La gestion des fonds est-elle une science exacte ?

François Larbre

Emmanuel Doucet

Le fonds d'une bibliothèque publique doit-il répondre aux demandes du public ou celui-ci doit-il adapter ses besoins à l'offre de la bibliothèque ? En se situant délibérément dans une démarche de distribution et non pas de prescription, la bibliothèque municipale de Saint-Etienne propose une formule qui permet de ventiler un fonds selon les différents genres et catégories d'intérêt, en fonction des besoins exprimés par son public. C'est un préalable à la mise en place d'une politique de gestion raisonnée des fonds : le quantitatif n'est pas opposé au qualitatif.

Do collections in public libraries have to correspond to patrons' requirements ? Or, on the contrary, must patrons adapt their needs to the collections offered by libraries ? Deliberately willing to approach distribution - instead of limitation -, the municipal library of Saint-Etienne (Loire, France) proposes a way which enables to adjust collections to the various types and categories of concerns, according to the users' needs. This is a preliminary step towards a policy of rational collection management. Quantity and quality are not contradictory.

Dans toutes les bibliothèques de prêt se pose tôt ou tard le problème du rangement des livres sur les rayonnages, lorsque les mètres carrés disponibles ont été occupés au maximum, que les tablettes des rayons sont pleines et les rangements « tampons », placards et arrières salles, complets. Chaque bibliothécaire sait bien que, pour faire de la place, il faut éliminer, désherber comme on dit maintenant. Mais, pour faire de la place, il est aussi d'autres moyens : les livres restant dehors plus longtemps, leurs places sont occupées par d'autres ouvrages.

On voit par là que la question de la place disponible en rayon dans une bibliothèque touche à toute la bibliothéconomie : on peut aussi penser que, plus les livres sont prêtés, plus ils s'usent et donc libèrent de la place ; mais c'est compter sans la nécessité de renouvellement du fonds, ce qui amène à considérer l'utilisation du budget d'acquisition. Enfin, quand bien même la pratique du « désherbage » libérerait toute la place souhaitable, elle n'indiquerait pas pour autant la répartition idéale du fonds entre les différents genres et catégories d'intérêt, car nous savons bien que l'élimination naturelle - celle liée à l'état physique du document - est fonction du degré de sollicitation d'une classe ou d'un genre par le public. Si donc l'élimination la plus importante se fait pour les ouvrages les plus appréciés, il convient de remplacer plus largement: mais comment et jusqu'à quel point ?

Fonds de bibliothèque ou fonds de commerce ?

Ce sont là quelques-unes des questions qui peuvent amener à une politique de gestion quantitative des fonds, politique qui, à notre sens, peut largement s'inspirer des objectifs et des stratégies commerciales. Une entreprise de distribution gère un stock d'articles sur un certain nombre de m2 ; la performance, pour elle, est de dégager le plus de profits, c'est-à-dire de rentabiliser ses capacités de stockage en assurant une rotation des articles optimale : un article en rayon doit être vendu dans les plus courts délais, de façon à laisser sa place à un autre article qui sera vendu aussi vite, etc. Pour une entreprise de distribution, le chiffre d'affaires est directement fonction de la rotation du stock.

Par ailleurs, une rotation élevée du fonds peut constituer un objectif très stimulant dans la gestion d'une bibliothèque. Qui dit rotation élevée, dit nombreux livres en prêt et donc place largement disponible sur les rayons qui peuvent être bien alimentés en nouveautés et présentent ainsi une offre plus vaste au public sur un linéaire de rayonnages constant. Il y a véritablement là une optimisation de l'utilisation de l'espace disponible, mais un tel résultat n'est pas si facile à obtenir.

On nous concédera que la première mission d'une bibliothèque de prêt est de réaliser le maximum de prêts à partir de son fonds et donc que ce fonds doit répondre au mieux à la demande du public. Le degré de satisfaction de cette demande est mesurable par l'importance du nombre de prêts effectués par la bibliothèque. Les statistiques de prêt en constituent le principal indicateur et on pourrait dire des lecteurs des bibliothèques, peu portés à la protestation organisée, qu'à la manière des ressortissants de certains états totalitaires « ils votent avec leurs pieds » : pieds qu'ils ne remettent pas dans une bibliothèque où ils ne trouvent pas ce qui les intéresse. L'analyse des statistiques de prêt devrait être effectuée commme une étude de l'attente implicite des usagers, et c'est seulement à partir d'un tel travail que le bibliothécaire peut espérer disposer d'un fonds qui réponde aux besoins de son public.

