Collection = collaboration

David H. Stam

Les récentes tentatives menées dans des bibliothèques de recherche américaines pour assurer une politique concertée de développement des collections et de partage des ressources peuvent servir d'exemple à des organismes ou pays désireux de garantir une aide suffisante à la recherche malgré des moyens financiers insuffisants. Ainsi sont évoqués les problèmes liés à l'élaboration de Conspectus, émanation du RLG, ainsi que les éléments positifs et les retombées de cette action commune visant à un partage des responsabilités.

Several recent developments in collaborative approaches to collection development and resource sharing among research libraries in the United States may provide models for other organizations or countries in approaching the task of assuring adequate research resources with inadequate financial resources. The following paper describes one of those developments, the collection development work of the Research Libraries Group and its Conspectus, discusses some of the specific issues related to Conspectus development, and concludes with and outline of the benefits and by-products of the RLG approach to the distribution of collection development responsabilities.

La planification des bibliothèques et le développement des collections dans les bibliothèques de recherche aux Etats-Unis sont deux processus soumis depuis longtemps à deux forces contradictoires, l'autonomie et l'interdépendance.

L'indépendance et l'autonomie de ces bibliothèques se concrétisaient par l'existence au niveau local d'un service capable de répondre aux besoins en information. Ces données se sont trouvées battues en brèche au fur et à mesure qu'on a réalisé, lentement mais sûrement, que l'autarcie est chose impossible compte tenu de la vocation à l'exhaustivité des bibliothèques universitaires et des objectifs d'autres grandes bibliothèques. Celles-ci continuent néanmoins à agir séparément, chacune prenant ses propres dispositions pour répondre aux besoins locaux, tout en sacrifiant à la routine : elles rejettent le « mythe de la bibliothèque auto-suffisante » mais se contentent de verser tribut seulement en paroles à la coopération et au partage des ressources.

Plusieurs tentatives sont intervenues pour résoudre ces tensions opposées et pour déboucher sur un projet de plus grande portée : assurer au niveau recherche une couverture documentaire significative à l'échelle nationale; mais elles ont échoué, n'ayant pas abouti, sinon de manière très partielle. Faute d'un contrôle attentif de son déroulement, le plan Farmington a échoué; il ne faut cependant pas sous-estimer le rôle qu'il a joué à son époque. Le « Public law 480 program », qui prévoyait d'utiliser les devises étrangères disponibles pour importer des documents publiés en Egypte, Inde, à Ceylan..., tentait d'améliorer l'efficacité de nombreuses bibliothèques dont les fonds reproduisaient presque ceux de la Bibliothèque du Congrès. Bien qu'il ait eu pour résultat d'accroître les richesses nationales du niveau recherche, ce programme s'attachait en fait davantage à la duplication des ressources qu'au partage des responsabilités. Il en allait de même pour le NPAC (National program of acquisitions and cataloging), consacré essentiellement au catalogage des acquisitions étrangères, acquisitions qui, en règle générale, reproduisaient celles faites par la Bibliothèque du Congrès et les autres participants au programme. Sans aucun doute, l'opération la plus positive en matière de coopération a été le « Center for research libraries », ici même à Chicago, qui permet à ses adhérents d'accéder à des documents peu utilisés qu'ils préfèrent ne pas conserver sur place. Ce ne sont là que quelques exemples des tentatives menées aux Etats-Unis pour assurer une politique concertée de développement des collections. Il convient cependant de préciser qu'aucune d'elles, contrairement à la terminologie utilisée, ne correspond à un véritable partage des responsabilités.

Pour agir groupons-nous

Depuis sa création, en 1974, par quatre bibliothèques de grande envergure (Harvard, Yale, Columbia, New-York public library), au nord-est des Etats-Unis, le RLG (Research libraries group) a accordé une attention prioritaire à cette préoccupation. Même avec une solide base de départ, constituée par les fonds des quatre plus grandes bibliothèques du pays, il a posé en principe l'idée, toute simple, qu'aucun établissement particulier n'était en mesure de réaliser tout ce qu'il souhaitait et qu'il fallait mettre en oeuvre des programmes de coopération pour résoudre les problèmes qui se posaient aux bibliothèques de recherche.

