Un camp de base pour les enfants à la Médiathèque

Annie Pissard

Éléments sur les activités des bibliothèques dans le domaine des sciences et techniques : stages de formation permanente ; comités de lecture autour de l'édition de vulgarisation scientifique pour adultes ou pour enfants et adolescents ; mise au point sur la future médiathèque de La Villette et sur son espace-enfants ; mini banque de données sur les sciences et techniques.

Some details about activities in libraries, especially in the science and technique field; reading committees about edition of scientific popularization for adults or children and teenagers; the future mediacenter of La Villette and its special space for children : the state of the art ; a mini database on science and techniques.

BBF. A propos du secteur enfants de la médiathèque de La Villette, on entend parler d'espace ouvert. Comment s'est constitué ce projet ?

Annie Pissard. Au départ du projet de la médiathèque, lorsque François Reiner a consulté la Joie par les livres, toutes les questions étaient ouvertes et mon premier travail était de réfléchir à la place des enfants dans cet ensemble. Il y avait quand même une évidence, c'était la nécessité d'avoir un secteur organisé pour les enfants dans une médiathèque aussi vaste. Certes, on sait que, dans le domaine des sciences et des techniques plus peut-être que dans tout autre, les besoins documentaires des enfants, qui peuvent être très spécialisés quelquefois, et ceux des adultes, qui à l'inverse peuvent être très élémentaires, se rejoignent ou se recouvrent, au moins partiellement ; mais on sait également, et l'expérience des bibliothèques publiques est là pour le montrer, que les enfants aiment avoir un territoire bien à eux. L'existence d'une section enfantine est pour nombre d'entre eux un repère nécessaire, ne serait-ce que pour s'y mesurer, pour se prouver qu'on a grandi et qu'il est temps d'aller dans la bibliothèque des adultes.

L'idée, c'est de créer un endroit identifiable où les enfants trouvent des collections à leur usage, un accueil assuré par un personnel habitué au travail avec eux, un « camp de base » donc, sur lequel ils s'appuieront pour explorer le reste de la médiathèque et en tirer le meilleur parti. Cela signifie que l'ensemble des ressources proposées aux adultes leur seront accessibles, comme sera possible l'utilisation du secteur enfants par les adultes.

Points de repère

BBF. Quel public attendez-vous ?

AP. Ce n'est pas une question simple ! On peut imaginer que l'on verra deux sortes de publics. Celui qu'on rencontre en grand nombre au Palais de la découverte, des adolescents de 12 à 15 ans, qui seront attirés par le musée et par toutes ses possibilités. Ils viendront à la médiathèque avec des questions très précises qui supposeront une documentation de qualité, des livres aussi bien que des films. Il y aura aussi, je pense, un autre public tout aussi intéressant, mais différent : les enfants du voisinage, ceux qui fréquentent déjà les bibliothèques du 19e arrondissement ou celles des villes avoisinantes; ils viendront à La Villette non pas sous l'impulsion d'un intérêt particulier pour les sciences et les techniques, mais parce qu'ils utilisent toutes les possibilités qui leur sont offertes. On peut s'attendre à ce que, comme dans les autres bibliothèques, ils y séjournent longuement et aient besoin de beaucoup de conseils, de propositions d'activités. Tout cela sera fonction de l'évolution du quartier... La difficulté, et l'intérêt pour nous, sera de faire cohabiter et de satisfaire deux publics aux exigences différentes, et parfois même opposées.

BBF. Sur quelles expériences antérieures pouvez-vous vous appuyer ?

AP. D'abord l'acquis des bibliothèques locales qui connaissent bien une partie de notre futur public. Tout le travail fait dans les sections jeunes des bibliothèques municipales sur le plan de l'accueil est à utiliser : on a réussi à créer des lieux où les enfants se sentent bien, où le dialogue avec les adultes est aussi facile que possible. En revanche, l'autre composante, les sciences et techniques, est en général une moins grande réussite. Cela tient à des raisons bien connues, dont la formation littéraire de la plupart des bibliothécaires n'est pas la moindre. Mais c'est très net : j'ai souvent observé, dans les bibliothèques où j'ai travaillé, que lorsque des enfants repartaient sans avoir vraiment trouvé ce qu'ils cherchaient, c'était, dans la plupart des cas, sur une question scientifique. On a été toujours un peu en retrait dans ce domaine, on n'avait pas les documents nécessaires ou on n'avait pas le réflexe d'aller chercher dans les fonds de la section adultes. Les expériences de mise en oeuvre d'une documentation scientifique pour les enfants, je suis allée les chercher ailleurs.

Il y a, en France, les bibliothèques pour enfants des muséums d'histoire naturelle de Toulouse, Nantes et La Rochelle 1, et dans un autre contexte, le Relais-nature de Jouy-Vélizy 2. Leurs animatrices insistent particulièrement sur le degré poussé de spécialisation et de précision recherché par certains enfants ou adolescents.

