Bibliothèques départementales de prêt et formations

Annie Dourlent

C’est la médiathèque départementale du Nord, située à Lille-Hellemmes, qui a accueilli du 12 au 14 novembre 1997 les journées d’étude annuelles de l’ADBDP (Association des directeurs de bibliothèques départementales de prêt), journées d’étude intitulées « Bibliothèques départementales de prêt et formations », thème important, non seulement pour les BDP elles-mêmes, mais aussi pour l’ensemble de la profession.

Ce vaste programme a été abordé sous deux angles, la formation des responsables des bibliothèques desservies par les bibliothèques départementales de prêt d’une part, la formation professionnelle des personnels des BDP, d’autre part.

Depuis les années 1980, le développement considérable des bibliothèques en milieu rural a posé le problème de la formation des acteurs de ces bibliothèques, qui sont au contact direct du public et y jouent un rôle vital. La quasi-totalité d’entre elles a fait de cette tâche un axe de travail important, offre un programme de formation aux responsables des bibliothèques locales, et joue aussi un rôle quotidien d’assistance technique, de conseil.

Dans ce contexte, le travail des personnels s’est beaucoup modifié, et il était normal que le programme des journées d’étude examine également l’évolution du métier de bibliothécaire en BDP.

La formation des médiateurs des réseaux

Philippe Russell, de la BDP du Territoire de Belfort, a présenté les résultats de son analyse des « catalogues de formation » des soixante et onze bibliothèques ayant répondu à son enquête. Une table ronde a ensuite réuni des représentants du Maine-et-Loire, Bruno Dartiguenave, et du Pas-de-Calais, Christine Bèze, de l’Association des bibliothécaires français (ABF), Pierre Breuthiaux, et deux formatrices indépendantes, Michèle Plaze, d’Axel Formation, et Nicole Larderet. Ces différentes interventions ont provoqué un débat assez nourri avec la salle.

Il est possible de dégager quelques remarques de l’enquête de Philippe Russell, des interventions et des débats. 10 % seulement des BDP (sur soixante et onze) n’ont pas d’activité de formation ; ce chiffre confirme sans aucun doute possible l’importance de ce secteur.

Dans le Pas-de-Calais, le plan de formation des responsables des bibliothèques du réseau s’est inscrit dans la redéfinition des missions de la BDP dans les années 1990, en même temps qu’était défini un programme d’aide du conseil général au développement des bibliothèques. Cet exemple est intéressant, et sans doute assez représentatif, car la question de la formation s’est posée avec d’autant plus d’acuité après la départementalisation des BDP, qu’un nombre important de conseils généraux ont élaboré des programmes d’aide et qu’il devenait de ce fait indispensable de donner aux communes les moyens non seulement d’acquérir des équipements, mais aussi de les faire fonctionner en formant les responsables de ces bibliothèques.

On peut dire que la formation fait désormais partie, dans la très grande majorité des BDP, des missions de base à l’égard du réseau.

L’activité de formation

L’activité de formation s’articule autour de trois axes : les formations dites « de base », les formations « thématiques » ou « spécialisées » et la formation ABF. Cinquante-huit BDP assurent des formations de base, cinquante-neuf des formations thématiques, quarante-quatre assurant les unes et les autres.

Les formations de base. Il convient de préciser ce que sont les « formations de base » : 81 % des BDP les conçoivent de manière globale, constituant un tout que les responsables des bibliothèques locales sont, suivant les cas, incités à suivre ou obligés à faire ; quinze ont rendu cette formation obligatoire pour les responsables d’équipements nouveaux, tandis que dix-sept disent jouer avec succès la « carte de la persuasion ».

Ces formations de base sont généralement considérées comme le « bagage minimum » pour faire tourner une bibliothèque, mais il faut noter qu’il y a d’assez fortes disparités dans la durée de ces formations, et donc dans le niveau d’exigence des BDP vis-à-vis des responsables et des communes. De même, certaines bibliothèques n’obligent pas à suivre l’intégralité de la formation de base, découpée en modules ; il y a cependant une tendance à affirmer la globalité de ce cycle de base, en quelque sorte un « prédiplôme » ABF. En effet, pour un certain nombre d’établissements, il s’agit d’une première initiation, relativement légère. Les responsables sont ensuite incités à suivre la formation ABF, mais l’éloignement des centres de formation la rend cependant parfois difficilement accessible.