Au démarrage, de 1974 à 1978, les créateurs du RLG ont fait porter leurs efforts dans trois directions : en premier lieu, découpage géographique des responsabilités en matière d'acquisitions; les participants se sont « partagé le monde » et se sont entendus pour savoir lequel d'entre eux prenait en charge tel ou tel pays. Ensuite, accord sur la désignation d'un responsable chargé d'acquérir les documents onéreux auxquels tous souhaitaient avoir accès. Enfin, accord sur la notion de master copy (exemplaire de sauvegarde) pour les périodiques, accord aux termes duquel un membre du réseau s'engage à tenir un titre donné à la disposition des autres participants, de manière à leur permettre d'arrêter, s'ils le désirent, leur abonnement. J'insisterai sur le caractère non coercitif de toutes ces dispositions, le système reconnaissant à chacun de ses participants le maintien de son autonomie. La seule pression véritablement contraignante s'est avérée due à des facteurs économiques propres aux établissements, ce qui engendra des choix délicats lorsqu'il fallut réduire les taux d'accroissement des budgets pour les acquisitions et pour d'autres postes de dépenses.

L'expérience des quatre membres fondateurs s'est avérée des plus utiles pour définir le cadre des négociations et pour déceler les éventuels traquenards d'une telle collaboration. Ainsi le retrait de l'Université de Harvard, en 1978, a de toute évidence ébranlé le principe du master copy; ce retrait a également soulevé la question suivante: qu'arrive-t-il lorsque sont dénoncés des accords qui avaient été librement conclus ? L'absence de système d'information bibliographique et de ses moyens de communication représenta une difficulté supplémentaire. Enfin, les premières expériences de lancement des programmes avec des fichiers manuels s'avérèrent des plus onéreuses et mirent en évidence la nécessité d'une automatisation pour contrôler l'information sur le déroulement des programmes.

Comment fut conçu Conspectus

Le retrait de Harvard et l'option prise sur le système bibliographique de l'Université de Stanford comme base de développement du système RLG de contrôle bibliographique, marquèrent le passage à l'étape suivante. Celle-ci devait voir l'extension de RLG sur l'ensemble du territoire national, intégrant d'autres universités et d'autres bibliothèques; elle devait voir aussi se multiplier les études et analyses du problème du développement des collections. D'un noyau initial de quatre membres, RLG s'était, en 1982, élargi à vingt-six participants, qui collaboraient tous activement à des plans de développement des collections. Aujourd'hui l'opération a débordé du réseau RLG (actuellement trente et une bibliothèques de recherche) et est reprise par le NCIP (National collection inventory project) patronné par l'ARL (Association of research libraries) ainsi que par le projet piloté par la Canadian association of research libraries.

Quelle a été la stratégie adoptée par le comité RLG de gestion et de développement des collections ? Lorsqu'il commença ses travaux en 1979, sous ma présidence et avec Paul Mosher (de l'Université de Stanford) comme vice-président, ses objectifs étaient à la fois modestes et ambitieux. Côté modestie, nous souhaitions seulement analyser de manière approfondie ce qui se passait réellement en fait de développement de collections à l'intérieur de notre groupe, alors fort restreint; ceci afin d'avoir une idée plus nette de ce que nous faisions réellement. Côté ambition, nous étions sommés de réussir là où bien d'autres avaient échoué auparavant, créer un système et un climat favorables au développement de nos aptitudes collectives, nous permettant de répondre aux besoins de la nation en matière de recherche. L'instrument élaboré pour remplir ces objectifs fut le RLG Conspectus.

Une note par cote

Deux mots de présentation: Conspectus a été conçu comme un instrument d'évaluation des collections pour mener une politique d'acquisitions en commun. Son but est de donner une image d'ensemble des différents niveaux de collections et des pratiques en cours dans les bibliothèques participantes. Afin de rendre cette image, Conspectus reprend le cadre de classement de la Bibliothèque du Congrès (plus de 5 000 subdivisions à l'heure actuelle) ; pour chaque sujet, chacune des bibliothèques donne une évaluation de son fonds, lui affectant un numéro d'ordre variant de 0 à 5. Ces numéros, soigneusement déterminés, correspondent aux niveaux de collections suivants :
0 : hors sujet
1 : niveau minimum d'acquisitions
2 : information de base
3 : enseignement
4 : recherche
5: exhaustivité

En outre, la bibliothèque attribue pour chaque sujet un second chiffre qui correspond au rythme de ses acquisitions ainsi qu'un indicateur de langue précisant sa couverture linguistique. Les codes de lettres utilisés sont les suivants : E: anglais; F: documents sélectionnés + anglais; W: large sélection de langues vivantes; Y: documents en une seule langue. Si on prend l'exemple d'un fonds d'informatique noté 2E/4W, cette indication montre que la bibliothèque part d'un fonds de base, entièrement en anglais, pour atteindre un niveau recherche avec des ouvrages en plusieurs langues. Autre exemple, celui d'une collection d'anthropologie classée 4/3F; cela signifie que la bibliothèque réduit progressivement ses achats dans ce domaine. Un fonds de recherche en littérature ukrainienne coté 4/4Y ne comprendrait que des oeuvres en ukrainien. Enfin, pour illustrer davantage mon propos, un fonds de linguistique allemande coté 5/5E est tout simplement impossible car une collection de niveau exhaustif comprend des ouvrages publiés dans toutes les langues vivantes.

