Du cuit au cru

Louis Klee

La contractualisation a été l'occasion pour la bibliothèque de l'université de Nice Sophia-Antipolis de mieux comprendre son fonctionnement et de penser son développement quadriennal. Elle a mis au point une méthodologie rigoureuse : une commission « documentation » regroupant 57 personnes (usagers, enseignants, bibliothécaires) s'est réunie en 4 séances sur des thèmes précis pour mettre au point la version 1 de la politique documentaire qui en connaîtra 5 par le jeu des navettes et des consultations. Cette politique s'articule autour de 7 axes : connaître et organiser l'existant ; améliorer la couverture documentaire ; améliorer l'équipement documentaire ; aménager, moderniser et construire ; améliorer les services rendus au public ; informatiser et mettre en réseau les bibliothèques de l'université ; optimiser les ressources humaines. Le bilan est positif. Outre les moyens financiers, la contractualisation a permis à la bibliothèque de conceptualiser un projet d'entreprise sur 4 ans qui mobilise autant l'université que le personnel de la bibliothèque.

Contracting with the French Ministry of Education was the time for Nice Academic Library for a better understanding of itself and to think its development on the next four years. The library used a precise methodology : a « documentation » working party, with 57 members (users, teachers, librarians), met four times on precise themes to determine the first version of information policy ; they will be five after go-between and consulting. This information policy includes seven points : better knowledge and organisation of existing offer ; improve document coverage ; improve document facilities ; fit out, modernize and build ; improve services ; realize a computerized library network ; optimize human resources. Results are positive. Besides financial means, contracting allowed the library to put a joint project on, which is a strong link with the university and between the staff.

L'Université de Nice Sophia-Antipolis n'a pas attendu la contractualisation pour penser son avenir et analyser ses zones de lumière et d'ombre. Après 25 ans d'existence, la contractualisation a été une occasion d'analyser, voire de disséquer, le fonctionnement des différentes composantes de l'institution et de penser un développement quadriennal raisonné (et raisonnable).

Cette volonté d'analyse et de prospective a, sans nul doute, été amplifiée par le changement presque total des responsables de l'université, dû à l'application de la loi Savary sur l'enseignement supérieur.

Ainsi, 1989 voit l'élection d'un nouveau président et de son équipe, de nouveaux doyens dans les UFR 1 et la nomination d'un nouveau directeur à la bibliothèque de l'université. De plus, faisant partie de la deuxième vague de contractualisation. l'université de Nice Sophia-Antipolis bénéficiera de l'expérience acquise par la première vague des universités contractualisées.

La méthodologie

Le lancement de la politique contractuelle fait l'objet d'une très large publicité. D'emblée, le président fixe un calendrier de travail à quatorze commissions organisant librement leur activité et ouvertes, de fait, à toutes les bonnes volontés. L'une d'elles est celle de la documentation. Les travaux de la commission de la documentation s'inscrivent dans un calendrier précis (cf. encadré) Celle-ci est présidée par le vice-président de l'université, vice-président du conseil de la documentation. Son rapporteur en est le directeur de la BU. Sa composition est très large. Elle est ouverte à tous les membres de l'université souhaitant en faire partie : étudiants, enseignants, bibliothécaires. Au total 57 personnes y participent, représentant très largement les usagers, les partenaires et les personnels des bibliothèques et centres de documentation.

Les thèmes

La commission détermine quatre thèmes (tout simplement repris dans la circulaire n° 89-0795 sur la politique contractuelle) discutés en quatre séances.

La politique de contractualisation est présentée le 18 janvier 1990. On adopte et définit un plan de travail. et on met au point un questionnaire pour l'inventaire des ressources documentaires. La réalisation de l'inventaire (collation, dépouillement, publication) se fait en dix mois. Elle s'est révélée une mine d'informations et l'acte fondateur de la politique documentaire. Cet inventaire est désormais remis à jour tous les deux ans.

Au cours de la séance du 8 février 1990 est discutée l'amélioration de la couverture documentaire et une politique d'acquisition concertée. Le 16 février 1990 est traitée la question de l'amélioration des services rendus aux usagers. Une dernière séance s'intéressera à la modernisation et à l'informatisation du réseau des bibliothèques.

