La presse écrite en France au XXe siècle

par Yves Alix

Laurent Martin

Paris : Librairie générale française, 2005. – 256 p. ; 18 cm. – (La France contemporaine) (Références. Histoire ; 610).
ISBN 2-253-11541-X : 6,95 €

Publié directement en « Livre de poche » dans l’excellente série historique sur la France contemporaine dirigée par Jean-François Sirinelli, l’ouvrage de Laurent Martin propose une synthèse très recommandable de l’histoire de la presse française depuis les débuts de la Troisième République jusqu’à aujour-d’hui.

L’aventure de la presse au fil du siècle

L’auteur distingue trois grandes périodes dans cette histoire. La première, inaugurée par la grande loi de 1881, s’achève avec le début de la Seconde Guerre mondiale. La deuxième, née dans les bouleversements de la Libération, conduit jusqu’au milieu des années 1960. Le triomphe du modèle moderne du magazine, puis la domination rapide des médias audiovisuels marquent la troisième époque, laquelle se ferme aujourd’hui, avec le changement de siècle, sur la crise de la presse quotidienne, l’émergence des gratuits et de l’information instantanée sur Internet.

Laurent Martin souligne pourtant que même si d’un siècle à l’autre le bouleversement paraît total, les débats qui agitent les professionnels comme le public demandent souvent à être relativisés et replacés dans une évolution de longue durée. Ainsi du rôle de l’État, dont l’intervention très forte n’est pas née en 1944, mais prend ses racines dans les conceptions émancipatrices de la Révolution. De même, les débats sur la place de l’argent et de la publicité ou sur la corruption ont-ils accompagné depuis le milieu du XIXe siècle l’essor du capitalisme de presse, et la puissance inquiétante des grands groupes de communication multimédia a-t-elle pour l’historien un air de déjà-vu.

Le récit de l’Histoire, quand il est bien écrit, bien documenté et comme ici, ramassé pour n’évoquer que l’essentiel, se lit toujours comme un roman. De la naissance des grands quotidiens populaires (Le Petit Journal, 1863 ; Le Petit Parisien, 1876) à l’affaire Dreyfus, des grands scandales de l’entre-deux-guerres aux reportages d’Albert Londres, de la presse collaborationniste à la presse clandestine de la Résistance, des grands patrons de l’après-guerre comme Lazareff, Amaury ou Prouvost à la naissance de L’Express et de l’Observateur, Laurent Martin fait revivre au lecteur, avec précision et clarté, l’aventure de la presse dans le siècle de fer qui a vu son expansion mondiale et son triomphe, en attendant son possible déclin.

Une synthèse utile et éclairante

La presse moderne indépendante et libre, née avec la loi fondatrice du 29 juillet 1881, est à la fois une réalité et un idéal, constamment battu en brèche par la corruption, la servilité envers le pouvoir, la censure ou la médiocrité. La position singulière du journaliste, témoin engagé, évolue sans cesse, au fil des grands combats intellectuels et politiques de l’époque, mais aussi des mutations techniques et économiques, auxquelles le livre fait la part nécessaire, sans pour autant sacrifier ni la chronique ni le portrait des personnalités les plus marquantes. L’auteur s’attache aussi à décrire pour chaque période le modèle de presse dominant, ses caractéristiques essentielles et ses structures. Pour le lecteur, le rappel des faits est ainsi complété par une remise en perspective particulièrement éclairante.

C’est tout le mérite de ce petit livre de décrire et d’expliquer ces logiques qui gouvernent la presse et les médias et qui, pour la plupart, sont déjà anciennes (elles remontent au moins à la naissance du capitalisme moderne), tout en remplissant parfaitement son contrat, en offrant une synthèse utile aussi bien à l’étudiant qu’au grand public. De ce point de vue, on peut même considérer que dans un si court volume (213 pages de texte en corps 12, en format poche et avec des illustrations), il était difficile de faire mieux. On peut donc le recommander sans réserve, comme une référence qui trouvera sans peine sa place auprès des grands classiques de la bibliographie du domaine, tels l’Histoire de la presse de Pierre Albert ou l’Histoire générale de la presse française dirigée par Claude Bellanger (tous deux aux PUF), et pour le segment chronologique le plus récent, La presse en France de 1945 à nos jours, de Jean-Marie Charon, au Seuil.

L’ouvrage est complété d’un index et d’une copieuse bibliographie de 248 références, dont tout étudiant pourra faire son miel.