BBF. Et à l'étranger ?

AP. La bibliothèque scientifique pour enfants qui se rapproche le plus de ce que sera celle de La Villette, à ceci près qu'elle ne prête pas, est celle qui a été ouverte il y a 2 ou 3 ans dans le Musée des sciences de Chicago, avec un très grand succès, semble-t-il. En revanche, le Centre de ressources du Musée des enfants de Boston ne correspond pas à notre projet, car il s'adresse plus aux médiateurs, enseignants et animateurs, qu'aux enfants eux-mêmes.

BBF. Revenons à La Villette. Quels seront les liens avec les salles de découvertes destinées aux enfants dans le musée même ?

AP. Nos rapports se posent en termes de complémentarité. Dans les 1 000 m2 qui leur seront consacrés les enfants se verront proposer des manipulations à caractère ludique destinées à les initier à différents principes scientifiques et mécanismes techniques. Nous nous garderons de faire à la médiathèque des animations dans ces domaines. Il y a plusieurs pistes à exploiter pour trouver un style d'animations propre à la médiathèque. Je pense par exemple à tout ce qu'on peut tirer du fait que les enfants auront la possibilité en visionnant les films de faire des arrêts sur l'image. Je pense également qu'il faut en faire un lieu de rencontres : rencontres des enfants avec les différents artisans de l'information scientifique, auteurs, illustrateurs, chercheurs, etc. Pour tous ceux qui se préoccupent de vulgarisation scientifique en direction des enfants, ce sera un excellent champ d'expériences : ils rencontreront des enfants hors du contexte habituel à ce genre d'activités, l'école. C'est de nature à faire progresser l'information scientifique elle-même.

Que propose l'édition ?

BBF. De quoi sera faite la documentation que vous allez proposer aux enfants ?

AP. Elle sera multiforme. Si on commence par les livres, nous constituons un fonds pour enfants correspondant aux 500-600 des bibliothèques. Nous avons essayé d'être sévères sur la qualité et de repérer le meilleur de l'édition actuelle. Tout, ou presque, ce qui est sorti depuis le début de ce travail a été lu par des personnes compétentes sur le plan scientifique et pédagogique. Mais cette catégorie de livres n'épuise pas le sujet; il faut songer que nous devons à la fois répondre à des questions très pointues et intéresser des enfants venus là un peu au hasard. Pour l'adolescent qui connaît tout sur les chemins de fer, qui s'intéresse à la largeur des voies, aux caractéristiques techniques des locomotives à toutes les époques, il faudra avoir des livres sortant de la documentation traditionnelle pour jeunes et puiser dans l'édition pour adultes. Dans un autre registre, nous essayons d'élargir le cadre de notre fonds à des livres un peu « sur le bord » : des livres choisis pour la qualité évocatrice de leur illustration, des beaux livres sur des objets scientifiques ou techniques, retenus même si leur texte paraît trop difficile. Pour les plus jeunes, nous avons établi une sélection d'albums sur des thèmes tels que les machines, les animaux, etc. qui apportent non pas une information scientifique, mais une familiarisation avec ces thèmes approchés par le biais de l'humour et de l'imaginaire. Je pense à Il ne faut pas habiller les animaux 3, ou à Le Monde est comme une orange 4, par exemple... ou pour des plus grands à Moi, Léonard de Vinci 5.

BBF. Après avoir scruté comme vous l'avez fait, l'édition scientifique destinée aux enfants et aux adolescents, quelle impression générale en retirez-vous ?

AP. Quelques réussites, qui font bien augurer de l'avenir, dans un paysage général assez médiocre. La part la plus importante numériquement de la production est constituée par des livres qui n'ont pas su trouver un langage qui leur soit propre : ils ne se démarquent pas des manuels scolaires sur le plan du mode de présentation et du ton. Cela donne des livres trop sérieux dans leur forme et pas assez dans leur fond. Le choix des thèmes est également un problème, qui apparaît de façon criante, dès lors qu'on veut constituer un fonds répondant à toutes les questions prévisibles : il y a des sujets sur lesquels on peut trouver 25 titres - ce qui ne signifie pas 25 approches différentes, hélas ! - alors que d'autres, pourtant très demandés, comme les machines, ne sont presque jamais traités. Il ne faut cependant pas noircir le tableau, il est paru récemment, sur des thèmes habituellement « maltraités » par l'édition pour les enfants, des livres qui me paraissent comme des bouffées d'air : sur le corps humain et la reproduction par exemple - un sujet avec lequel on touche vraiment le fond de la bêtise -, Catherine Dolto 6 a publié un livre qui ne reprend pas tous les préjugés absurdes qui traînent partout ailleurs et qui, de plus, est drôle; sur l'énergie, la Farandole 7 vient de sortir un livre pour les enfants de 9 à 12 ans qui apporte une information très bien présentée, illustrée par des dessins de Pef, sous des angles nouveaux - on y trouve par exemple le mot syndicat, un absent notoire de l'univers des livres pour enfants ; Hatier 8 vient de publier en poche le livre sur les machines fait à partir du Musée de Stockholm. Je vois dans tout cela l'amorce d'un changement. Je pense que l'édition, encore un peu frileuse dans ce domaine, va, poussée par l'engouement du public, sortir ses projets des tiroirs et développer ces thèmes dans les années à venir. On peut imaginer que se reproduiront les phénomènes observés à propos d'autres sortes de livres - comme pour le conte, il y a dix ou quinze ans : quelques livres novateurs serviront de locomotives à l'ensemble de l'édition.