Prescription ou distribution ?

La gestion d'une bibliothèque implique la collecte d'un certain nombre de données d'activité. Pour orienter une politique d'acquisition, les plus utiles sont, bien évidemment, celles qui concernent les prêts, les fonds, les capacités de stockage et le budget. Ces données, habituellement considérées comme de simples indicateurs d'activité, peuvent aussi faire l'objet d'une exploitation dynamique visant à adapter l'offre aux besoins, à savoir les fonds de la bibliothèque à la demande du public.

Nous sommes conscients qu'en écrivant cela nous touchons à un point sensible à la fois dans le domaine de la bibliothéconomie et dans celui de la psychologie du bibliothécaire, psychologie qui est bien aussi complexe, quoique moins étudiée, que celle du lecteur. Le fondement de toute politique d'acquisition repose sur la réponse à un choix plus culturel ou éthique que bibliothéconomique : le bibliothécaire doit-il orienter son fonds en fonction de la demande du public ou orienter la demande du public en fonction de son fonds ? Est-il un prescripteur ou un distributeur ? Un maître ou un commerçant ?

Il n'est que de regarder autour de soi pour constater que nous nous . situons le plus souvent dans une logique de prescription: lorsque nous limitons le prêt d'un type d'ouvrage, les bandes dessinées par exemple, ou encore les nouveautés, par souci d'éviter que certains rayons très prisés ne soient vidés par quelques lecteurs boulimiques, que faisons-nous sinon chercher à faire coïncider la demande du public avec l'offre de notre, fonds ? A cet égard, rares sont les règlements de prêt où ne se décèle pas une volonté de prescription qui s'ajoute aux simples impératifs d'une bonne maîtrise de la circulation des documents.

Prescrition ou service, ce choix est en deçà de nos pratiques bibliothéconomiques et les conditionne. La volonté d'offrir au public une documentation de qualité semble exiger de se rallier à la première attitude, et on qualifie souvent de démagogique ou de facile la position qui consiste à suivre la demande du public. Quelle que soit la position adoptée, elle ne peut être assumée de façon cohérente sans une approche de gestion quantitative 1 : personne ne soutiendra sérieusement qu'acquérir des ouvrages sans se référer à ceux qui sont déjà dans le fonds, à leur état physique, à leur âge, sans avoir une connaissance chiffrée de la répartition du fonds selon différentes catégories d'intérêt, sans considérer la demande du public, ne témoigne de rien d'autre que de l'incompétence de l'acheteur.

La collecte des données

Transformer les données d'activité en paramètres utilisables pour une gestion des fonds suppose un certain nombre de précautions. La première d'entre elles a trait, comme dans tout processus de mesure, au choix et à l'homogénéité des unités utilisées. Pour les statistiques de prêt, l'unité est habituellement le prêt annuel ; pour le suivi du fonds, le volume ou le titre peuvent servir d'unité. La capacité de stockage est à mesurer de préférence en volumes pour des raisons d'homogénéité - et on remarquera en passant que la conversion des mètres linéaires en nombre de volumes doit se faire sur la base de 38 livres au mètre, et non pas 40, pour des fonds de lecture publique pour adultes. L'âge d'un fonds est calculé en années ou en nombres de prêts, selon que l'on s'intéresse à l'état d'obsolescence des informations ou à l'état physique du fonds. Un budget d'acquisition peut être traduit en pouvoir d'achat d'un nombre de livres, calculé à partir du prix moyen des documents achetés selon les principaux genres. Souvent on se retranche derrière la difficulté de collecte de ces données pour se satisfaire d'une gestion approximative : c'est une attitude indéfendable quand ces données sont de plus en plus souvent obtenues à partir de systèmes de gestion intégrés et quand, de toute façon, elles ne sont jamais très difficiles à collecter par sondages.

