Quel droit pour les bibliothèques ?

ENS Paris-Saclay, 22 et 23 mai 2018

Carole Gascard

Le programme de recherche Biblidroit « Quel droit pour les bibliothèques ? », lancé en 2015 et mené par l’Institut des sciences sociales du politique (CNRS/ENS Paris-Saclay/Université Paris Nanterre) et le Service du Livre et de la Lecture (direction générale des médias et des industries culturelles, ministère de la Culture et de la Communication), a pour objectif d’apporter des éléments de réponse aux demandes récurrentes en faveur d’une « loi sur les bibliothèques » par une étude à la fois historique et technique permettant d’aller au-delà des solutions juridiques ponctuelles. Un rapport de recherche – rédigé par Mathilde Roellinger, Émilie Terrier et Noé Wagener et rendu dans sa version définitive le 14 juin 2017 – a permis de dégager trois axes de réflexion : la gestion des bibliothèques ; la responsabilité des collections ; l’accès aux bibliothèques et la jouissance des collections. En parallèle ont été organisés trois ateliers scientifiques associant juristes et bibliothécaires et visant à éclairer certains points complexes : les collections, les professionnels et l’accès au livre à l’ère numérique. Enfin, plusieurs ateliers de légistique ont réuni des étudiants de master 2 « Droit du marché et du patrimoine artistiques » et master 2 « Histoire du droit », sous l’égide de Laurent Pfister, professeur à l’université Paris II.

Le présent colloque (22 et 23 mai 2018) avait pour objectif de faire une synthèse permettant de rendre compte des résultats obtenus et de poursuivre les échanges initiés au cours des trois ateliers de 2016.

Après un mot d’accueil de Pierre-Paul Zalio (président de l’ENS Paris-Saclay) et une présentation du projet par Nicolas Georges (directeur chargé du livre et de la lecture – direction générale des médias et des industries culturelles, ministère de la Culture), Marie Cornu (directrice de recherche au CNRS – Institut des sciences sociales du politique et responsable scientifique du programme Biblidroit) a rappelé la démarche et les principales conclusions déjà réunies.

La matinée s’est ensuite construite autour d’une intervention de Noé Wagener (maître de conférences université Paris-Est Créteil) sur la sédimentation du droit des bibliothèques, suivie d’une table ronde réunissant trois grands témoins : Georges Perrin (inspecteur général honoraire des bibliothèques), Daniel Renoult (doyen honoraire de l’Inspection générale des bibliothèques) et Jean-Sébastien Dupuit (inspecteur général honoraire des affaires culturelles) qui ont évoqué les grands moments de l’histoire du droit des bibliothèques, depuis la création des établissements universitaires jusqu’à la loi sur le droit de prêt (2003).

La deuxième partie de la journée – Organiser le service public des bibliothèques – était modérée par Noé Wagener et animée par Karl-Henri Voizard (maître de conférences, université de Toulouse), Jean-Marie Pontier (professeur émérite, université d’Aix-Marseille), Anne-Marie Bock (directrice de la bibliothèque départementale du Bas-Rhin), Fabien Plazannet (directeur du département Philosophie, histoire, sciences de l’homme, Bibliothèque nationale de France), Yves Alix (directeur de l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques) et Philippe Marcerou (inspecteur général des bibliothèques). Malgré une ambiguïté historique sur leur cadre juridique, les bibliothèques fonctionnent de manière satisfaisante à l’aide de quatre dispositifs efficaces : la mise à disposition de personnel d’État pour les bibliothèques municipales classées, le concours particulier de la dotation générale de décentralisation (DGD), le mécanisme des subventions et l’Observatoire de la lecture publique. Le contrôle de légalité par les préfets reste quant à lui invisible ; c’est l’Inspection générale des bibliothèques qui joue ce rôle, ainsi que celui de conseil (ordonnance n° 2017-650 du 27 avril 2017). Malgré ce cadre juridique faible, on constate peu de contentieux. En parallèle, on assiste à une évolution des technostructures vers la pratique du management.

La deuxième journée – Fournir le service public des bibliothèques – a dans un premier temps centré la réflexion sur Patrimonialiser, dépatrimonialiser, transférer les collections, avec la participation de Stéphane Duroy (professeur, université Paris-Saclay), Jean-Gabriel Sorbara (professeur, université de Toulouse), Hélène Richard (inspectrice générale honoraire des bibliothèques) et Catherine Granger (chef du bureau du Patrimoine, service du livre et de la lecture, ministère de la Culture et de la communication). L’inaliénabilité et l’imprescriptibilité du rattachement des collections au domaine public mobilier, parce que soumises aux aléas des temps juridiques, ont progressivement été structurées au cours des siècles, depuis la bibliothèque de Charles V jusqu’à aujourd’hui. Un certain flou demeure cependant, malgré la rigueur des critères mis en place. C’est pourquoi le maintien d’une formation professionnelle et d’une culture d’établissement sur l’histoire et la compréhension des fonds est primordial : bien connaître pour mieux conserver.

La deuxième partie de la matinée – Donner accès à l’ère numérique – a réuni Valérie-Laure Bénabou (professeur, université Aix-Marseille), Lionel Dujol (chargé du développement numérique, réseau des médiathèques de Valence Romans Agglo), Malik Diallo (chef de projet, bibliothèque numérique de référence du Sillon Lorrain, médiathèques de Nancy) et Silke Von Lewinski (Max Planck Institute et Intellectual Property Law Center, Munich). Après un rappel historique sur l’usage du numérique et un bilan de l’efficacité de la loi Hadopi, on constate qu’il y a un tiraillement entre les contraintes du cadre juridique et les exigences de diffusion des bibliothèques. L’accès aux données numériques reste compliqué dans le contexte actuel. La réflexion menée pour le projet lorrain (limédia mosaïque) apporte des solutions dans le respect du droit d’auteur.

La dernière demi-journée de ce colloque – Droit à l’information : droits culturels, droit des usagers, communs : repenser le service public des bibliothèques – a été animée par Serge Regourd (professeur, université de Toulouse), Séverine Dusollier (professeur, Institut d’études politiques, Paris), Sylvie Robert (sénatrice d’Ille-et-Vilaine) et Nicolas Galaup (directeur des bibliothèques, Bordeaux). Après le rappel de la loi NOTRe (2015) et de la loi LCAP (2017), toutes deux introduites comme leviers pour modifier le paradigme des politiques publiques en matière de culture, la place de l’usager dans la politique culturelle de l’État est ici interrogée, au travers de la notion de droits culturels.

Ces deux journées au contenu très dense se sont achevées avec une conclusion de Noël Corbin (inspecteur général des affaires culturelles, ministère de la Culture, coauteur du rapport Voyage au pays des bibliothèques, lire aujourd'hui, lire demain) qui salue le travail fédérateur de l’État en vue d’adapter les bibliothèques à ce qu’elles sont devenues.