Chaque séance fait l'objet d'un procès-verbal précis et d'une synthèse. Ceci a permis une rédaction très aisée d'une synthèse générale des quatre séances. Cette première synthèse représente la première version de la politique documentaire de l'université, qui en connaîtra cinq.

En effet, nous avons choisi de faire une diffusion très large (environ 200 exemplaires) des versions successives de ce document auprès de tous nos partenaires (membres de la commission documentation, doyens des UFR, étudiants élus dans les différents conseils, intégralité du personnel de la BU, personnalités extérieures etc.) durant toute la période de négociation (16 mars 1990 au 30 avril 1991).

L'incorporation des amendements, remarques, ajouts de toutes sortes, sur la forme comme sur le fonds, mis en musique par le directeur-adjoint et le directeur de la BU fait que la cinquième version de notre politique documentaire triple de volume et que son plan est devenu très confus. Les mêmes, aidés par une stagiaire chartiste jouant le rôle de candide, réécrivent en mode créatif la copie.

Brève synthèse de la politique documentaire

La BUNSA sert une pédagogie de la réussite où la collaboration bibliothécaire/chercheur favorise l'autonomie intellectuelle des étudiants et les fait passer en douceur d'une culture du « cuit » (à base de cours et de polycopiés) à une culture du « cru » (plus axée sur la recherche personnelle). Cette politique s'articule en sept axes :

- connaître et organiser l'existant :
un inventaire des ressources et des moyens documentaires a permis de déterminer quels étaient les partenaires de la politique documentaire et leur rôle. Les « cercles de qualité documentaire », instance d'évaluation et d'adéquation de l'offre et de la demande, permettront d'édifier un plan de développement des collections.

- améliorer la couverture documentaire :
l'université ne se contente pas de former des « techniciens du savoir ».
La bibliothèque proposera :
- une salle de culture générale et d'actualité,
- une collection complète de manuels et ouvrages de référence pour le 1er cycle,
- un développement raisonné des collections sur tous supports.

- améliorer l'équipement documentaire :
l'université intègre l'évolution rapide des nouvelles technologies de l'information et de la rénovation des pratiques pédagogiques qui en découlent. La bibliothèque proposera :
- un équipement de base dans chaque section (CD-ROM, micro-ordinateurs, magnétoscopes, télécopieurs, etc.) ;
- le projet pilote NOMAD (Nouvelles méthodes d'apprentissage pour le DEUG 2) à la BU Sciences :

- aménager, moderniser et construire :
le déficit en m2 est sévère et ne cesse de se creuser (en 1991, 0,71 m2 par étudiant soit 6 379 m2 de déficit pour une norme de 1 m2 par étudiant). La situation peut être considérablement améliorée par :
- la construction d'une section pluridisciplinaire de 3 000 m2, selon le schéma « bibliothèque du troisième type » sur Sophia-Antipolis.
- un réaménagement important des quatre sections.

- améliorer les services rendus au public :
- élargissement des horaires d'ouverture. Depuis la rentrée 1990-1991, la BU est ouverte de 9 heures à 19 heures, soit 50 heures par semaine. Le recrutement de moniteurs étudiants appuiera cet effort, particulièrement pour une extension durant la période des révisions d'examens (ouverture jusqu'à 21 heures).
- mise en place d'un véritable système d'aide au lecteur : ceci implique une redistribution des tâches, rendue possible par l'informatisation, et la création de postes de bibliographes - inspirés des reference librarians anglo-saxons. Ils permettront au réseau des bibliothèques de l'université de devenir un centre de ressources pour les usagers universitaires et les entreprises. Une refonte complète de la signalétique, l'utilisation de produits documentaires et de la télématique accompagneront cette opération.
- développement de la formation à la documentation : l'ensemble de la communauté universitaire - de l'étudiant au professeur - se verra proposer une formation initiale ou continue à la documentation dont le maître d'oeuvre sera l'URFIST 3 de Provence-Alpes-Côte-d'Azur-Corse.
- faciliter l'accès des services de la BU aux handicapés. : une étude a été menée avec le secrétariat d'Etat correspondant et couvrira les besoins de tous les handicapés.
- faire de la bibliothèque un lieu de vie culturelle : l'UNSA veut restaurer l'interdisciplinarité, dont la biblio-thèque est un des lieux géométriques. Cette politique recouvre des activités déjà existantes (expositions, colloques, politique de dons et de legs) et se développera vers des activités plus novatrices (théâtre).

