Bibliotheca Alexandrina

Une bibliothèque pour le troisième millénaire naît des cendres de l'Antiquité

Jacques Tocatlian

Après un bref rappel du contexte historique et culturel de la ville de l'Antiquité et du rôle de sa bibliothèque, l'auteur jette un regard sur la ville en déclin et demande si le mythe peut être réellement recréé. Contrairement aux bibliothèques à caractère national, le projet de la Bibliotheca Alexandrina pose des problèmes particuliers de nature politique, financière et organisationnelle. D'où l'accent qui est donné aux côtés non techniques du projet. L'édifice de la nouvelle Alexandrina est expliqué, ainsi que son organisation en deux divisions et six départements. Dans le contexte de la coopération internationale, le rôle de la France est donné à titre d'exemple.

After briefly recalling the historical and cultural context of the city of Antiquity and the role of its library, the author considers the declining city of today and wonders if the myth can really be recreated. In contrast to libraries of national character, the Bibliotheca Alexandrina project poses particular problems of political, financial and organizational nature. Hence, the emphasis given to non-technical aspects of the project. The building of the new Alexandrina is explained, as well as its organization into two divisions and six departements. In the context of international coopération, the role of France is given as an example.

« Que de fées se seront penchées sur le berceau de la Bibliothèque d'Alexandrie ! Si l'on en croit la légende... c'est Homère qui apparaît à Alexandre en rêve pour lui enjoindre d'aller fonder une ville nouvelle en Egypte, face à l'île de Pharos. Alexandre fait alors le projet d'une ville qui doit être plus qu'un port prospère ou qu'un centre commercial - un carrefour intellectuel majeur, une capitale de l'esprit. C'est là que sera créé un Temple des muses, doté d'une immense bibliothèque, reproduisant le modèle de l'école de philosophie d'Aristote à Athènes... » 1. Il est peu de savants, de poètes ou de philosophes grecs de l'Antiquité qui n'aient considéré comme nécessaire de traverser la mer pour retrouver sur les bords du Nil l'origine des connaissances et des vérités de leur temps. Pour les Grecs, la référence égyptienne était vie et lumière.

L'Egypte était ce pays où les écoles des scribes rattachées aux palais et aux temples portaient le nom de « maisons de vie » (PER ANKH) et les bibliothèques celui « d'officines de l'art ». C'est là qu'on proclamait, il y a plus de 3 000 ans, qu'« un livre est meilleur qu'une maison bâtie... et plus beau qu'une stèle dans un temple ». Selon Diodore de Sicile, la plus ancienne bibliothèque avait été créée en Egypte il y a quelque 5 000 ans et portait ces mots gravés en évidence : « Remède de l'âme ».

la première bibliothèque universelle

La grande bibliothèque d'Alexandrie n'est donc pas née dans un désert culturel mais a canalisé un courant et une certaine tradition déjà bien établis. D'après les descriptions recueillies, l'antique bibliothèque était une sorte de campus qui abritait, non seulement une collection de 700 000 papyrus, mais aussi des jardins zoologique et botanique, des laboratoires de dissection, un observatoire, des salles de recherche et de rencontre, des lieux de promenade et de restauration. Le sanctuaire des muses était en somme une grande université.

Instrument de travail exceptionnel, elle attirait les esprits les plus étincelants de toutes les disciplines. Son rôle dans l'essor des sciences et l'éclosion des idées aura été essentiel. C'est là qu'Hérophile établit les bases de l'anatomie et de la physiologie et Euclide celles de la géométrie ; c'est là que Claude Ptolémée fixa les règles de la cartographie et Eratosthène calcula la circonférence de la terre ; Aristarque y développa la critique textuelle. C'est à la Bibliothèque d'Alexandrie que fut créé le premier dépôt légal. Pour elle fut institué un système de traduction en grec de tous les ouvrages collectés et une reconstitution normalisée d'une production poétique grecque, issue de la tradition orale et souvent transcrite jusqu'alors dans des versions erronées. Callimaque y prépara un catalogue des auteurs par discipline et un classement systématique.

La renaissance d'un mythe

L'Egypte a décidé de dresser une barrière à l'oubli et de faire renaître la bibliothèque de l'Antiquité. Sans prétendre rassembler comme naguère la totalité du savoir écrit, la nouvelle Alexandrina se propose d'être une bibliothèque publique de recherche sur la civilisation égyptienne et les autres cultures moyen-orientales et méditerranéennes, la naissance du christianisme copte et l'héritage islamique, l'histoire des sciences, etc. Elle s'ouvrira ensuite à d'autres disciplines, conformément à sa vocation universelle 2.

