Usages conflictuels en bibliothèque

Une lecture sociologique

Fabienne Soldini

Patrick Perez

Philippe Vitale

Cet article s’intéresse aux conflits dans les bibliothèques. Sans occulter les interactions entre adultes, ce sont les sociabilités juvéniles qui constituent le point d’ancrage d’une analyse sociologique relationnelle des conflits qui se donnent à voir « dans et hors » les bibliothèques. Refusant une lecture substantialiste et relativiste du public « jeune », nous présentons un répertoire des usages et des pratiques du livre et de l’espace bibliothèque. Les observations in situ de cinq bibliothèques municipales marseillaises conduisent à déconstruire les comportements prétendument irrationnels des jeunes usagers pour leur donner un sens et à questionner les règles formelles, informelles et implicites qui régissent ces espaces publics.

This article is concerned with conflicts in libraries. While not ignoring interactions between adults, it is juvenile social habits that constitute the focal point of a sociological analysis relating to conflicts that reveal libraries “from the inside and the outside”. Rejecting a substantialist and relativist reading of the young public, a schedule of the usages and practices of the book and of the library complex is presented. Observations in situ of five municipal libraries in Marseilles lead to a deconstruction of the supposedly irrational attitudes of young users in order to give them a sense of direction and to question the rules, formal, informal and implicit, that regulate these public spaces.

Der Artikel interessiert sich für Konflikte in der Bibliothek. Ohne die Interaktionen zwischen Erwachsenen zu vernachlässigen setzt die soziologische Analyse der zwischenmenschlichen Konflikte am Sozialverhalten Jugendlicher an, die man inner- und außerhalb von Bibliotheken beobachten kann. Die Autorin lehnt es ab, das Publikum als im Wesen und relativierend als “jung” zu bezeichnen und beschreibt wie die Bücher behandelt und die Bibliotheksräume genutzt werden. Die in fünf Stadtbibliotheken von Marseille gemachten Beobachtungen führten zur Umdeutung angeblich irrationaler Verhaltensweisen von jungen Benutzern, um sie in die Lage zu versetzen die formellen, informellen und unausgesprochene Vorschriften, die diese öffentlichen Einrichtungen regeln, zu hinterfragen.

Este artículo se interesa por los conflictos en las bibliotecas. Sin ocultar las interacciones entre adultos, las sociabilidades juveniles son las que constituyen el punto de anclaje de un análisis sociológico relacional de los conflictos que salen a luz, “en y fuera”, de las bibliotecas. Rechazando una lectura sustancial y relativista del público “joven”, presentamos un repertorio de los usos y de las prácticas del libro y del espacio biblioteca. Las observaciones in situ de cinco bibliotecas municipales marsellesas conducen a desconstruir los comportamientos pretendidamente irracionales de los jóvenes usuarios para darles un sentido y a cuestionar las reglas formales, informales e implicitas que rigen estos espacios públicos.

Nous réalisons une recherche sur les conflits dans les bibliothèques publiques 1, liés plus particulièrement à des publics jeunes, bien qu’ils ne soient pas, loin de là, la seule source de conflits. Mais ce public, associant une fréquentation en groupe à des pratiques de sociabilités ostentatoires qui paraissent en contradiction avec les objectifs premiers d’une bibliothèque, ainsi qu’avec les représentations sociales ordinaires du livre et de la lecture et les postures corporelles et langagières qui y sont attachées, se retrouve doté d’une forte visibilité vecteur de malaise.

Il s’avère effectivement difficile d’ignorer la présence d’un groupe d’adolescents bruyants et chahuteurs, aussi bien pour les personnels chargés des salles de lecture que pour les usagers qui s’y adonnent à des activités silencieuses et légitimées (lecture, recherche documentaire, travail écrit). Nous envisageons les situations conflictuelles comme des interactions, selon une approche relationnelle, qui requiert une prise en compte contextuelle d’une part des comportements juvéniles 2 (qui affichent une plus ou moins grande distance avec le lieu) et d’autre part de l’organisation du travail (formelle et informelle). En effet, la complexité du phénomène ne saurait se satisfaire d’une explication simple et somme toute réductrice, en raison de la pluralité d’éléments qui y concourent 3.

