La place des bibliothèques publiques dans la politique du gouvernement britannique

Umbrella 5 : le congrès de la Library Association

Sandrine Malotaux

Les 1er, 2 et 3 juillet 1999 s'est tenue à Manchester la 5e édition d'Umbrella, congrès bisannuel de la Library Association. Plus de 1 900 représentants venus du monde entier ont assisté aux débats, répartis en vingt-trois ateliers thématiques. Tous les champs de la bibliothéconomie, toutes les catégories de bibliothèques ont été couverts : catalogage et indexation, livres rares, formation continue ou technologies de l'information et de la communication ; bibliothèques publiques, d'écoles ou de prison… sans oublier les bibliobus. Les débats, riches et foisonnants, ont souvent reflété des préoccupations similaires à celles des bibliothécaires français : diminution des budgets et réduction des effectifs, développement de l'emploi de bénévoles dans les bibliothèques publiques, recherche de sources alternatives de financement, voire mise en place du prêt payant dans certaines bibliothèques publiques.

Toutefois deux sujets, qui ont marqué plus particulièrement les discussions, rendent compte de l'évolution actuelle des bibliothèques publiques en Grande-Bretagne : l'intérêt accru que leur montre le gouvernement de Tony Blair (souligné par la présence à Umbrella de Chris Smith, l'actuel Secrétaire d'État à la Culture) et le projet de créer un réseau informatisé national reliant les bibliothèques publiques britanniques.

Le développement des technologies de l'information et leur large diffusion dans la société britannique comptent parmi les outils que privilégie le gouvernement de Tony Blair pour mener à bien ses principaux objectifs politiques nationaux. Les bibliothèques publiques, lieu naturel de diffusion de l'information auprès du grand public, se voient accorder une importance sans précédent dans le dispositif mis en place par le gouvernement, et sur laquelle Chris Smith a particulièrement insisté lors de la séance inaugurale du congrès.

Le contexte

En ce qui concerne le cadre juridique, le statut des bibliothèques publiques est régi par le « Public Libraries and Museums Act » de 1964 ; elles sont sous la tutelle des autorités locales, qui ont obligation « d'assurer un service de bibliothèque complet et efficace ». Le DCM – le Department of Culture, Media and Sports est l'équivalent du ministère de la Culture français – a pour rôle de veiller à ce que cette règle soit appliquée. Les bibliothèques publiques, financées par les autorités locales, sont depuis plusieurs années confrontées à une baisse généralisée des budgets, d'où une diminution des équipes, des heures d'ouverture, du volume des acquisitions (cf. le tableau page précédente).

Paradoxalement, les nouvelles technologies de l'information, qui ont connu un développement important dans les bibliothèques publiques, sont présentes partout : chaque bibliothèque dispose d'un système de gestion informatisé, d'un réseau de cédéroms, d'un accès Internet (souvent payant). Des réseaux régionaux performants reliant des bibliothèques commencent à se mettre en place – le plus récent, RIS-North 1, ouvert en février 1999, relie les bibliothèques de treize autorités locales du Nord de l'Angleterre.

Trois problèmes se posent dans ce domaine : la formation des équipes ; les coûts de fonctionnement (notamment les coûts de télécommunication) ; le contenu – achat et création de ressources documentaires ou de services électroniques.

Les bibliothèques publiques sont fréquentées par 58 % de la population. La gratuité de l'accès est une règle, de même que celle de l'emprunt des livres. Tous les autres services, y compris l'emprunt de vidéos, cassettes ou disques compacts, sont payants. Toutefois, face à la diminution des crédits qui leur sont alloués, de plus en plus nombreuses sont les bibliothèques qui facturent également le prêt des livres.

La question du paiement d'un droit de prêt aux auteurs, sujet qui divise actuellement bibliothécaires, auteurs et éditeurs en France, a été réglée en 1979 par la publication du Public Lending Right Act. Les auteurs reçoivent tous les ans une indemnité, dont le montant varie selon le nombre estimé de prêts de leurs ouvrages effectués dans les bibliothèques britanniques ; les fonds nécessaires au versement de ces indemnités sont votés par le Parlement.

La politique du gouvernement

Dans son discours du 1er juillet 1999, Chris Smith a rappelé les deux priorités du gouvernement en matière de bibliothèques publiques : le développement des technologies de l'information et de la communication ; le soutien face aux autorités locales, en veillant de très près à ce que les bibliothèques soient dotées de moyens suffisants.

Le développement des technologies de l'information et de la communication est dans tous les domaines une priorité absolue du gouvernement – détaillée dans le rapport Our Information Age 2, publié le 15 avril 1998. Les technologies de l'information et de la communication sont un outil privilégié au service de l'éducation, de la formation continue des adultes, de la culture, de l'intégration sociale (cf. les projets « National Grid for Learning » 3, lancé en 1998, et « The Learning Age » 4). L'accès à l'information doit donc être considérablement élargi et facilité : les bibliothèques publiques sont l'instrument idéal permettant de veiller à ce que cet accès soit réellement démocratique et qu'il ne se crée pas une « exclusion de la société de l'information ».

