Rencontres Henri-Jean Martin 2015

Le patrimoine #tropdelaballe, 16 mars 2015

Bernadette Litschgi

Consacrée aux relations entre le patrimoine et les adolescents, cette 9e édition des rencontres Henri-Jean Martin s’est ouverte sur un entretien filmé avec Benjamin Stora. La réflexion a porté sur le rôle de la culture et du patrimoine dans la construction de la société, question dont l’importance s’est accrue suite aux attentats de début d’année. Plusieurs points ont été soulignés : l’urgence de permettre aux jeunes de retrouver le fil d’une continuité historique et d’esquisser un projet commun d’avenir ; la nécessité de développer des liens et d’incarner les valeurs de la République ; la richesse de la culture française dont le rayonnement doit se poursuivre ; l’importance d’offrir des modes de transmission complémentaires à internet. Selon B. Stora, le rôle des historiens est déterminant et doit consister à développer, à côté de l’écrit, une communication plus large utilisant l’image. Pour les bibliothécaires, l’enjeu consiste à s’adapter aux mutations afin de continuer à développer le livre, moyen d’échange et d’ouverture privilégié.

La première table ronde a eu pour objet de clarifier l’offre en matière de médiation patrimoniale. Emmanuel Guilleray (BM de Besançon) et Agnès Marcetteau (BM de Nantes) présentent successivement leur action en matière de visites scolaires. Dans les deux cas, l’offre est élaborée à partir des programmes scolaires et des ressources de la bibliothèque. Elle peut être spécifique à chaque niveau ou commune puis adaptée selon les âges et les demandes. Parallèlement aux visites, des parcours sont conçus pour des classes de français ou d’éducation artistique et culturelle. A Besançon, les séances durent une heure trente et sont prévues par petits groupes sur trois temps : visite du bâtiment, découverte des collections, exercice/jeu. A Nantes, la médiation concerne les élèves du CM2 au lycée. Des liens ont été tissés avec le musée Jules-Verne et le Conservatoire pour diversifier les approches. Les interventions convergent sur plusieurs points : nécessité de mettre les jeunes en position d’acteur, opportunité de stimuler leur imagination et leur curiosité par la découverte de lieux et ressources insolites, utilisation du document comme témoignage historique, artistique et technique et lien avec un contexte social. Lors des échanges avec la salle, il fut également question de la bibliothèque de La Rochelle qui propose de nombreuses activités patrimoniales en direction des jeunes.

L’intervention de Jérôme Larré sur les jeux de rôle fait apparaître leur apport ludique, imaginatif et émotionnel. Ils peuvent être développés à partir d’œuvres, de périodes historiques ou de personnages, et servir à véhiculer des connaissances. Encore peu utilisés par les institutions françaises, ils peuvent s’adapter à des projets de visites et d’expositions. C’est l’occasion pour les bibliothécaires de Bourg-en-Bresse et du Rize à Villeurbanne, d’évoquer leurs expérimentations autour de scénario d’enquête ou de création de jeux. Quant au rôle du numérique dans la médiation, il est abordé par Philippe Rivière à travers l’offre de Paris Musées développée à l’occasion de la réforme des rythmes scolaires. Dans la perspective de transporter le musée à l’école, la plateforme Museosphère.paris.fr propose aux 6-11 ans des visites virtuelles avec navigation par thématique et plusieurs parcours d’accès aux œuvres. Parallèlement, un site ludique destiné au 6-14 ans rassemble des aventures. Ces développements ont nécessité un budget important, de nombreux tests ainsi que la formation d’animateurs et de conférenciers intervenant dans les classes. Ces outils sont utilisables dans le cadre scolaire mais aussi familial, et ont sans doute contribué à la hausse de 25 % de la fréquentation des musées parisiens.

