La réforme du système documentaire des universités

Henri Comte

Le décret du 4 juillet 1985 et ses textes d'application remanient profondément le système documentaire des universités qui manquait de cohérence et d'efficacité. La réforme tend à une réunification en créant un service commun de la documentation regroupant d'une part les bibliothèques d'université, d'autre part les bibliothèques des laboratoires, instituts, unités de formation et de recherche. Deux modalités de regroupement, aux choix des autorités universitaires, sont prévues: l'intégration pure et simple, l'association qui assure la coopération entre les différentes composantes. La deuxième innovation, plus considérable, porte sur la gestion des SCD dont la responsabilité globale est transférée à l'université (création, financement, fonctionnement). Les textes publiés, qui ne concernent que les établissements de province, restent imprécis sur certains points (modalités de la coopération, contenu des services communs interuniversitaires de documentation appelés à remplacer les bibliothèques interuniversitaires), ce qui peut, localement, limiter la portée de la réforme. Celle-ci est le premier pas vers une nouvelle logique de la documentation où l'on passe d'une politique de l'offre, axée sur les collections détenues par les établissements, à une politique de la demande où les attentes du public et les modes d'accessibilité à l'information deviennent des facteurs décisifs dans la gestion du système documentaire.

The decree of the 4th July 1985 and its implementation texts have deeply modified the documentation system of the universities, which was inconsistent and ineffective. The reform is leading to a reunification by creating a common documentation service. This service is composed of university libraries, on one hand, and of laboratory, institutes, education and research units libraries, on the other hand. The university authorities can choose between two methods : direct integration, or association which induces cooperation between all the elements of the group. The university is now responsible for the management of the common documentation services (founding, financing and functioning). Those texts apply to country institutions only, and are still lacking in precision about the terms and conditions of the cooperation, and about the contents of the new common documentation services replacing the university libraries; this may restrain the implications of the reform. It remains anyway the first step toward a new logic of the documentation system : we are now moving from a situation of supply - relying on the collections held by the institutions - to a demand system relying above all on the expectations of the public and on the accessibility of information.

Après le décret du 23 décembre 1970, celui du 4 juillet 1985; l'unité du système documentaire des universités, si longtemps appelée, est désormais inscrite dans la loi. Mais la portée d'une réforme ne se mesure qu'à son application; aussi banale soit-elle cette remarque doit être rappelée. Il est toutefois moins banal que ce soient les sujets d'une réforme qui en deviennent les responsables ; sans doute le phénomène est-il conforme à l'esprit des temps mais il peut représenter la condition nécessaire à son succès... Le système documentaire des universités ne sera véritablement unifié que s'il est intégré à leur fonctionnement. Telle est la leçon qu'on peut retenir de l'analyse d'Henri Comte.

Le décret du 4 juillet 1985, l'arrêté ministériel du même jour et deux circulaires, du 31 octobre 1985, établissent une nouvelle organisation des bibliothèques et centres de documentation des universités. Ces textes 1, bien que ne concernant pas les établissements de la région parisienne, promis à un aménagement spécifique, sont d'une portée considérable. Les bibliothèques universitaires (BU), institutions séculaires, disparaissent. Leur succèdent des services communs de documentation (SCD) rassemblant l'ensemble des unités documentaires des universités et fonctionnant selon des règles nouvelles.

Cette réforme répond, certes, à des nécessités d'ordre conjoncturel. Ainsi était-il indispensable d'adapter le statut des institutions documentaires universitaires à la nouvelle organisation des universités instituée par la loi du 26 janvier 1984 sur l'enseignement supérieur. Il convenait notamment de prendre en compte la nouveauté introduite par l'article 4 de la loi, assignant à ce service public « la diffusion de la culture et de l'information scientifique et technique ». Mais aussi et surtout, les nouveaux textes ambitionnent, et c'est en cela que leur analyse nous retiendra particulièrement, de porter remède à certaines déficiences structurelles de l'organisation et de la gestion des services documentaires des universités.

La crise que traversent les institutions documentaires universitaires est en effet avérée depuis de longues années. Manifeste dès les années 1950, elle n'a fait que s'amplifier par la suite, devenant dans les années 1970 une préoccupation majeure des services centraux du ministère, des professionnels et des universitaires. Prenant appui sur la réflexion critique développée au cours de cette période le nouveau dispositif s'attache à corriger les défauts les plus fréquemment reprochés à l'organisation ancienne: son manque de cohérence d'une part, son insuffisante intégration à l'université d'autre part.

Réunifier la gestion de la documentation

Excepté le cas particulier de Paris, les bibliothèques universitaires françaises sont nées de la réunion des bibliothèques de faculté et ont ainsi, des décennies durant, réalisé l'unité de gestion de la documentation scientifique des universités. Si aujourd'hui une réforme est nécessaire pour revenir à cette unité, c'est parce que cette dernière s'est progressivement altérée, sous l'influence de facteurs qu'il paraît nécessaire de bien identifier. Ainsi pourrons-nous mieux mesurer la portée et les chances de réussite du projet réunificateur assigné à la réforme.

Le monopole documentaire perdu

« Considérant que former une seule bibliothèque des bibliothèques spéciales des Facultés diverses, c'est à la fois associer les travaux des maîtres et faciliter les études des élèves, généraliser les ressources et introduire dans tout le service plus d'ordre et plus d'économie. » Ces propos du ministre H. Fortoul, en 1855, font étrangement écho à ceux des auteurs du décret du 4 juillet préconisant « que la gestion de tous les documents qui appartiennent à une université soit coordonnée par le service commun de la documentation » afin de mettre fin à une situation caractérisée par « une gestion morcelée, dont les résultats ne pouvaient être que partiels et parfois décevants, les bibliothèques d'institut et d'UER ne cessant de se multiplier et de se développer de façon irrationnelle et coûteuse ».

L'identité d'intentions, à près d'un siècle et demi de distance, nous éclaire sur une donnée permanente du problème : l'unité de gestion documentaire, aujourd'hui comme hier, n'est ni spontanément réalisée ni facile à maintenir. Etablie sur des bases extrêmement solides avec les débuts de la IIIe république elle a commencé à se défaire dès l'entre-deux-guerres, jusqu'à atteindre les proportions inacceptables que nous lui connaissons aujourd'hui.

Le monopole des débuts

Ce sont les différents ministres de l'Éducation des premiers gouvernements de la IIIe république qui ont réalisé, en pratique, l'unification documentaire préconisée par H. Fortoul. Leur attachement à cette unification attesté par de nombreux textes 2, s'est traduit par la mise en place d'un monopole documentaire très solide, dans le cadre des bibliothèques universitairès. Ce monopole, concrètement, fut établi sur une triple concentration: de l'organisation documentaire, des ressources financières affectées à la documentation universitaire, du personnel professionnel.

