Où va le livre ?

Édition 2007-2008

par Anne Kupiec
sous la dir. de Jean-Yves Mollier
Paris : La Dispute, 2007. – 392 p. ; 23 cm. – (États des lieux).
ISBN 978-2-84303-151-9 : 24 €

La troisième édition de Où va le livre ? constitue un recueil plus épais de contributions largement renouvelées, actualisées et enrichies, bien que l’organisation de l’ouvrage reste identique – trois grandes parties le structurent : l’économie du livre, les résistances et mutations de l’édition et les acteurs du livre.

Le parti pris stimulant, impulsé par Jean-Yves Mollier à nombre des auteurs qu’il a rassemblés, est de replacer les évolutions les plus récentes sur un temps long, ce qui permet une compréhension beaucoup plus fine des phénomènes aujourd’hui observés. Il n’est donc pas surprenant que le volume s’ouvre sur une analyse de l’évolution du système éditorial français depuis L’Encyclopédie de Diderot.

Contextualiser l’économie du livre

Les transformations récentes du secteur éditorial sont examinées dans un chapitre clef « Hachette Livre/Éditis et les autres ou le triomphe de la concentration et de la globalisation » (Ahmed Silem) qui souligne les effets de la financiarisation tant en France qu’à l’extérieur de ses frontières ; de nombreux tableaux et encadrés permettent une large contextualisation de l’économie du livre. Les éditeurs de taille plus réduite font également l’objet d’une analyse approfondie par un auteur qui n’avait pas participé aux éditions précédentes (Bertrand Legendre). Les évolutions – et les difficultés – de la librairie sont toujours traitées par Philippe Lane qui met l’accent sur les effets du développement de la grande distribution.

Dans la deuxième partie du livre, un chapitre est, à nouveau, consacré à l’édition pour la jeunesse (cette fois-ci sous la plume de Cécile Boulaire) dans lequel le modèle Potter ne peut évidemment être passé sous silence, un autre chapitre est dévolu aux livres édités dans les régions (Jean-Yves Mollier). Une nouvelle contribution est justement consacrée aux collections de poche (Isabelle Oliveiro) dont le nombre augmente en raison d’un succès croissant. Si Alban Cerisier continue de s’intéresser, dans cette édition, au marché des clubs, c’est pour en souligner les mutations liées, notamment, à la vente en ligne à laquelle est consacré un développement substantiel. Une analyse fine et nuancée de l’état de la traduction en français – des romans et des essais – dans un monde globalisé éclaire de manière innovante le marché de l’édition. Ce nouveau chapitre, écrit par Gisèle Sapiro, se révèle être particulièrement fécond pour comprendre, d’une autre manière, les actuels enjeux éditoriaux.

Les « acteurs du livre » continuent de faire l’objet d’un examen minutieux. Qu’il s’agisse des lecteurs (Roger Chartier) – et plus particulièrement des jeunes lecteurs (Christine Détrez) –, de l’État via le Centre national du livre (Yves Surel) ou bien des bibliothécaires (Christophe Pavlidès). La contribution d’Antoine Compagnon consacrée à l’auteur, ou plutôt à son évanescence en raison des conséquences multiples des usages d’internet, suscite une réflexion qui va bien au-delà de la défense des intérêts de telle ou telle catégorie d’acteurs du livre.

Mutations, adaptations, ajustements

Les évolutions, les mutations décrites dans cette dernière édition dessinent un paysage qui n’est déjà plus celui qui apparaissait dans la première, parue en 2000. Les auteurs montrent que le secteur de l’édition de livres – première industrie culturelle en France – a désormais perdu son caractère atypique quand bien même le livre conserverait sa spécificité. Ils sont évidemment sensibles, à des titres divers, aux effets multiples et diversifiés induits par l’ère numérique et internet. Ils sont attentifs aux conséquences des orientations prises par le marché ces dernières années, qui entraînent l’adaptation et l’ajustement des politiques publiques. Tout comme les établissements publics que sont les bibliothèques ont été contraints d’adopter de nouvelles modalités de fonctionnement (intercommunalités, réseaux, consortiums, par exemple) et ceci dans un contexte juridique profondément renouvelé (cf. loi Dadvsi) et qui pourtant n’est pas stabilisé.

Si certains des auteurs sont conduits à constater, en dépit de l’augmentation du nombre de nouveautés, la diminution du poids symbolique du livre ainsi que la transformation des valeurs culturelles, d’autres notent le développement récent de « petits livres de la citoyenneté » (par exemple aux éditions Amsterdam, Syllepse, Archipel ou encore Liber – Raisons d’agir) qui contribuent au maintien de la capacité critique du livre. D’autres encore insistent sur la permanence du statut accordé au livre par les pouvoirs. Ainsi Jean-Yves Mollier, dans le chapitre consacré aux « tentations de la censure », donne-t-il des exemples recueillis jusqu’au mois d’avril 2007 (cf. le livre de Serge Portelli consacré à Nicolas Sarkozy) qui, en creux, soulignent la puissance – persistante – du livre.

Bibliodiversité

Ainsi, pas plus dans cette édition que dans les précédentes, n’est annoncée la fin du livre. À l’inverse, c’est la « bibliodiversité » qui apparaît à plusieurs reprises et dont les enjeux ont été rappelés durant les Assises internationales de l’édition indépendante qui se sont tenues en 2006 et lors de l’adoption de la Convention pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles élaborée sous l’égide de l’Unesco et entrée en vigueur en mars 2007.

Livre riche à la fois par les données qu’il rassemble, mais surtout par les réflexions qu’il suscite, Où va le livre ? permet, d’abord, de mieux comprendre le présent pour penser l’avenir et y agir.