Numérique et handicap en bibliothèque : cadres, démarches, outils

Montpellier – 30 mars 2017

Catherine Seigneret

Cette journée d’étude professionnelle a été organisée à Montpellier le 30 mars 2017 par la Bibliothèque publique d'information, la commission Accessibib de l'Association des bibliothécaires de France, le Service du Livre et de la Lecture (MCC/Direction générale des médias et des industries culturelles) et le réseau des médiathèques de Montpellier Méditerranée Métropole.

Initialement prévue le 13 octobre 2016, la journée avait été annulée du fait des intempéries et de la fermeture des équipements publics montpelliérains sur décision préfectorale. Les organisateurs sont parvenus à la reprogrammer six mois plus tard, avec sensiblement les mêmes interventions, insistant sur l'importance pour nos structures de se saisir de ce sujet. Les supports de présentation des intervenants seront mis en ligne sur le site de la BPI, rubrique Alphabib 1.

Compétences et cultures numériques
comme outils d'inclusion sociale

La première intervenante de la journée, Stéphanie Lucien-Brun, anime depuis 2005 le groupe handicap et numérique du Conseil français des personnes handicapées pour les questions européennes (CFHE) 2, interlocuteur français du European disability forum.

Stéphanie Lucien-Brun insiste sur le fait que l’accessibilité est un droit ; il ne s’agit pas d’un choix ou d’une adaptation selon le bon vouloir des établissements publics. Elle doit être au service de l’inclusion.

Selon l’Article 1 de la Convention des Nations Unies Relative aux Droits des Personnes Handicapées (CRDPH), « La Convention a pour objet de promouvoir, protéger et assurer la pleine et égale jouissance de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales par les personnes handicapées et de promouvoir le respect de leur dignité intrinsèque. » 3

Cette convention est à utiliser comme boussole.

Il est important de penser l’inclusion comme différente de l’intégration. Pour le conseil national du numérique, l’e‐inclusion se définit comme «l'inclusion sociale dans une société et une économie où le numérique joue un rôle essentiel. […] La littératie numérique pour tous est désormais une condition de l’inclusion ». Avoir accès, utiliser, comprendre et créer : Stéphanie Lucien-Brun cite le modèle utilisé par HabiloMédias, notamment dans l’article « Les fondements de la littératie numérique » 4ainsi que le rapport publié en 2013 par le Conseil National du Numérique « Citoyens d’une société numérique: Accès, littératie, médiations, pouvoir d’agir : pour une nouvelle politique d’inclusion » 5.

Pour agir de façon inclusive (avec le Design for All / la Conception Universelle 6 par exemple), il convient de s’interroger sur nos référents culturels concernant les capacités et compétences des personnes identifiées comme porteuses de besoins spécifiques. L’important est d’identifier la pérennité des besoins dans leur diversité, condition sine qua non pour identifier les moyens humains et économiques d’installer durablement ces fonctions de médiations dans le paysage et qu’elles ne soient pas la variable d’ajustement des politiques territoriales. En bibliothèque, l’ensemble des acteurs est concerné, de l’accueil au développeur d’applications.

En résumé, pour Stéphanie Lucien-Brun, le cadre légal est très clair, bien que peu contraignant pour l'instant. Les outils existent, il reste à mobiliser et activer quelque-chose de sous-tendu par l'exigence collective que tous aient accès à tous leurs droits. On peut entreprendre de mobiliser autour de l’inclusion comme levier d’innovation, de maturation de postures professionnelles.

Le référentiel général d'accessibilité
pour les administrations (RGAA)

Antoine Cao (directeur du programme Accessibilité numérique de la direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'Etat), a présenté le contexte juridique, les démarches à entreprendre et la chaîne de l’accessibilité numérique autour du référentiel général d'accessibilité pour les administrations (RGAA) 7.

