Les bibliobus urbains en France (fin).

Jacques Pons

De nouveaux bibliobus viennent d'être mis en circulation (Marseille, Clermont-Ferrand) ou doivent l'être prochainement (Bordeaux, Brest, Le Havre). Étude de leurs caractéristiques respectives. En conclusion, considérations générales sur les bibliobus urbains : pourquoi a-t-on intérêt à en créer, leur rôle, leurs avantages et inconvénients

De Marseille au Havre.

Ayant achevé, avec Toulouse, l'examen des bibliobus urbains existant en France, il nous faut maintenant passer en revue les bibliobus qui viennent d'entrer en service, comme Marseille, ou sont en cours de réalisation et seront, à plus ou moins longue échéance, mis en circulation.

Marseille 2.

Marseille rassemble 807 499 habitants sur une superficie, nous l'avons déjà mentionné à propos de Toulouse, de 22 800 hectares. C'est donc une très grande ville à la fois par sa population et par les dimensions de son territoire. Pourtant la lecture publique n'y a pas encore trouvé la place qui lui revient, si l'on en juge par l'absence quasi totale de bibliothèques de quartiers, par l'absence également de tout système permettant une quelconque circulation d'ouvrages d'un quartier à l'autre 3.

C'est pour remédier à cette insuffisance et tenter d'obtenir la création d'un « climat » favorable à la Bibliothèque dans son ensemble qu'a été décidée la mise en service d'un bibliobus urbain.

Le véhicule acheté pour cet usage est un autobus Berliet P. C. R. 8 (puissance 120 CV) sorti d'usine en 195I et qui, depuis cette date, fonctionnait comme autobus urbain pour le compte de la Régie autonome des transports de la Ville de Marseille. Les dimensions principales 4 sont : longueur 10,17 m, largeur 2,417 m, hauteur 3 m.

Les travaux d'aménagement de la carrosserie, confiés à une entreprise privée, commencèrent en juin 1962. Ils ont porté principalement sur les points suivants :
I° remise à niveau de l'ensemble du plancher;
2° obturation des fenêtres sur le côté gauche et sur l'arrière, celles de droite étant conservées;
3° condamnation de la porte centrale et transformation de la porte avant droite, conservée comme issue de secours;
4° remplacement des portes arrière droites par une porte à ;double vantail comportant dans la partie supérieure de chaque battant une baie vitrée; cette porte s'ouvre uniquement vers l'extérieur et est munie d'un dispositif automatique de rappel à la fermeture;
5° aménagement, dans l'espace précédemment occupé par l'emmarchement des portes avant et centrale, de « coffres-réserves » accessibles de l'extérieur; le haut de ces anciennes portes a été transformé en vitrines extérieures d'exposition pour couvertures illustrées de livres.

Les travaux de menuiserie, exécutés par les ateliers municipaux spécialisés, ont comporté : l'installation de rayonnages dans la partie du véhicule comprise entre les deux essieux (rayonnages occupant toute la hauteur de la paroi latérale gauche et le bas de la paroi latérale droite), ainsi que sur la gauche et le fond de la plateforme arrière; l'aménagement, sur le passage des roues arrière gauches, d'un bureau de prêt et, sur l'autre passage de roues, d'un vaste coffre de rangement ; enfin l'établissement d'une cloison séparant le fourgon de la cabine du conducteur.

L'éclairage naturel est fourni par les quatre baies latérales conservées et par les ouvertures ménagées dans la partie supérieure des vantaux de la porte. L'aération se fait de façon aisée par ces mêmes baies munies de glaces coulissantes, par deux aspirateurs statiques fixés au plafond et par une trappe circulaire grillagée de 0,35 m de diamètre, pratiquée dans le plancher du véhicule, à l'arrière des roues arrière droites, et munie d'un réglage d'entrée d'air. La protection anti-solaire est assurée par des stores à lamelles orientables qui ont également pour objet d'éviter aux emprunteurs la désagréable impression d'être « en vitrine ». L'éclairage artificiel et le chauffage sont électriques, selon le procédé déjà en service à Toulouse (branchement sur le réseau de l'E. D. F.). L'éclairage comprend deux tubes fluorescents de 1,20 m, placés au plafond dans l'axe du véhicule, l'ancien dispositif en 12 volts, sur batteries, ne devant plus être utilisé que pour l'éclairage de secours.

Le chauffage est assuré par un radiateur à air pulsé réglable (puissance maximum 7,5 kw), placé près de l'entrée, entre la porte et le coffre de rangement, le ventilateur qu'il comporte pouvant d'ailleurs être utilisé isolément pour le renforcement éventuel de l'aération. Une prise de courant permettant le branchement d'un appareil supplémentaire complète l'installation; l'appareillage électrique (compteur, interrupteurs, transformateur) se trouve enfermé dans un coffre aménagé dans la cabine du conducteur sur le côté droit, tandis que les câbles et la prise de raccordement au réseau sont placés dans un coffre extérieur.

Le plancher est couvert d'une moquette en plastique, de couleur havane, montée sur feutre; les menuiseries sont en chêne clair; le dessus du bureau de prêt, du coffre de rangement, ainsi que la tablette supérieure du rayonnage de droite, formant banque, sont revêtus de formica noir; les parties vitrées de la cloison séparant le fourgon de la cabine sont en plastique translucide (« altuglas »).

L'intérieur (plafond et surfaces latérales non garnies de rayonnages) est peint en gris clair; l'extérieur est gris foncé jusqu'au bandeau de ceinture, gris clair au-dessus. De chaque côté du véhicule a été portée l'inscription : VILLE DE MARSEILLE, BIBLIOTHÈQUE MUNICIPALE, accompagnée d'un écusson aux armes de la ville.

L'entrée et la sortie des emprunteurs se font par la seule porte arrière droite 5.

Les rayonnages occupant le côté gauche et l'arrière ont une hauteur de 1,75 m (6 hauteurs de 26 cm et un socle de 19 cm) pour une profondeur de 22 cm et ceux de droite 6 sont hauts de 0,93 m (2 hauteurs de 40 cm et un socle de 13 cm) et profonds de 30 cm. Leur longueur totale est d'environ 50 mètres et ils peuvent recevoir 2 000 volumes 7.

Les ouvrages pour adultes (auxquels, à l'exception de certains romans ont également accès les adolescents) sont groupés dans la partie centrale du véhicule. Leur cadre de classement est le suivant : romans; livres d'histoire; livres d'actualité (reportages, récits de voyages, etc.); livres de documentation (techniques professionnelles et ménagères, orientation scolaire, etc.); livres d'art. Les livres pour enfants, auxquels sont consacrés les rayons situés sur l'arrière du bibliobus, sont classés, d'après l'âge requis théoriquement pour leur lecture, en quatre sections; pour les aînés, une discrimination supplémentaire a été établie entre documentaires et livres d'aventures. Dans chaque section les volumes sont groupés par collections. Il y a, pour l'ensemble, environ 35 % de romans, 35 % de livres pour enfants et 30 % de documentaires. Un catalogue des collections de la Section de lecture publique de la Bibliothèque municipale est en outre dans le bibliobus à la disposition des abonnés qui peuvent ainsi emprunter également les livres de ce fonds.