Carte bibliographique

Le regroupement de toutes les déclarations faites par les adhérents donne une carte générale des différents niveaux de collections et des politiques d'acquisition par sujets. Cet instrument permet de déterminer s'il existe, à l'intérieur du consortium, des ressources du niveau recherche suffisantes pour un sujet donné; il est aussi possible de détecter les domaines peu exploités ou à l'abandon, présentant néanmoins un certain intérêt pour la recherche et de décider si un des participants souhaite devenir un responsable PCR (Primary collecting responsability), prenant en charge l'acquisition des documents primaires sur le sujet.

A ce jour, 315 responsables ont ainsi été désignés et investis par les bibliothèques adhérentes, ce qui représente, il faut le reconnaître, un chiffre encore réduit. Par ailleurs, ces responsabilités d'acquisitions ne concement souvent que des domaines fort étroits. Les membres se sont vu confier ces responsabilités en fonction des niveaux de collections qu'ils avaient déjà atteints; la plupart du temps, on s'est contenté de leur demander l'assurance qu'ils garderaient leur spécialisation.

Afin de vérifier la validité des déclarations et des données recueillies par Conspectus, le comité a entrepris un certain nombre de vérifications et de pointages dans différents domaines, tels la littérature russe, l'histoire de la Suisse, l'économie agricole, l'art, l'architecture, la littérature biblique... Ces études ont permis d'améliorer la pertinence des informations fournies par Conspectus, mais, dans la plupart des cas, elles ont confirmé les déclarations initiales des adhérents sur leurs collections. Elles ont montré de manière tangible l'importance des recoupements et des exemplaires multiples à l'intérieur des fonds, mais elles ont aussi mis en lumière la façon dont les collections se complètent mutuellement pour réaliser une couverture documentaire suffisante au niveau recherche.

Au fur et à mesure que s'accumulaient les données du fait de la multiplication des adhérents et qu'augmentait le nombre de subdivisions par sujets analysées par Conspectus, il est apparu que la gestion manuelle de ces informations était des plus mal commodes sinon impossible. Aussi, en 1980, nous nous sommes mis à la programmation de RLG Conspectus online, qui est maintenant une banque de données interactive performante, interrogeable par sujet, par matière, par niveau de collection, par établissement. Elle constitue une banque de données spécifique à l'intérieur du RLIN (Research library information network) et est un instrument d'orientation macro-bibliographique à l'intérieur de la base RLIN qui comporte actuellement plus de 14 millions de références. En d'autres termes, Conspectus joue le rôle d'un guide, donnant la carte des enregistrements bibliographiques particuliers et renvoyant aux collections détenues par les bibliothèques adhérentes mais qui n'ont pas encore été entrées dans la base. Compte tenu du rythme auquel se poursuit l'intégration en masse des données rétrospectives, étendant la couverture de la base RLIN, les liens entre le guide et la banque de données sont appelés à se resserrer.

La conquête du nouveau monde

Le recensement Conspectus couvre actuellement toutes les subdivisions matières de la Bibliothèque du Congrès à l'exception de la classe A (les généralités) et des classes U et V (sciences militaire et navale); il est achevé pour presque tous les domaines par 25 de ses participants ainsi que par la Bibliothèque du Congrès. Les bibliothèques universitaires de l'Indiana (Indiana University, Notre Dame University, Purdue University) en ont également complété certains segments; leurs données ont été intégrées à la version en ligne, premier pas vers le National collection inventory project.

Dans son état actuel, Conspectus apparaît nettement en retrait par rapport au projet d'origine qui prévoyait de dresser un tableau d'ensemble des collections nationales et des politiques d'acquisition ; ce retrait tient au fait que les bibliothèques les plus importantes du pays n'ont pas toutes adhéré au réseau. Même aujourd'hui le RLG ne regroupe que 31 membres sur les 117 que compte l'ARL. Celle-ci, parallèlement au RLG, a reconnu en 1980 la nécessité de disposer au niveau national d'un instrument d'évaluation des différents niveaux de collections et elle a entrepris d'y parvenir. Ayant saisi l'intérêt d'utiliser les travaux existants, elle a, en 1981, commencé une série de tests sur la méthodologie Conspectus dans cinq bibliothèques extérieures dont une canadienne. Le test a fait apparaître un certain nombre de problèmes qui s'étaient déjà posés aux participants; mais il s'est révélé suffisamment prometteur pour que l'ARL adopte la méthodologie Conspectus comme base de son programme national, comblant le fossé entre RLG et les autres bibliothèques de recherche.