Antoine Cao rappelle lui aussi que l’accessibilité est un droit universel, et de ce fait une obligation pour de nombreux établissements dépendant de l'État et des collectivité territoriales. Récemment, l’article 106 de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique 8, section 2 « Accès des personnes handicapées aux sites internet publics », étend l’obligation de conformité au RGAA aux applications mobiles, au mobilier urbain, aux délégataires d’une mission de service public, aux entreprises privées au dessus d’un certain seuil de chiffre d'affaires. Il impose sous peine de sanctions l’élaboration et la publication par chaque entité d’un schéma pluriannuel (3 ans maximum) de mise en accessibilité de ses services de communication au public en ligne décliné en plan d’actions annuels. Il impose également l’affichage sur la page d’accueil de chaque service de communication au public d’une mention d’accessibilité et d’un lien vers une page indiquant l’état de mise en œuvre du schéma et du plan d’actions annuel, permettant aux usagers de signaler un manquement. Il ne supprime pas l’obligation de conformité au RGAA. Les sanctions pourront atteindre 5 000 euros annuels par service de communication en ligne.

Antoine Cao encourage les bibliothhèques à entamer une démarche de labellisation, expliquant que le label “e-accessible RGAA” permet :
– d'encourager et valoriser les administrations engagées dans l'accessibilité ;
– de mesurer les efforts entrepris pour atteindre le niveau réglementaire (AA) ;
– d'afficher un niveau d'accessibilité via une signalétique simple.

Il signale que des aides financières existent. Ainsi le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la Fonction publique (FIPHFP) 9accompagne les employeurs publics dans la mise en accessibilité.

Le baromètre de l’accessibilité numérique en bibliothèque

Marc Maisonneuve (Société Tosca consultants), nous présente l'édition 2016 du baromètre de l’accessibilité numérique en bibliothèque 10.

Dans le prolongement de l’étude de 2014 11 visant à évaluer le niveau de prise en compte du RGAA par les portails de bibliothèques et à sensibiliser à la question, le Service du livre et de la lecture (ministère de la culture et de la communication) a souhaité reconduire le baromètre de l’accessibilité numérique en lecture publique, en ajoutant à son périmètre les Opacs et les ressources numériques. Ses objectifs étaient d'évaluer le niveau de prise en compte des obligations réglementaires et de mobiliser les acteurs que sont les éditeurs d’opac et de ressources numériques. L'étude a été menée par Tosca Consultants et PixFl en partenariat avec la Bibliothèque nationale de France (BnF), la Bibliothèque publique d’information (BPI), l’Association Valentin Haüy (AVH), BrailleNet, la Fédération des Utilisateurs de Logiciels pour Bibliothèques, Information & Documentation (Fulbi) pour l'analyse des opacs, et RéseauCarel pour l'analyse de dix ressources numériques.

Parmi l'échantillon confidentiel de 130 portails de bibliothèques étudiés, ainsi que ceux de la Bpi et de la BnF, seule la BnF a publié une attestation de conformité.

Les éditeurs de logiciels affirment être conformes et ne sont pas encore très ouverts aux résultats du baromètre. Les éditeurs de ressources en ligne admettent ne pas bien connaître le sujet, ils ont accepté les résultats et commencent à demander conseil pour s'améliorer.

Pour Marc Maisonneuve, une bibliothèque accessible est une bibliothèque utilisée facilement et sans limite quelles que soient les capacités des usagers. Assurer un service de lecture publique réellement inclusif représente un enjeu citoyen. 12

Mise en accessibilité numérique d’un portail documentaire,
retour d'expérience de la BPI

Béatrice Zenoni (service données et accès de la BPI), présente la démarche de refonte du site de la Bpi depuis 2014, dont l'ambition est de proposer de nouvelles fonctionnalités et d'obtenir le niveau argent du label AccessiWeb 13 délivré par l’association BrailleNet.

Un groupe accessibilité a été constitué lors des recueils des besoins. Parmi les composants essentiels de la gestion du projet, on peut retenir : la nécessité du recours à un expert extérieur ergonome, un audit de l’accessibilité pendant le développement, par itérations, dont des tests utilisateurs avec lecteur d’écran par une personne aveugle et un audit du code livré par un prestataire extérieur. Deux jours de formation sur l’accessibilité ont ciblé les divers services impliqués, dont les contributeurs du site, dans le but de produire des contenus nativement accessibles.

Le projet de refonte du site de catalogue, depuis 2015, a trois objectifs : simplifier, améliorer l'accès aux ressources électroniques et garantir l’accessibilité. Il est géré sur un mode similaire.