Les collections alimentant le bibliobus sont prélevées sur un fonds spécial; pour le prêt, c'est le système des pochettes qui est utilisé (variante du système Brown). Chaque lecteur peut emprunter deux ouvrages à la fois et les garder un mois au maximum. Un cautionnement (8 F pour les adultes, 4 F pour les enfants) est demandé lors de l'abonnement et le prêt est gratuit pour tous.

Le bibliobus dessert dix quartiers 8 et les séances ont lieu deux fois par mois, régulièrement, de 16 h 30 à 19 h 30.

Prix de revient : 9
Prix d'achat du véhicule 8 000 F
Frais d'aménagement 20 000 F
Fonds de livres 22 ooo F
Dépenses diverses 10 10 000 F
60 000 F

Il a été pourvu au recrutement d'un chauffeur, chargé de la conduite, de l'entretien et de la surveillance du bibliobus, et d'un agent de bureau pour les inscriptions et le prêt, le personnel de renfort nécessaire (en période d'inscription par exemple) étant prélevé temporairement sur l'effectif de la Bibliothèque municipale.

Le bibliobus urbain de Marseille n'a commencé de fonctionner que depuis quelques semaines mais, d'ores et déjà, le principe de la création d'un second bibliobus a été avancé.

Bordeaux.

Bordeaux est une ville de 249 688 habitants répartis sur 3 889 hectares. L'habitat est assez dispersé, et il est envisagé autour de Bordeaux la formation d'un « district urbain » englobant toutes les communes avoisinantes (Talence, Merignac, Bègles... cette agglomération groupant alors 462 16I habitants). La lecture publique bénéficie dans cette ville d'une remarquable organisation 11. En effet, depuis 1944, a été créé tout un réseau de bibliothèques annexes qui comprend aujourd'hui dix points de distribution de livres et de lecture sur place 12. Toutes ces succursales connaissent un très grand succès et les lecteurs inscrits sont nombreux. « Leur répartition sur le plan de la ville montre qu'à l'heure actuelle la plupart des habitants de Bordeaux peuvent accéder au livre sans avoir à franchir de trop grandes distances. Toutefois ce réseau de bibliothèques devra être complété dans les années à venir 13. » Ainsi s'exprimait, en 1957, M. Desgraves, conservateur de la Bibliothèque municipale de Bordeaux et promoteur de cette organisation.

Or depuis cette date le rythme d'expansion de la ville s'est considérablement accéléré; partout surgissent des quartiers neufs, les banlieues ouvrières se multiplient rapidement, si bien qu'il existe actuellement un décalage entre la construction d'annexes et l'accroissement de la population du « grand Bordeaux 14 ». De là vient la nécessité du bibliobus urbain qui servira en quelque sorte à faire le point en indiquant dans quels quartiers périphériques susceptibles de recevoir une annexe il conviendra d'installer une nouvelle filiale. De plus, il 'permettra de desservir les quartiers où n'existent pas de sections de prêt et où leur création n'est pas envisagée, du moins pour l'instant. D'où un double rôle à la fois sélectif et utilitaire.

Le véhicule déjà acheté est un ancien autobus Renault, R. 4 210, long de 10,75 m et large de 2,53 m. Les travaux d'aménagement sont achevés. Les vitres des côtés ont été déposées, la porte du milieu supprimée et des rayonnages installés le long des deux parois latérales. Le chauffage et l'éclairage seront électriques selon le procédé utilisé à Toulouse. Le bureau de prêt trouvera sa place dans le fond, et deux portes, une à l'avant, une à l'arrière, faciliteront la circulation des lecteurs. Le plancher sera recouvert d'un « Tapiflex », couleur havane. Le bibliobus pourra contenir 2 500 volumes, environ 1 600 romans et 900 documentaires. Il n'y aura pas d'ouvrages pour les enfants ni pour les adolescents et, de même, il n'est pas prévu la création d'un fonds spécial de livres destinés uniquement au bibliobus.

Toutes les questions d'organisation (points de stationnement, horaires, personnel...) sont actuellement à l'étude.

En principe le bibliobus de Bordeaux doit commencer à fonctionner au printemps 1963.

Clermont-Ferrand.

Clermont-Ferrand compte 135 000 habitants et c'est une ville en pleine expansion, qui s'agrandit sans cesse par la création de nouveaux quartiers, souvent très éloignés du centre. La lecture publique n'est pourtant pas très développée, elle ne compte qu'une seule bibliothèque de prêt groupant 1 ooo abonnés environ et située au cœur de la vieille ville.

En attendant la création d'annexes de quartiers, il a été décidé de lancer un bibliobus urbain pour desservir deux secteurs très importants et éloignés de la bibliothèque, avec l'espoir d'y créer, par la suite, de véritables annexes, le bibliobus dans ce cas devant se trouver libre pour aller prospecter d'autres quartiers.

Le véhicule a été acheté en 1960. C'est un ancien autobus de la R. A. T. P., aménagé par les ateliers municipaux, selon le plan déjà utilisé à Saint-Brieuc, avec quelques modifications cependant. Par exemple, si la plate-forme arrière a été maintenue, l'entrée a été déplacée et se fait maintenant par une porte coulissante, ouverte sur le côté droit, vers le trottoir.

Le bureau de prêt est installé sur le passage de la roue arrière droite, près de l'entrée. Le chauffage est assuré par trois radiateurs électriques placés dans les parties basses des rayonnages et dissimulés par des grillages. Les rayonnages sont disposés le long des parois latérales et représentent une longueur totale de 10,50 m. Le sol, enfin, est recouvert de linoléum vert. Le bibliobus pourra contenir 2 500 volumes environ et uniquement des livres pour adultes, qui proviendront d'un fonds spécial, en cours de composition, logé en ville dans un ancien magasin transformé en dépôt pour le nouveau service.

Comme nous l'avons déjà mentionné plus haut, deux points d'arrêt sont actuellement prévus : Montferrand et éventuellement Saint-Jacques. Ces quartiers seront ravitaillés régulièrement toutes les semaines, et le stationnement aura lieu de 16 à 20 heures sur la place centrale 15.

Le personnel comprendra pour le démarrage un seul employé, tour à tour chauffeur et chargé du service des prêts. De plus le matin, il s'occupera du rangement et de la préparation matérielle des ouvrages, de l'approvisionnement du véhicule, etc... L'après-midi, il pilotera le bibliobus puis assurera les prêts.