La principale difficulté réside dans la détermination du cadre de ventilation de ces données. Celui-ci doit bien naturellement s'appuyer sur le plan de classification utilisé, mais, dans un but d'exploitation, il convient d'opérer des regroupements : par types de documents ou par nature des contenus. Ainsi, pour suivre l'évolution du rapport des romans et des documentaires, seuls deux nombres sont utiles ; en revanche, pour s'intéresser au devenir d'une classe, ou sous-classe, documentaire, il faut traiter à l'identique toutes les classes ou sous-classes d'importance intellectuelle comparable. De manière générale, on peut considérer que pour réaliser un suivi précis d'un fonds, il faut le diviser en une cinquantaine de genres ou de catégories (cf. annexe III : « Comparaison de l'utilisation de deux ventilations différentes »).

L'exploitation des données

A partir des données objectives sur la nature d'un fonds et son degré de sollicitation par le public, on peut essayer de faire évoluer ce fonds pour qu'il réponde au mieux aux attentes des lecteurs de la bibliothèque. On peut alors poursuivre deux objectifs différents.

Objectif de fonds et objectif de répartition

Le premier, qu'on pourrait appeler « objectif de fonds », permettra de définir l'état numérique du fonds qui doit être affecté à la bibliothèque. Le second, qu'on appellera « objectif de répartition », indiquera comment l'effectif du fonds doit être ventilé selon le nombre de genres ou de catégories d'intérêt retenues.

Une approche simpliste de la notion d'objectif de fonds amènerait à dire qu'il doit coïncider avec la capacité de rangement de la bibliothèque. Tout aussi sommairement, on pourrait croire efficace de chercher à faire coïncider la répartition avec celle 'des prêts. Les limites d'une position aussi schématique sont aisées à percevoir : d'une part, l'objectif de fonds, compte tenu des documents qui sont en permanence en prêt, a toutes raisons d'excéder la capacité de rangement et, d'autre part, si les acquisitions et l'équilibre des genres étaient strictement proportionnels aux statistiques de prêts, il y aurait rapidement laminage des catégories d'intérêt les moins demandées et hypertrophie des genres dits « grand public ». Ce phénomène, qui réduit l'offre du côté où elle est déjà peu importante, aboutirait à la disparition de certains genres ou classes et affaiblirait ainsi le potentiel attractif de la bibliothèque.

Il n'est pas nécessaire d'insister sur les effets négatifs d'une théorie aussi rudimentaire. Cette théorie a toutefois le mérite de reposer sur l'exploitation de données objectives et, si elle est mauvaise dans ses résultats, c'est parce que la réutilisation à l'identique des statistiques de prêt reporte et amplifie sur le fonds les variations qu'elles reflètent. Si l'on souhaite donc utiliser les données quantitatives de fonctionnement pour l'orientation d'un fonds, il convient de les moduler de telle façon que tous les types de public trouvent un choix suffisant dans tous les domaines susceptibles de les intéresser.

Un minimum de choix

Tous les bibliothécaires savent que même sur les sujets les plus difficiles concernant le public le plus étroit, le fonds a besoin d'être renouvelé pour intégrer les nouveautés de l'édition et surtout renouveler l'offre aux lecteurs. En effet, le lecteur amateur d'un sujet qui ne serait représenté dans la bibliothèque que par 10 titres les aura bientôt lus et se détournera de la bibliothèque. En revanche, celui qui utilise une classe largement dotée, de 1 000 titres par exemple, sera assuré à chacun de ses passages de trouver un choix suffisant, même si cette classe attire un public important. L'objectif de la modulation, ou pondération, des données d'activité utilisées pour orienter les acquisitions, est donc de ménager à chaque usager de la bibliothèque un minimum de choix, sans pour autant hypertrophier des classes à faible public aux dépens exclusifs des classes à grand public.

la solution de Mac Clellan

A.W. Mac Clellan 2, alors bibliothécaire à Tottenham (banlieue de Londres), a mis au point, dans les années 60, un système très dynamique de gestion des stocks qui intègre toutes les données de fonctionnement d'une bibliothèque dans de nombreuses formules indiquant les objectifs à atteindre en fonction des paramètres recueillis. Sur le sujet qui nous intéresse plus particulièrement - l'objectif de fonds et l'objectif de répartition -, l'idée à retenir de Mac Clellan est, à notre avis, celle d'utiliser les propriétés des racines carrées comme facteurs de pondération des classes importantes et de soutien des « petites » classes.