- Informatiser et mettre en réseau les bibliothèques de l'université :
L'UNSA fédère, dans un système intégré de gestion - GEAC-ADVANCE - financé en grande partie par le Conseil général des Alpes-Maritimes l'ensemble de ses bibliothèques. L'objectif est de proposer un CIEL (Catalogue interrogeable en ligne) qui ouvrira en octobre 1991 et qui devra intégrer l'ensemble des fonds par saisie rétrospective.

- optimiser les ressources humaines :
la bibliothèque introduit de concert :
- un contrôle de gestion à travers la collecte coordonnée de données statistiques et une évaluation régulière des services rendus,
- le développement, avec l'URFIST, d'un plan local de formation continue, déjà initié en micro-informatique,
- le redéploiement du personnel, induit par le contrôle de gestion et l'intégration des nouvelles technologies qui permettra des gains de productivité et une optimisation des services rendus.
Cet objectif est réaliste, si la rénovation proposée des locaux est effectuée. Cependant une relative augmentation des effectifs est nécessaire. Ainsi, l'UNSA mène une politique documentaire volontariste, interdisciplinaire, favorisant l'épanouissement intellectuel de l'étudiant et visant sa réussite en tant qu'étudiant et en tant qu'être humain.

le bilan

Le contrat d'établissement a été signé le 11 octobre 1991. L'Etat (à travers la DPDU) reconnaît la pertinence de nos objectifs. Nos ressources augmentent substantiellement. Mais ceci est peu ou prou le cas de toutes les bibliothèques contractualisées, le Nord, le Nord-Est, l'Ouest étant « mieux servis » que le Sud. Les différents graphiques que nous avons effectués à partir de la répartition du budget des BU pour 92, telle que présentée au CNESER 4, nous indiquent que, partis 19e, nous arrivons 18e !

Et pourtant le bilan nous semble très positif. Le budget, quoi qu'on dise, a augmenté et nous permet donc de mieux réguler les termes de l'offre et de la demande documentaire, de moderniser nos équipements, etc. Ceci était nécessaire, mais est-ce suffisant ?

La démarche de contractualisation nous a donné des « plus » :
- la BU a un plan de développement quadriennal connu de tous et reconnu par l'université ;
- l'université a redécouvert (retrouvé ?) sa bibliothèque et les règles de son bon usage. Elle a désormais une politique documentaire défendue par le président et mise en œuvre par le directeur de la bibliothèque universitaire ;
- toutes les bibliothèques de l'université (des quatre sections de la BU aux bibliothèques d'UFR et de labos) reconnaissent l'impérieuse nécessité d'un réseau. Le système de gestion de la BU (GEAC-ADVANCE) les intégrera comme bibliothèques associées ;
- le personnel de la BU a participé à l'élaboration de la politique contractuelle. Il reste mobilisé autour d'objectifs qui enrichissent très souvent sa pratique professionnelle.

La BU développe ainsi une culture d'entreprise originale au moment où elle s'intègre vraiment dans son université 5.

En guise de conclusion

Nous connaissons nos zones d'ombre (individualisme et inertie des partenaires, locaux inadaptés à la nouvelle pédagogie et au libre accès, indifférence d'une partie de nos usagers à nos efforts de communication, manque de personnel pour la réalisation de prestations documentaires, etc.). Mais le débat et les moyens financiers nouveaux (même s'ils seront toujours insuffisants) ont relancé notre machine documentaire. Et puis notre meilleur carburant c'est nous-mêmes !

Janvier 1992

Illustration
Calendrier de la contractualisation

  1. (retour)↑  UFR : Unité de formation et de recherche.
  2. (retour)↑  DEUG : Diplôme d'études universitaires générales.
  3. (retour)↑  URFIST : Unité régionale de formation à l'information scientifique et technique.
  4. (retour)↑  CNESER : Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recheche.
  5. (retour)↑  Cet article ne couvre que le volet « enseignement et pédagogie » de la contractualisation. Nous avons suivi une démarche similaire pour le volet recherche qui est encore en négociation.