Le prix d'achat de ce bibliobus a été de 3 550 NF; tous les travaux d'équipement et d'aménagement ont été faits par les ateliers municipaux et sont de ce fait difficiles à chiffrer. Ces mêmes services prendront en charge tous les frais d'entretien, les réparations et fourniront également le garage.

En principe, le bibliobus de Clermont-Ferrand doit commencer à circuler au printemps 1963 16, lorsque les travaux d'aménagement seront terminés et que le fonds de livres qui le ravitaillera sera entièrement constitué.

Brest.

Le projet, ici, verra sa réalisation dans un avenir moins rapproché, peut-être vers la fin de 1963. Dans tous les cas, le travail préliminaire est fait et l'ensemble du projet va incessamment être présenté au Conseil municipal.

Brest est une ville qui compte actuellement 119 255 habitants. L'habitat y est plutôt dispersé et la cité se développe très vite.

Outre la Bibliothèque municipale centrale, il y a deux annexes de quartiers 17. Mais pour diverses raisons (manque de personnel et heures d'ouvertures insuffisantes, en particulier), elles ne rendent pas tous les services attendus. Du reste, même si elles étaient animées d'une vie intense, elles seraient actuellement insuffisantes à cause de l'extension de la ville et, comme partout ailleurs, le bibliobus pourra, pour l'instant du moins, aider à la réalisation du programme d'équipement culturel. De plus deux facteurs plus particuliers à Brest intervenaient en faveur de la création d'un tel service.

I° L'espoir que le bibliobus par sa mobilité et ses passages fréquents dans les quartiers populaires de la ville détruirait la légende selon laquelle la Bibliothèque municipale, reconstruite après la guerre 18, vaste bâtiment à l'aspect imposant, n'est là que pour une certaine classe de la société.

2° L'autre problème, du reste rattaché au premier, et qui se pose également dans d'autres villes de France, à Grenoble en particulier, est la manière d'atteindre la population ouvrière très importante à Brest et qui croît rapidement.

Dans ces deux cas le bibliobus semble représenter la meilleure solution, car, en plus de ses arrêts dans tous les quartiers de la ville, il peut contribuer à une connaissance plus juste de la bibliothèque en dirigeant vers elle de nouveaux lecteurs, en témoignant pour elle en quelque sorte.

Le bibliobus sera aménagé selon les plans de celui de Tours. Il pourra recevoir 3 500 volumes, soit 2 ooo romans, 1 ooo documentaires et 500 livres pour enfants et un fonds spécial l'alimentera régulièrement. Pour le prêt le système Brown sera utilisé.

Le plan prévoit la desserte de 7 quartiers 19, groupant environ 30 ooo habitants. Le bibliobus les visitera deux fois par mois et il stationnera durant deux heures à chaque arrêt (soit de 14 h à 15 h 45 et de 16 h à 18 h - ou bien de 14 h à 16 h et de 16 h 15 à 18 h). Pour le choix de ces points de stationnement plusieurs critères sont intervenus, en particulier l'éloignement par rapport à la bibliothèque, l'industrialisation du secteur, la dispersion de la population et la présence de grands ensembles résidentiels.

Ce sont tous des quartiers à allure urbaine pourtant éloignés du centre de la ville. Avant la détermination précise des points d'arrêt, une enquête très sérieuse a été menée auprès de personnalités compétentes, ingénieurs chargés de l'aménagement du territoire et services municipaux s'occupant de l'urbanisme et du plan d'industrialisation de la cité, en particulier. De plus ont été reçus les désidérata de nombreux Brestois, lecteurs de la Bibliothèque centrale et notabilités locales.

Les questions financières et celles ayant trait au personnel n'ont pas été encore étudiées en détail, toutefois il est prévu, si possible, le recrutement d'un sous-bibliothécaire et le détachement d'un chauffeur du service municipal de la voirie.

Les travaux d'aménagement du bibliobus doivent commencer en mars 1963 et se terminer à la fin de la même année.

Le Havre.

Le bibliobus du Havre est lié à la construction de la nouvelle Bibliothèque municipale dont les travaux doivent commencer en 1963. Dans les plans du nouveau bâtiment, une place lui est réservée à proximité des salles de prêt d'adultes et d'enfants.

Le Havre compte 185 000 habitants (mars 1962) et la lecture publique y dispose actuellement, outre la Bibliothèque municipale centrale, de trois annexes de quartiers 20 et de trois dépôts de livres installés dans des écoles ou des foyers 21. Mais si les succursales fonctionnent d'une manière satisfaisante, les dépôts de livres, par contre, donnent des résultats presque insignifiants.

Pour améliorer cette organisation, il faudrait créer trois nouvelles annexes en ville et un bibliobus pour desservir les quartiers excentriques (St-François, Bd Albert Ier, etc...) d'accès difficile à cause des nombreux bassins maritimes qui les entourent.

En tous cas, dans cette ville, le principe du bibliobus est accepté et sa réalisation est fonction de la construction de la nouvelle bibliothèque.

Dans d'autres villes également, des projets sont à l'étude, plus ou moins avancés selon les difficultés que rencontrent les promoteurs pour faire triompher leurs points de vue. Citons par exemple : Versailles, Rennes, Nantes, Niort, La Rochelle, Valenciennes, Cannes, Pau, etc...

Il convient maintenant de procéder à une étude d'ensemble de ces nouveaux services, afin de dégager les traits généraux qui leur sont communs et d'établir en quelque sorte des normes dans le cadre de la lecture publique urbaine.

Et d'abord, une première question se pose :

I. Quelles sont les causes de la création de ces bibliobus?

Evidemment elles sont très diverses et touchent à tous les domaines. Néanmoins je crois qu'on peut les grouper selon le processus suivant :

a) En premier lieu une raison générale qui est la base de toutes les autres, la pierre angulaire de tout l'édifice de la lecture publique et qui peut se résumer ainsi : les bibliothécaires des bibliothèques municipales prennent de plus en plus conscience de leur rôle et de leurs responsabilités dans le domaine de la culture populaire. Certains ont dû frémir en apprenant que plus de la moitié des Français, selon un récent sondage d'opinion publique, ne lit jamais de livres, d'autres aussi ont dû considérer avec une certaine anxiété le plan de leur ville montrant toutes ces banlieues sans livres et sans bibliothèques 22. Tous se sont sentis au moins une fois responsables de la culture de l'ensemble de leurs concitoyens. Le bibliothécaire a ainsi élargi la foi en sa mission, en lui est né le désir de faire « quelque chose » pour rendre présent le livre par toute la ville. Comment peut-il arriver à ce résultat ? D'abord en intéressant les édiles de « sa » cité aux problèmes de la lecture publique et en tentant d'obtenir d'eux les moyens matériels et financiers nécessaires à l'exécution du plan qu'il a mis sur pied, après recensement des besoins culturels, et qui vise à la construction de nombreuses annexes de quartiers. Mais bien vite ce plan est dépassé pour deux raisons, toujours les mêmes : d'abord les lenteurs administratives et les difficultés financières, ensuite, la rapide croissance de la ville, les mouvements de la population, l'apparition de nouveaux quartiers qui l'ont bien souvent rendu caduc avant qu'il ne puisse être procédé à sa réalisation.