Ne pouvant traiter de tous les types de conflits dans l’espace d’un article, nous avons choisi de nous centrer sur les sociabilités ordinaires des publics jeunes, à partir desquelles s’enclenchent des conflits qui ont pour moteur les divers usages de l’espace bibliothèque, lieu de rencontres et centre de ressources, culturelles, scolaires, mais aussi sociales. Si l’on exclut ceux, d’ailleurs peu représentatifs du public jeunes mais sans doute les plus visibles, qui viennent à la bibliothèque afin de semer le désordre et de causer des troubles dans un but ludique ou protestataire, il reste une majorité d’adolescents qui s’y rendent en groupe de pairs, issus du même quartier, de la même cité ou du même collège. Ils y viennent pour se retrouver, travailler, discuter, lire, jouer, ou tout simplement passer le temps et tuer leur ennui. En effet, contrairement au public adultes qui vient essentiellement pour s’approvisionner et constitue un public de passage, les adolescents s’installent, pouvant rester une demi-journée, voire une journée entière.

Publics adolescents et conflits

Si l’on définit les publics jeunes en fonction de leur scolarisation, deux grands « blocs » se détachent selon la similarité de leurs comportements en salle de lecture : les lycéens et les étudiants d’une part, et les collégiens de l’autre 4.

Lycéens et étudiants occupent les salles de travail qui sont réservées à leur usage dans certains établissements et manifestent un comportement calme et studieux, qu’ils viennent seuls ou à plusieurs. La population des collégiens demeure celle dont la dispersion est la plus manifeste, signe d’une moindre incorporation des dispositions requises en bibliothèque. À la fois ceux qui séjournent le plus et empruntent le moins, ils constituent le seul public à faire un triple usage de la bibliothèque, à savoir usage du livre, ou usage du livre et du lieu, ou enfin usage du lieu uniquement 5. Ceux, filles autant que garçons, dont l’intérêt pour la bibliothèque est motivé par un usage simple du livre viennent seuls pour y faire leur travail scolaire, lire sur place et/ou emprunter des livres, considérant cet espace comme un centre de ressources documentaires.

Cependant, en fonction des rencontres qu’ils peuvent faire, l’usage unique du livre se transforme parfois en usage du livre et du lieu. Ce double usage est le plus fréquent dans la population étudiée ici. Les collégiens viennent en groupe, qu’il s’agisse d’un groupe scolaire ou résidentiel, plus rarement familial, pour travailler, certes, mais également discuter, résoudre des problèmes scolaires et extrascolaires, opérer des régulations et des réajustements, en résumé, construire une sociabilité adolescente. La composition de ces groupes est bien souvent monosexuelle, féminine pour beaucoup, mais on rencontre parfois des groupes mixtes, plus précisément des groupes de filles intégrant un ou plusieurs garçons. Leur sociabilité ostentatoire – paroles échangées à voix (très) haute, interpellations, rires – contredit la règle de silence régissant cet espace de lecture, à quoi s’ajoutent des déplacements spatiaux, mouvements brusques, chaises qui raclent, courses dans les escaliers, bref une sociabilité ludique qui dérange.

D’autres collégiens utilisent la bibliothèque uniquement en tant qu’espace, sans se préoccuper des ressources documentaires qu’elle propose. Cet usage simple du lieu peut être un usage calme, respectueux des règles et bien souvent solitaire ; la bibliothèque est envisagée comme un espace de ressources matérielles, utilisé pour pallier les insuffisances du domicile en matière de tranquillité et de silence, d’espace libre et solitaire.