Sa démarche est simple. Il considère que, pour une classe donnée, l'objectif de fonds est déterminé par la place disponible sur les rayons et le nombre d'ouvrages simultanément en prêt dans cette classe et dans toutes les autres classes. L'originalité de la formule de Mac Clellan consiste dans l'utilisation des racines carrées à la place des valeurs entières des données traitées (cf. l'encadré: « L'objectif de stock selon Mac Clellan »). On peut expliciter cette démarche à partir de l'exemple décrit dans le tableau ci-contre : « Illustration du rôle pondérateur de la racine carrée ».

Si on décidait de façon simpliste, comme on l'évoquait plus haut, de développer le fonds proportionnellement aux prêts, on s'apercevrait que la classe C1, peu prêtée, ne devrait représenter que 4,4 % du fonds, alors que la classe C6 en représenterait 40 %, soit 9 fois plus que C1. Donc, la classe C1 serait condamnée au sous-développement, tandis que C5 offrirait un immense choix à son public.

Si, au lieu d'être ventilé proportionnellement aux valeurs entières des prêts, le fonds l'était proportionnellement aux racines carrées de ces valeurs, on voit tout de suite. que C1 représenterait alors 10 % du fonds total, quand C5 n'en offrirait plus que 30 %. On constate, en revanche, que ce mode de répartition fait peu varier les classes moyennes. Le recours aux racines carrées des valeurs entières apparaît donc avoir un réel rôle pondérateur si le seul objectif poursuivi est d'équilibrer le fonds proportionnellement aux prêts.

Toutefois, l'approche de Mac Clellan, plus complexe, ne prend pas seulement en compte les prêts comme unique donnée d'activité, mais retient en outre l'utilisation de la place disponible, car il considère, à juste titre, que la ventilation du fonds doit aussi être fonction de son effectif et, partant, de la capacité de stockage de la bibliothèque.

Limites des formules de Mac Clellan

Pour aussi intéressantes qu'elles soient, les formules de Mac Clellan ont, à nos yeux, l'inconvénient de reposer sur des données peu faciles à collecter et de postuler un équilibrage des variations saisonnières que nos propres expériences n'ont jamais pu vérifier. On a remarqué que, pour déterminer les objectifs quantitatifs, Mac Clellan n'utilise pas les statistiques de prêt telles qu'elles sont comptabilisées communément: dans le souci de permettre une meilleure utilisation de l'espace, il ne prend en considération que la composante des prêts (component), c'est-à-dire le nombre le plus élevé de documents prêtés simultanément, qui ait pu être compté dans la catégorie concernée au cours de l'année précédente. Il s'agit donc d'un comptage réel et non d'une moyenne des livres sortis qu'on obtiendrait en divisant le nombre annuel de prêts par la durée moyenne des prêts.

Dans le souci de tendre à une utilisation optimale de la place disponible pour assurer au public une offre maximale, Mac Clellan, ayant constaté que des catégories d'intérêt différentes enregistrent leur maximum de prêts à des moments différents, considère que ces variations saisonnières s'équilibrent. Cela suppose que le rangement dans la bibliothèque soit très flexible et qu'il n'y ait pas d'emplacements pré-affectés aux catégories ; au contraire, chaque catégorie ne doit occuper, à un moment donné, que la place nécessaire au rangement des volumes effectivement présents. On comprend pourquoi, selon Mac Clellan, l'objectif de fonds dépend étroitement des paramètres d'activité et ne peut absolument pas être fixé a priori.

Nous croyons voir là, dans un relatif irréalisme, la principale difficulté de mise en oeuvre de la méthode de Mac Clellan, qui toutefois ne doit pas être réduite à la seule formule que nous avons étudiée et mérite d'être considérée dans l'ensemble de sa démarche comme un modèle de rigueur bibliothéconomique, une espèce de recherche de la mathesis universalis en bibliothéconomie.

Quels objectifs ?

Déterminer l'effectif optimal d'un fonds relève plus, pour nous, d'une réflexion bibliothéconomique sur des données précises, que de l'application d'une formule aussi souple soit-elle. En effet, tous les paramètres de fonctionnement utilisables dans la recherche de cet objectif sont susceptibles de varier en fonction d'orientations et de pratiques adoptées par le bibliothécaire (cf. annexe I : « Analyse du fonds et du fonctionnement »).