b) C'est donc cette course de vitesse, engagée entre le rythme d'expansion de la ville et la construction de bibliothèques, qui est la seconde cause essentielle de la multiplication des bibliobus, car les bibliothécaires, perpétuellement gênés par ces lenteurs et sentant grandir encore davantage les besoins de la population, ont bien souvent voulu parer au plus pressé, en organisant un service itinérant de lecture publique urbaine, sur le modèle des bibliobus départementaux. Du reste d'autres services publics leur montraient la voie à suivre : ainsi la Caisse nationale d'épargne, institution pourtant vénérable et traditionaliste, a organisé des bureaux itinérants allant d'un quartier à un autre, de même les P. et T. ont créé des bureaux de poste volants, de même encore certains services de l'E. D. F.-G. D. F. sont pourvus d'annexes ambulantes (remorques camping aménagées en hall de réception...), etc.

Donc, dans certains quartiers, le bibliobus a permis de parer au plus pressé, la construction d'une véritable annexe devant intervenir par la suite, de même que dans le domaine des constructions scolaires un bâtiment préfabriqué permet d'attendre l'aménagement d'une salle de classe en dur.

Nous avons rencontré cette conception du bibliobus, à Toulouse et à Grenoble en particulier, le véhicule est alors utilisé pour la desserte de quartiers urbains, à forte densité, en attendant l'installation d'une filiale de la bibliothèque municipale centrale.

c) Une autre cause de ces créations réside dans le fait que le bibliobus permet le ravitaillement en livres des nouveaux quartiers périphériques des grandes villes, quartiers dans lesquels la création d'une annexe fixe ne se justifie pas encore par suite de la dispersion de la population et de sa faible densité. Nous avons trouvé ces cas à Bordeaux, Le Havre, Toulouse, Grenoble... C'est du reste le mode d'utilisation le plus fréquent et le plus rationnel.

d) Il y a aussi le cas des villes de moyenne importance, mais très étendues et où les banlieues se multiplient et qui ne pourront pas, sauf à longue échéance peut-être, installer chez elle un réseau complet de succursales par suite du manque de moyens matériels. Le bibliobus, dans ce cas, joue le rôle d'une véritable annexe, presque définitive. Un bon exemple de cette utilisation est fourni par Saint-Brieuc.

e) Nous avons aussi indiqué une raison particulière, propre aux bibliocars scolaires : le souci de fournir des livres à tous les écoliers d'une ville, qui ne peuvent fréquenter la section jeunesse de la bibliothèque municipale à cause de l'étendue de l'agglomération, comme à Tours ou à Boulogne.

f) Il y a peut-être une autre cause, plus prosaïque celle-là, à savoir, le côté spectaculaire du bibliobus, plus « voyant », il faut le reconnaître, qu'une annexe.

g) Et cela nous amène à l'examen d'une dernière raison, peut-être capitale, celle ayant trait aux questions financières. Il est évident, en effet, qu'un bibliobus urbain pouvant desservir dix quartiers coûte moins cher que la construction dans chacun de ces dix quartiers d'une bibliothèque. Les économies portent à la fois sur le fonds de livres, le local, le personnel, l'éclairage, le chauffage, l'entretien, etc..., toutes ces dépenses n'entrant en ligne de compte qu'une seule fois pour les dix quartiers 23.

Sur cette cause vient s'en greffer une autre presque du même ordre : le bibliobus supprime les difficultés rencontrées partout pour trouver un local capable de recevoir une annexe, surtout dans les vieux quartiers.

Voilà donc passées en' revue les principales raisons qui ont poussé édiles et bibliothécaires à organiser des bibliobus urbains.

II. Quels services peut rendre le bibliobus?

Ils sont tous centrés sur la diffusion de la culture par le livre et le rayonnement de la bibliothèque. On peut les énumérer comme suit :
a) D'abord, le bibliobus apporte le livre dans les quartiers où il n'y a pas de bibliothèque, il rend le livre présent et accessible à tous. Il sert à combler un vide surtout dans les quartiers à forte densité et y joue le rôle d'une annexe.
b) Il permet aussi de voir dans quel secteur de la cité en particulier il convient de prévoir l'installation d'une filiale. Il a donc un rôle sélectif et évite peut-être ainsi les constructions inutiles ou mal situées, le bibliobus étant le pionnier qui ouvre le voie. Nous avons vu ce rôle mis en évidence à propos de Bordeaux et de Saint-Brieuc.
c) Le bibliobus précède l'annexe, il recense en quelque sorte les lecteurs, les groupe et les initie à la vie des livres. En principe, dès que le nombre des abonnés dans un même quartier atteint le chiffre de 500, le bibliobus devrait s'effacer devant la succursale fixe, son rôle étant terminé : il peut alors aller explorer un autre point de la ville. C'est en quelque sorte le fourrier ou le sergent recruteur de la bibliothèque qui, grâce à lui, est sûre de ne jamais tourner à vide, le premier noyau d'emprunteurs existant déjà avant son implantation 24.
d) D'autre part, le bibliobus, de par sa nature, est certainement de toutes les sections de la bibliothèque la plus apte à entrer en contact avec le monde du travail qu'il rencontre à la sortie de l'usine ou de l'atelier, et que, de surcroît, il n'intimide pas 25.
e) Pour mémoire uniquement et pour rappeler ce qui a été déjà établi dans les pages précédentes, faisons mention de l'importance des bibliobus scolaires et du rôle primordial qu'ils jouent dans la diffusion de la culture pour les enfants en apportant les livres directement dans les lieux où les jeunes lecteurs sont le plus facilement accessibles.
f) Il a aussi, nous l'avons vu, un côté propagande. En effet, le bibliobus est un remarquable instrument de publicité pour la Bibliothèque municipale, et cette publicité s'exerce sur deux registres différents : d'abord sur les édiles et les notabilités locales, en leur montrant par l'exemple et chiffres à l'appui que dès qu'une section de lecture publique devient attrayante et se modernise, elle connaît aussitôt un très grand succès et que les dépenses engagées pour l'aménagement et l'équipement de la bibliothèque municipale ne sont pas des dépenses à fonds perdus, mais au contraire qu'elles sont productives et génératrices de culture et de progrès.