La concentration de l'organisation documentaire a été considérée comme un principe intangible par les fondateurs des bibliothèques universitaires. Ainsi le ministre Fortoul, dans son arrêté du 18 mars 1855, impose-t-il la fusion des « bibliothèques spéciales » des facultés implantées dans une même ville (article 1er de l'arrêté). Jules Ferry, dans sa circulaire du 23 août 1879, fait sienne l'intention de son prédécesseur. Il évoque « le devoir de chercher activement tous les moyens d'opérer la réunion de nos dépôts ». C'est cependant le ministre R. Goblet qui établit le monopole documentaire des bibliothèques universitaires dans sa forme définitive. Ayant à approuver les règlements des bibliothèques universitaires il fait connaître par avance un certain nombre de « principes dont (il) est décidé à ne pas se départir » au premier rang desquels il fait figurer celui selon lequel « la bibliothèque universitaire, même quand elle a des sections différentes, est une, sauf certains cas tout à fait exceptionnels ». Par voie de conséquence il imposera le respect de ce principe dans ses arrêtés du 20 novembre 1886 approuvant les règlements des bibliothèques universitaires 3.

L'organisation administrative et technique des bibliothèques universitaires a procédé également de ces conceptions. C'est ainsi que les collections furent physiquement rassemblées dans de grands ensembles en nombre restreint, donnant naissance au schéma classique de la centrale relayée par un nombre aussi réduit que possible de sections. C'est ainsi également que le pouvoir de direction de la bibliothèque fut concentré dans les mains de son directeur, les chefs de section ou de service n'ayant d'autre rôle que de relayer ses directives, sans aucun droit de participer à la direction de l'établissement.

La création en 1873 d'une ressource affectée au fonctionnement de la bibliothèque universitaire, sous la forme du droit de bibliothèque acquitté par les étudiants, a donné son assise financière au système. Les sommes ainsi drainées - 10 F par an et par étudiant - étaient en effet sans commune mesure avec les maigres crédits antérieurement affectés par les facultés à leurs bibliothèques particulières. Les ressources procurées par le droit de bibliothèque présentaient en outre l'avantage d'être sûres, régulières et directement proportionnelles au nombre d'utilisateurs à desservir.

La professionnalisation du personnel, initiée par deux arrêtés de Jules Ferry du 23 août 1879, est venue couronner l'édifice. Désormais le personnel de direction bénéficie d'une qualification incontestable, attestée par un diplôme professionnel : le Certificat d'aptitude aux fonctions de bibliothécaires 4.

Ainsi assurées d'une triple prééminence, administrative, financière et professionnelle, les bibliothèques universitaires ont pu monopoliser sans aucun partage la gestion des ressources documentaires des universités. Le système connut la réussite. Analysant en 1902 leur situation, un auteur relève qu'« elles sont devenues, entre toutes les bibliothèques françaises, les bibliothèques les mieux organisées, les plus sagement réglementées, celles qui offrent aux travailleurs les plus grandes facilités, tant pour la lecture sur place que pour le prêt au dehors 5 ». En 1939, un autre analyste relèvera encore que « les critiques à adresser aux bibliothèques universitaires sont plutôt rares, et que dans le cadre qui leur a été fixé, elles fonctionnent à la satisfaction de tout le monde 6 ».

Le déclin du monopole

Il serait vain et assurément arbitraire de dater précisément les premières lézardes qui affectent le système que l'on vient de décrire. Ce dernier, assurément, connaît son âge d'or entre les années 1880 et la Première Guerre mondiale. Il se maintient, presque intact, encore de longues années. Cependant, dès l'entre-deux-guerres, les facteurs agissants de la crise sont à l'œuvre : affaiblissement interne de l'institution en raison du déclin de son pouvoir d'achat, émergence d'une concurrence externe, du fait de son incapacité croissante à couvrir la totalité des « demandes » documentaires au sein de l'université.

L'amenuisement de la capacité financière des bibliothèques universitaires

Jusqu'en 1914, le pouvoir d'achat du franc est demeuré stable. Le droit de bibliothèque, principale ressource des bibliothèques universitaires, a pleinement rempli son rôle de source de financement à la fois prévisible, certaine et suffisante. Dès l'entre-deux-guerres, l'inflation galopante va réduire dans des proportions considérables l'apport de ce financement. Sans doute, le droit de bibliothèque a-t-il été plusieurs fois réévalué, mais le pouvoir d'achat de ce droit a irrémédiablement décliné. Appréciée de façon cumulée, la perte est de l'ordre de 50 % pour la période de l'entre-deux-guerres et de 80 % pour l'après-guerre.

Les subventions de l'Etat et des universités n'ont pas, dans le même temps, augmenté suffisamment pour compenser cette perte de pouvoir d'achat. On peut ainsi estimer, toutes ressources confondues, que la dépense documentaire des bibliothèques universitaires par an et par étudiant a été réduite de moitié environ dans l'entre-deux-guerres et des trois quarts au moins après 1945. Cette véritable asphyxie financière, qui semble s'être encore accentuée au cours des quinze dernières années 7, est, en elle-même, une donnée importante et permanente de la crise que connaissent les services documentaires des universités. Elle permet de relativiser les effets bénéfiques que l'on peut escompter d'une réforme purement administrative de leur fonctionnement. Mais elle permet aussi de mieux comprendre pourquoi les bibliothèques universitaires, affaiblies financièrement et fort à la peine pour exercer leurs fonctions traditionnelles, n'ont pu prévenir ou empêcher l'émergence d'institutions documentaires concurrentes.

L'émergence de services documentaires concurrents

L'évolution des conditions de l'enseignement et de la recherche à l'université a provoqué l'apparition de besoins documentaires nouveaux. Schématiquement deux fonctions principales, peu ou mal remplies par les bibliothèques universitaires, ont poussé à la création de bibliothèques particulières. Dans le domaine de la recherche, la nécessité est apparue de constituer des bibliothèques de spécialité, correspondant à l'activité hautement spécialisée de laboratoires ou d'instituts. Dans le domaine de l'enseignement, ce sont plutôt des bibliothèques de proximité qui ont été constituées par les UER pour répondre aux besoins documentaires élémentaires de travail des étudiants.

Cependant, au fil du temps, d'inévitables dérives se sont produites. Ces institutions documentaires particulières, conçues au départ comme complémentaires de la bibliothèque universitaire ont fréquemment débordé leur vocation d'origine, de sorte que le partage des missions, des responsabilités et des financements s'est singulièrement obscurci.