La seconde phase du projet ARL consistait en une application, déjà mentionnée, dans l'Indiana, les trois établissements participants étant extérieurs au réseau. Cette phase a également été marquée par la préparation et l'édition d'un manuel pour le North American inventory of research library collections ; ce manuel, publié au mois de janvier 1985, est pour l'essentiel un guide d'utilisation de Conspectus dans les bibliothèques participantes. Ce manuel, qui répond à un besoin ressenti par les membres du RLG, représente un modèle de coopération entre établissements, avec, bien entendu, l'appoint de financements extérieurs. Le troisième volet du programme en cours vient d'être financé; il s'agit d'assurer la participation au projet de 60 bibliothèques. En outre la Canadian association of research libraries a entrepris de réaliser son propre Conspectus, y compris la tâche malaisée d'établir une version en français et ses documents annexes (formulaires de déclarations). Par ailleurs des applications régionales se multiplient, dans le sud-est des Etats-Unis, en Californie, dans le nord-ouest sur la côte du Pacifique, et même en Alaska. Des collègues européens suivent l'opération avec intérêt, observant nos progrès et nos tâtonnements avec tout le recul nécessaire.

Les affres de la mise au monde

Face au surprenant intérêt suscité par un instrument encore inachevé et en cours d'évolution, intérêt qui croît de jour en jour, il est bon de vous faire part de quelques-unes des difficultés que nous avons rencontrées en essayant d'élaborer un schéma de description unifié, sinon uniforme, du développement des collections à l'échelon national. Comment quantifier le subjectif ?... A la lumière de mes propos il devrait sauter aux yeux que Conspectus est un conglomérat de milliers d'évaluations subjectives dues à un groupe hétérogène (essentiellement des responsables des acquisitions) dont les membres ont chacun une expérience et un profil différent. Les collections décrites sont souvent organisées selon des principes de classification extrêmement variables, ce qui, d'une part, ne facilite pas la comparaison et, d'autre part, accentue - ou masque points forts et faiblesses. Afin de réduire le caractère subjectif de ces évaluations, certains participants ont envisagé d'utiliser un catalogue topographique de manière à disposer du nombre exact de titres dans chaque subdivision. D'autres estimaient qu'un tel instrument pourrait sans doute donner une idée approximative de l'importance du fonds, mais n'apporterait d'éléments ni sur le niveau, ni sur la qualité ou la cohérence de la collection; en réalité, un tel catalogue ne représenterait que la somme des décisions subjectives prises pour constituer ce fonds. La difficulté n'a pas encore été tranchée et il est probable qu'elle ne pourra l'être complètement. Des vérifications ont permis de valider ou de modifier les informations données par Conspectus. Les tâches actuelles du « RLG task force on Conspectus analysis » (le sous-comité chargé de l'analyse des données qui a supervisé la répartition des responsabilités PCR) portent sur l'élaboration de normes quantitatives générales et la délimitation de seuils pour déterminer des niveaux d'acquisition dans des matières données. Ainsi une collection classée 4 dans le Conspectus médical correspond à « un large choix de périodiques incluant au moins 65 % des titres indexés par le List of journals indexed in Index medicus », alors qu'une collection classée au niveau 3 n'en comprendrait que 25 %. Une collection exhaustive d'entomologie impliquerait la présence de 95 % des périodiques signalés par les Entomology abstracts. Nous travaillons actuellement à la mise au point d'autres schémas de ce genre et nous pensons que ceux-ci permettront de renforcer la fiabilité des mesures Conspectus, mais, très franchement, nous ne pensons pas qu'ils puissent effacer tous les doutes quant à la qualité de l'information donnée. J'insisterai sur le fait que Conspectus est un outil conçu pour donner une vision d'ensemble plutôt qu'une description détaillée.

Sous la bannière de la LCC

Le choix de la LCC (classification de la Bibliothèque du Congrès) comme schéma d'organisation de Conspectus n'a pas été une décision facile. Certains domaines semblaient excessivement détaillés, comportant des distinctions trop fines pour être pertinentes. Dans d'autres, particulièrement les secteurs de pointe comme l'informatique, il n'y avait pas suffisamment de subdivisions. Dans ce second cas, les participants estimaient que l'affichage Conspectus ne rendait pas vraiment compte de leur niveau réel dans plusieurs sous-secteurs. En outre, nombre d'entre eux (y compris la NYPL qui, à l'instar de nombreuses bibliothèques européennes, range ses collections par formats) n'utilisaient pas cette classification. D'autres bibliothèques ont divisé leurs collections, classant les ouvrages les plus anciens en Dewey (ou autres systèmes de rangement) et les récents selon la LCC. Bien évidemment ces bibliothèques ont fait leurs déclarations en incorporant les deux fonds et en aménageant des passerelles entre la CDD (ou tout autre système) et la LCC.