Mais l’usage du lieu décline aussi des pratiques non conformes à ce qui est attendu dans une bibliothèque, où l’on voit apparaître une division sexuelle de l’usage des espaces : plus souvent extérieurs pour les groupes de garçons, utilisant les couloirs et les esplanades comme autant d’aires de jeux, plus souvent intérieurs pour les groupes de filles, réunies autour d’une table sur laquelle sont parfois posées quelques affaires scolaires (trousses, cahiers) jamais utilisées, comme autant de signes patents d’appropriation de cet espace et de (fausse) bonne volonté scolaire, privilégiant une sociabilité discursive. La gratuité du séjour, où, contrairement à d’autres espaces, l’on n’est pas obligé de consommer, l’accès libre, alors que dans d’autres lieux culturels ou commerciaux des gardes filtrent l’entrée, l’absence générale d’équipements de loisirs ou de réunion, le confort et la chaleur des salles, le sentiment de sécurité qui y prédomine 6, tout ceci concourt à faire des bibliothèques municipales des lieux attractifs.

Mais ces trois usages ne sont pas pour autant figés ou cloisonnés. Parfois, ce peuvent être les mêmes adolescents qui séjournent en salle, y travaillent, puis sortent rejoindre d’autres jeunes, relations scolaires ou résidentielles, dans les espaces extérieurs, où se construisent des rapports de sexe et des rapports de pouvoir, au travers de jeux structurés et signifiants, malgré l’apparent désordre, exhibitions de compétences quelquefois brutales.

Certains usages et comportements perturbant fortement les activités du personnel et des autres usagers, ils entraînent un rappel à l’ordre sous forme de rappel du règlement. Lorsque l’adhésion aux règles fait défaut, que le travail symbolique de persuasion échoue, donnant lieu à des haussements de ton, un refus d’obtempérer, il s’établit une division graduelle du travail entre personnels – bibliothécaires, gardiens –, ayant pour objet la séparation progressive des publics et l’imposition d’un pur rapport de force, que nous nommerons conflit. Processus relationnel, la construction des conflits en bibliothèque requiert une observation séquentielle des conduites.

Un espace réglé

Les bibliothèques, pour fonctionner comme espaces publics, se sont dotées d’un ensemble de règles consensuelles, communes à chaque établissement, assorties de sanctions. En nombre limité, elles portent sur la gestion des biens publics ainsi que sur les comportements des usagers ; la bibliothèque n’est pas un espace hyper-réglé : les initiatives laissées aux agents côtoient les libertés octroyées aux usagers.

Les règles formelles, inscrites dans le règlement, régissent l’activité d’approvisionnement, prescriptives, comme la fourniture de documents administratifs à des fins d’inscription, et proscriptives, comme le nombre et la nature des documents empruntables ou les délais de retour. Leur application s’affirme impersonnelle, tout comme les conséquences explicites pour qui dérogerait : l’absence des justificatifs requis entraîne un refus d’inscription. L’existence et la possibilité d’appliquer des sanctions claires et directes, à effet immédiat, confortent les agents dans la légitimité de leurs actions, tandis que l’énonciation et l’application des règles comportementales s’avèrent plus délicates. Ces dernières, liées au séjour, sont à la fois formelles, inscrites dans le règlement, parfois affichées à l’entrée des salles ou dans les salles elles-mêmes, destinées au respect de la propreté des lieux et de la conservation des biens (telle l’interdiction de manger et de boire), et informelles et bien souvent induites par les représentations de ce que doit être une bibliothèque, telles les règles de silence, d’occupation de l’espace ou de gestion des corps.

Face à la transgression de ces règles, peu de moyens de les faire appliquer, si ce n’est leur rappel oral fonctionnant comme principe d’interdiction, et la mise à distance de l’usager irrespectueux (séparation des tables, éclatement des groupes ou expulsion pure et simple des indésirables). À la différence des règles administratives, elles requièrent une interprétation de la signification de l’activité, encourageant l’expression de la subjectivité des agents. C’est alors l’interprétation de la règle qui prévaut, par l’analyse d’une situation dépendant d’un ensemble de facteurs. Par exemple, si le règlement interdit de manger, est-ce manger que de mâcher du chewing-gum 7 ?