Le paramétrage du fonds

La capacité de stockage de la bibliothèque est bien évidemment une donnée incontournable, si toutefois elle a été arrêtée en connaissance de cause : c'est-à-dire qu'elle est fonction de la densité d'implantation des rayonnages, de leur hauteur, de la décision de privilégier le confort de l'utilisateur ou bien le volume de documentation qui lui est offert. Une fois fixée la capacité, il convient de prendre en compte le nombre des livres en prêt, puisqu'il n'est pas nécessaire de leur ménager un emplacement vide. Comme on l'a dit plus haut, la moyenne des livres sortis est facile à obtenir avec le quotient du volume annuel des prêts par la durée moyenne des prêts : le chiffre obtenu est la moyenne des livres sortis pour une durée de prêt moyenne, à la différence de la formule de Mac Clellan, qui ne prend en compte qu'un maximum.

Les moyennes souffrent toujours des écarts, mais, en additionnant la capacité de stockage et cette moyenne des livres sortis, on obtient l'effectif de ce fonds souhaitable pour assurer en tous temps une offre maximale. Ce n'est cependant pas simple, car l'objectif de fonds dépend aussi du budget d'acquisition dont on dispose et, si celui-ci est insuffisant, du choix que l'on a fait entre avoir beaucoup de livres souvent obsolètes et dans un état médiocre, ou moins de livres plus frais et en bon état.

Une fois fixé l'objectif d'effectif du fonds, il reste à en assurer la répartition selon les différents genres et classes.

La formule Dousset-Larbre

La formule de répartition d'un fonds que nous proposons n'est pas à appliquer les yeux fermés ; elle suppose au contraire une réflexion préalable du bibliothécaire 3. Elle permet de définir la répartition quantitative d'un fonds total selon le nombre de classes que l'on a retenu comme sous-ensembles signifiants. Elle s'applique sur un ensemble et des sous-ensembles homogènes dans leur division. Ainsi, elle permet de fixer l'objectif de ventilation d'un ensemble F en un certain nombre de sous-ensembles Fl à Fn, mais elle n'est plus efficiente si l'on veut ventiler cet ensemble F à la fois entre des sous-ensembles Fl à Fn et entre des sous-ensembles des sous-ensembles : plus pratiquement, elle donne l'objectif de ventilation d'un fonds documentaire entre les 000, les 100, les 200, etc., mais elle ne peut donner, dans la même opération, la ventilation entre les 000, les 100, les 120, les 130, les 180, les 200, les 300, etc. Pour avoir la ventilation d'une classe en ses sous-classes, il faudra considérer la classe comme un tout, dont les sous-classes sont les parties. On peut encore découper un fonds en autant de catégories qu'on le désire et, à ce moment-là, toutes ces catégories seront ventilées à l'intérieur du tout. Ce sont des notions élémentaires de mathématique qu'il n'est pas inutile de rappeler.

Cette formule combine l'effectif total du fonds à répartir (F) avec le nombre modulé des prêts annuels (P) de la classe à laquelle on s'intéresse et la somme des prêts annuels (R) de toutes les classes selon lesquels le fonds est découpé. L'emprunt à Mac Clellan subsiste dans la modulation du nombre de prêts annuel par un exposant. La formule s'écrit ainsi (voir formule 1).

Nous avons appliqué cette formule à l'orientation de l'évolution de nos fonds selon nos différentes catégories d'intérêt ; nous pouvons affirmer que ses résultats sont parfaitement exploitables comme objectifs de répartition. Ce n'est nullement une formule magique ou mystérieuse, si l'on comprend que son efficience réside dans la modulation de P par son exposant x (cf. annexe II : « Données et objectifs du fonds documentaire de la bibliothèque centrale »). Vérifions-le :

- si x = 1, la formule devient :

F1 = (F x P1) / (P1 + P2 + P3)

et la ventilation du fonds sera strictement proportionnelle à la ventilation des prêts. Il faut savoir que :

- si x > 1, la formule augmentera l’objectif de fonds des classes les plus nombreuses et laminera les classes les plus faibles ;

- si x < 1 (puissances inverses), la formule limitera l’objectif des classes à fort effectif et relèvera celui des classes faibles. Dans ce dernier cas, on voit que la nécessité du choix minimum est respectée.