L'esprit de collection

BBF. Comment seront organisées ces collections de livres dans la médiathèque ?

AP. Nous mettons au point un classement thématique qui nous est propre et qui est dans le même esprit que celui du secteur adultes, mais simplifié : une dizaine de thèmes principaux (zoologie, santé, géologie, fabrication, transports, etc.) et des thèmes périphériques (loisirs, collections, jeux et fiction).

Dans le thème jeux, il y aura par exemple tous les livres sur les jeux qui sont intéressants pour l'apprentissage des mathématiques et de la logique. Je tiens beaucoup au thème de la collection. Il est connu que presque tous les enfants font des collections d'objets les plus divers et insolites. Ils rassemblent, trient et échangent. C'est très intéressant de les écouter sur ce sujet-là. Sur la question du tri en particulier, ils ont une réflexion qui peut être exploitée à la fois dans l'apprentissage d'un type de raisonnement scientifique et... de l'utilisation d'une bibliothèque, car la collection débouche toujours sur l'idée qu'il faut absolument un classement et des critères de tri. Ces derniers sont évidemment divers, la taille et la couleur étant sûrement les plus répandus. Les livres sur ce thème ne sont pas très nombreux, mais ce que nous pensons faire plutôt, c'est mettre à leur disposition des vitrines pour qu'ils puissent exposer leurs collections et leur donner un lieu où ils pourront échanger des objets. La médiathèque sera d'ailleurs placée sous le signe de l'échange : échanges de livres, échanges entre enfants et adultes, échanges d'objets de collections...

BBF. Et la fiction ?

AP. Le rapprochement science-fiction vient tout de suite à l'esprit ! Il y aura des livres de science-fiction pour les enfants et les adolescents, mais plus largement ce thème inclura tout ce que j'appellerais le « roman de la science » : les textes faisant intervenir des machines, des savants fous, des inventions délirantes, qui apportent la dimension du rêve à des thèmes scientifiques ou technologiques. Et tout cela sera placé sous la « marque » Jules Verne, bien sûr !

Des films en libre-service

BBF. Nous venons de parler longuement des livres, mais il y aura aussi des documents audio-visuels à la médiathèque, et notamment des films. Comment les avez-vous choisis ?

AP. En suivant la même idée que pour le fonds de livres, c'est-à-dire que nous n'excluons pas les films d'animation ni les films de fiction abordant des thèmes scientifiques ou techniques. Sur ce point encore nous n'avons pas d'exemples car dans les bibliothèques où on a des films, on les projette devant des groupes d'enfants comme un spectacle, tandis qu'à La Villette ils seront offerts comme un moyen documentaire à côté de l'imprimé et pour une utilisation individuelle. Les enfants auront à leur disposition un catalogue de quelque 300 films et chacun composera son programme lui-même et pourra arrêter la projection quand il le voudra. Ce sera certainement très intéressant de les voir faire...

Les gens qui se sont penchés sur le film pour enfants ont travaillé jusqu'à présent sur la fiction, et pas sur le film documentaire ou sur l'aspect documentaire de certaines fictions. Donc, en l'absence de critères préalables, nous avons entrepris de visionner une quantité énorme de films pour faire notre choix et nous avons découvert une production très variée et très riche, y compris dans les disciplines où l'on s'y attend le moins : il y a un nombre étonnant de films sur les mathématiques, et très bien faits. J'ai en particulier le souvenir d'un petit film sur les fractions illustrées par des singes aux prises avec des régimes de bananes, qui était très convaincant et très réjouissant.

Petit à petit, nous avons dégagé nos critères : les documents doivent pouvoir être vus sans intermédiaire ; leur intérêt sera la seule garantie qu'ils soient regardés jusqu'au bout, un film ennuyeux ou perdant son sujet en route sera abandonné avant la fin. Nous avons observé également qu'un film trop long, qui veut dire trop de choses sur un sujet pointu, devient trop difficile à comprendre pour les enfants; le seuil semble se situer aux alentours de 20 minutes.