Dysfonctionnements

Les inconvénients dus à la prolifération de bibliothèques autonomes ont été aperçus assez tôt. S'exprimant au colloque de l'AUPELF, en 1965, Paul Poindron estimait déjà, avec beaucoup de netteté, que « nous nous trouvons actuellement en présence d'une dispersion anarchique de la documentation où règne un déséquilibre injustifié et qui comporte des lacunes regrettables ». Par la suite, de multiples travaux, notamment dans le cadre des associations professionnelles, se sont attachés à préciser le diagnostic et à envisager des remèdes 8. Dès le milieu des années 70 le problème de l'anarchie documenaire est ainsi devenu une préoccupation majeure des services centraux du ministère, justifiant les premières mesures correctives 9.

Sans entrer dans le détail des analyses précitées, on peut mettre l'accent sur deux inconvénients majeurs du système actuel. Le premier, immédiatement perceptible, est d'établir de fait « l'occultation documentaire » d'une partie importante des ressources documentaires qui existent dans les universités. Ces bibliothèques particulières, en effet, ont le plus souvent des collections non signalées, difficilement accessibles et indisponibles. Ce cloisonnement induit un évident gaspillage de ressources et exclut toute politique documentaire à l'échelle de l'université.

Le second, moins visible mais plus fondamental, est d'avoir généré une absurde dichotomie dans la gestion des ressources documentaires. Ainsi les bibliothèques universitaires, qui disposent de locaux adaptés et d'un personnel spécialisé, ne peuvent-elles valoriser ces moyens faute de crédits documentaires suffisants (avec 71 % du personnel qualifié, dont la quasi-totalité du personnel scientifique, elles n'assurent qu'environ 40% des acquisitions de documents). De leur côté, les bibliothèques d'UER, d'institut ou de laboratoire, sont dans une situation exactement inverse. Elles acquièrent près de 60 % de la documentation mais ne peuvent pleinement valoriser ces ressources, faute de personnel qualifié et de locaux appropriés 10.

C'est donc trop peu de dire que les deux ensembles coexistent en s'ignorant. Ils sont en réalité l'un et l'autre en situation de déséquilibre, et par le fait sous-valorisés. Cette situation est d'autant plus regrettable, en termes d'efficacité, que ces déséquilibres sont rigoureusement symétriques et complémentaires. D'un côté on a une organisation bien rodée et performante mais dépourvue de pouvoir d'achat, de l'autre un pouvoir d'achat important mais dépourvu de support organisationnel adéquat...

Vers une gestion unifiée

L'exposé des motifs du décret du 4 juillet 1985 souligne, à juste titre, une lacune de la réglementation antérieure. Celle-ci avait en effet créé un service commun, mais « qui s'occupait seulement d'une partie des documents », à savoir ceux de la bibliothèque universitaire ou interuniversitaire.

Le nouveau dispositif tend, au contraire, à réunir dans « un système documentaire unique » la gestion de toutes les ressources documentaires de l'université (titre I du décret). Ce recentrage sur l'université doit ménager, cependant, les acquis et les potentialités de la coopération interuniversitaire (titre II).

Promouvoir l'unité

Le nouveau schéma d'organisation fixé par le titre I du décret du 4 juillet 1985 s'inspire des propositions contenues dans le rapport établi en 1980 par une mission mixte d'inspection générale (administration et bibliothèques). Sa pièce maîtresse est la création, dans toutes les universités, d'un service commun de documentation. L'innovation essentielle consiste à réunir dans ce service commun « toutes les bibliothèques et tous les centres de documentation fonctionnant dans l'université 11 ».

Cependant, la structure du SCD laisse place à une importante diversité interne. Une partie du SCD, appelée à constituer une « bibliothèque de l'université » est entièrement unifiée sous une direction commune. Mais une autre partie, constituée de bibliothèques « associées », continuera d'être administrée de façon séparée, n'entretenant avec la bibliothèque de l'université que des relations de coopération.

La promotion de l'unité de gestion des ressources documentaires est ainsi engagée selon un double processus : d'intégration, par le moyen de la constitution d'une bibliothèque d'université, et de coopération par le développement de la coordination entre cette dernière et les bibliothèques associées.

La voie de l'intégration : l'enjeu de la formation des bibliothèques d'université

Les bibliothèques d'université vont être formées par la réunion de bibliothèques antérieurement distinctes. Elles incorporeront en premier lieu l'ancienne bibliothèque universitaire ou, dans le cas d'une bibliothèque interuniversitaire préexistante, une partie de celle-ci. Mais elles pourront également incorporer, et c'est la nouveauté significative, certaines bibliothèques d'UFR, d'institut ou de laboratoire. Ces dernières, selon la terminologie du décret, deviendront bibliothèques intégrées.

L'enjeu lié à la formation des bibliothèques d'université est ainsi décisif. Dans le cas où aucune bibliothèque particulière n'est intégrée, la bibliothèque de l'université conserve les dimensions de l'ancienne bibliothèque universitaire et l'on maintient à l'identique, au sein du SCD, le clivage ancien bibliothèque universitaire/bibliothèques particulières. Dans le cas contraire où toutes les bibliothèques particulières sont intégrées, la formation de la bibliothèque de l'université réalise, au contraire, une unification complète de la gestion de toutes les ressources documentaires de l'université et l'objectif de la réforme est entièrement réalisé.

Le décret laisse à chaque université le soin de choisir, entre ces deux limites extrêmes, la solution qui lui paraîtra opportune. Il n'est donc pas possible, dès maintenant, de préjuger de l'utilisation qu'elles feront de la procédure d'intégration. On peut cependant redouter, à l'examen des conditions posées pour les intégrations, que celles-ci, en pratique, ne soient guère fréquentes.

Sans doute l'intégration est-elle toujours possible : au moment de la création du SCD ou plus tard, dans le cadre de ce dernier. Mais sa réalisation apparaît singulièrement difficile à opérer. Expression institutionnelle de la politique documentaire de l'université, l'intégration est logiquement décidée par son conseil d'administration, après avis du conseil de la documentation et sur le rapport du directeur du SCD. Mais le décret requiert, au surplus, l'accord du conseil de l'unité dont relève la bibliothèque. Ce dernier dispose donc, au nom de ses intérêts documentaires particuliers d'un véritable droit de veto. Ainsi, même dans le cas d'une politique documentaire volontariste des universités, axée sur le regroupement des bibliothèques particulières, l'issue de la procédure d'intégration demeurera-t-elle suspendue à l'acquiescement des autorités gestionnaires de ces dernières. Cette disposition risque de favoriser, sinon même de figer, le statu quo actuel dont on a assez souligné les inconvénients. Le premier avant-projet du texte, nettement plus incitatif, se bornait à exiger l'avis du conseil de l'unité dont relèvent les bibliothèques particulières. Moins favorable à la conservation des situations acquises, cette formule était nettement plus adéquate aux objectifs de la réforme et l'on peut regretter son abandon. Ce regret est d'autant plus vif que le substitut de l'intégration, l'association, semble 'n'entraîner que des conséquences assez réduites par rapport à la situation actuelle.