L’après-midi débute avec la présentation de la médiation jeune public à la BnF par Benjamin Arranger et Aurélie Dablanc. Chaque année, le Service pédagogique reçoit 14 000 à 18 000 élèves, dont la moitié de collégiens, et accueille 6 000 enseignants/documentalistes en formation. Il vise la valorisation des ressources et des expositions de la BnF à travers des actions sur le temps scolaire/périscolaire et sur le temps personnel. Le portail http://classes.bnf.fr regroupe l’offre de visites et les ressources pédagogiques en ligne : histoire du livre et de la presse, dossiers sur les expositions, figures d’écrivains… Le focus est ensuite mis sur deux ateliers (Forme du Livre, Une de presse) qui mêlent les approches historiques et créatives. Le projet en cours autour du site Passerelle est ensuite présenté. Lancé avec un financement de la Fondation BTP, il a été conçu pour les apprentis du bâtiment autour de l’histoire du bâtiment, des métiers et techniques. De nombreuses ressources iconographiques, historiques et interactives l’enrichissent. Cette réalisation innovante a mobilisé un budget conséquent et cinq personnes.

La dernière table ronde est consacrée aux avis et attentes du jeune public. Thierry Claerr (SLL) ouvre le débat en évoquant le positionnement des bibliothèques face aux jeunes ; les 0-11 ans sont actuellement le public cible et les 10-14 ans peu visés par l’offre. Le constat de la segmentation des jeunes publics, de la diversification des attentes et de la présence de nombreuses offres concurrentes s’impose. Sur ce point, Chantal Dahan, chargée d’étude et de recherche à l’Observatoire de la jeunesse, apporte une analyse complémentaire. Parmi les éléments évoqués : la désaffection des bibliothèques et d’autres équipements comme les conservatoires par une certaine tranche d’âge ; la tendance à une pratique consumériste de la culture ; la place prépondérante d’internet comme outil d’apprentissage et de construction identitaire et facteur de lien. On peut se demander si cette individualisation des pratiques ne risque pas de s’opposer aux pratiques collectives. Elle fait en tout cas apparaître un nouveau rapport au temps et au modèle de transmission.

Anne-Marine Guiberteau, chargée de la programmation jeune public et de la médiation au Centre Pompidou-Metz, évoque les actions du dispositif messin : Petits médiateurs, Je suis une œuvre d’art, Ateliers 5-12 ans… Non liée aux expositions, l’offre s’ouvre sur la jeune création avec la présence d’artistes, et concerne les scolaires, les publics éloignés et les visiteurs individuels. C’est ensuite l’innovation débutée en septembre 2014 pour les 13-16 ans autour de l’espace La Capsule qui est développée. L’objectif est de proposer durant les week-ends un programme d’expositions et de rencontres ciblant les goûts des adolescents. L’accès se fait de façon autonome, gratuite, sans réservation, en dehors du temps scolaire. Depuis cette ouverture, vingt workshops et sept interventions d’artistes ont eu lieu, touchant 700 jeunes. C’est un succès dans la mesure où les adolescents ne fréquentaient pas le Centre Pompidou.

Jocelyne Deschaux rappelle les pratiques d’accueil des jeunes dans les classes patrimoine dans les bibliothèques de Toulouse et d’Albi. Ces actions permettent de proposer un nouveau rapport à la lecture et à l’écriture et sont aussi l’occasion de faire découvrir des ressources et des métiers. Pour les jeunes, les enjeux sont multiples : accès aux ressources rares et précieuses, compréhension des sources de l’histoire, inscription dans le présent grâce à l’appropriation du passé. Plusieurs thématiques sont ainsi explorées : Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, expédition Lapérouse, lettres de Maurice de Guérin, musique à travers les manuscrits médiévaux. La réussite semble conditionnée par plusieurs facteurs : préparation en amont avec les enseignants, aspect scientifique de la médiation, implication des jeunes.

Marie Evreux rapporte l’expérience menée avec l’Education nationale, de 2011 à 2014, autour d’ateliers de pratiques artistiques à l’Opéra de Lyon. L’action s’est construite durant trois ans autour de résidences d’artistes et de la découverte de l’opéra. Les objectifs : apprentissage de savoirs et savoir-faire artistiques, création d’un spectacle. L’évaluation du projet a permis de mieux comprendre son impact. Parmi les points ressortant de l’enquête : le plaisir à vivre cette expérience qui est une source d’épanouissement et d’expression, l’intérêt marqué pour le travail collectif, l’apport de la création dans l’apprentissage, l’acquisition de facultés d’organisation et de mémorisation. De toute évidence, les résultats se mesurent sur le long terme et la démarche nécessite de constants réajustements entre les actions et les attentes des jeunes.