Nos expériences et les résultats que nous avons obtenus nous font dire que la bonne fourchette de valeurs pour x est comprise entre ¾ et 2/3. A partir de x = ½ (P1/2 = √P), les classes faibles tendent à devenir trop fortes.

Dynamique d'une gestion par objectif

Cette formule n'est nullement figée et ne fixe en aucun cas un objectif pour l'éternité. Au contraire, l'objectif de ventilation peut varier chaque année en fonction de la variation des prêts. Il peut également varier si l'on a modifié l'effectif du fonds de la bibliothèque. Comme cette formule vise à orienter la répartition du fonds par rapport à la demande du public, elle répercutera nécessairement sur les objectifs son degré de satisfaction.

Cette formule, dont l'application est tout à fait simple, fixe un objectif de répartition du fonds, c'est-à-dire que, pour chaque genre ou classe, elle donne, outre une valeur absolue, un pourcentage de l'ensemble. Comme nous savons bien qu'il est rare de pouvoir corriger les orientations d'un fonds sur un seul exercice budgétaire, ce pourcentage de répartition a l'avantage de pouvoir être utilisé pour répartir le budget d'acquisition d'une année : encore faut-il s'être assuré préalablement que le prix moyen des documents acquis est voisin dans toutes les classes ; si ce n'est pas le cas, il y a une péréquation à établir en traduisant le budget en capacité d'acquisitions de titres par classe.

Du quantitatif au qualitatif

Nous nous sommes souvent entendu dire que nos préoccupations de gestion, dont nous ne livrons ici qu'un petit aperçu, ne répondaient en rien au souci des bibliothécaires, qui se posent avant tout le problème de la qualité des ouvrages qu'ils proposent à leurs lecteurs.

L'opposition du qualitatif et du quantitatif est des plus fallacieuses. Notre intention n'est certainement pas de faire disparaître le libre arbitre du bibliothécaire lorsqu'il choisit les titres de ses acquisitions. Notre but est plutôt d'exploiter un outil d'aide à la gestion qui permet de déterminer le nombre de titres qu'il est souhaitable d'acheter dans telle ou telle catégorie et évite ainsi aussi bien les excès que les oublis au moment de la préparation des commandes. Lorsque l'on sait, dès le début de l'année, qu'il ne faudra pas acquérir plus de x titres dans une catégorie, on ne peut plus s'autoriser des erreurs d'acquisitions et le souci qualitatif doit être poussé encore plus loin.

Si, à notre avis, l'oposition entre le quantitatif et le qualitatif est, dans ce domaine, uniquement rhétorique, elle est en revanche très réelle entre la rigueur et l'improvisation et nous ne pensons pas que l'on puisse prétendre développer un fonds de qualité sans avoir préalablement mis en oeuvre une gestion rigoureuse des quantités de documents sur lesquelles nous travaillons.

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L'objectif de stock selon Mac Clellan

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Illustration du rôle pondérateur de la √

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Historique

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Le taux de rotation comme instrument sémiologique

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Formule 1

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Historique : quelques résultats

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Annexe I - Exemple de grille de collecte de données

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Annexe II - Données et objectifs du fonds documentaire de la bibliothèque centrale

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Annexe III - Comparaison de l'utilisation de deux ventilations différentes (1987)

  1. (retour)↑  Parler de gestion quantitative peut sembler pléonastique, mais quand on utilise « gérer » dans le sens d'organiser, la précision s'impose.
  2. (retour)↑  A.W. MAC CLELLAN, The Logistics of a public library bookstock, London, Association of assistant librarians, 1978.
  3. (retour)↑  Cette formule de répartition, certainement perfectible, est, en l'état, déjà efficiente. Les auteurs seraient très intéressés de suivre son application dans un autre établissement que le leur et seraient disposés à dispenser l'ensemble de leur expérience en matière de gestion de stocks aux personnes qui souhaiteraient mettre en œuvre une approche quantitative des activités d acquisition et d'organisation des fonds. Il va sans dire qu'ils sont aussi très curieux de toutes les données déjà collectées avec ce souci.