Mais Alexandrie peut-elle faire renaître le mythe ?

Nourriture spirituelle

Les esprits chagrins font remarquer qu'Alexandrie est devenue une grande ville de province qui vit tranquillement son déclin. Lawrence Durrell qui, dans son Quatuor d'Alexandrie, donne de cette ville une perception fascinante bien qu'un peu factice, confessait qu'elle était en réalité « un melting-pot d'ennui » et qu'il « faut vraiment de l'indulgence pour admirer ce qui reste d'Alexandrie. Il faut réinventer le tout... » 3. D'autres voyageurs rapportent que l'incoercible explosion démographique de l'Egypte enfouit Alexandrie sous des constructions de brique et de béton. La population augmente chaque jour et submerge sous des millions d'habitants les derniers vestiges de la grandeur passée. Olivier Poivre d'Arvor, directeur du Centre culturel français d'Alexandrie, explique : « Depuis un an, je fais venir ici des artistes... Tous sont troublés après quelques jours. On connaît ici des moments d'excitation, suivis de dépression absolue, même si le ciel est toujours bleu... J'aime voir évoluer des créateurs contemporains dans cette ville désuète. Alexandrie est un " no man's land "... En fait, cette ville n'existe pas ».

Mais Mohsen Zahran, directeur de GOAL (The General organization of Alexandria library) ne veut rien entendre à ces voix. Il rappelle qu'Alexandrie est la ville la plus urbanisée d'Egypte et représente à elle seule 40 % de l'industrie du pays et 80 % de ses échanges internationaux. Son université comprend 15 facultés où travaillent plus de 80 000 étudiants.

Naguib Mahfouz, le prix Nobel de littérature, à qui l'on demande si une gigantesque bibliothèque dans un pays où il y a 60 % d'analphabètes n'est pas un projet élitiste répond : « La fondation de toute bibliothèque est un événement extrêmement important. Nous, Egyptiens, accordons le plus grand intérêt à la création de la " Bibliotheca Alexandrina " en ce qu'elle représente un prolongement de notre histoire. La renaissance d'un symbole » 3.

Dans un des discours prononcés sur la future bibliothèque, le Président Hosni Mubarak 4 expliquait que l'Egypte donnait une grande priorité à ce projet, malgré le poids énorme que représente le développement et les réformes économiques du pays, parce que l'Egypte ne pouvait pas s'esquiver du rôle culturel que son histoire et sa position géographique lui imposent. L'Egypte est convaincue, disait-il, que les humains ne peuvent vivre que de pain et que la culture, qui est la nourriture de l'esprit, est aussi importante que la nourriture du corps. Ceci rejoint la préoccupation de l'UNESCO de promouvoir l'aspect culturel du développement dans le cadre de la Décennie mondiale du développement culturel.

Fascinations et doutes

Il est évident que le projet de la renaissance de l'ancienne bibliothèque d'Alexandrie a fasciné les esprits, comme le témoigne la multitude d'articles parus dans la presse internationale, l'appui des milieux spécialisés tels l'IFLA - la Fédération internationale des associations des bibliothèques et des bibliothécaires 5 - et l'appui moral et financier que lui a apporté la Communauté internationale.

Il est vrai que les doutes persistent chez certains sur la capacité réelle de la ville d'Alexandrie d'aujourd'hui d'abriter et gérer un centre culturel d'importance internationale et d'attirer vers elle les chercheurs du monde. Mais la renaissance du mythe est amorcée. Le projet d'installation d'une université francophone à Alexandrie, ainsi que l'ouverture de lignes aériennes reliant Alexandrie à certaines villes européennes telles que Francfort, témoignent d'un certain frémissement. Comme le disait François Mitterrand à la commission d'Assouan 6 : « Les bibliothèques... ne sont pas le supplément d'âme auquel on peut songer lorsque tous les problèmes sont réglés, toutes les difficultés économiques vaincues, mais une arme dans le combat du développement et de la liberté. Là où brûlent les livres disparaissent les chances intellectuelles et morales d'un pays. Plusieurs projets de modernisation, de création de grandes bibliothèques de par le monde témoignent que notre civilisation reste, et c'est heureux, soucieuse de son patrimoine écrit et attentive à l'enrichir. On ne remerciera jamais assez Monsieur le Président et Madame Mubarak d'avoir pris une initiative aussi déterminante ».

