Quelles politiques documentaires en environnement hybride ?

Journée Poldoc – 13 novembre 2014

Jacques Sauteron

Le jeudi 13 novembre 2014, l’Enssib accueillait la journée d’étude « Quelles politiques documentaires en environnement hybride ? » dans un amphithéâtre comble.

Préparée depuis plusieurs mois sous l’égide du groupe Poldoc piloté par Bertrand Calenge, directeur des études à l’Enssib, la journée avait pour ambition de reposer le débat autour des places respectives de l’imprimé et de l’électronique en bibliothèque tant de lecture publique qu’universitaire. Volontairement organisée sous des auspices internationaux, elle entendait dépasser les visions franco centrées pour circonscrire des enjeux européens.

En préalable, la journée fut l’occasion de dévoiler et comparer deux sites web : le site Poldoc français, refait à neuf, dont la stratégie vise tout à la fois à diffuser la culture de la politique des collections, promouvoir la rédaction de politiques documentaires, contribuer à la formation académique de nouveaux professionnels, proposer un outil d’analyse et de recherche, et enfin partager avec d’autres groupes Poldoc à l’échelle européenne et internationale dont son jeune cousin espagnol, Poldoc Hispanic, créé en 2013 et présenté par Lluis Agusti, professeur de bibliothéconomie et directeur de l’École de la librairie de l’université de Barcelone ayant pour vocation de partager et de disséminer les expériences et les outils permettant la construction de politiques documentaires ambitieuses et efficaces.

Deux interventions, l’une française, celle de Frédéric Souchon du SCD de l’université Paris 5 et celle de Sadri Saieb et Mostapha Najeb de l’Institut suisse de droit comparé, insistèrent en mode humoristique sur le besoin d’objets documentaires matériels au sein des bibliothèques : « livre zombie  1 » dans un premier cas, permettant de re-matérialiser le livre électronique, ne serait-ce que par un boîtier DVD vide ou un faux livre constitué à l’aide de morceaux de bois et équipé, dans un cas comme dans l’autre, de reproduction de la couverture du livre physique, d’une cote ainsi que d’un QR code permettant l’accès direct au livre numérique. Deux universités françaises expérimentent ce type de dispositif : Versailles et Le Havre s’inscrivant dans le droit fil de celles de Sacramento et Gale aux USA. L’étude d’impact montre que pour être efficace cette politique très gourmande en ressources humaines et en matériel demande un volontarisme sans faille : il ne sert à rien d’expérimenter à petite échelle, il faut créer un « livre zombie » pour chaque livre électronique auquel la bibliothèque souhaite donner accès ou ne pas le faire du tout. Le retour sur investissement est cependant positif, la consultation de e-books peut aller jusqu’à quadrupler à la suite de la mise en œuvre de ce dispositif.

Les collègues suisses insistèrent de leur côté sur l’utilité du livre imprimé en matière patrimoniale, y compris dans le domaine du droit, ne serait-ce que pour permettre aux étudiants et enseignants de travailler sur l’évolution des législations en Europe, dépassant ainsi le caractère d’immédiateté trop souvent dévolu aux collections juridiques des universités. Ils insistèrent également sur le coût très élevé des ressources juridiques en ligne pour les professionnels du droit une fois leurs études achevées et explicitèrent le rôle bienvenu du papier dans une optique d’accès gratuit à la consultation des textes et recueils.

Les intervenants de l’Abes rappelaient quant à eux la politique de l’agence en matière de traitement et de valorisation des collections numériques des établissements d’enseignement supérieur à l’aide d’outils et de référentiels nationaux – base de connaissance BACON, référentiel IdRef – et de valorisation des périodiques – Périscope – ainsi qu’en ce qui tient à la conservation des données numériques des ressources acquises sous licence nationale dans le cadre du programme Istex, doté d’un budget total de 60 millions d’euros à dépenser avant le 31 décembre 2016 (initialement le 31 décembre 2015).

En matière d’acquisition, Renaud Aïoutz présenta l’expérience en demi-teinte de la médiathèque départementale du Puy-de-Dôme qui, à la demande des élus du département, fut l’une des premières à passer un marché public pour l’acquisition de l’ensemble des supports, y compris les ressources électroniques. Outre la complexité de l’opération, c’est le principe même de cette démarche qui interrogea la salle au regard de l’absence de réelle concurrence entre les éditeurs et les diffuseurs de ressources électroniques. Point positif néanmoins, cette opération a obligé les bibliothécaires à s’interroger sur les besoins réels des usagers et de l’établissement en matière de ressources électroniques et a eu pour conséquence d’aider à la structuration de la politique documentaire en la matière.

Le rappel par Hans Dillaerts, maître de conférences à l’université de Montpellier 3, de l’existence d’une offre alternative à l’offre payante par le biais des documents sous licence Creative Commons et/ou disponibles en Open Edition, voire la possibilité pour chaque bibliothèque de créer ses propres supports d’information, rendit lisible la faisabilité de mise à disposition d’une offre électronique sans surcoût trop important. La plus-value de la bibliothèque s’inscrivant dès lors dans la valorisation de l’offre documentaire issue de collections libres et de qualité sélectionnée pour diffusion à destination de son public. La création de la Bibliobox par Thomas Fourmeux, bibliothécaire à Aulnay-sous-Bois, constitue à ce titre un exemple à suivre.

Les deux dernières interventions de la journée, via des représentants du SAN Ouest Provence et de l’école des Mines, permirent d’esquisser le portrait-robot du parfait bibliothécaire équipé pour faire face aux enjeux de la politique documentaire en milieu hybride tant en lecture publique – ce fut l’occasion de présenter le parcours de formation d’un acquéreur au sein du réseau de lecture publique du SAN Ouest Provence – qu’en lecture scientifique et de recherche où les enjeux numériques sont désormais plus prégnants : à l’école des Mines, 73 % du budget documentation est désormais consacré aux ressources numériques. Seules les statistiques d’usages a posteriori permettent d’évaluer l’intérêt des abonnements proposés. La volonté se dessine de basculer vers un achat de e-books pérennes au titre à titre en remplacement du modèle de l’abonnement à des bouquets préétablis par les éditeurs. Le récent développement en France des offres en Open Access devrait permettre d’envisager un retour du rôle du bibliothécaire en vue de sélectionner au moins tout ou partie des collections proposées au public.

Dans cette même logique, le Patron Driven Acquisitions, en vue de sélectionner une offre électronique de qualité associant les utilisateurs par le biais de suggestions et de statistiques intelligentes, présenté en fin de matinée par Cristobal Urbano, professeur à l’université de Barcelone, s’inscrit dans la liste des outils à explorer et maîtriser pour un bibliothécaire du XXIe siècle en phase avec son époque.