Le métier de bibliothécaire

par Yves Desrichard

Association des bibliothécaires français

10e éd. Coordination Françoise Hecquard, avec la collaboration de Françoise Froissart. Paris : Ed. du Cercle de la Librairie, 1996. - 527 p. ; 24 cm. ISBN 2-7654-0606-5 : 250 F

Le métier de bibliothécaire est une institution éditoriale que l'on ne présente plus !

L'ouvrage, qui en est à sa dixième édition, a paru pour la première fois (sous un autre titre) en 1966, mais peuvent être considérés comme ses ancêtres les Règles et usages observés dans les principales bibliothèques de Paris pour la rédaction et le classement des catalogues d'auteurs et d'anonymes (1912) et le fameux Code administratif des bibliothèques françaises, plus connu des (crypto ?) amateurs de publications bibliothéconomiques sous le nom de son auteur, Ernest Coyecque, ancien président de l'Association des bibliothécaires français, elle-même fondée en 1906...

Les buts de l'ouvrage sont, comme le rappelle dans son avant-propos Claudine Belayche, actuelle présidente, de rappeler la « réalité d'un véritable métier de bibliothécaire, requérant non seulement le goût de lire [et encore... serait-on tenté d'ajouter], mais [aussi] une qualification technique et professionnelle, et donc un apprentissage ». L'intention est donc clairement pédagogique et informative, d'où le ton distancié de la majeure partie des exposés, et le souci de clarté des développements, dépourvus d'éléments de digression.

Les quelque cinq cents pages denses et fournies ne peuvent apporter sur les sujets abordés que des synthèses à compléter. Et on ne peut donc douter que le « métier de bibliothécaire » suppose de fait d'acquérir des compétences dans un ensemble de domaines d'une incroyable variété ; ce qui, pour les pessimistes, relèvera du cauchemar et, pour les volontaristes, constitue l'attrait essentiel d'une profession qui propose à chacun une diversité d'approches, qui plus est, en continuelle expansion. Bien rares sont les métiers où l'on peut s'ériger à la fois en apprenti-sociologue, en élève-informaticien, voire en programmateur architectural confirmé !

De manuel en manuel

Il serait sans doute intéressant - et il y a là matière à travail savant - de comparer les dix éditions publiées de l'ouvrage, pour en relever les constantes, signaler les évolutions majeures, voire pointer les sujets disparus, encore que ces derniers doivent être fort rares : cette dixième édition détaille toujours soigneusement la tenue des registres d'inventaire et les différents types de catalogues sur fiches.

En fait, il y plutôt inflation d'informations et de domaines sur lesquels s'informer. La simple comparaison des paginations des différentes éditions montre que les sujets qui « touchent » les professionnels des bibliothèques et de la documentation sont de plus en plus nombreux.

Cela tient certes à la complexité croissante de notre civilisation technicienne, mais aussi à l'accentuation des modes et des moyens d'intervention des professionnels dans notre société, là où l'illettrisme perdure, là où (pour certains) l'école fait faillite, là où les risques d'isolement de populations ou de groupes sociaux ou ethniques donnés sont de plus en plus prononcés, là où (public étudiant) la compétition se fait plus vive. On demande toujours plus aux bibliothèques et aux personnels qui les gèrent, fructueusement contraints d'associer les nécessités d'une gestion comptable et administrative toujours plus rigoureuse et les envies de conquérir ou de satisfaire publics inconnus ou « intimes ».

L'ouvrage s'articule autour d'une série de très courts chapitres, eux-mêmes abondamment subdivisés en paragraphes, encarts, etc. Rares sont les exposés sur un sujet donné qui excèdent une page et, si l'on peut parfois regretter ce caractère lapidaire, il faut reconnaître que le souci drastique de concision était la condition sine qua non pour traiter en moins de (!) cinq cents pages une matière si abondante. On aura donc scrupule à regretter certaines lacunes (des données sur l'édition, la diffusion et la distribution des livres, mais peu de choses sur l'édition discographique ou vidéo, souvent plus problématique).

Modestement et pratiquement, on peut considérer le manuel comme une sorte de « centre de ressources » imprimé pour ce qui concerne la documentation sur les bibliothèques et leurs environnements. Chaque chapitre est complété d'une bibliographie soigneuse et très sélective, parfaitement à jour. Peu exploitable en propre si l'on veut approfondir un sujet donné (ce n'est pas son but), l'ouvrage s'enrichit de ces abondantes perspectives bibliographiques.

Si la « coloration » de l'ouvrage le destine indéniablement et avant tout aux bibliothécaires de la lecture publique, la lecture même des chapitres prouve que, bien souvent, les distinctions établies n'ont plus grand sens, que bon nombre de soucis sont communs, que d'autres ne sont qu'administrativement séparés et que, d'une manière générale, problèmes et solutions tendent souvent à se confondre.

La diffusion vers les bibliothèques universitaires de la classification Dewey - dans un premier temps plutôt prônée en lecture publique - et, comme en retour, la généralisation d'usage de RAMEAU (Répertoire d'autorité matière encyclopédique et alphabétique unifié) - aux orientations plutôt universitaires au départ -, sont des tendances significatives de l'évolution des pratiques.

Un regard compréhensif

Rares sont aujourd'hui les ouvrages qui proposent une synthèse complète de l'ensemble des partenaires de la traditionnelle « chaîne du livre ». D'autant plus que, avec le développement de l'édition électronique et des autres supports, cette notion est sans doute déjà obsolète.

Le métier de bibliothécaire réussit une fois de plus la gageure d'un regard compréhensif sur une série de disciplines où se manifestent des préoccupations très hétérogènes, voire contradictoires. Comme on le souligne (c'est désormais un truisme) à propos du « langage fleuri » des architectes pour décrire leurs programmations, il faut au professionnel maîtriser des discours, des langages, des états d'esprit très différents.

Sans vouloir stigmatiser la notion d'« homme universel » dans un environnement perçu ici essentiellement dans sa dimension technicienne, force est de reconnaître que cette somme d'informations laisse rêveur sur nos (!) compétences, et oblige peut-être aux spécialisations accrues qui sous-tendent l'évolution des carrières et statuts des professionnels de la documentation et des bibliothèques.