La voie de l'association : l'enjeu de la coopération entre les bibliothèques d'université et les bibliothèques associées

Les unités documentaires fonctionnant dans le cadre des universités, et qui ne seront pas intégrées, ne demeureront pas pour autant extérieures au SCD. Le décret prévoit pour elles un statut d'association, permettant d'inclure leur activité dans le cadre de la politique documentaire des universités.

L'acquisition de ce statut de « bibliothèque associée » s'opère de deux manières distinctes. Pour les services documentaires relevant des diverses composantes internes de l'université (UFR, instituts, laboratoires, etc.), l'association présente un caractère obligatoire et automatique (article 3, 4e alinéa du décret). De ce fait, l'association ne peut pas être refusée et n'a même pas besoin, pour exister, d'être matérialisée par la rédaction d'un acte particulier. Il s'agit donc, en vérité moins d'une association au sens juridique du terme (accord librement conclu en vue d'une fin déterminée) que d'une sorte d'intégration partielle unilatéralement imposée. En revanche, pour les services documentaires relevant d'unités ou organismes reliés contractuellement à l'université, l'entrée dans le service commun de documentation est réellement consensuelle. Elle est en effet librement négociée et matérialisée par la rédaction d'un véritable contrat.

Le décret, s'agissant de l'acquisition du statut d'association, va donc aussi loin qu'il est possible dans la voie de l'unification. Toutes les unités documentaires de l'université et certaines unités extérieures à elle sont désormais parties prenantes au SCD. Il reste cependant à apprécier les conséquences de cette association.

Du point de vue de l'organisation, ces conséquences sont doubles. En premier lieu les bibliothèques associées participent à la gestion des affaires du SCD. Elles sont représentées au conseil de la documentation où leurs mandants disposent des mêmes droits que ceux des services documentaires intégrés.

En second lieu la bibliothèque associée doit satisfaire à certaines obligations liées à son insertion dans le SCD. Selon l'article 8 du décret, ses personnels « collaborent avec le responsable de la section documentaire, celui-ci étant chargé d'élaborer les directives techniques nécessaires à la mise en œuvre de la politique de l'université ». Cette formulation autorise des pratiques diversifiées. « L'obligation » de collaboration avec le responsable de la section documenaire est en effet des plus imprécises. Elle peut signifier simplement qu'on cherchera un accord, ou bien qu'il conviendra d'en trouver un, dont le contenu minimum n'est au surplus pas précisé... Quant à la subordination aux directives techniques elle pose tout à la fois un problème de définition (qu'est-ce qu'une directive technique ?) et de sanction au cas où ces directives ne seraient pas suivies (le décret est muet sur ce point).

Du point de vue du fonctionnement, la bibliothèque associée est soumise à deux obligations : d'une part elle doit, en tant que partie prenante du SCD, mettre ses ressources à la disposition des « usagers et personnels » de toute université (article 1er), d'autre part elle doit fournir au directeur et au conseil du SCD « toute information sur les acquisitions documentaires et sur les moyens d'accès à l'information financés par le budget de l'université » (article 2).

Il résulte de cette analyse que l'association n'entame guère l'autonomie de la bibliothèque associée. Celle-ci conserve un budget distinct, un personnel propre et une politique documentaire librement déterminée. Le réformateur a donc opté pour une formule d'association ne produisant, par elle-même, que des conséquences très réduites, laissant à la libre négociation des diverses parties prenantes le soin de l'enrichir. Ce choix, qui a l'avantage de ménager les susceptibilités et de permettre des évolutions progressives, comporte également un risque : celui de voir la réforme s'enliser dans une situation très proche du statu quo actuel. Ainsi, s'agissant de l'unification interne de la documentation, le décret engage la réforme mais ne la réalise pas. Ce sont les arrangements librement conclus au sein de chaque université qui déterminent son contenu et donc sa portée réelle.

Le réaménagement de la coopération documentaire interuniversitaire

L'unité de gestion des ressources documentaires n'est pas souhaitable uniquement au sein de chaque université mais également, dans certaines hypothèses, entre plusieurs universités. Le décret a ainsi entendu éviter que le recentrage des services documentaires sur les universités n'occulte les acquis ou les potentialités de la coopération entre universités.

La préservation des acquis : les services communs interuniversitaires (SICD) succédant aux actuelles bibliothèques interuniversitaires

L'article 12 du décret réserve un sort particulier aux formes de coopération destinées à relayer les actuelles bibliothèques interuniversitaires. Celles-ci, on le sait, constituent un service intégré, commun à plusieurs universités. Elles représentent donc une forme très poussée de mise en commun des ressources documentaires de plusieurs universités. Même si la formule ne donne pas toujours pleinement satisfaction, il n'est pas non plus évident que sa disparition pure et simple puisse n'entraîner que des effets bénéfiques. Qu'il s'agisse en effet de rechercher des économies d'échelle ou de développer des complémentarités, la dimension interuniversitaire est de nature à valoriser les actions documentaires conduites au sein de chaque université.

Le décret, pour ces raisons, exclut la dissolution pure et simple des actuelles bibliothèques interuniversitaires. Cette précaution résulte du 3e alinéa de l'article 12 précité qui rend obligatoire la création d'un SICD dès lors que préexiste, dans le cadre d'universités situées dans la même agglomération urbaine, une bibliothèque interuniversitaire. Ce dispositif contraignant, on peut le noter, ne fait que reprendre celui qu'avait déjà institué le décret du 23 décembre 1970 organisant la création des actuelles bibliothèques interuniversitaires. Cependant, si la création du SICD est imposée, son aménagement est largement dépendant de la volonté des universités intéressées. Celles-ci pourront ainsi opter pour des formes de coopération plus ou moins développées.

La circulaire du 31 octobre 1985 entend néanmoins éviter que le SICD ne puisse devenir une coquille vide... Elle prescrit, à cet effet, un minimum de fonctions obligatoirement dévolues au SICD:
- la création de nouvelles unités documentaires intéressant plusieurs établissements,
- la définition du schéma de référence en matière d'équipements, de réseaux documentaires et d'utilisation des techniques nouvelles,
- la formation professionnelle initiale et continue, en coopération éventuellement avec certaines unités des établissements contractants,
- la gestion des moyens techniques qu'il paraît utile de regrouper et de promouvoir,

- les catalogues collectifs,
- la conservation et l'élimination des documents vieillis.