À côté de l’intériorisation de la règle (qui se manifeste par le respect des usages en vigueur et l’anticipation des sanctions informelles dans le cas d’une transgression) s’exerce une autorité conditionnelle par laquelle une personne ou un groupe – usagers ou personnels – intime à certains la conformité. Les sanctions du manquement à la règle engagent une pluralité d’acteurs. Ces sanctions sont explicites ou implicites, bien qu’effectives lorsqu’une conduite suscite la désapprobation individuelle, la manifestation collective à travers le blâme, la simple remarque ou un regard très appuyé. Cependant, pour qu’une règle puisse fonctionner réellement, il faut que l’émetteur et les destinataires adhèrent à la croyance en sa légitimité. L’exercice de l’autorité appliqué aux règles comportementales peut donner lieu à un ensemble de conduites respectueuses ou contestataires. Ce sont essentiellement ce type de règles qui font l’objet de conflits avec les adolescents 8.

Face à la même règle, les adolescents peuvent avoir des comportements très différents. Ce qui nous conduit à nous interroger sur les raisons de ces réactions diverses. Certes, l’on pourrait arguer d’une réponse substantialiste invoquant la jeunesse ou l’éducation. Mais le sociologue ne peut se satisfaire de ce type de réponse alibi, et est enclin à attribuer de la logique aux comportements sociaux des acteurs, même si cette logique ne s’impose pas au premier abord. En fait, une des sources des conflits réside non dans le règlement mais dans l’arbitraire de son application et de son explication.

L’énonciation des règles et le travail de justification

L’énonciation de règles suppose une activité de labellisation, c’est-à-dire de catégorisation des individus en différents types de publics, laquelle procède dans la relation immédiate de face à face, par l’identification d’un ensemble de signes comportementaux, comme la distance culturelle supposée des individus avec l’équipement, l’appréciation de leur dangerosité potentielle, ainsi que l’évaluation des ressources (symboliques et physiques) mobilisables, à quoi s’ajoutent le degré de conviction en leur légitimité, le degré d’intégration au groupe de travail, et l’existence de protocoles collectivement construits sur les conduites à tenir en situation de face à face. Si des facteurs sociaux – individuels et organisationnels – président à l’énonciation de la règle, la forme même de l’énonciation varie également. Elle revêt une forme explicative quand l’énonciateur suppose qu’elle est inconnue de celui qui la transgresse, explication qui constitue un justificatif, mettant en cause non la personne mais les conséquences possibles de cette transgression sur les autres usagers ou sur les biens publics.

En revanche, l’énoncé tautologique d’une règle, où le lieu justifie la règle qui est expliquée par le lieu, recueille des réactions d’incompréhension. Le rappel de la règle se fonde sur la supposition d’une représentation commune et partagée du lieu qui se suffit à lui-même comme explication, alors que la perception s’avère dissidente. Par exemple, tandis que certains personnels et usagers estiment que l’activité de lecture justifie le silence, des jeunes qui ont l’habitude de travailler et de lire dans le bruit considéreront cela comme injustifié.

Conduites juvéniles face à l’énonciation de la règle

Le rappel de la règle donne lieu à des conduites diverses de la part des collégiens. Citons, par ordre décroissant de légitimité, les conduites attendues de la part des personnels.

Usage du livre et obéissance

Vient en premier la loyauté envers l’institution, c’est-à-dire le respect de l’interdit. Dans ce cas, le rappel à l’ordre ne donne lieu à aucun litige. L’individu ou le groupe obtempère en se conformant durablement à la prescription, ce d’autant plus qu’ils associent le fonctionnement d’une bibliothèque à un espace scolaire, où le bibliothécaire ferait office de documentaliste et le gardien de surveillant. Ce type de conduite s’observe chez les collégiens qui ont un usage soit du livre soit du lieu comme espace de ressources documentaires et scolaires.