Interrogations sur la VS

BBF. Un dernier point que nous aimerions aborder avec vous: quelles sont les aides que peuvent trouver les bibliothécaires qui ont du mal à s'orienter dans le domaine des livres scientifiques pour les enfants ou les adolescents ?

AP. On peut utiliser le travail fait par les groupes de lecture qui se multiplient dans ce secteur (Lire pour comprendre ou le groupe animé par Marie Girod dans l'Essonne, pour ne prendre que des exemples en région parisienne). A la Joie par les livres, notre attention a été attirée sur ces problèmes depuis un certain temps par Pierre Guérin qui est responsable des sciences à la rédaction des Bibliothèques de travail. Il m'a aidée à constituer un réseau d'une vingtaine de personnes qui menaient une réflexion sur la liaison sciences-enfants et à qui je peux envoyer les nouveautés pour analyse. Nous nous sommes réunis trois jours avant de commencer, afin de nous mettre d'accord sur nos objectifs et sur notre manière de procéder : nous ne travaillons pas avec une grille, chacun livre son analyse comme il l'entend, la confrontation n'en est que plus féconde.

BBF. Comment procédez-vous ? Vous étudiez un thème ?

AP. Au début, oui. Nous avons voulu parer au plus urgent : nous avons pris les thèmes qui nous semblaient devoir rendre service aux bibliothécaires. C'est ainsi que nous avons analysé les livres sur l'énergie - un sujet dont les aspects scientifiques comme les implications économiques et sociales sont mal maîtrisés dans la documentation destinée aux jeunes - ou le corps humain, très épineux lui aussi, puis sur l'astronautique, sur l'informatique, etc. Tous ces thèmes ont donné lieu à la publication de sélections dans la Revue des livres pour enfants. Maintenant que nous commençons à disposer de points de repère dans la plupart des thèmes, il me semble que nous devons réfléchir de façon plus globale sur les mécanismes de la vulgarisation scientifique, sur les procédés utilisés pour transmettre des informations dans les livres scientifiques pour enfants. L'article de Daniel Raichvarg 9 dans le dernier numéro de la Revue (n° 100), va dans ce sens, celui sur l'illustration (n° 99) aussi.

Des ressorts de l'explication vulgarisatrice, comme l'anthropomorphisme ou l'analogie, suscitent des opinions divergentes: faut-il ou non les rejeter ? L'entreprise de vulgarisation comporte un risque certain d'erreurs.

Faut-il suivre Hubert Reeves lorsqu'il prétend qu'une représentation fausse est préférable à une absence totale de représentation, ou ceux qui, dans la lignée du livre de Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique pensent au contraire que toute idée fausse est un obstacle absolu à la naissance de l'esprit scientifique ? Dans l'état actuel de cette réflexion, la prudence est de rigueur... Mais je pense que la Villette fournira un terrain d'expérimentation aux didacticiens des sciences qui ont interrogé jusque là les livres pour enfants uniquement dans une perspective ou un cadre scolaires. Elle devrait également contribuer à des avancées dans la production des documents scientifiques et techniques destinés au jeune public.

  1. (retour)↑  Adresses :35, Allée Jules Guesde, 31 000 Toulouse. Tél. (61) 52.00.14. 12, rue Voltaire, 44 000 Nantes. Tél. (40) 73.30.03. Marie-Christine de Brunhoff. 20, rue Albert 1er, 17 000 La Rochelle. Tél. (46) 41.18.25. Josette Péré.
  2. (retour)↑  Cf. Aline ANTOINE, Annie ADAM, « Lire pour comprendre... », dans ce numéro.
  3. (retour)↑  Judi BARRETT, Il ne faut pas habiller les animaux, Paris, Ecole des loisirs, 1980. (Réédition en poche : Lutin poche n° 25).
  4. (retour)↑  Yvan POMMAUX, Le Monde est comme une orange Lola !, Paris, Ed. du Sorbier, 1981.
  5. (retour)↑  Ralph STEEDMAN, Moi, Léonard de Vinci, Paris, Aubier, 1983.
  6. (retour)↑  Catherine DOLTO, Comment ça va la santé ? Paris, Hachette, 1984.
  7. (retour)↑  Alain SERRES, L'Aventure des hommes : l'énergie, dessins de D. Maja, J. Mathieu et Pef, Paris, Messidor La Farandole, 1984.
  8. (retour)↑  S. STRANDH, Les Machines, Paris, Hatier, 1984 (Trésors des mécanismes).
  9. (retour)↑  Daniel RAICHVARG, « De la défense des phalènes à quelques obstacles au bon fonctionnement des livres scientifiques documentaires dits LSD », dans : La Revue des livres pour enfants, n° 100, hiver 1984, p. 45-68.