La nouvelle Alexandrie

Comme le rappelle François Lombard 7, la bibliothèque s'inscrit dans la tradition des grands concours internationaux d'architecture de ces dernières décennies, après l'Opéra de Sydney, le Centre Beaubourg, la Bibliothèque Pahlavi et l'Arche de la Défense. Faisant suite à 1 300 inscriptions en provenance de 77 pays, 524 projets ont finalement été reçus et examinés par un jury international d'architecture, en septembre 1989. Le projet lauréat (Snohetta A/S de Norvège) s'est dégagé sans ambiguïté tout au long de la procédure de jugement. Il fut jugé « simple, d'une grande force symbolique et tout à fait novateur dans son fonctionnement ; il a été par la suite unanimement reconnu par le monde des bibliothécaires et des professionnels de l'architecture ».

Les architectes de Snohetta disent avoir commencé à travailler comme un groupe de musiciens qui composait une partition, par associations d'idées ou de références liées à l'environnement, et en faisant jouer l'émotionnel. Ils ont pensé aux tombes égyptiennes, aux sculptures, à la mer et au désert, aux pyramides dont on a l'impression qu'elles continuent sous la terre, et bien entendu au soleil, symbole égyptien dominant.

La nouvelle Alexandrina aura la forme d'un cylindre tronqué en biseau de 160 mètres de diamètre, incliné vers la Méditerranée. L'espace interne se présente comme une cascade de plate-formes en neuf niveaux. La structure de 52 000 m2 et de 31 mètres de hauteur à son point le plus élevé semble jaillir de terre comme un astre. Le plafond incliné permettra de bénéficier de la lumière naturelle, tout en évitant d'exposer les collections au soleil direct. Un mur de pierre horizontal, adossé à la ville, sera couvert de dizaines de calligraphies du monde, entrelacées, formant un jeu d'ombre et de lumière de toute beauté. L'inclinaison du toit est conçue pour minimiser les ravages du vent salé, tandis qu'un plan d'eau autour du bâtiment protégera celui-ci de la poussière, de la chaleur, et tiendra les promeneurs à distance.

Les activités de la bibliothèque sont réparties entre six départements, placés chacun sous la responsabilité d'un chef de Département 8.

L'organisation des services publics

La bibliothèque n'est pas seulement un centre d'information et une collection de livres, mais aussi un centre d'animation culturelle. Deux types d'activités doivent s'y dérouler : des expositions temporaires (livres, gravures, etc.) et des productions artistiques (conférences, musique de chambre, etc.). Le Département des activités culturelles est une sorte de vitrine de la bibliothèque, doté de larges espaces de circulation invitant le public à fréquenter la bibliothèque.

C'est l'un des buts assignés à la bibliothèque des adolescents (quatorze à dix-huit ans) qui font l'apprentissage de l'usage de la bibliothèque.

Un vaste espace appelé « Espace Ptolémée » distribue l'ensemble des activités de ce Département et rappelle aux visiteurs la gloire d'Alexandrie dans l'Antiquité. Salles polyvalentes, cafétéria, librairie-papeterie, zones d'exposition et musées (l'un pour la calligraphie, l'autre pour l'histoire des sciences), enfin un pavillon astronomique seront autant de points d'attraction pour le public. L'une des issues de l'Espace Ptolémée conduira à la bibliothèque proprement dite par un passage obligé et contrôlé donnant sur la salle Callimaque.

La grande salle du Département des collections de livres et de périodiques comprend, quant à elle, une zone d'information, le service des prêts ainsi que divers services utiles à la recherche : accès au catalogue informatisé et aux bases de données, etc. C'est aussi de cette salle qu'on peut pénétrer dans les cinq Sections où les livres, classés par disciplines, sont à disposition des lecteurs :
- référence générale, dictionnaires, encyclopédies, etc ;
- géographie, archéologie et histoire ;
- histoire des arts, des sciences, des idées, sciences sociales, etc ;
- langues et littératures ;
- sciences et techniques.

Une collection par pays : l'un des objectifs de la bibliothèque est l'universalité, c'est-à-dire mettre à disposition des livres sur tous les sujets et provenant de tous les pays. Chaque pays est donc invité à offrir à la bibliothèque un choix de sa production nationale permettant aux savants de trouver toutes les informations utiles à leurs recherches : encyclopédies nationales, atlas historiques et géographiques, ouvrages de jurisprudence, tableaux statistiques, économiques et démographiques, bibliographies nationales, textes des auteurs anciens et modernes, ouvrages sur l'histoire des arts et de l'architecture, etc. Ces ouvrages seront traités en priorité, en raison de l'intérêt primordial que présentent des ensembles cohérents.