La publicité faite autour du bibliobus agit aussi sur les habitants de la cité, lecteurs ou non. En effet, la présentation du bibliobus, les nombreux articles que sa création suscitera dans la presse locale mettront en relief le rôle de la bibliothèque, quelques-uns même apprendront peut-être, à cette occasion, son existence.

Enfin et c'est là certainement le facteur le plus important, le bibliobus, outre son côté spectaculaire, fait mieux connaître et apprécier les richesses de la bibliothèque centrale. En effet, si un ouvrage demandé ne se trouve pas sur les rayons, l'employé peut indiquer au lecteur que ce livre existe sûrement à la bibliothèque et lui fournit alors les renseignements utiles pour le trouver 26. Peut-être même, dans certains cas, le bibliobus peut-il l'emprunter aux collections de la section d'étude et le porter directement au lecteur. On peut très bien concevoir, à ce sujet, un catalogue topographique collectif de toutes les sections de prêt de la ville, installé à la bibliothèque centrale, et qui, en aidant à localiser les livres, en permettrait ainsi une utilisation maximum, au moyen d'un système de prêt entre la bibliothèque centrale, les annexes et le bibliobus 27.

Tout cela aboutit à mieux connaître les ressources de la bibliothèque et à guider vers elle des lecteurs 28 qui, bien souvent, ne soupçonnaient pas ses richesses et les services qu'elle peut rendre à tous. Le bibliobus témoigne ainsi que la bibliothèque n'est plus un « cimetière de livres » ou un « vénérable amas des diverses erreurs dans les divers formats », mais au contraire qu'elle est devenue un organisme bien vivant, sachant, quand on lui en donne les moyens, s'adapter aux conditions de la vie moderne.

Mais il est bien certain que la meilleure preuve de l'utilité d'un bibliobus se mesure aux résultats déjà obtenus et à l'accueil reçu dans les quartiers visités, c'est ce que nous allons examiner maintenant.

III. Les résultats.

Nous avons déjà eu l'occasion pour chaque bibliobus de donner les chiffres résultant d'une année de fonctionnement, aussi nous n'y reviendrons pas; mais, ce qui se dégage avant tout de cette sèche énumération de livres prêtés et de lecteurs inscrits, c'est l'attrait indéniable que le bibliobus exerce sur le public.

Je crois qu'il convient de s'arrêter un instant sur ce sujet et d'examiner les divers facteurs qui attirent les lecteurs vers le bibliobus et qui peuvent expliquer les causes de son succès.

a) En premier lieu l'attrait de la nouveauté car « tout ce qui est nouveau est beau » joint à un sentiment de curiosité. Le véhicule ne pouvant passer inaperçu, de par son stationnement en pleine rue et ses dimensions, un premier pas amène le futur lecteur à la porte, il entre et se fait expliquer la nature et le fonctionnement du bibliobus, ensuite un rapide coup d'œil sur les livres éveille peut-être en lui des souvenirs de lectures passées, et le climat favorable est alors créé. Le bibliobus doit être alléchant, attirant, tentateur même de façon à retenir le passant qui ne se dérangerait pas pour aller à une bibliothèque, mais qui « accepterait tout de même le livre qu'on lui proposerait au passage ». D'où l'importance également du choix des points de stationnement.

b) Autre cause du succès auprès du public, du public jeune en particulier, le véhicule lui-même, particulièrement adapté à une époque de motorisation intense et où tout ce qui est moteur et mécanique attire les jeunes. Tous sont séduits par le modernisme et le dynamisme de l'entreprise.

c) La commodité du bibliobus est aussi un critère très important, peut-être même le plus important, celui qui correspond en tout cas à son but essentiel : amener le livre sur place, dans les quartiers éloignés de toute bibliothèque. Les emprunteurs n'ont plus à se déranger, le livre vient à eux, et il en résulte pour tous un sérieux gain de temps et quelquefois d'argent.

d) La mobilité enfin, qui permet à la « bibliothèque sur roues » de se déplacer selon les conditions locales en tenant compte des exigences de chaque quartier.

Mais, ce sont là des facteurs essentiellement liés au véhicule lui-même, il y en a d'autres qui peuvent se rapporter à l'organisation intérieure du service et à son fonctionnement.

Et tout d'abord, une remarque particulière s'impose : compte tenu du total des heures de stationnement, forcément réduites, le nombre d'ouvrages prêtés par le bibliobus est en général plus grand que celui prêté dans une annexe, ouverte beaucoup plus libéralement.

Ainsi à Toulouse, durant la semaine du 22 au 27 octobre 1962, le bibliobus a prêté 2 587 livres en vingt et une heure et demie... et la section de prêt centrale a distribué, durant la même semaine 2 224 ouvrages en trente-deux heures et demie.

De cette remarque en découlent deux autres : d'abord le rapport entre le nombre des lecteurs inscrits et le nombre des livres prêtés est élevé (44 volumes empruntés en un an et par abonné à Grenoble, 32 à Saint-Brieuc, 28 à Toulouse, soit de deux à quatre livres par mois et par lecteur en moyenne);

- ensuite le rapport entre le nombre des livres formant le fond du bibliobus et celui des ouvrages empruntés est aussi particulièrement élevé (à Toulouse en 196I, le fonds comportait 6 757 ouvrages et il y a eu près de 70 000 prêts, chaque ouvrage a donc été lu 10 fois en moyenne). Donc, pratiquement les livres circulent beaucoup, vont et viennent avec rapidité et ne restent pas longtemps sur les rayons.

Ces deux dernières constatations, ainsi que ces chiffres, (que l'on trouve rarement aussi élevés dans une installation fixe, il faut le souligner en passant), proviennent essentiellement de deux facteurs :

- en premier lieu un fait matériel, à savoir le rythme des tournées du bibliobus, qui impose aux abonnés, s'ils veulent renouveler leur provision de lecture, l'obligation de venir à date fixe, à chaque passage du bibliobus, tous les quinze jours ou toutes les semaines selon les villes, sans pouvoir remettre leur visite au lendemain ou à plus tard. Il faut que les lecteurs viennent le jour indiqué, sous peine d'être privés de lecture jusqu'au prochain circuit du véhicule... Ils sont donc soumis à une impérieuse discipline 29 et sont de ce fait plus assidus et plus fidèles, meilleurs lecteurs aussi, car - l'expérience l'a montré - les abonnés fantaisistes ou peu enclins à la lecture, abandonnent au bout de quelques mois la « bibliothèque sur roues », seuls restant les lecteurs « intéressants », les « purs ». Le bibliobus ne connaît pas ce type d'abonné, véritable parasite quelquefois, qui se présente à la banque de prêt tous les trimestres uniquement, et garde les livres à longueur de mois.