En fin de compte, nous avons pris une décision totalement pragmatique en adoptant la LCC comme grille de description pour l'ensemble des éléments de Conspectus. Il s'agit du modèle le plus appliqué sur l'ensemble du territoire national, surtout parmi les bibliothèques de recherche adhérant au RLG et à l'ARL. Afin de pallier les insuffisances déjà relevées, nous avons proposé aux participants d'ajouter des notes particulières, signalant dans leurs collections certaines caractéristiques qui auraient pu ne pas apparaître à l'intérieur du cadre de la LCC. Quoi qu'il en soit, j'ai la conviction qu'il y aura toujours des spécialistes d'un sujet qui mettront leur nez dans Conspectus sans pouvoir y trouver leur bonheur.

Curieusement, une de nos premières discussions portait sur le nombre de subdivisions-matière qui seraient nécessaires pour arriver à brosser la large fresque dont nous rêvions. En 1980, nous estimions ce nombre entre 1 500 et 2000. Conspectus comporte à ce jour 5 800 subdivisions et ce chiffre continue à grandir... Même avec une grille aussi fine, l'affichage dans Conspectus des collections de manuscrits ou de livres rares est loin d'être satisfaisant.

Croisements à tous les niveaux

Domaines géographiques. A toutes ces difficultés se superposaient les préoccupations des bibliothécaires chargés de secteurs géographiques, achetant les documents du niveau recherche concernant des pays ou des zones bien déterminés, tels l'Afrique, l'Amérique latine ou l'Extrême-Orient. Par exemple, comment établir le lien entre le shintoïsme au Japon et le shintoïsme qui figure dans la rubrique religion de Conspectus ? Il en est résulté une « matrice à double entrée » qui permet aux bibliothèques spécialisées dont les fonds, encyclopédiques, concernent une région donnée, d'avoir une entrée individualisée. Parallèlement, l'index en ligne permet de retrouver, pour un sujet donné, les données vraiment importantes en balayant l'ensemble de Conspectus. Malgré tout, des incohérences peuvent être relevées et la « matrice à double entrée » est loin de constituer un système parfait.

Formes et supports. Nous avons eu également à résoudre une difficulté supplémentaire: comment intégrer des collections dont l'organisation est conditionnée par le support plus que par le sujet. En règle générale, les collections de microformes suivent les usages d'acquisition en vigueur; les collections de cartes concernent le plus souvent la géographie et la cartographie. Mais d'autres supports posent des problèmes spécifiques. Les publications officielles, les enregistrements sonores, les manuscrits et les archives sont souvent gérés à part et leur organisation, bien que concernant des sujets extrêmement divers, n'a rien à voir avec celle de la LCC. Cette autonomie a pu favoriser la mise en place de programmes de coopération; ainsi en va-t-il pour le programme RLG où la responsabilité du catalogage des disques a été partagée en fonction des maisons d'édition. Dans d'autres cas, la description et le lancement de plans d'action sont rendus plus difficiles. Ainsi il est beaucoup plus délicat de décrire et d'évaluer certains sujets qui ne sont abordés que dans les périodiques ou publications en série que des sujets représentés dans les collections de monographies. La répartition des responsabilités dans ces secteurs, notamment les secteurs scientifiques, est aussi beaucoup plus difficile. Encore une fois, l'établissement de notices explicatives et de renvois peut simplifier la tâche, mais tous les problèmes ne sont pas résolus pour autant et on n'a pas encore fini de travailler sur la question. S'entendre sur des codes de langue - aussi simples soient-ils - et les utiliser, encore une procédure qui a donné des cheveux blancs aux responsables de Conspectus ! Au tout début de nos travaux, ils étaient utilisés de façon sporadique et peu cohérente, bien que leur importance pour évaluer les différents niveaux de collections ait été unanimement reconnue. Par ailleurs le code de langue n'est normalement utilisé que pour préciser la politique d'acquisitions dans un domaine précis, même s'il apparaît quelquefois qu'il sert à caractériser le niveau du fonds en ce domaine. Ce code nécessite de toute évidence une révision approfondie et une mise à jour des données pour leur donner une meilleure cohérence. Au fur et à mesure que s'étend l'assise géographique de Conspectus, le traitement des codes-langues deviendra un problème de plus en plus brûlant car l'orientation anglophone de départ sera appelée à évoluer si cette méthode doit être appliquée dans d'autres pays et dans d'autres zones linguistiques. La « Canadian association of research libraries » aurait, paraît-il, entrepris la traduction française de Conspectus et de ses documents annexes. Nous attendons beaucoup de cette opération.

