Des tweets et des likes en bibliothèque
Enquête sur la présence de quatre bibliothèques de lecture publique sur les réseaux sociaux numériques
Louis Wiart
Marie-Françoise Audouard
Mathilde Rimaud
ISBN 979-10-91281-44-7 : 23 €
Il est rare de pouvoir trouver un ouvrage professionnel complet qui analyse un aspect contemporain d’un métier aussi ancien que les bibliothèques, en mutations accélérées depuis une trentaine d’années. Des tweets et des likes en bibliothèque permet de se replonger avec finesse dans les débuts d’une de ces mutations et permet de saisir enjeux, risques et actions à mettre en œuvre pour réfléchir à ses pratiques. Animer une communauté via les réseaux sociaux, communiquer sur Facebook ou Twitter n’a pas en effet plus d’une petite dizaine d’années, mais aujourd’hui l’impression est que cette pratique est bien ancrée dans les métiers des bibliothèques.
Est-elle pourtant considérée à la hauteur de ce qu’elle peut générer comme visibilité de l’établissement et enrichissement des interactions que l’on peut forger avec les usagers ou les followers ?
Des tweets et des likes en bibliothèque est issu d’une enquête commanditée par la BPI et assurée par Marie-Françoise Audouard, Mathilde Rimaud et Louis Wiart auprès de plusieurs bibliothèques bien identifiées sur les réseaux sociaux, comme les bibliothèques de Metz, Louise-Michel à Paris ou Gallica. Si l’on peut regretter qu’il n’y ait pas de bibliothèque universitaire, les sujets étudiés à travers les aspects statistiques et les entretiens réalisés avec les agents, des followers et des influenceurs, donnent une très bonne compréhension de l’animation de communauté en bibliothèque, de son émergence à aujourd’hui.
L’ouvrage est organisé en trois parties. La première brosse un tableau des stratégies des bibliothèques sur les réseaux sociaux, de leurs approches et des contraintes auxquelles elles ont pu être confrontées. Le premier intérêt de Des tweets et des likes en bibliothèque concernent celles et ceux qui ont créé les comptes de leurs bibliothèques sur les réseaux sociaux il y a dix ans. L’ouvrage leur permet de se replonger dans cette histoire récente, faite de défrichements, de prise d’initiatives sans filet, et de sentir que le développement des relations sociales via les réseaux prenant de l’ampleur, la bibliothèque se devait d’y être représentée. On relira ainsi avec une petite pointe de nostalgie le moment où Facebook a imposé de créer des pages à la place de comptes ou quand on écrivait des Follow Fridays sur Twitter !
La deuxième partie est plus technique et analyse plusieurs séries de publications. C’est celle qui intéressera tout particulièrement une équipe de bibliothèque néophyte ou qui souhaite faire évoluer ses pratiques et qui serait à la recherche de quelques clés pour améliorer ses performances. Ce chapitre permet de bien réfléchir à sa politique éditoriale, dans quels discours ne pas se fourvoyer, comment utiliser les codes des différentes plateformes… On y apprend ce qui fait la composition du taux d’engagement et quelques informations intéressantes comme le fait qu’une publication sur deux fait l’objet d’une interaction négative !
La troisième partie est fort intéressante car elle permet de faire un point sur la vision que les followers usagers ont de l’activité de la bibliothèque sur un réseau social. Elle est complexe à saisir, et en mêlant des entretiens avec des personnes et des booktubeurs, elle donne clairement à voir que l’enjeu des réseaux sociaux est dans le développement d’interactions de qualité et pas forcément d’une médiation à toute force vers ses collections et animations. Elle rejoint d’autres analyses en développement depuis plusieurs années comme celles de R. David Lankes. Les bibliothèques servent à développer des communautés, leur rendant service et leur permettant de se rendre service ensemble. Cette dynamique se produit grâce aux collections, aux lieux, aux services, aux actions culturelles, mais surtout grâce aux bibliothécaires qui deviennent des facilitateurs plutôt que des gardiens concentrés sur la sauvegarde de leurs fonds.
L’ouvrage illustre quels changements et apports les réseaux sociaux peuvent provoquer au sein des bibliothèques. Le premier est le développement de nouvelles compétences pour les agents : être performant sur les réseaux passe par la nécessité de disposer et de se servir de matériels parfois sophistiqués, mais aussi de mettre en œuvre des compétences rédactionnelles, techniques, des savoir-faire et des savoir-être. Le deuxième est le développement d’une stratégie de valorisation de ses compétences, de son lieu, de la relation aux publics, une forme d’advocacy qui ne dit pas son nom.
On perçoit très bien combien les réseaux sociaux permettent à une institution de proximité qui souhaite développer un ton différent de garder un lien avec ses usagers une fois ceux-ci rentrés chez eux, et de leur donner envie de revenir. L’enquête illustre ainsi parfaitement que les réseaux sociaux ne constituent pas forcément tant des moyens de développement des publics que d’intensification des relations tissées avec ceux-ci pour qu’ils deviennent « fans » du lieu et du service. Ils permettent également d’interagir avec des communautés aux centres d’intérêt similaires aux spécialités scientifiques et culturelles de l’établissement. La connivence intellectuelle entre Gallica et les gallicanautes correspond à ce genre de connexions. La mise en œuvre de techniques et d’une stratégie fondée sur l’inbound marketing, ou marketing entrant, permet par ailleurs, via les réseaux sociaux, de développer la curiosité et l’attraction pour les offres de la bibliothèque. De nombreux exemples de publications analysées dans l’ouvrage viennent soutenir cette démarche.
La préface de Dominique Boullier est également intéressante car elle rappelle que ce sont les plateformes sociales qui organisent les conversations et que celles-ci sont traversées par des conventions (créées par les plateformes ou par les utilisateurs) dans lesquelles la bibliothèque doit se couler sous peine d’investir du temps à perte.
Mais l’une des questions posées par cette étude reste : les bibliothèques, espaces créateurs de liens entre les personnes, ne sont-elles pas sous-exploitées comme lieu communautaire ? En replaçant cette étude au sein d’une vision politique plus vaste des bibliothèques, on comprend qu’il faut dès lors dépasser la gestion purement technique. Dans trop d’établissements, la fonction de community manager reste diluée ou parfois fragile, à la merci d’un changement de responsable qui « n’y croit pas ». Imaginerait-on aujourd’hui une bibliothèque ne plus faire d’action culturelle ?
L’animation de communauté sur les réseaux sociaux, si elle doit être assurée par des professionnel.le.s aux compétences avérées et à la fiche de poste valorisée, n’est qu’un élément parmi les rencontres, la participation des publics, l’empathie, pour faire de la bibliothèque un espace créateur de lien. Des tweets et des likes en bibliothèque donne ainsi toutes les clés pour se positionner efficacement et engager la création d’une stratégie éditoriale et sociale.