Au-delà de ce seuil, toutes autres fonctions sont susceptibles d'être confiées au SICD, jusqu'à la limite extrême que constitue l'intégration totale de toutes les fonctions documentaires des universités contractantes.

La mise en oeuvre de ce dispositif paraît susceptible de rencontrer certaines difficultés. La création du SICD doit résulter, on l'a souligné, d'une convention entre les universités gérant les actuelles bibliothèques interuniversitaires. Que va-t-il se passer en cas d'échec de la négociation entre universités ? Pour un an, les actuelles bibliothèques interuniversitaires vont subsister en l'état (article 18). Mais au-delà ? Le décret est muet sur ce point. On peut d'ailleurs, de façon connexe, s'interroger sur la légalité de l'obligation imposée aux universités de s'associer pour créer un SICD.

Le décret du 4 juillet 1985 se réfère en effet explicitement à l'article 44 de la loi sur l'enseignement supérieur relatif à la création des services communs. Or cet article fixe la procédure de création de tels services et ne renvoie à des décrets d'application que pour « les modalités de création et de gestion des services communs ». Il peut donc être constesté qu'un texte régissant les modalités de création d'un service commun puisse remettre en cause le principe, formulé par la loi (article 43), du caractère volontaire et facultatif de la création de tels services. Quoi qu'il en soit, des difficultés sont à craindre quant à la création des SICD. Par ailleurs, la notion de « coopération minimum » avancée par le décret et, plus encore, par la circulaire du 31 octobre, peut également faire difficulté. Dans le cas où les universités souhaiteraient descendre au-dessous de ce seuil minimum, l'administration centrale paraît en effet désarmée, au moins juridiquement, pour les en empêcher. La procédure de création du SICD n'exige en effet, préalablement à la conclusion de la convention, qu'un avis simple du ministre chargé des universités. Ce dernier ne peut donc faire obstacle à une convention qui méconnaîtrait les prescriptions de la circulaire du 31 octobre 1985. L'avant-projet de décret était à cet égard nettement plus rigoureux puisqu'il subordonnait l'entrée en vigueur de la convention à l'approbation du ministre.

Les acquis de la coopération au sein des bibliothèques interuniversitaires ne sont donc peut-être pas aussi solidement garantis qu'on pourrait l'imaginer. Sans doute les universités seront-elles incitées dans leur intérêt à valoriser les avantages de la coopération, notamment au regard de l'économie de moyens qu'elle entraîne (absence de duplication d'équipes spécialisées, missions communes, etc.). Cependant toute décision en sens inverse ne peut être exclue. La façon dont va se dérouler la mise en place des SICD, dans les prochains mois, va donc être décisive pour le succès de la réforme sur ce point.

L'élargissement de la coopération documentaire entre

établissements : les services communs interuniversitaires de droit commun

Le décret du 4 juillet a prévu un cadre juridique pour l'établissement de nouvelles formes de coopération entre universités. Les deux premiers alinéas de l'article 12 en précisent les caractéristiques.

La première et la plus importante réside dans le caractère facultatif de cette coopération. La seconde est de paraître réserver cette faculté, assez curieusement, aux universités ayant leur siège dans une même agglomération (article 12, alinéa 1). Quant aux universités seules dans leur agglomération, elles ne peuvent créer entre elles un SICD mais seulement participer au SICD d'une agglomération comportant plusieurs universités. Cette restriction semble répondre au souci de centrer la coopération sur des établissements importants. La portée pratique de ce dispositif nous paraît devoir rester modeste, au moins dans l'immédiat. Il n'est en effet que la reprise de dispositions similaires prévues par le décret du 23 décembre 1970, lesquelles, à notre connaissance n'ont jamais été utilisées...

Il apparaît ainsi que, tant en ce qui concerne l'unification interne des services de documentation des universités qu'en ce qui concerne leur coopération, le décret du 4 juillet 1985 n'a innové qu'avec beaucoup de prudence. Il n'a, par lui-même, créé qu'assez peu d'obligations nouvelles et même, s'agissant de la coopération, il a rendu possible l'allègement de contraintes antérieures. En revanche, il a mis en place des mécanismes qui, sur la base du volontariat, autorisent la coopération ou même l'intégration d'unités fonctionnant actuellement de façon autonome et isolée. Le sort de la réforme, en ce qu'elle vise à la réunification de la gestion des ressources documentaires, est ainsi placé entre les mains des universités. Ces dernières disposent au surplus, c'est le second volet des innovations introduites par le décret du 4 juillet 1985, de moyens accrus pour bâtir une politique documentaire.

Donner aux universités la maîtrise de la politique documentaire

Le décret du 4 juillet 1985 réforme profondément la gestion des ressources documentaires des universités. Ces dernières, paradoxalement, étaient très peu impliquées dans cette gestion. Les bibliothèques particulières existant en leur sein étaient en effet gérées directement par les autorités des sous-ensembles auprès desquels elles fonctionnaient : laboratoires, instituts, UER, etc. Quant aux bibliothèques universitaires et interuniversitaires, ainsi que le souligne l'exposé des motifs du décret, elles dépendaient « beaucoup plus de l'administration centrale (services des bibliothèques) que des autorités responsables » de l'université. Le nouveau dispositif, au contraire, confère aux universités la responsabilité principale de la gestion de leur documentation.

Une implication limitée

L'insignifiance du rôle joué par les universités dans la gestion de leurs services documentaires apparaît d'abord comme un héritage historique. Au moment où furent créées les bibliothèques universitaires, c'est en effet délibérément que les instances universitaires furent écartées de la gestion de leur documentation. Il en est résulté une tradition que la réforme de 1970 n'a pas suffi à renverser.

La mise à l'écart des origines

On pourrait estimer en paraphrasant une formule célèbre que, pour les initiateurs des bibliothèques universitaires, « la documentation était une chose trop sérieuse pour être confiée aux universitaires ». C'est en effet la crainte d'une gestion erratique de la documentation par les instances universitaires qui les a conduits à adopter une formule de gestion directe par l'autorité centrale des bibliothèques universitaires.