L'évaluation par l'usage

Rythme d'acquisitions. L'ensemble des déclarations de chacun des participants à Conspectus portant sur son rythme d'acquisitions (CCI's: current collecting intensity) correspond en fait à sa politique de développement des collections. Toute la question est de déterminer si ces déclarations représentent leurs désirs (très exactement leurs objectifs) ou seulement la réalité. Il est difficile, si on n'a pas mené une analyse approfondie dans chaque domaine, d'évaluer le bien-fondé de ces déclarations et nous nous retrouvons, une fois de plus, soumis à des critères subjectifs et à des impressions. Le système RLIN peut fournir des informations tirées de la gestion, qu'il s'agisse de transactions d'acquisitions ou de catalogage, informations qui peuvent être fort utiles mais peu d'entre nous ont réellement eu la possibilité d'en profiter. Le test le plus probant sera vraisemblablement la satisfaction des usagers qui pourront accéder à l'ensemble des ressources du consortium à travers Conspectus.

Logistique. De toute évidence le travail déjà effectué pour mettre Conspectus sur les rails représente un investissement substantiel en temps, en peine et, indirectement, en capitaux. Ces coûts ne sont pas aisément quantifiables; pour la majeure partie des participants l'opération implique un travail à temps partiel, de fréquentes réunions, des sessions de formation et il est nécessaire de gratter beaucoup de papier avant de pouvoir entrer les données dans la base. Un certain nombre de questions continuent de ce fait à se poser, celle, par exemple, de savoir si cela vaut vraiment la peine de faire tant d'efforts. J'espère pouvoir fournir quelques éléments de réponses à la fin de mon exposé; pour le moment je me contenterai de souligner que la majeure partie de ce travail, l'analyse des politiques de développement de collections menées par les établissements, ne signifie pas tant une nouvelle responsabilité qu'une nouvelle approche de nos tâches traditionnelles, amenant nos bibliographes et responsables d'acquisitions à réexaminer leurs fonctions sans qu'un tel examen implique de frais véritablement conséquents. Je signalerai également que les frais de programmation pour mettre Conspectus en ligne ont, pour le centre de direction du RLG, été minimes - qu'il s'agisse du temps passé à entrer les données ou de la gestion des programmes - et qu'ils ont été largement couverts par des financements extérieurs.

Il reste encore beaucoup à faire si on souhaite améliorer le produit en ligne et augmenter le nombre de données consultables. Il sera nécessaire de reprendre certaines parties du programme pour aboutir à un instrument plus accessible et convivial; nous sommes en effet unanimes à reconnaître que la procédure d'accès et les stratégies de recherche sont lourdes et incommodes. Il conviendra également de développer un logiciel transportable pour pouvoir faire des applications à l'extérieur. Il y a toujours une limite à l'extension d'un système et à son efficacité, mais il peut s'avérer intéressant de constituer d'autres bases, nationales ou régionales, de manière autonome à l'exemple des entreprises canadienne ou californienne. Une dernière question continue à se poser : Conspectus doit-il intégrer toutes les collections ou doit-il se limiter aux collections des niveaux recherche (niveau 4) et exhaustivité (niveau 5) ? Elle trouvera réponse lorsque nous nous serons mieux familiarisés avec l'instrument en pleine évolution qu'est Conspectus.

Considérations de « politique locale ». Compte tenu de la situation contradictoire dont j'ai parlé au début de mon exposé, ce double courant indépendance/interdépendance, il faut dire que certains ont vu en Conspectus une menace pour leur liberté en matière d'acquisitions. D'aucuns craignent qu'il ne restreigne ces activités à l'intérieur des établissements adhérents. Enseignants et chercheurs d'une université donnée peuvent ne pas apprécier de voir transférée à d'autres institutions la responsabilité PCR pour les acquisitions de leur spécialité et ils peuvent exercer des pressions pour éviter tout allègement des acquisitions dans cette matière. Les spécialistes d'un domaine et les responsables d'acquisitions peuvent renâcler à l'idée d'abandonner leurs efforts pour constituer des fonds compétitifs. Bien que nous ayons lourdement insisté sur le fait que l'attribution de responsabilités PCR ne signifiait nullement la fin ou le déclin des autres fonds spécialisés pouvant exister par ailleurs, et qu'en réalité il était essentiel que d'autres établissements continuent à acheter en ce domaine si on voulait réaliser une solide couverture documentaire au plan national, ces appréhensions demeurent et il est peu probable qu'elles se dissipent; en fait elles pourraient bien se généraliser au fur et à mesure que s'élargit la base de Conspectus.