- en second lieu, nous trouvons un facteur lié au choix des livres formant le fonds du bibliobus. En effet, ce dernier ne pouvant présenter au public qu'un nombre restreint d'ouvrages, il importe essentiellement que ceux-ci soient tous d'un grand intérêt et plaisent au maximum de lecteurs. De là, la nécessité de n'avoir en rayon presque que des nouveautés et de procéder très souvent au renouvellement des collections. La devise des bibliobus pourrait être : peu de livres certes, mais toujours les meilleurs. Ceci est valable en particulier pour les ouvrages documentaires et le bibliobus devra toujours offrir le dernier livre paru sur la question à l'ordre du jour dans tous les domaines. Il doit certainement beaucoup plus qu'une autre section de lecture publique « coller » à l'actualité 30.

Les lecteurs amateurs de lectures plus anciennes et plus approfondies seront dirigés vers la bibliothèque municipale, comme nous l'avons déjà vu précédemment. Le bibliobus est ainsi un « appât » ou un « stimulant ».

Une autre raison du succès du bibliobus peut se chercher dans le fait que l'employé chargé des prêts dans ce service est en général un employé très compétent, connaissant bien son métier et son fonds de livres et qui saura faire apprécier à tous les avantages du bibliobus. La bibliothèque a détaché là un de ses meilleurs éléments, car, nous l'avons aussi mentionné précédemment, son rôle est des plus importants et le succès de cette nouvelle section de prêt peut lui être, en grande partie, imputable.

Voilà donc, brièvement examinés, les facteurs pouvant expliquer les résultats obtenus par le service des « book-mobiles », comme disent les Américains. Mais ce bilan, pour remarquable qu'il soit, ne doit pas masquer les imperfections du système et les défauts qui lui sont inhérents. Il nous faut donc, maintenant, en toute honnêteté, prodécer au recensement de ses limites, et nous livrer à une critique du bibliobus. Les critiques portent, du reste, plutôt sur le principe même du bibliobus, que sur son mode de fonctionnement, par exemple :
I° le bibliobus ne permet pas la lecture sur place et ne remplace pas une salle accueillante. Ainsi, il y a impossibilité de consulter les périodiques, les usuels, ou d'avoir accès à la « littérature de caractère rétrospectif »;
2° le choix est moins grand que dans une installation fixe. Il y a peu de livres et il est dans ce cas très difficile de satisfaire les goûts de tous les lecteurs ou une demande trop particulière. Le bibliobus présentant un échantillonnage plutôt qu'un ensemble cohérent d'ouvrages, on pourrait plus facilement risquer de tomber dans un certain « dirigisme intellectuel »;
3° le bibliobus n'est pas assez vaste parfois pour accueillir tous les abonnés surtout à certaines heures ou en cas d'intempéries. Les lecteurs, trop nombreux, ont alors de la difficulté à s'approcher des rayons et le choix y est rendu encore plus difficile. Il en résulte aussi un climat de nervosité et une certaine confusion;
4° le bibliobus est toujours à la merci d'une panne ou d'un ennui mécanique quelconque, malgré toutes les précautions que l'on peut prendre pour les éviter. Il peut, quelquefois en résulter pour les lecteurs dérangements inutiles et impossibilité de renouveler leur provision de lecture.
5° les passages dans les quartiers ne sont, en général, ni assez fréquents, ni assez prolongés. Les lecteurs ne peuvent pas venir quand ils le désirent ou autant de fois qu'ils le voudraient, ils sont obligés d'attendre une certaine date, et si, par un malheureux hasard, ils ne peuvent se rendre libres ce jour-là et à cette heure, ils sont privés de livres pour huit ou quinze jours selon la ville et ceci est la contre-partie de l'avantage que nous avons souligné plus haut de la régularité des échanges due à des passages peu fréquents mais réguliers;
6° une autre critique, de caractère financier celle là, se traduirait ainsi : le bibliobus peut nuire au développement des bibliothèques fixes car on peut craindre qu'il permette à une municipalité de croire qu'elle a tout fait pour la lecture publique quand elle a créé un service qui apporte des livres dans presque tous les quartiers de la ville, alors que le bibliobus, on l'à déjà vu, n'est qu'un des maillons de la chaîne;
7° il y a enfin une dernière critique, qui vise la question du personnel : le bibliobus est un service exténuant pour les employés qui y sont affectés, à cause du rythme rapide des tournées, à cause aussi de la grande affluence des abonnés et de la tension nerveuse qui en résulte. Il faut donc prévoir un roulement et un personnel plus nombreux que pour une simple annexe de quartier.

A noter aussi que dans ces conditions la raison d'être du bibliobus et de toute bibliothèque en général, à savoir l'élévation du niveau intellectuel des lecteurs, « la promotion culturelle », en un mot la formation humaine par le livre, risque fort d'être compromise, car bien souvent à cause de la trop grande affluence des lecteurs à la même heure dans un véhicule trop petit, l'employé chargé des prêts, qui a, nous l'avons aussi déjà mentionné, un rôle culturel très important à remplir, ne peut faire entièrement son métier de conseiller de lecture accaparé qu'il est par le travail d'enregistrement des ouvrages prêtés. Dans ce cas alors, et se sentant abandonnés, voire désorientés, certains lecteurs prennent « n'importe quoi » et puis vont ensuite se plaindre du choix des livres 31!

Il faudrait donc prévoir l'emploi d'une autre personne ne s'occupant strictement que des questions matérielles concernant le prêt. Mais alors le bibliobus sera vite accusé d'exiger un personnel beaucoup trop nombreux, au détriment peut-être de l'ensemble de la bibliothèque municipale. Dans tous les cas, il est nécessaire de prévoir une infrastructure solide et des ressources multiples, tant au point de vue matériel (crédits et livres) que personnel, avant de créer un service de lecture publique ambulant car, s'il connait bien vite le succès, il risque de devenir un « gouffre » de livres et de crédits.

Voilà donc, je crois, les principales critiques que l'on peut émettre à l'encontre de l'utilisation du bibliobus en ville. Elles sont toutes très valables et de nature à faire réfléchir certainement ceux qui rêvent de lancer « une bibliothèque sur roues ». Faisons remarquer toutefois que la dernière des critiques, celle qui est à mon sens la plus dure - l'abandon pour les bibliothécaires de leur rôle de conseiller de lecture - peut s'appliquer également à n'importe quelle section de lecture publique en cours d'extension.

Aussi, au lieu de disserter plus longuement sur les avantages et les inconvénients de ce nouveau système, je crois qu'il vaut mieux, en conclusion, tenter de dégager les divers cas où l'utilisation du bibliobus paraît s'imposer malgré tout.

Conclusion.

Nous avons plusieurs fois relevé tout au long de ces pages, des différences assez sensibles dans le mode d'utilisation du bibliobus, aussi je pense qu'il est bon, une dernière fois, d'y revenir.