En vérité, cette défiance des origines visait moins les universitaires que le particularisme des diverses facultés. Celles-ci, jusqu'en 1968, ont constitué l'élément de base du système universitaire. Le risque était donc réel, en confiant la responsabilité de la documentation aux instances universitaires, d'aboutir à un système documentaire éclaté dans lequel chaque faculté aurait créé et développé sa propre bibliothèque. C'est pourquoi, dans la logique de leur projet d'une bibliothèque commune à toute l'université, les autorités ministérielles ont opté pour une gestion centralisée. Elles ont ainsi placé la bibliothèque universitaire sous la responsabilité directe du recteur. Ce principe est affirmé de la façon la plus nette par l'arrêté du 23 août 1879, signé Jules Ferry, qui énonce dans son article 1er que « les bibliothèques universitaires ou bibliothèques de faculté sont placées sous l'autorité du Recteur ».

Sur ces bases l'administration des bibliothèques universitaires va être organisée de façon étroitement centralisée : personnel nommé et géré par les services du ministère; responsabilité de l'organisation du fonctionnement et du financement des services assurée directement par l'administration centrale.

Quant aux autorités universitaires, elles ne sont associées à la marche des services documentaires que de façon assez formelle :
- le Conseil de l'Université proposait le règlement de la bibliothèque (circulaire du 31 décembre 1885) et son budget (circulaire du 20 novembre 1886). Cette seconde attribution, en pratique, laissait très peu de place à son initiative puisque l'essentiel des ressources de la bibliothèque universitaire échappait à son emprise (droit de bibliothèque et subvention du ministre);
- la commission de la bibliothèque, associant le bibliothécaire et des enseignants, avait en théorie un rôle important puisque la circulaire du 20 novembre 1886 lui reconnaissait « la direction scientifique de l'établissement ». Dans les faits elle n'a jamais joué qu'un rôle consultatif, au demeurant,restreint, en matière d'acquisitions (formule officialisée par l'arrêté du 1er août 1962).

Les bibliothèques universitaires, traditionnellement, ont donc été organisées non comme des services des universités, mais comme des services de l'État dans les universités. Cette conception n'a commencé à s'infléchir qu'après la réforme universitaire de 1968.

La mise à l'écart perpétuée

La loi d'orientation de l'enseignement supérieur du 12 novembre 1968 a entraîné, par contrecoup, une réforme des bibliothèques universitaires. Un aspect important de cette réforme a été de rechercher une meilleure intégration des bibliothèques (universitaires ou interuniversitaires) dans l'institution universitaire. Trois dispositions des décrets du 23 décembre 1970 et du 10 février 1972 (bibliothèques des académies de Paris, Créteil et Versailles) traduisent cette orientation.

En premier lieu est créé un « conseil de la bibliothèque » qui remplace l'ancienne « commission de la bibliothèque ». Sa représentativité est améliorée (le personnel des bibliothèques et les étudiants y sont représentés...) et ses compétences étendues. Il propose le budget de la bibliothèque et « se prononce sur les règles de fonctionnement de la bibliothèque ». Cette dernière formule, ambiguë, a été interprétée par la circulaire du 29 avril 1974 comme lui conférant un véritable pouvoir de décision en certains domaines : horaires d'ouverture, conditions d'accès offertes à certaines catégories de lecteurs, régime du prêt et de la communication...

En second lieu, les universités acquièrent, en principe, la maîtrise budgétaire des bibliothèques universitaires ou interuniversitaires. Le budget de ces dernières est en effet adopté par le conseil de l'université. En troisième lieu, enfin, les instances universitaires acquièrent un droit de regard accru dans le fonctionnement de la bibliothèque universitaire : elles émettent un avis sur la nomination de son directeur, lui délèguent la gestion de l'établissement et le conseillent dans les achats par l'intermédiaire des commissions consultatives spécialisées.

Ces innovations, cependant, n'ont pas suffi à infléchir profondément le mode de gestion des bibliothèques universitaires. L'administration centrale, en effet, y a conservé les principaux leviers de décision que sont la direction et la gestion du personnel ainsi que la maîtrise de leurs ressources financières. Au surplus, et c'est sans doute l'essentiel, la réforme de 1970 n'a pas réellement affecté la ligne hiérarchique d'exercice de l'autorité. Les directeurs de bibliothèque et, par leur intermédiaire l'ensemble du personnel, ont continué de relever de l'autorité centrale, cependant que les autorités universitaires demeuraient démunies de l'essentiel des prérogatives hiérarchiques à leur endroit. Le décret du 4 juillet 1985, prenant acte de l'ensemble de ces limites, se propose d'accroître sensiblement le rôle des instances universitaires.

Maîtriser la politique documentaire

L'acquisition par les universités de la maîtrise de leur activité documentaire passait nécessairement par le renforcement de leur rôle à un triple point de vue : organisationnel, financier et fonctionnel.

Responsabilités dans l'organisation

Le décret du 4 juillet 1985 attribue aux autorités universitaires des compétences étendues pour concevoir et fixer elles-mêmes l'architecture organisationnelle de leurs services de documentation. L'article 1er du décret réserve en effet au conseil d'administration le soin de créer le service commun de documentation.

Cette compétence entraîne, logiquement, celle d'en fixer le statut (article 1er de l'arrêté du 4 juillet). L'élargissement de compétence apparaît à un double point de vue. En premier lieu la compétence universitaire pour créer le service commun de documentation est désormais exclusive alors que, sous l'empire des textes antérieurs, elle était partagée (les universités étaient compétentes pour élaborer les statuts des bibliothèques universitaires et interuniversitaires, mais ces statuts devaient être approuvés par le ministre chargé des universités). En second lieu cette compétence est élargie. Elle ne portait, antérieurement que sur une partie des services documentaires (les anciennes bibliothèques universitaires) alors que le nouveau texte leur permet de statuer sur l'ensemble des services documentaires et notamment sur les bibliothèques particulières d'UER, d'institut ou de laboratoire. Ainsi la conception d'ensemble du système de documentation des universités relève-t-elle désormais des autorités universitaires.

Diverses limitations encadrent cependant la liberté d'action des universités. L'une est relative à la création des sections documentaires. Ces dernières sont appelées à jouer un rôle central dans la mise en oeuvre de la politique documentaire des universités. Constituées par disciplines ou groupes de disciplines, les sections vont en effet constituer les services opérationnels du service commun de documentation, chargés d'acquérir, de gérer et de communiquer les différents supports de documentation acquis par les universités.

Pour des raisons aussi bien techniques (éviter de descendre au-dessous d'une certaine taille critique) que scientifiques (maintenir une certaine interdisciplinarité) le décret opte pour un nombre très restreint de sections documentaires. L'article 4 du décret précise cette option en indiquant que les sections documentaires seront « en nombre limité ». Aussi, pour éviter tout dérapage, un droit de regard est conservé par le ministère sur la création des sections documentaires. Celle-ci devra être soumise à l'approbation préalable du ministre chargé des universités.