Les stratégies de préservation d’un double usage

Les publics qui cumulent un usage du livre et du lieu présentent différents types de conduites résultant d’un rapport distant avec l’autorité. La légitimité des publics se construit sur une hiérarchie des attitudes juvéniles jugées recevables ou non.

Dans le cas des réactions de « loyauté temporaire », le groupe souscrit à l’interdit, mais omet de le respecter durablement. Il ne s’agit point de ruse, mais plutôt d’une adéquation volontaire à une norme de conduite éphémère peu à peu supplantée par celles du groupe des pairs.

Avec « l’attention oblique », les individus poursuivent leurs pratiques non conformes, manifestant une indifférence totale à l’égard de l’injonction, ce qui pourrait se traduire par : « oui, oui… cause toujours ».

La « déférence négociée » se caractérise par la reconnaissance des ordres associée à l’énonciation des raisons qu’ont la personne ou le groupe d’y déroger, recherchant un statut d’exception.

Dans ces trois cas, les litiges qui impliquent ces publics ne conduisent que rarement au conflit, car la bibliothèque demeure pour cette population acquise à la forme scolaire : un lieu de ressources stratégiques pour mener le jeu de la concurrence ou du simple maintien scolaire, ce qui explique qu’ils y reviennent systématiquement, même après en avoir été expulsés en raison de leur comportement. Ils préfèrent éviter de se discréditer auprès du personnel, garant des ressources culturelles et scolaires, notamment par l’aide aux devoirs.

Usage du lieu et rébellion

Par contre, les jugements émis par les bibliothécaires n’affectent pas le troisième type de public, qui utilise la bibliothèque en tant qu’espace de commodités. Davantage sensibles à l’approbation de leurs pairs, ils font preuve de conduites visant à garder la face, à travers une sortie ostentatoire et vociférante, inversant symboliquement le rapport de domination, tout en le reconnaissant par l’action même de quitter les lieux. D’autres choisissent d’imposer leur présence, en dépit des demandes réitérées de sortie ou des interdictions d’accès, refusant d’abandonner les commodités matérielles offertes ainsi que les ressources sociales liées à la mixité sociale et sexuelle.

Ce premier volet de la composante des conflits (attitudes du public) ne doit pas occulter les variables issues des rythmes de travail et de l’organisation structurelle des bibliothèques. En effet, l’hyperfréquentation, l’insuffisance des personnels, l’absence de directives cohérentes où les règles feraient système, participent aussi à la transformation du simple litige en conflit : un comportement habituellement interdit sera un jour toléré en raison de la faible fréquentation des salles ce jour-là 9 ; inversement, ce qu’un bibliothécaire accepte, car ne correspondant pas à sa définition d’une transgression, sera refusé par un autre 10. Ces formes de dissonances, qui résultent non d’une responsabilité individuelle mais des conditions structurelles de travail et de l’organisation même et de la répartition des tâches, suscitent malaise, incompréhension, sentiment d’injustice et de stigmatisation auprès d’une population qui se perçoit stigmatisée par ailleurs, dans d’autres espaces publics (transports, écoles) et privés (commerces).

Dissonances, doutes, lassitude, désenchantement mais aussi enthousiasme, militantisme culturel et parfois social, valorisation des pratiques par les besoins qu’ont ces jeunes des ressources culturelles, sociales et humaines qu’ils leur fournissent, composent le quotidien des bibliothécaires qui jonglent avec négociation, éducation et répression, où la routine des tâches administratives côtoie l’incertitude des relations de face à face avec les usagers.

Cependant, le bricolage individuel et local dont, faute de mieux, ils s’accommodent ne peut faire office de ligne de conduite sur du long terme. Il apparaît indispensable d’opérer un travail de redéfinition institutionnelle des bibliothèques publiques, de leur rôle et de leur organisation structurelle.