Les formations thématiques. Les thèmes des formations thématiques recoupent parfois ceux des formations de base – ce sont alors des journées conçues comme indépendantes, ou permettant un approfondissement ; mais, le plus souvent, elles abordent des sujets plus particuliers, par exemple les collections, un type de littérature spécifique (un genre littéraire, la littérature d’un pays…).

La formation ABF. Elle est assurée, selon le site Web de l’ADBDP (http://www.adbdp.asso.fr) dans vingt-trois bibliothèques départementales de prêt. Cette formation, qui s’est très fortement étoffée depuis quelques années, est évidemment beaucoup plus conséquente que la plupart des « cycles de base » organisés par les BDP. S’il faut rester très clair sur le fait qu’elle n’est en aucun cas une garantie d’embauche, on doit reconnaître qu’elle est un véritable tremplin pour la professionnalisation. En outre, dans bien des cas, elle permet de renforcer la position d’un bénévole, ou d’un agent en situation de contrat plus ou moins précaire de type CES (contrat emploi solidarité), ou CEC (contrat emploi consolidé), et fournit des arguments pour l’embauche par la commune.

Les objectifs de la formation

Au-delà de l’évidence – donner aux responsables des bibliothèques les moyens de faire fonctionner leur bibliothèque –, se manifestent aussi pour beaucoup de BDP, avec le développement de leur activité de formation, la volonté de faire émerger la notion de réseau et de le structurer, ainsi que le moyen de bien positionner la bibliothèque dans sa fonction de conseil technique.

Christine Bèze l’a rappelé pour le Pas-de-Calais. Plusieurs intervenants, à la tribune comme dans la salle, ont souligné le danger de la « formation pour la formation » en soulignant la nécessité d’assurer un suivi sur le terrain, en insistant sur l’aspect structurant de la formation, mais cette fois sur le plan de la mise en valeur des collections, en direction, à travers les « responsables-médiateurs », du public final. Bruno Dartiguenave a ainsi défendu l’idée de lier fortement formation professionnelle et mise en valeur des collections.

Michèle Plaze, qui assure des cycles de formation de base dans neuf bibliothèques départementales de prêt, a présenté une approche très intéressante, insistant sur la nécessité de reconnaître le bibliothécaire volontaire comme un acteur du service public de lecture, de le faire se situer par rapport au projet de développement de sa bibliothèque, à l’équipe, aux élus, à la BDP et au réseau. Selon l’intervenante, viennent au second plan les techniques de catalogage, d’indexation, qui sont des outils – mais qui ne sont pas que cela ! Elle a aussi posé une question de fond : veut-on donner des compétences de professionnels à des bénévoles qui le resteront, ou veut-on en faire des bénévoles heureux ?

Professionnaliser les médiateurs des réseaux ?

La question de la professionnalisation des médiateurs des réseaux des bibliothèques départementales de prêt, une des questions centrales de ces journées, donna lieu à des échanges assez vifs. La plupart des intervenants reconnurent la nécessité de cette professionnalisation, mais certains soulignèrent qu’il était indispensable qu’elle s’accompagne de créations d’emplois, afin d’éviter l’écueil du « bénévolat professionnalisé ». De surcroît, ils firent remarquer que la création d’emplois intercommunaux est une solution pour développer l’emploi.

Bien sûr, la création d’emplois fait l’unanimité, mais l’intercommunalité est parfois plus facile à prôner qu’à mettre en place véritablement… D’autre part, pour que subsistent des équipements de proximité, peut-on se passer de bénévoles ou – le terme est mélioratif – de volontaires ? Je poserai, comme je l’ai fait lors des journées d’étude, une question un tant soit peu provocatrice : faut-il interdire le bénévolat ?

Il faut bien sûr défendre la notion de service public, réaffirmer que l’accès à la lecture ne peut être laissé à la bonne volonté d’individus – même s’ils ont des compétences –, mais il ne faut pas non plus occulter l’important rôle de médiation des milliers de bénévoles qui concourent au service de la lecture. Rôle de médiation qui est aussi celui des professionnels, mais qui n’est pas leur apanage…

A qui incombe la mission de formation ?

Si la formation est reconnue comme une mission fondamentale des BDP à l’égard de leur réseau, elle est cependant de plus en plus souvent assurée par des intervenants extérieurs : la part de ces intervenants, de 38 % pour les formations de base, s’élève à 76 % pour les stages thématiques.