En complément des livres et des périodiques, d'autres supports d'information de plus en plus nombreux et divers apparaissent sur le marché. Ces documents - Département des collections spéciales -seront acquis et conservés dans quatre sections :
- les moyens audiovisuels et électroniques, nécessitant du matériel sophistiqué pour la consultation ;
- les manuscrits et livres rares, regroupés pour permettre une consultation contrôlée, les documents étant précieux, voire uniques ;
- les cartes de géographie et de géologie, les cartes maritimes, les relevés archéologiques, les plans d'urbanisme, etc. ;
- les collections musicales, qui consistent en trois types de documents : les livres sur la musique, les partitions musicales et les enregistrements sonores.

Dans ce département, les documents sont regroupés par nature ou mode de consultation.

Le catalogue général de la bibliothèque contiendra la description de tous les documents, classés par auteur et par titre, par discipline et par sujet, ainsi que leur localisation sur les rayons.

Divisions des services internes

Le Département des services administratifs comprend les bureaux de la Direction et de tous les services purement administratifs : secrétariat, personnel, télécommunications, finances, traduction, informatique. Les travaux nécessaires à l'acquisition, au catalogage, à l'indexation et à la mise en mémoire des livres de la bibliothèque se font dans le Département des services scientifiques. Mais les livres ne font qu'y transiter. Une section particulière s'occupe des périodiques.

Enfin, le Département des services techniques rend deux types de services :
- les services propres à une bibliothèque tels la reliure, l'étiquetage, la préservation et la restauration des livres et des manuscrits ;
- les services propres au bâtiment : nettoyage, entretien technique, sécurité, locaux techniques, etc.

Un des rôles de la bibliothèque sera la sauvegarde de manuscrits originaux menacés de destruction, notamment ceux de la période médiévale qui se trouvent dans les monastères, mosquées et musées égyptiens. Le laboratoire de restauration du département des services techniques servira aussi de laboratoire aux étudiants de l'école.

Car, en plus des services techniques et scientifiques nécessaires à son bon fonctionnement, le bâtiment abritera une Ecole internationale des sciences de l'information ainsi que des services complémentaires au Centre de congrès existant déjà sur le site ; au total, 50 000 m2 de surface utile et 6 000 m2 de surface de parkings. Le site choisi pour implanter la bibliothèque, d'une superficie de quatre hectares, est situé au cœur du quartier de l'Université. Largement ouvert sur la mer, il pourrait se poursuivre, dans le futur, sur la péninsule qui, de l'autre côté de la corniche, s'avance dans la mer en direction de l'ancienne citadelle mamelouke de Kait Bay, construite en 1480 à l'emplacement du phare qui fut l'une des sept merveilles du monde - la fiche technique ci-contre résume, par département, le volume des collections visé, le public estimé, le personnel de la bibliothèque et la surface utile en mètres carrés 9.

Pour conclure cette brève description, on peut rappeler qu'une bibliothèque conçue pour le vingt et unième siècle sera nécessairement dotée des technologies de pointe telles que les disques optiques assurant la télétransmission automatisée du document et une gestion automatisée des différents services. Il faudra toutefois définir les plans avec plus de précision ultérieurement. Les organisateurs sont bien conscients que les systèmes actuels risquent d'être rapidement dépassés et qu'il est plus prudent d'arrêter les choix définitifs le plus tard possible, sans pour cela gêner les travaux.

Une coopération internationale efficace

Lors de l'étude de faisabilité et la préparation du programme architectural, il avait été estimé que les fonds nécessaires pour l'édifice, les collections et l'équipement s'élèveraient à 100 millions de dollars des Etats-Unis d'Amérique.

Un marché de définition a été passé avec le lauréat du concours en 1990 pour qu'il précise son esquisse sur les plans architectural, technique, fonctionnel et financier (Preliminary design review). Cette étude, plus précise et ciblée sur un bâtiment déterminé, a donné 115 millions de dollars pour coût total de construction, tandis que le coût d'investissement total comprenant aussi l'équipement et les collections a été estimé à 152 millions de dollars.