Septembre 2001

  1. (retour)↑  Nous avons étudié cinq bibliothèques municipales marseillaises, constituant cinq terrains très contrastés, tant sur le plan structurel que social et géographique, procédant par entretiens avec les membres du personnel et les usagers, et observation in situ des conduites (le dire et le faire).
  2. (retour)↑  Rappelons que si les « jeunes » sont souvent pointés du doigt, l’homogénéité du public jeunes est un leurre. Les adolescents diffèrent tout autant que les adultes selon leur origine sociale, leur univers éducatif, géographique, culturel, etc.
  3. (retour)↑  Ainsi, si l’emplacement géographique joue un rôle, il ne suffit pas à lui seul à expliquer l’origine des conflits ou la surenchère conflictuelle qui peut se produire. Par exemple, cette bibliothèque implantée dans un quartier sensible, après avoir rencontré de sérieux problèmes (saccage des locaux, insultes et menaces à l’encontre du personnel) lors de son ouverture, connaît depuis plusieurs années le calme, en raison de plusieurs variables dont, notamment, la stabilité des personnels, certains en poste depuis dix ans, et leur implication dans la vie du quartier au-delà de leur fonction de bibliothécaires, à travers notamment des actions associatives.
  4. (retour)↑  Nous excluons de cette étude les élèves du primaire dont le comportement, plutôt agité, obéit à d’autres logiques.
  5. (retour)↑  Cf. Patrick Perez, Fabienne Soldini, Philippe Vitale, « Usages conflictuels des bibliothèques à Marseille : une recherche en cours », Métropolisation, gouvernance et citoyenneté dans la région urbaine marseillaise, dirigé par André Donzel, Paris, Maisonneuve et Larose, 2001.
  6. (retour)↑  Car, malgré les tensions, les bibliothèques demeurent un espace sécurisant et sûr.
  7. (retour)↑  C’est ainsi que le même règlement – interdiction de manger – donne lieu dans la même bibliothèque, au sein de la même section, à deux actions contradictoires de la part de deux bibliothécaires de même statut : « Les chewing-gums sont interdits. Alors on leur demande de jeter les chewing-gums. S’il y a pas la poubelle à côté, elles vous les collent sous la table », et « J’aime pas interdire moi, donc j’ai du mal à interdire le chewing-gum, je comprends très bien qu’on puisse avoir envie d’un chewing-gum (...) »
  8. (retour)↑  Par contre, chez les adultes, ce sont les règles d’approvisionnement.
  9. (retour)↑  « Hier, de une heure à deux heures, il y avait un petit groupe qui était attablé, ils étaient peut-être six, alors que généralement on leur dit de se mettre à quatre maximum ! Là on les a laissés. Elles parlaient entre elles, ça va, elles chahutaient un peu fort mais... c’est le traditionnel chut ! On les avait laissé parler un peu plus fort que d’habitude parce qu’il y avait moins de monde, elles l’ont compris. On leur a expliqué que quand il y avait trop de monde, qu’elles parlent un peu moins fort, voilà. Parce qu’il faut aussi leur dire, parce que si on leur laisse aussi le droit à un moment de s’exprimer un peu plus fortement et une heure après on va leur dire non, si on leur explique pas, elles vont rien comprendre. »
  10. (retour)↑  Par exemple, dans cette même salle de lecture, deux bibliothécaires de même statut : « Le walkman je ne veux pas entendre. C’est la condition. Je veux bien qu’ils aient un walkman, la condition c’est que ça ne gêne pas, donc que je l’entende pas », « Il y en a une qui avait aussi le baladeur sur les oreilles. Je lui ai demandé d’arrêter son baladeur et elle m’a dit : “Mais il est doucement !” Il est peut-être doucement mais nous l’entendons ! Il y a des gens qui travaillent, je ne veux pas que... Le baladeur est interdit. »