Nous ne reparlerons pas des bibliocars scolaires, car ils sont un peu en marge, se limitant à une seule catégorie de lecteurs, et nous passerons aussitôt aux bibliobus urbains proprement dits. Il y a en réalité deux sortes de bibliobus urbains correspondant à deux modes d'emploi différents :

I° le bibliobus urbain desservant uniquement des quartiers à très forte densité de population au moyen de stationnements fréquents et particulièrement longs (une demi-journée par exemple et deux fois par semaine). Il joue dans ce cas, le rôle d'une véritable annexe de quartier, en attendant l'aménagement de celle-ci. Bien souvent le stationnement dans ces quartiers a été prévu pour montrer aux pouvoirs publics la nécessité et la rentabilité d'une succursale et pour « appâter » le public. C'est uniquement une solution provisoire, qui devrait prendre fin rapidement.

2° le bibliobus urbain ravitaillant des « grands ensembles », des cités ouvrières, des quartiers neufs, à population dispersée, par des arrêts multiples et brefs (tous les 15 jours, 4 heures par exemple). Le bibliobus est là, je crois, dans son véritable élément, totalement différent à tous points de vue (habitat, situation sociale et style de vie des lecteurs, genre de livres demandés...) des conditions décrites plus haut. A quartier moderne, bibliothèque dynamique : bibliobus. Il accomplit dans ces zones un véritable travail de « missionnaire de la culture », apportant des livres à des « banlieusards » qui sans lui n'auraient aucun commerce avec eux 32.

Son action rappelle étrangement celle des bibliobus ruraux; comme eux il travaille à combler un vide intellectuel, celui des « grands ensembles, sans âme ni caractère ». Le bibliobus est vraiment ici un instrument de première nécessité car bien souvent il représente le seul élément culturel pour plusieurs centaines d'habitants; du reste il est beaucoup mieux adapté à ces quartiers neufs (ne serait-ce qu'au point de vue matériel) qu'aux quartiers anciens des grandes villes.

Mais les buts sont toujours les mêmes et les deux sortes de bibliobus travaillent pratiquement pour un identique résultat : grouper les lecteurs, leur faire aimer les livres, les rassembler, afin que la construction d'une bibliothèque annexe de quartier puisse être envisagée. Il est possible que, dans le premier cas, ce résultat soit très vite atteint, il est possible aussi que dans le second il ne soit jamais obtenu, ni même, au fond, véritablement souhaitable.

Car le bibliobus, dans la plupart des cas, n'est pas une fin en soi, c'est un palier vers la solution la meilleure, la bibliothèque fixe de quartier. Ainsi les deux formules, celle du bibliobus et celle de la succursale, ne se combattent pas, elles se complètent utilement 33, l'une précédant l'autre 34.