Pour collecter ces fonds, le directeur général de l'UNESCO a lancé, le 22 octobre 1987, un appel pour une collaboration internationale. Ptolémée lui-même n'avait-il pas rédigé une lettre à tous les souverains et gouvernants de la terre pour qu'ils « n'hésitent pas à lui envoyer les œuvres de n'importe quel genre d'auteurs : poètes et prosateurs, rhéteurs et sophistes, médecins et devins, historiens et tous les autres encore » ? L'appel fut réitéré par la Déclaration d'Assouan du 12 février 1990, et entendu. A ce jour la Norvège a versé 500 000 dollars à l'UNESCO (compte spécial), tandis que 65 millions de dollars ont été versés directement à l'Egypte, par l'Arabie Séoudite, les Emirats arabes unis, l'Irak, Oman et S. A. Royale prince Turki Ibn Abdal-Aziz al-Saud (fortune personnelle).

Il faut rappeler ici que les études de base 10  11  12, l'étude de faisabilité 13 et le programme architectural 14, ainsi que le Concours international d'architecture ont été financés par l'UNESCO et le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement), qui ont aussi entrepris conjointement une stratégie de recherche de fonds et une assistance préliminaire à l'Egypte pour la formation du personnel. Par ailleurs, l'UNESCO a organisé avec l'Egypte la réunion d'Assouan de la Commission internationale, qui a apporté un appui incontestable à cette entreprise.

Sur le plan bilatéral plusieurs pays se mobilisent pour apporter leur appui. Citons, à titre d'exemple, la France qui a montré pour ce projet un grand intérêt. François Mitterrand lui-même a accepté de participer à la réunion de la Commission d'Assouan des 11 et 12 février 1990, où, dans son allocution, il esquissait en ces mots la coopération avec la France :

« Je vous apporte de France l'offre de coopération de nos bibliothèques, de leurs laboratoires, de leurs écoles. J'ai demandé à la Bibliothèque nationale de France et à la Bibliothèque de France, qui s'édifie, de contribuer, en liaison avec les responsables de la Bibliothèque d'Alexandrie, à la constitution de ses collections par des dons d'ouvrages et de catalogues sur microforme dont la liste pourrait être établie en commun. J'ai demandé à notre Education nationale d'examiner de quelle façon pourraient être accueillis dans nos écoles des bibliothécaires, des stagiaires désireux de s'y former. J'ai demandé aux équipes qui travaillent aux schémas de thématisation et d'informatisation de la Bibliothèque de France de se tenir à la disposition de ceux qui, pour la Bibliothèque d'Alexandrie, s'attellent à ces problèmes, et plus généralement aux responsables de la future bibliothèque française de formuler des propositions de coopération pour aujourd'hui et pour demain. De même, des ateliers de traitement préventif et de restauration du livre de notre Bibliothèque nationale sont prêts à apporter leur contribution à venir, si nécessaire, à Alexandrie afin de confronter les contraintes et de rechercher en commun les solutions adaptées. Nous serons également heureux d'accueillir en France les responsables égyptiens du projet, mais je ne veux pas vous infliger le catalogue des formes possibles d'un cheminement solidaire » 15.

Pour un partage de la connaissance

Pour un projet de cette envergure, il faut admettre qu'un long chemin a déjà été parcouru avec succès depuis 1987. Avec plus de 65 millions de dollars déjà versés à la banque, un projet architectural solide sélectionné et un appui international largement acquis, le projet est en bonne voie de réalisation malgré les nombreux obstacles qu'il reste à surmonter.

Le cadre organisationnel pour la réalisation du projet tel qu'il a été fixé dans un accord signé entre l'Egypte et l'UNESCO le 26 octobre 1990 est composé de trois organes : une Commission internationale qui apportera un appui moral au projet et assistera dans la mobilisation des fonds ; un Comité exécutif international responsable pour le suivi et la supervision de la mise en œuvre du projet, y compris l'aspect financier ; et un Secrétariat exécutif composé d'un directeur du projet désigné par l'UNESCO, d'un adjoint, et d'un personnel d'appui qualifié désignés par l'Egypte.

La crise du Golfe a inévitablement ralenti l'avancement du projet mais les structures devraient en principe se mettre en place pour un redémarrage rapide, une fois la situation du Moyen-Orient stabilisée. Dans ce monde en profonde mutation, la création d'un instrument de culture destiné à éclairer les esprits, d'un centre de diffusion de l'information et de transmission des idées et des connaissances, d'un forum qui facilitera les échanges essentiels pour la science, la compréhension entre les peuples et la sauvegarde de la paix..., la création d'un tel instrument doit être salué avec enthousiasme. C'est justement parce qu'il y a eu encore du sang et du feu dans cette partie du monde que la nouvelle Alexandrina est plus nécessaire que jamais.