La formation de base, « initiatique », est souvent considérée comme la plus urgente, la plus nécessaire, mais aussi la plus facile à mettre en œuvre par le personnel de la bibliothèque puisqu’elle touche les fonctions techniques de base en priorité. Les questions d’organisation, de traitement des documents et d’environnement (tutelle, missions, partenariats) constituent en effet le tiercé gagnant des formations de base. Les formations thématiques sont plus volontiers confiées à des intervenants extérieurs, « spécialistes » d’un domaine par exemple.

Il est difficile de généraliser. Les raisons de faire appel à des intervenants extérieurs, ou de ne pas le faire, sont souvent liées à des problèmes moins métaphysiques que pratiques, concernant notamment la disponibilité du personnel et les ressources financières nécessaires pour les rémunérer. Mais il n’est pas interdit de se poser quelques questions sur le rôle, et donc le métier de bibliothécaire en BDP.

Parmi les professionnels, les avis sont visiblement partagés sur le recours aux intervenants extérieurs. D’aucuns souhaiteraient que la formation professionnelle reste le pré carré des bibliothécaires, considérant qu’elle fait partie intégrante de leurs missions. En tout état de cause, s’il semble nécessaire de faire appel à des compétences extérieures sur des sujets plus pointus, on peut regretter que le personnel des BDP n’ait pas toujours les moyens d’assurer des formations.

On constate en effet que la prise en charge des formations par ce personnel permet de modifier les relations entre celui-ci et les responsables des bibliothèques, et aussi d’élargir ses compétences et ses fonctions, toutes les catégories pouvant être concernées par cette activité de formation. On comprendra que la qualité des « bibliothécaires indépendants » n’est pas en cause – mais j’ai cru saisir dans l’assistance quelques réticences aux termes « bibliothécaire libéral », dont je ne saurais dire s’il s’agit d’une « frilosité » ou d’un regret de voir nous échapper une partie intéressante du métier… N’oublions pas toutefois que les intervenants extérieurs sont eux aussi des « professionnels » !

Nicole Larderet, qui est intervenue, entre autres, dans vingt-quatre BDP en 1997, a d’ailleurs bien insisté sur l’importance qu’a, pour elle, le travail en amont avec l’établissement « commanditaire », sur la définition du contenu de stage et ses modalités d’intervention, sur la liaison nécessaire avec le travail « quotidien » de la bibliothèque.

Il y a sans doute une bataille à mener vis-à-vis des conseils généraux pour faire reconnaître la formation comme une mission à part entière, qui nécessite donc du temps et des moyens. Reste néanmoins que si, sur le principe, cette bataille est souvent déjà gagnée, il est parfois plus facile, dans le contexte actuel, d’obtenir des moyens financiers – et donc le paiement de prestations extérieures – que des moyens supplémentaires en personnel…

Il y a aussi une réflexion à mener sur l’évolution du rôle des personnels en BDP, car l’activité de formation est spécifique et nécessite des compétences qui ne vont pas forcément « de soi ».

Cette réflexion me donne l’occasion de dire que les débats et conférences, lors des journées d’étude de l’ADBDP, sont non seulement riches et fructueux, mais parfois très réjouissants et inattendus dans leur forme… La dernière intervention de ces journées, confiée à deux « conservateurs-formateurs », Marielle de Miribel, de Mediadix, et Françoise Hecquard, de la bibliothèque départementale de prêt des Yvelines, fut un grand moment… Avec la complicité de Didier Guilbaud, et de plusieurs bibliothécaires de la médiathèque départementale du Nord et des bibliothèques municipales du département, elles ont démontré, sketches plus vrais que nature à l’appui, la nécessité de « former les formateurs » (tel était le thème de leur intervention), et de clarifier les objectifs de la formation et les motivations des « formés ».

Le métier de bibliothécaire en BDP

En ouverture de ces journées, Bernadette Seibel avait évoqué le métier de bibliothécaire en bibliothèque départementale de prêt, les différents aspects de l’évolution des tâches, et notamment de la fonction de direction dans le cadre de la départementalisation.

La proximité de la tutelle, l’augmentation des moyens, les missions accrues dans le domaine du conseil et de l’aménagement du territoire – entre autres, la notion de réseaux départementaux –, ont rendu plus importante la fonction d’organisation, de gestion, d’évaluation des résultats, plus nécessaire aussi la capacité d’argumentation et de négociation.