Un second retour d'expérience concernant la mise en accessibilité numérique d’un portail documentaire est présenté par Albane Lejeune (coordinatrice du réseau des Médiathèques de la Baie 14 – réseau des bibliothèques municipales de l'agglomération de Saint-Brieuc).

L’objectif était la création d’un portail de bibliothèque 100% accessible à distance.

Comme pour le projet de la Bpi, on peut relever comme points essentiels l’importance de faire contrôler la réalisation par un prestataire indépendant, différent du développeur de l’outil numérique commandé, et la formation des contributeurs afin de produire des contenus nativement accessibles.

Les outils numériques, plateformes et contenus

Marie Pasquier (responsable du service Homère à la médiathèque centrale Émile Zola de Montpellier) et Valérie Serre-Rauzet (responsable du département des médiathèques centrales de Montpellier), nous expliquent leur approche de l'accueil des publics dans l'espace Homère 15, sous l'angle du besoin spécifique plutôt que du handicap. Elles nous présentent de nombreux sites internet et applis disponibles sur Android et Apple, utiles aux personnes en situation de handicap, tout en soulignant que ces applis ne sont pas forcément pérennes.

Jean-Michel Ramos (chargé de la veille et de la formation des usagers pour le pôle « l'OEil et la lettre » de la médiathèque José Cabanis à Toulouse) nous donne un aperçu de l'utilisation en bibliothèque municipale des plateformes de livres au format Daisy : BNFA et Eole.

Le pôle l’Oeil et la lettre propose depuis 2004 des collections adaptées et du matériel spécifique en cabines. En matière de livres numériques, l’offre est fournie par la BNFA, Bibliothèque Numérique Francophone Accessible 16 (BrailleNet, GIAA, ABAGE) et Eole 17 (bibliothèque numérique de l'association Valentin Haüy). Ces deux plateformes proposent des collections complémentaires, avec quelques recoupements seulement. Elles sont toutes deux organismes d’adaptation agréés. La médiation et la formation des usagers sont indispensables pour la prise en main des outils logiciels permettant de lire ces ouvrages selon leurs formats. Il est à noter que la bibliothèque de Toulouse a conclu un nouveau partenariat avec Bookshare 18, bibliothèque américaine qui offre des collections en anglais, espagnol, allemand, ainsi qu’un fonds sur le métier de bibliothécaire.

Sylvain Franceschi (responsable du département Informatisation et catalogue) et Marion Lorius (responsable du département Collections et constructions), ont abordé la place du numérique dans la politique d'accessibilité de la direction des médiathèques et du livre de Montpellier Méditerranée Métropole en présentant les résultats d’une étude sur leurs « publics numériques ». Cette étude a montré qu’une grande proportion des lecteurs de l’offre de livres numériques proposée via PNB sont des lecteurs assez âgés. Le livre numérique est une aubaine pour les personnes ayant des difficultés à lire, grâce à la lecture par synthèse vocale. Toutefois celle-ci n’est pas possible actuellement en présence de DRM, sauf par l’utilisation de la version payante du lecteur Bookari. Il semble que de nouveaux DRM vont apparaître, qui seront plus compatibles avec les spécifications pour l’accessibilité. Le réseau propose un service d’adaptation à la demande d’ouvrages de ses collections et leur mise à disposition à distance 19.

L’après-midi était consacré à des ateliers de présentation de dispositifs d’accessibilité mis en place par la médiathèque centrale Emile-Zola à Montpellier, la médiathèque Marguerite Duras à Paris, les Espaces publics numériques (EPN) du Lyonnais et la BPI.

La journée a été clôturée par Vincent Michel (président de la Fédération des aveugles de France), avec un message positif vis-à-vis du numérique et un encouragement à destination des bibliothèques et des éditeurs de contenus et de logiciels à poursuivre la prise en compte des problématiques des publics en situation de handicap.

De cette journée très riche en échanges on retiendra, outre la diversité des solutions permettant de se mettre en conformité avec les obligations d’accessibilité, l’importance de la médiation auprès de tous les publics, de la formation des personnels et plus largement de l’appropriation de la démarche d’inclusion dans nos pratiques professionnelles.