Comme le fait remarquerJ.-P. Clavel 16, les Ptolémées, conscients de ce qui leur manquait, ont fait venir manuscrits et savants de Grèce ; un millénaire plus tard, les califes vont les chercher à Byzance. « Il y a, à la base de cette démarche, un esprit d'ouverture à la fois humble et éclairé, convaincu que les instruments de l'essor intellectuel peuvent et doivent être empruntés ailleurs. En faisant appel à l'UNESCO, l'Egypte a adopté la même attitude ».

L'UNESCO a répondu avec enthousiasme, car ce projet lui-même répond à ce qui est l'essence même de sa mission : promouvoir le partage de la connaissance par la connaissance elle-même, pour le développement et pour la compréhension mutuelle 17

La Communauté internationale est un partenaire indispensable à la réalisation de ce projet, non seulement pour y apporter un soutien technique et financier, mais surtout pour assurer et maintenir cet esprit d'ouverture qui donne à l'Alexandrina sa caractéristique principale.

Mars 1991

Illustration
Fiche technique de la nouvelle Alexandrina

  1. (retour)↑  Melina MERCOURI, Commission internationale pour la renaissance de l'ancienne bibliothèque d'Alexandrie. Livre d'or de la Première session, UNESCO/Carte Segrete, 1990, p. 49.
  2. (retour)↑  La Déclaration d'Assouan de la Commission internationale pour la renaissance de l'ancienne bibliothèque d'Alexandrie, Assouan, 12 février 1990.
  3. (retour)↑  Denyse BEAULIEU, interview avec Lawrence DURRELL, Olivier POIVRE D'ARVOR et Naguib MAHFOUZ « Dernier Fox-trot à Alexandrie », Globe, 41, 1989, p. 93-98.
  4. (retour)↑  Denyse BEAULIEU, interview avec Lawrence DURRELL, Olivier POIVRE D'ARVOR et Naguib MAHFOUZ « Dernier Fox-trot à Alexandrie », Globe, 41, 1989, p. 93-98.
  5. (retour)↑  Mohamed HOSNI MUBARAK, Bibliotheca Alexandrina. Concours international d'architecture par Franco Zagari, UNESCO/UNDP/Edizioni Carte SEgrete, 1990, p. 13-14.
  6. (retour)↑  H.P. GEH, Commission internationale pour la renaissance de l'ancienne bibliothèque d'Alexandrie. Livre d'or de la Première session, UNESCO/ Carte Segrete, 1990, p. 56.
  7. (retour)↑  François MITTERRAND, ibid, p. 63-65.
  8. (retour)↑  François LOMBARD, Bibliotheca Alexandrina. Concours international d'architecture par Franco Zagari, UNESCO/UNDP/Carte Segrete, 1990, p. 27-28.
  9. (retour)↑  UNESCO, Bibliotheca Alexandrina, la renaissance d'une idée, UNESCO/UNDP. Paris, 1990, p. 15-24.
  10. (retour)↑  Cf. UNESCO, op. cit.
  11. (retour)↑  M. AMAN, Renaissance de l'ancienne bibliothèque d'Alexandrie : besoins en personnel et création d'une Ecole en sciences de l'information, UNESCO, 1987 (en anglais).
  12. (retour)↑  M. AMAN, Bibliotheca Alexandrina. Politique du développement des collections, UNESCO, 1990 (en anglais).
  13. (retour)↑  Lim HUCK TEE, Renaissance de l'ancienne bibliothèque d'Alexandrie : un plan stratégique pour l'automatisation de la bibliothèque, UNESCO, 1987.
  14. (retour)↑  J.-P. CLAVEL et J. TOCATLIAN, Etude de faisabilité pour la renaissance de l'ancienne bibliothèque d'Alexandrie : première phase, UNESCO, 1987 (en anglais).
  15. (retour)↑  J.-P. CLAVEL et Jan MEISSNER avec le concours de F. LOMBARD, Bibliotheca Alexandrina : programme architectural et règlements du concours, UNESCO, 1988.
  16. (retour)↑  Cf. François MITTERRAND. Ibid
  17. (retour)↑  J.-P. CLAVEL, Bibliotheca Alexandrina : concours international d'architecture par Franco Zagari, UNESCO/UNDP/Carte Segrete, 1990, p. 21-22.
  18. (retour)↑  Allocution prononcée par Federico MAYOR, Directeur général de l'UNESCO, à la séance inaugurale de la Commission internationale pour la renaissance de l'ancienne Bibliothèque d'Alexandrie, Assouan, 12 février 1990.