Une autre limitation, déjà évoquée, se rapporte à la répartition des services entre la composante intégrée du service commun de documentation et les bibliothèques associées. Le conseil d'administration de l'université ne pourra ni intégrer des bibliothèques particulières contre le voeu de leurs actuels gestionnaires ni conférer le statut de bibliothèque associée à des services actuellement compris dans une bibliothèque universitaire ou interuniversitaire (article 3).

Responsabilités dans le financement

Un budget, on le sait, constitue la traduction financière d'une politique. Il aurait été vain de confier aux universités la responsabilité de leur politique documentaire sans leur attribuer, en même temps, la capacité financière de la conduire. Le décret du 4 juillet 1985 s'inscrit, à cet égard, dans la perspective d'une évolution déjà largement amorcée d'accroissement du rôle des universités dans le financement de leurs services documentaires.

En ce qui concerne la détermination du niveau des ressources affectées à la documentation, ce rôle s'est borné, pendant longtemps, au vote d'une subvention. Celle-ci, cependant, ne constituait la plupart du temps qu'un apport secondaire de financement 12. Une extension importante de leur responsabilité a résulté de la réforme du droit de bibliothèque. Depuis 1982 (année universitaire 82-83), les arrêtés relatifs au montant du droit de scolarité dans les universités indiquent que la part de ce droit revenant à la bibliothèque universitaire ou interuniversitaire est déterminée librement par le conseil de l'établissement à la seule condition de respecter un certain plancher (égal en pratique à 16 % du droit de scolarité).

Le décret du 4 juillet va encore accroître leur marge de manœuvre en réformant la procédure d'attribution de la subvention ministérielle. Celle-ci ne sera plus attribuée unilatéralement par l'administration centrale mais négociée avec l'université dans le cadre d'une procédure contractuelle globale, incluant l'ensemble des activités universitaires.

En ce qui concerne l'affectation de ces ressources, la procédure nouvelle ne diffère pas sensiblement de l'ancienne. Le budget est préparé par le directeur du service commun de documentation, soumis pour avis au conseil de la documentation et adopté par le conseil d'administration. Le contexte dans lequel se déroule cette procédure est cependant très différent. L'action sur les recettes, autrefois quasi inexistante, va devenir un temps fort de la procédure d'élaboration budgétaire, impliquant étroitement les autorités universitaires.

L'exécution du budget, enfin, marque une extension du rôle des instances universitaires. Dans le dispositif issu du décret du 23 décembre 1970 le directeur de la bibliothèque universitaire ou de la bibliothèque interuniversitaire était de droit l'ordonnateur secondaire du budget propre de la bibliothèque (article 5). Cette formule rendait superflue toute investiture par une autorité universitaire et, corrélativement, excluait tout contrôle de sa part. Le nouveau dispositif institué par le décret du 4 juillet 1985 modifie cette situation. Le directeur du service commun de documentation demeure l'ordonnateur secondaire du budget documentaire mais il acquiert cette fonction par désignation du président de l'université (article 10). Le terme « désignation », repris du décret du 22 janvier 1985 relatif au budget et au régime financier des EPSCP paraît signifier la possibilité, pour le président de l'université, d'accorder la qualité d'ordonnateur secondaire soit par une délégation de pouvoir, soit par une simple délégation de signature. L'attribution de cette délégation est appelée en pratique à revêtir un caractère systématique. Il y aurait en effet contradiction à ce que le directeur du SCD nommé sur un avis favorable du président ne reçoive pas de ce dernier tous les moyens requis pour assumer pleinement sa mission.

Responsabilités dans le fonctionnement

Si l'ancienne structure bibliothèque universitaire a pu apparaître, jusqu'à aujourd'hui, comme un service de l'État dans l'université, il est clair que l'option du décret du 4 juillet 1985 est d'en faire un service de l'université. Le service de documentation devient ainsi, ce que n'ont jamais été les bibliothèques universitaires ou interuniversitaires, un service réellement intégré dans l'institution universitaire.

Le fonctionnement du service commun de documentation est clairement placé sous l'autorité du président de l'université (article 2). Le directeur du service commun de la documentation, par voie de conséquence est lui aussi « placé sous l'autorité directe » du président de l'université. Il exerce ses fonctions par délégation (direction du personnel affecté au service commun de la documentation, répartition de ce personnel entre les sections documentaires et gestion du service).

Afin de renforcer cette intégration à l'institution universitaire, sa désignation est désormais conditionnée par un avis favorable du président de l'université (article 9) 13, procédure qui n'est pas sans analogie avec la procédure d'affectation des personnels enseignants de l'université (le décret de 1970 exigeait également un avis de l'université, mais il n'était pas nécessaire que cet avis soit favorable...). Dans le même esprit, la responsabilité des sections documentaires est également conférée par le président de l'université (article 11). Enfin l'obligation faite au directeur du service commun de la documentation de présenter chaque année au conseil d'administration un rapport sur la politique documentaire de l'université (article 10) confirme l'inclusion désormais complète du service commun de la documentation dans la structure institutionnelle de l'université.

L'activité du service commun de la documentation, par ailleurs, se relie étroitement à celle de l'université. Le conseil de la documentation, qui succède à l'ancien conseil de la bibliothèque, remplit comme lui une double fonction de représentation et d'orientation. Par sa composition il reflète la diversité des catégories de personnes intéressées à la bonne marche des services documentaires : personnel des bibliothèques, enseignants, chercheurs, étudiants... L'arrêté du 4 juillet n'apporte pas de bouleversement sensible quant à l'équilibre de représentation entre ces diverses catégories. Il innove cependant en remettant au président de l'université la présidence de droit du conseil de la documentation et en y assurant la représentation du personnel des bibliothèques associées. Par ses attributions, le conseil exerce une fonction d'orientation générale de l'activité du service commun de la documentation. À cet effet il exerce un pouvoir de proposition très étendu portant notamment sur l'organisation et le fonctionnement du service, l'orientation de la politique documentaire, le budget, la coopération, tant interne avec les bibliothèques associées qu'externe avec d'autres organismes documentaires ou autres (l'arrêté du 4 juillet mentionne la région).

Il lui appartient également de se prononcer sur la constitution des commissions scientifiques consultatives. Ces dernières, comme antérieurement, sont constituées par disciplines et ont pour mission la préparation des acquisitions. L'article 4 de l'arrêté les investit d'une fonction nouvelle, à savoir l'évaluation de la mise en oeuvre des politiques d'acquisition qu'elles ont contribué à définir.