Conspectus et le reste

Toutes les questions que j'ai évoquées touchent aux différentes politiques de développement de collections et aux nouvelles manières d'aborder le problème dans un contexte de coopération. Si nos comportements en matière de développement de collections évoluent, un tel changement aura une incidence plus générale et affectera l'ensemble des fonctions des bibliothèques, posant les problèmes suivants :

Fourniture de documents. Afin de faciliter l'accès aux documents de niveau recherche, surtout si ces derniers se trouvent extrêmement dispersés, il est nécessaire d'améliorer notre système d'accès au document. Le « National endowment for the humanities » (une agence fédérale américaine qui soutient la recherche en lettres) a lancé un programme destiné à aider les chercheurs à accéder aux collections; on leur alloue de petites indemnités de voyage dans le cadre de projets de recherche spécifiques. Quoi qu'il en soit, la répartition des responsabilités en matière de fonds et d'acquisitions signifie dans tous les cas la possibilité d'un accès à distance rapide. Nous pensons que la transmission électronique permettra de résoudre une partie du problème pour certains secteurs de recherches. Le « RLG shared resources program » qui, dans les faits, est essentiellement un système de prêt-inter, a tout misé sur le raccourcissement du cycle de fourniture du document, en donnant la priorité aux demandes de ses adhérents, mais il reste encore beaucoup à faire. Il faut aussi tenir compte des documents rares, moins fréquemment conservés, que leurs détenteurs hésitent à communiquer pour des raisons de valeur, de sécurité, de fragilité, ou pour répondre à des besoins locaux. Dans de tels cas on a recours à des substituts ou à des photocopies mais leur établissement signifie souvent des délais inacceptables. C'est là une question clef pour le partage des ressources, vitale pour l'accès universel aux publications.

Conservation. Alors que la répartition des responsabilités en matière d'acquisitions peut être complétée par un partage des responsabilités en matière de conservation, une telle organisation peut aller à l'encontre de la conservation des documents plutôt qu'à son avantage. Avec le rétrécissement du nombre d'exemplaires disponibles ailleurs, l'utilisation se concentre sur une seule collection, occasionnant une dégradation des ouvrages. Nous devons dans ce cas recourir à des collections « d'autorité » pour constituer des collections de remplacement - pour l'instant essentiellement composées de microfilms de sécurité à partir desquels pourront être délivrées des copies à l'intention des usagers où qu'ils se trouvent. Une chose est claire : dans un pays tel que le nôtre, avec cent quarante ans de bibliothèques surchauffées et de papier de mauvaise qualité derrière lui, aucun établissement ne peut faire face isolément au problème de la conservation et il n'y a pas d'autre solution qu'une solution collective. En fait, nous pensons que ce problème ne peut se régler au niveau national et qu'il faut mettre sur pied des programmes à l'échelle internationale. Nous avons pu observer au cours des dernières années quelques signes annonciateurs d'une évolution en ce sens.

Contrôle bibliographique et communication. Un système de contrôle bibliographique consiste fondamentalement en la communication d'informations sur des collections. Ainsi la base RLIN permet-elle d'accéder à des informations sur des fonds particuliers, leurs accroissements et leurs modifications. Conspectus est aussi un instrument de communication qui non seulement donne l'état des différents niveaux de collections et des politiques d'acquisition mises en place, mais permet aussi à ses adhérents d'afficher tout infléchissement dans leur politique d'acquisition au fur et à mesure que chaque adhérent modifie sa politique de manière autonome. Dans son état actuel de développement, le « Linked system project » - qui doit permettre à différents systèmes de communiquer entre eux - constitue aussi une des pièces maîtresses du programme de partage des ressources scientifiques de la nation, programme que nous espérons voir un jour déborder les frontières nationales, assurant de façon plus performante la fourniture de documents et peut-être l'exploitation des possibilités de transmission en ligne des textes intégraux.

Les autres problèmes de coopération, nationaux ou internationaux, vous sont déjà familiers et peuvent être rapidement signalés. Différences linguistiques, insuffisance du nombre de normes agréées, rapidité des progrès technologiques, coûts de la coopération, maigreur des budgets des bibliothèques, problèmes de copyright et, enfin, tendance généralisée à faire payer l'information : autant d'obstacles à la réalisation de notre rêve : donner à chacun la possibilité d'accéder au partage des ressources. Toutefois, si nous croyons à l'importance de la science et au rôle que nous pouvons jouer en lui procurant les ressources nécessaires, nous nous devons de rechercher sans cesse des solutions pour arriver à coopérer et à surmonter tous ces obstacles. L'une d'entre elles - le retour à l'isolement - est en tout cas à écarter définitivement, éliminée du fait de l'informatisation, du moins dans le cadre des bibliothèques.