Propos qui ont suscité des réactions, car on peut se demander si l’on ne « justifie » pas ainsi la nomination d’administratifs à la tête des BDP. Mais Bernadette Seibel a également insisté sur la nécessité de maîtriser un domaine pour être capable de bien l’organiser. Ainsi, les politiques de « carte documentaire départementale » qui se mettent en place – en Dordogne par exemple –, ou les questions croissantes autour des politiques d’acquisition (travail en interrégion Bretagne-Pays de Loire), montrent bien qu’il n’y a pas abandon de la fonction documentaire par les directeurs, même si, au quotidien, ils ont largement délégué les acquisitions aux bibliothécaires.

Pour revenir à la formation, Bernadette Seibel a mis en valeur l’évolution des tâches en BDP : il ne suffit plus de posséder un savoir, il faut également être capable de le transmettre à d’autres, de le partager. La légitimité des personnels ne tient plus seulement à leur savoir technique – que beaucoup d’acteurs du réseau, y compris bénévoles, partagent désormais, grâce aux actions de formation précisément –, mais aussi – et j’ai envie de dire surtout – à leur capacité de formation, de conseil, d’expertise. Bertrand Calenge a ensuite défendu le même point de vue, parlant de « l’exacerbation des fonctions logistiques et des fonctions de formation ».

J’insisterai sur cet aspect de partage du savoir et des compétences : comme l’a souligné Bernadette Seibel, les bibliothécaires professionnels – et salariés – des BDP pourraient être tentés, dans une conception un peu corporatiste, de protéger leur savoir professionnel, leurs compétences, et donc leur légitimité. Or, l’évolution des missions de ces bibliothèques les conduit au contraire à partager ce savoir, à le déléguer en professionnalisant les acteurs du réseau – y compris les bénévoles.

Pas question non plus de s’enfermer dans un savoir purement technique, puisque les personnels, y compris les assistants, doivent développer leur capacité d’expertise et d’argumentation vis-à-vis des partenaires contractuels que sont de plus en plus les bibliothèques locales. En même temps, ils doivent eux-mêmes constamment évoluer et se former, et j’emprunterai à Nicole Larderet l’image de l’« éponge » que doit être le « bibliothécaire-formateur » de BDP, capable d’exercer une « veille » permanente sur l’évolution des attentes des publics, des missions des bibliothèques, des moyens de développement de la lecture, afin d’exercer valablement à la fois expertise et retransmission du savoir.

Quelle formation professionnelle ?

Terminons par un « sujet qui fâche » – qui fâche très fort – mais qui ne concerne pas seulement les bibliothécaires de BDP. Ces journées ont été l’occasion de constater, une fois de plus, que, depuis la mise en place des nouveaux statuts de la fonction publique territoriale, il est difficile de proposer un dispositif de formation efficace.

Unanimement approuvé par l’assistance, Bertrand Calenge a démontré la nécessité du « socle solide d’un substrat professionne », et donc l’intérêt de conserver la notion de « métier » au sein d’une logique de filière, la filière culturelle territoriale, même s’il y a élargissement à des fonctions plus larges. De nombreuses inquiétudes ont été exprimées, notamment auprès de Nadine Herman, du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), sur la qualité de la formation initiale d’application, notamment pour les assistants, mais aussi de manière plus globale. Nadine Herman a pour sa part souligné que, depuis les nouveaux statuts, des logiques contradictoires étaient en confrontation : d’un côté, la volonté de formation initiale post-concours ; de l’autre, le souhait des élus et des responsables de service de disposer de personnel compétent, bien formé, mais pas trop absent…

Oserai-je exprimer un certain découragement devant les difficultés évoquées à passer une convention entre l’IFB et le CNFPT, devant la tendance à proposer, pour la formation initiale d’application, des stages en libre-service plutôt que des enseignements de base obligatoires, organisés en cycle, qui garantiraient le niveau de compétence des agents débutants ?

Conclusion un peu pessimiste, certes, après un compte rendu partiel et partial qui a tenté de montrer le rôle fondamental des BDP dans la formation des bibliothécaires des réseaux départementaux, qu’ils soient salariés ou volontaires, et de mettre en évidence la nécessité de l’excellence des personnels qui ont à convaincre en permanence du besoin de personnel compétent pour faire vivre une bibliothèque (la gérer, mais aussi l’animer, et en faire un acteur important de la vie locale).

Insistons donc plutôt sur l’aspect passionnant de cette fonction de médiateur des personnels de BDP : être bibliothécaire dans ce type de bibliothèque, c’est maîtriser pleinement les techniques de base du métier, développer ses capacités d’organisation, de conseil, d’expertise, être à l’écoute de l’évolution du métier, et c’est enfin apprendre à partager, à communiquer à la fois son savoir, son expérience… et son enthousiasme !