Le gouvernement a dans cette optique décidé de favoriser la mise en place d'un réseau reliant toutes les bibliothèques publiques, et connecté au « National Grid for Learning » : « The People's Network » 5. Sa mise en place se fera selon les modalités suivantes :

– création d'une infrastructure nationale permettant de relier entre eux les réseaux de bibliothèques locaux ;

– mise à niveau des réseaux existant selon des standards nationaux ;

– mise en place de partenariat entre secteur public et secteur privé (notamment pour faire diminuer les coûts de télécommunication) ;

– développement d'un plan de formation pour les 27 000 agents des bibliothèques publiques ;

– création de ressources et de services électroniques (plan de numérisation des collections patrimoniales par exemple).

L'objectif affiché est la connexion de toutes les bibliothèques publiques et l'interconnexion avec le « National Grid for Learning » et les autres réseaux existant (JANET, pour l'enseignement supérieur et la recherche) ou en chantier (NHSnet), pour l'horizon 2002.

Les moyens financiers 6 alloués sont les suivants : 200 millions de livres pour l'infrastructure, 50 millions de livres pour la création de contenus, 20 millions de livres pour la formation des équipes. L'intégralité de ces fonds proviennent de la Loterie nationale.

Maintien de la qualité des services de base des bibliothèques

À diverses reprises, le Gouvernement a souligné l'importance du rôle joué par les bibliothèques au sein des communautés locales, de leur rôle dans la diffusion de l'information et le maintien d'un accès démocratique à la « société de l'information » – l'importance accordée par le gouvernement à la défense de la liberté d'accès à l'information s'est récemment traduite par la publication du très controversé Freedom on Information Bill 7, en juin 1999.

Le DCMS a prouvé l'intérêt qu'il porte aux bibliothèques publiques à travers diverses mesures :

– introduction en 1998 des Annual Library Plans : toutes les autorités locales ont désormais obligation de présenter chaque année au gouvernement un projet énonçant leur politique en matière de bibliothèques. Le DCMS peut émettre des réserves et demander la révision de ce projet s'il considère que les termes du « Public Libraries and Museums Act » 8 de 1964 ne sont pas respectés.

C'est ainsi que cette année un grand nombre d'autorités locales ont dû réviser leur projet et doter leurs bibliothèques de moyens plus importants que ceux initialement prévus. La réduction des budgets accordés aux bibliothèques devait en effet mener à la fermeture de cinquante bibliothèques 9 dans l'ensemble du pays, dont vingt à Londres (Boroughs de Camden, Lambeth, Islington, Haringey, Barnsley). Le DCMS, soutenu par le Parlement et par une campagne de presse en faveur des bibliothèques, a demandé de manière pressante aux autorités concernées de revoir leurs projets. Devant l'émoi provoqué (débat au Parlement, campagne de presse relayée par le Guardian et l'Evening Standard, manifestations des usagers), presque toutes les autorités concernées, sauf les Boroughs de Camden et de Lambeth, ont renoncé aux fermetures 10.

– création en décembre 1998 d'une commission parlementaire sur les bibliothèques, présidée par la député Linda Perham.

– publication annoncée par le DCMS de normes de qualité concernant les bibliothèques, et dont le but sera de définir les seuils minimum en matière de budget, personnel, nombre d'ouvrages, heures d'ouverture, etc. pour garantir la prestation d'un service de base. Dans son discours du 1er juillet dernier, Chris Smith a insisté sur le fait que ces normes devront avoir une réelle valeur légale, et qu'elles devront aider les bibliothécaires à défendre leurs moyens face aux autorités locales.

L'entrée de la Grande-Bretagne dans la « société de l'information » a conduit les usagers, comme le gouvernement, à avoir vis-à-vis des bibliothèques publiques une plus grande exigence de service. En dépit de cela, les bibliothèques publiques sont toujours depuis le début des années 80 les premières à subir des réductions de budget conduisant à des fermetures ou des diminutions d'horaires d'ouverture, et ce mouvement se serait encore confirmé en 1999 sans l'intervention du Gouvernement. Pour pouvoir relever le défi que représente l'entrée de plain-pied dans la société de l'information, les bibliothèques publiques comptent sur un soutien affirmé du gouvernement central et se tournent de plus en plus vers des sources de financement alternatives : facturation des services, fonds provenant de la Loterie nationale, etc. Bien conscient de cela, le Gouvernement multiplie les gestes et les positions de principe en faveur des bibliothèques.

Illustration
Données pour 1991 et 1996*