L'avers de la médaille

Puisque jusqu'à présent j'ai surtout fait état des problèmes et des difficultés liés à la collaboration en matière de développement de collections à travers le programme RLG, je terminerai en évoquant les éléments les plus positifs qui ressortent de notre travail, éléments qui nous rendent optimistes et nous permettent de croire que les problèmes peuvent être résolus ou, au moins, ramenés à une taille raisonnable et que nos efforts n'ont pas été vains.

Bien que le RLG ait été créé à une époque de relative austérité budgétaire pour les bibliothèques américaines avec pour motivation initiale de réduire les coûts - ou, du moins, de freiner les coûts d'accroissement des acquisitions - cet objectif n'a pas été réellement atteint. A l'exception de quelques trains de désabonnements massifs (qui de toute façon auraient été lancés indépendamment de toute concertation collective), il n'y a pas eu à ma connaissance de coupe claire dans les budgets d'acquisitions faite au nom des informations tirées de Conspectus; ceci dit, les liens d'interdépendance se sont sans aucun doute renforcés. « En fait », comme le dit Scott Bennett, un de nos adhérents, « les bibliothécaires se sont lancés dans la gestion collective des collections, tout comme ils se sont lancés dans l'informatisation - pas tant pour réduire les coûts que pour améliorer les services ».

Je conclurai en évoquant rapidement quelques-unes des retombées de notre action qui ont permis une amélioration des services tout en créant un cadre pour le développement en coopération des collections dont nous rêvons. En premier lieu, Conspectus est un instrument de référence important, complétant la base RLIN qui permet aux bibliothécaires d'identifier les fonds « pointus » et les localisations probables pour leurs usagers. L'intégration des participants au NCIP ainsi que d'autres organismes permettra de dresser la carte des collections du niveau recherche en Amérique du Nord, carte dont nous avons besoin tant pour le développement des collections que pour notre fonction d'orientation des usagers en service public.

L'engagement de centaines de bibliographes et de responsables d'acquisitions dans la « construction » de Conspectus leur a été bénéfique, leur permettant de mieux mesurer leurs propres richesses et leurs propres politiques, et de prendre conscience des fonds complémentaires existant ailleurs. Pour nombre de ses membres, Conspectus a proposé une base pour une politique de développement des collections (l'ensemble de toutes les données des organismes adhérents) là où il n'existait absolument rien auparavant. Globalement, Conspectus a permis d'identifier et d'intervenir sur des douzaines de domaines de recherche « à risque », négligés, et où la couverture des membres du réseau s'avérait insuffisante. Conspectus a fourni également la structure et la possibilité de mettre en relation les niveaux de développement des collections avec le catalogage partagé, la récupération de données rétrospectives et les besoins de conservation, et, ainsi de servir de base au catalogage en coopération et au plan national pour la conservation.

Pour les universités, l'utilisation de Conspectus a permis de renforcer le rôle de la bibliothèque dans tous les processus de planification menés au niveau local, donnant une meilleure information sur les collections dans la mesure où elles sont liées aux changements de programmes des universités. Elle a aussi aidé à l'établissement d'une procédure impliquant plus étroitement l'Université dans le développement de ses propres collections, tout en assurant un service sur place plus efficace grâce à l'amélioration des procédures d'accès aux documents situés ailleurs. Conspectus permet aussi d'identifier les faiblesses sur place qui doivent être redressées au niveau local, faisant la preuve aux yeux de l'administration de la nécessité d'une aide supplémentaire et pouvant éventuellement inciter à une consolidation financière.

Peut-être plus important: Conspectus représente une police d'assurance contre les budgets réduits, un canevas pour la redistribution de nos propres ressources financières, et le travail préparatoire pour un accès au document élargi. Ce n'est pas une panacée en cas de déboires financiers. Richard De Gennaro a exprimé récemment la chose en ces termes : « Nous devons ménager nos ressources actuelles et veiller à leur accroissement futur. Ce serait une tragédie si les responsables du financement des bibliothèques se méprenaient sur les objectifs du partage des ressources et l'utilisaient comme base de raisonnement pour réduire encore les crédits des bibliothèques. Le partage des ressources nous permettra d'en faire plus avec moins de moyens en mettant toutes nos ressources en commun. Mais tout cela ne pourra se faire que si la marmite reste pleine ».