Illustration
Marseille - Bibliobus urbain

  1. (retour)↑  Voir : B. Bibl. France, 8e année, n° 2, février 1963, pp. 41-77.
  2. (retour)↑  Voir : B. Bibl. France, 8e année, n° 2, février 1963, pp. 41-77.
  3. (retour)↑  Les précisions dont il est fait état ci-après sont extraites, principalement, d'un « Rapport sur l'organisation, auprès de la Bibliothèque municipale de Marseille, d'un Service itinérant de lecture publique », établi par M. Gernet, conservateur de cette bibliothèque.
  4. (retour)↑  De 1947 à 1958, il est vrai, des caisses de livres purent être déposées régulièrement auprès des écoles, jusque dans une vingtaine de quartiers, mais par l'intermédiaire du bibliobus des Bouches-du-Rhône.
  5. (retour)↑  Ce sont là les dimensions extérieures. Les dimensions intérieures (cabine non comprise) sont les suivantes : longueur 8,20 m, largeur 2,20 m, hauteur 2,10 m.
  6. (retour)↑  Le personnel peut également utiliser la porte du chauffeur, ouvrant dans la cabine de ce dernier.
  7. (retour)↑  Ces rayonnages bas, plus profonds, sont destinés à recevoir les ouvrages de grand format (albums, livres d'art).
  8. (retour)↑  Les réserves pouvant contenir en outre 1 500 ouvrages, la capacité du bibliobus est donc, au total, de 3 500 volumes.
  9. (retour)↑  Beaumont, Château-Gombert, l'Estaque-Plage, La Pauline, La Rose, La Valbarelle, Pointe-Rouge, Saint-Gabriel, Saint-Louis, Saint-Loup. Certains de ces quartiers, particulièrement éloignés du centre de la ville (Château-Gombert : 9 km, L'Estaque-Plage : 12 km, Pointe-Rouge : 7 km), conservent un caractère de banlieue mais le bibliobus se trouve desservir également des secteurs spécifiquement urbains, tels que Saint-Louis, Beaumont, La Rose, Saint-Gabriel, ce qui interdit de le considérer comme un bibliobus purement « périphérique ».
  10. (retour)↑  Il s'agit, bien entendu, de francs 1963.
  11. (retour)↑  Essentiellement les frais de raccordement des prises de courant au réseau d'E.D.F.
  12. (retour)↑  Voir à ce sujet : Desgraves (Louis). - La Lecture publique à Bordeaux (In : B. Bibl. France, février 1957, pp. 111-120).
  13. (retour)↑  En voici la liste : Cours Pasteur créé en 1944. - La Bastide (1948). - Jardin Public (1949). - Rue Son-Tay (1953). - Saint-Augustin (1954). - Rue Quintin (1955). - Claveau (1955). - La Benauge (1955). - Rue Mably (1955). - Carle Vemet (1960).
  14. (retour)↑  Desgraves (Louis). - La Lecture publique à Bordeaux. Article déjà cité, p. 131.
  15. (retour)↑  D'autant plus important que les deux créations prévues pour 1958 et 1959 (Cité lumineuse et cité du Grand Parc) n'ont pas encore été réalisées. Elles le seront, la première en 1963 et la seconde en 1964. Une autre bibliothèque de prêt située rue Villaris, sera ouverte au début de 1964.
  16. (retour)↑  Montferrand forme en fait une véritable agglomération distincte de Clermont et qui a conservé, de par sa position, une certaine autonomie. Le quartier Saint-Jacques est situé au Sud de la ville dans une zone en cours d'expansion. C'est la formule américaine qui a été adoptée ici (arrêts fréquents et prolongés) et le bibliobus jouera effectivement le rôle d'une véritable annexe.
  17. (retour)↑  Le bibliobus a été mis en service à Nontferrand le 23 février.
  18. (retour)↑  Place Guerin et Mairie de Saint-Pierre, toutes deux créées (ou recréées) en 1952.
  19. (retour)↑  Bleton (Jean). - La Nouvelle Bibliothèque municipale de Brest (In : B. bibl. France, mars 1959, pp. 113-128).
  20. (retour)↑  Quatre points d'arrêts sont déjà déterminés de façon précise :
    I° Place de Strasbourg pour les quartiers de Pen an Creach et Beauregard (10 000 habitants).
    2° Angle boulevard Montaigne et boulevard Léon Blum pour le quartier de Kerichen (6 ooo habitants).
    3° Place de Metz pour le quartier de Kerbenier-Lanedec (4 000 habitants).
    4° Place Prat-Ledan pour Recouvrance et Kerangof (7 ooo habitants).
  21. (retour)↑  Bibliothèques de prêt d'Aplemont (1951), de Graville (1956) et de Bléville (1960).
  22. (retour)↑  Patronage laïque de Tourneville (1955). Ligue de l'enseignement, mairie annexe de Sanvic (1957). Foyer municipal de Mare Rouge (1962).
  23. (retour)↑  Voir à ce sujet : Dumazedier (Joffre). - Vers une civilisation du loisir? - Paris, Édition du Seuil, 1962, pp. 175 et suivantes. L'auteur souligne en particulier que cette coupure entre la culture (et le livre plus particulièrement) et le monde du travail est un des drames de notre époque.
  24. (retour)↑  On peut poser, en principe, que les dépenses engagées pour l'aménagement d'une bibliothèque, aménagement uniquement (mobilier, peinture, éclairage, revêtement du sol...) et celles entraînées par la création d'un bibliobus urbain sont « grosso modo » équivalentes (environ 65 000 F, y compris le premier fonds de livres).
  25. (retour)↑  500 est un chiffre maximum, difficile à dépasser sans doubler le personnel et la durée du stationnement. Le bibliobus permet, dans ce cas, de justifier la demande émise par le bibliothécaire de création d'une annexe, car il pourra, statistiques en mains, prouver aux membres du Conseil municipal que l'aménagement d'une salle de lecture et de prêt dans le quartier devient une nécessité et que l'opération, sur le plan de la lecture, sera parfaitement rentable.
  26. (retour)↑  A signaler aussi la nouvelle formule utilisée par la bibliothèque des usines Renault à Billancourt, qui a lancé des « Bibliobus missionnaires » qui chaque jour parcourent la véritable ville que sont ces usines, s'arrêtent sur les lieux même du travail et proposent aux ouvriers, livres, revues et journaux. Plus de 300 livres sont ainsi chaque jour distribués en dehors de tous ceux empruntés directement à la bibliothèque fixe. (D'après : Tournand (Jean-Claude). - Les Bibliothèques et les travailleurs. La bibliothèque Renault. In : Cahiers Pédagogiques, n° 36, septembre 1962, pp. 69-70, numéro consacré à la lecture et aux bibliothèques.)
    Évidemment toutes les usines n'ont pas les proportions, ni les moyens de la R. N. U. R., mais l'idée est excellente et mérite d'être retenue. Y aura-t-il donc un jour, après le bibliobus rural et le bibliobus urbain, le bibliobus d'entreprise?
  27. (retour)↑  Il est évidemment indispensable dans ce cas que l'employé chargé des prêts dans le bibliobus possède une culture assez vaste pour renseigner le lecteur; de même, il doit connaître les ressources offertes par la bibliothèque centrale ou ses annexes.
  28. (retour)↑  Le bibliobus urbain de Marseille comporte un catalogue du fonds de lecture publique de la Bibliothèque municipale, et le prêt à un lecteur de banlieue, inscrit au bibliobus, d'un ouvrage de ce fonds par son intermédiaire est ainsi possible.
  29. (retour)↑  Ce dernier point a été souligné, avec une grande unanimité, par tous les bibliothécaires qui ont bien voulu répondre au questionnaire servant de base à cet article. Quelques-uns même vont jusqu'à considérer que le « bibliobus est plus un moyen de propagande que de diffusion du livre proprement dit ».
  30. (retour)↑  Cette discipline facilite grandement la restitution des livres prêtés et les lettres de rappel pour le bibliobus sont moins nombreuses que dans une bibliothèque fixe.
  31. (retour)↑  Ce souci de la nouveauté dans le choix des ouvrages s'explique aussi par le caractère particulier des lecteurs d'un bibliobus : ce sont en général les habitants des nouvelles cités ou des quartiers périphériques, issus de milieux plutôt modestes, ouvriers ou salariés pour la plupart, ne possédant pas une culture très profonde, mais par contre très réceptifs, à cause, en particulier, de la radio et de la télévision, aux problèmes contemporains et aux questions d'actualité. Ce sont aussi des lecteurs jeunes, adolescents, jeunes ménages, qui vivent en symbiose étroite avec leur époque. Il n'est donc pas question de présenter à ce public des ouvrages démodés ou rébarbatifs. Il faut, par contre, leur proposer un choix de livres d'aspect attrayant, moderne, de telle façon qu'après avoir été séduits par le véhicule et son côté dynamique, ils soient aussi tentés par les collections qu'il transporte.
  32. (retour)↑  C'est justement dans un bibliobus que le rôle du conseiller de lecture est très important, à cause du nombre important d'adolescents qui le fréquentent, à cause aussi, comme nous l'avons déjà vu, du manque de culture d'une partie des abonnés (cette lacune étant fonction de leur milieu social) allant de pair toutefois avec un désir certain de s'instruire.
  33. (retour)↑  Dans les quartiers à forte densité, pas très éloignés du centre de la ville en général, le passage du bibliobus, certes, est nécessaire, mais d'une nécessité moins grande que dans les quartiers périphériques, car les distances par rapport à la bibliothèque ne sont pas du même ordre. De plus, le niveau culturel des habitants, leurs revenus sont en général plus élevés et ils seront, peut-être, plus aptes à faire un effort (financier ou physique) pour s'approcher des livres. Tandis que dans les secteurs de banlieue, le bibliobus doit aller au devant des habitants, il doit en quelque sorte les tenter, les inciter à découvrir les livres, les lui offrir presque à domicile, parce que leur formation ne les pousse pas à la lecture.
  34. (retour)↑  Voir à ce sujet : Salvan (Paule). - L'Évolution des bibliothèques de lecture publique au cours de ces dernières années. (In : Cahiers pédagogiques, n° 36, p. 65.) En ce qui concerne les simples dépôts de livres, ils devraient être réservés, en principe, à des établissements « fermés », tels qu'usines, administrations, foyers..., qu'il est difficile d'atteindre autrement.
  35. (retour)↑  Je tiens à exprimer toute ma gratiude à M. Caillet, conservateur en chef de la Bibliothèque municipale de Toulouse, pour les conseils et encouragements qu'il nous a prodigués au cours de cette étude.