La participation qu'autorise le conseil de la documentation et les commissions consultatives spécialisées présente l'avantage d'être organisée et régulière. Son inconvénient est d'être discontinue, assez lourde à mettre en oeuvre et exposée à un certain formalisme. Une innovation intéressante du décret est d'avoir complété cette participation institutionnelle par la mise en place d'interlocuteurs du service commun de la documentation. Désignés par chaque conseil d'UFR, d'école ou d'institut, ces correspondants documentaires sont appelés à assurer une liaison permanente et, par sa forme, personnalisée, entre les divers pôles de l'activité universitaire et le service commun de la documentation. L'article 1er de l'arrêté du 4 juillet précise leur situation au regard du conseil de la documentation. D'une part ils peuvent être désignés à ce conseil comme représentants des enseignants, chercheurs, ou enseignants-chercheurs ; d'autre part, si cette éventualité ne se réalise pas, ils peuvent participer, avec voix consultative, aux délibérations du conseil.

La circulaire du 31 octobre indique cependant que leur mission principale intéressera les acquisitions. L'interlocuteur sera ainsi associé à l'élaboration de la politique d'acquisition des sections et jouera normalement, du fait de sa situation de délégué d'UFR, de laboratoire, d'institut, un rôle important dans la coordination de cette politique avec celle des bibliothèques associées.

Vers une politique de la demande

On a tenté, dans les développements qui précèdent, de mettre l'accent sur les principales orientations ou innovations de la réforme. Il nous apparaît, en définitive, que la portée de celle-ci n'est pas identique quant aux deux objectifs principaux qu'elle poursuit.

S'agissant de l'unification de la gestion des ressources documentaires, tant à l'intérieur de chaque université que par le développement de la coopération interuniversitaire, le décret n'apporte, par lui-même, que des progrès limités. La voie choisie étant celle de l'incitation, il reviendra aux autorités universitaires, dans la phase de mise en oeuvre de la réforme, de décider elles-mêmes jusqu'à quel point elles accepteront de s'engager pour gérer de façon plus rationnelle et mieux coordonnée leurs ressources documentaires.

S'agissant de l'intégration des services documentaires dans l'université, le nouveau texte réalise au contraire une mutation considérable et sans précédent du mode de gestion des ressources documentaires des universités. Traditionnellement centralisé et séparé de l'administration des universités, il est désormais décentralisé et intégré à cette dernière.

Au-delà de ces innovations juridiques et institutionnelles, cette réforme s'inscrit dans un processus plus vaste de transformation des institutions documentaires. Les bibliothèques scientifiques se sont constituées, peut-on dire, dans la logique d'une bibliothéconomie de l'offre. À une époque où les supports d'information étaient peu variés, leur production limitée et leur mode de communication standardisé, la fonction majeure de la bibliothèque était et ne pouvait être que de rechercher l'excellence dans la composition de leur fonds documentaire (qualité et exhaustivité des collections). La mission du bibliothécaire était de constituer les meilleures collections possibles d'où découlait, pour le lecteur, le meilleur service. On peut se demander si cette logique n'est pas devenue complètement périmée dans le contexte contemporain. La diversification des supports d'information, l'immensité de la production documentaire excluent en effet toute réduction de l'institution documentaire à son fonds. L'excellence des collections ne peut plus concerner que certains secteurs de la connaissance et ne rencontre pas nécessairement les attentes du lecteur, lui aussi porteur d'une demande de plus en plus spécifiée et diversifiée. Par ailleurs le « document » n'est plus le seul support d'information et le mode d'accès à l'information (commodité, continuité, proximité) devient une composante décisive de la demande documentaire. La conjugaison de ces facteurs conduit à envisager une bibliothéconomie désormais fondée sur la demande. La fonction majeure de la bibliothèque s'identifie alors à la conduite « d'une politique documentaire » consistant à optimiser de multiples arbitrages: entre publics ayant des besoins distincts, entre des supports d'information ayant des coûts et des caractéristiques différents, entre des conditions d'accessibilité elles aussi variables selon la nature des besoins à satisfaire. Cette bibliothéconomie de la demande suppose, pour réussir, la collecte d'une information poussée sur les attentes des usagers et une évaluation permanente des actions entreprises. Le décret du 4 juillet 1985, au-delà de l'intégration à l'université, crée les conditions d'une meilleure communication avec les usagers. Son incidence décisive pourrait être, grâce à ce levier, d'accélérer le recentrage sur la demande du système de documentation des universités.

  1. (retour)↑  Cf. p. 425 dans la rubrique Informations du présent numéro.
  2. (retour)↑  Cf. Ulysse ROBERT, Recueil des lois, décrets, ordonnances, arrêts, circulaires etc... concernant les bibliothèques publiques, Paris, H. Champion, 1883, p. 109-187.
  3. (retour)↑  Cf. Ernest COYECQUE, Code administratif des bibliothèques, Paris, E. Droz, 1929, t. 1, p. 475-502.
  4. (retour)↑  Ce diplôme, remplacé en 1932 par le Diplôme technique de bibliothécaire, ne doit pas être confondu avec l'actuel CAFB.
  5. (retour)↑  Jean GAUTIER, Nos bibliothèques publiques. Leur situation légale, Paris, Larose, 1902.
  6. (retour)↑  René MOTHES, Essai sur le régime administratif des btbliothèques publiques en France, Paris, LGDJ, 1939.
  7. (retour)↑  Cf. Pierre VANDEVOORDE, Les Bibliothèques en France. Rapport à Monsieur le Premier Ministre, Paris, 1981, p. 253. De 1970 à 1979 les crédits de fonctionnement par étudiant passent de 45,5 à 34,03 F.
  8. (retour)↑  Cf. « Quelles bibliothèques pour l'Université ? », colloque tenu à Paris le 1er et 2 février 1969, Bull. d'inlormation de l'ABF, 1969, p. 162; journée d'étude « Les bibliothèques universitaires et les autres organismes de documentation au sein de l'université », Lyon, 22 février 1975, colloque de Gif-sur-Yvette, 7 et 8 avril 1975, Bull. Bibl. France, 1975.
  9. (retour)↑  Cf. p. 422 du présent numéro l'article de Thérèse BALLY, Avant le décret. La politique documentaire d'université.
  10. (retour)↑  Estimation de 1980, publiée dans le rapport VANDEVOORDE.
  11. (retour)↑  Inspection générale de l'administration, Inspection génerale des bibliothèques, Rapport sur les bibliothèques et les centres de docunientation des universités, juin 1980.
  12. (retour)↑  Citons, à titre de contre-exemple significatif, le cas de la bibliothèque universitaire de Compiègne (en 1985 la part de l'Université représente près de 25 % des recettes).
  13. (retour)↑  Notons cependant que dans le cas d'un SICD, un avis simple, et donc pas nécessairement favorable, est suffisant.