commission constatait : « La presse enfantine s'est dans l'ensemble améliorée, de très mauvaises publications ont disparu, un certain nombre d'autres ont marqué un net progrès et sont devenues valables. » Mais il reste beaucoup à faire.

Les cadres dans lesquels évolue le « héros » de l'illustré sont trop imprécis, nous l'avons vu, pour permettre à l'enfant de s'informer exactement du passé, d'accroître ses connaissances et d'élargir sa vision du monde.

Les textes permettent-ils de combler cette lacune? On y trouve, outre des contes et des nouvelles, des biographies, des reportages scientifiques, des récits de voyages, d'explorations, des « savez-vous » documentaires, des informations sur l'actualité, des critiques de livres, des jeux. Mais l'examen des numéros de la dernière semaine d'avril 1955 des 25 hebdomadaires les plus importants prouve la place réduite qui leur est réservée 26.

Les biographies (J. Verne, Mermoz, Duguesclin) ........... 3 %
Les reportages........................................ 3 %
Les explorations, les expéditions......................... 2 %
La découverte du monde................................ 2 %
Les actualités.......................................... 1 %
Le sport............................................... 2 %
Les « savez-vous » documentaires ......................... 4,4 %
Jeux, loisirs, cinéma, activités manuelles, clubs, courrier.... 9 %

Faut-il en outre conclure, d'après une enquête menée auprès de jeunes lecteurs, que ceux-ci négligent généralement ces articles auxquels il est cependant consacré tant de soins. Il serait plus exact de dire que les jeunes ne leur réservent pas leur préférence. D'après les hiérarchies établies par quatre classes de cours moyen interrogées dans le XIXe arrondissement, il ressort que les histoires illustrées se détachent nettement des autres rubriques 27.
Histoires en bandes................................ 8.80 sur 10
Biographies........................................ 6.80
Jeux, bricolages ..... 5.65
Romans et nouvelles ..... 2.75
Textes idéologiques ..... 1.30

Le « héros » resterait donc la principale source de l'intérêt de l'enfant. Quelle est l'influence de ses aventures sur le comportement moral des lecteurs? On a cru voir une preuve de cette influence dans l'augmentation de la criminalité juvénile constatée après la guerre. Y a-t-il une relation de cause à effet entre la lecture des mauvais illustrés et la délinquance  2? Ou sont-ils conditionnés tous deux par des facteurs qui tiennent à la structure individuelle de l'enfant ou à celle de son milieu, les illustrés ne fournissant tout au plus, qu'une documentation sur les techniques du vol, et du crime. La question reste posée.

La lecture des journaux est-elle sans répercussion profonde sur une personnalité ou au contraire est-elle un des éléments qui interviennent dans sa formation ?

Des recherches sont en cours. Elles prennent les formes les plus souples : questionnaires écrits, interviews du sujet, observations de celui-ci, études de son milieu; et les plus scientifiques : examens physiologiques et psychologiques. Il ne peut encore à l'heure actuelle être donné de réponse. « Tout le problème de l'efficacité (ou du danger) de la presse enfantine vient de l'incertitude où nous sommes à l'égard du reflet des histoires lues, et vécues, dans l'irréel, sur le comportement réel de l'enfant qui lit 28 ».

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