Un travail dynamique

Anne-Marie Filiole

Lors d'une conférence de presse tenue le 22 mai 1990 en présence de Dominique Jamet et de Jean Gattegno 1, Alain Giffard 2 et son équipe ont présenté l'innovation majeure de la Bibliothèque de France : le PLAO ou poste de lecture assistée par ordinateur.

Des bureaux électroniques

Par la mise à disposition de ces 300 « stations de lecture active », véritables bureaux électroniques qui seront répartis entre elle et des bibliothèques associées, la Bibliothèque de France doit permettre, aux lecteurs en général, et aux chercheurs en particulier, de consulter tout document numérisé de ses collections et tout document extérieur d'un fonds accessible par réseau, de se constituer des bibliothèques numériques personnelles, de les transformer en bases de données propres et, à partir de là, d'effectuer des opérations de recherche et d'analyse textuelles, d'écrire, d'annoter, d'imprimer... L'idée centrale étant d'articuler les possibilités de consultation numérique de documents avec les possibilités de traitement (traitement de texte traditionnel, mais aussi analyse et exploitation numérique des contenus textuels) .

Comme le mentionne le rapport du groupe de travail chargé du programme 3, le PLAO doit permettre :
« - d'accéder très facilement à partir du catalogue numérique de la bibliothèque, aux documents primaires recherchés (texte intégral des fonds) ;
- de saisir soi-même sous forme numérique ou alpha-numérique des documents primaires, non disponibles sous cette forme à la bibliothèque ;
- d'effectuer des analyses lexicographiques, des recherches multi-critères, des analyses de co-occurrences, sur des fichiers de texte intégral constituant le corpus du travail de lecture ;
- d'annoter les textes et de gérer automatiquement ces annotations de façon homogène avec la gestion des textes commentés ;
- de relier entre eux des documents appartenant à des fichiers différents (y compris des images fixes et des sons) sous forme de dossiers, et de commenter ces liens. »

Cette offre suppose la constitution de fonds électroniques : 300 000 volumes numérisés seront disponibles à l'ouverture de la bibliothèque, en 1995. Le choix s'est arrêté sur des ouvrages classiques, ce qui semble être à la fois « le plus sûr » (objet d'une demande régulière), « le plus simple » (corpus relativement aisé à cerner) et « le plus légitime » (référence fondamentale pour les futures générations). Il est bien clair qu'en aucun cas ces archives électroniques ne se substitueront aux livres. Elles leur seront au contraire complémentaires en permettant la transmission et la consultation des textes à distance, une gestion de la communication plus dynamique et mieux adaptée à la demande, et la préservation des originaux. Le programme associera les éditeurs à une réflexion sur l'usage optimal de ces fonds numériques et les questions soulevées par la lecture électronique.

Premiers essais

Ces postes de travail seront constitués de micro-ordinateurs dotés d'une mémoire de masse pouvant stocker de très grandes quantités de texte (plus de 100 000 pages), reliés à des périphériques d'entrée et de sortie (scanner pour la saisie numérique des textes, lecteur de CD-ROM, imprimante...) et logiciels appropriés. Les moyens techniques existent potentiellement sur le marché, mais essentiellement dans le secteur de la documentation industrielle. Ils devront donc être adaptés aux besoins qui auront été identifiés avec précision par la Bibliothèque de France et devenir compatibles entre eux pour pouvoir fonctionner à partir d'une seule « interface utilisateur ».

Afin d'expérimenter ces nouveaux outils, des micro-ordinateurs préfigurant les postes de travail ont été installés au domicile de sept chercheurs représentatifs du public de la future bibliothèque (philosophes, historiens, écrivains...). Ceux-ci doivent utiliser intensivement un certain nombre de logiciels sur un corpus de textes numérisés - 3 000 pages de texte intégral - concernant leur travail en cours. A cette fin, ils ont reçu une formation d'une semaine. Ainsi la pertinence des fonctions identifiées par le groupe de travail pourra-t-elle être testée, et de nouveaux besoins, donc de nouvelles hypothèses de développement de fonctions spécifiques au travail du chercheur pourront-ils émerger. Les résultats de ce banc d'essai, que suit une équipe d'ergonomes, permettront de lancer un concours d'idées international qui conduira à la réalisation de maquettes informatiques au 1er trimestre 91. L'expérimentation se poursuivra sur les maquettes réalisées pour aboutir à une deuxième série de prototypes qui, à leur tour évalués, mèneront à des spécifications définitives fin 91.

Nouveau type de consultation, nouveau type de lecture, nouveau contexte pour l'écriture, gestion dynamique des collections. La Bibliothèque de France privilégie naturellement le livre mais souhaite utiliser au mieux le potentiel technologique, visant à rendre accessible tout fonds numérisé, interne ou externe, et à devenir elle-même accessible, de l'extérieur, par leur intermédiaire. D'abord lecteur traditionnel et consommateur passif de banques de données, le chercheur va maintenant pouvoir, en toute responsabilité, lire, écrire, créer et structurer électroniquement ses bases personnelles de travail, comme dans son propre bureau.

  1. (retour)↑  Respectivement Président de la Bibliothèque de France et Délégué scientifique.
  2. (retour)↑  Responsable des nouvelles technologies.
  3. (retour)↑  Président : Bernard Stiegler, Université de technologie de Compiègne.