Estivales 2015

« Et vlan, la réforme territoriale. Quid des bibliothèques ? » – 18-19 mai, Enssib

Aline GOUSSARD

Les Estivales, manifestation annuelle de l’Enssib, ont cette année été consacrées à la réforme territoriale et à ses impacts sur les bibliothèques. Les tables rondes et débats de ces deux journées ont soulevé de multiples questions, dans un contexte de redécoupage territorial, de redistribution des compétences culturelles et de redéfinition des pratiques professionnelles.

Le cadre législatif a été explicité au fil des interventions : la loi MAPTAM du 27 janvier 2014 (modernisation de l'action publique territoriale et affirmation des métropoles), le premier volet de la réforme territorial adopté par l'Assemblée nationale le 25 novembre 2014, et la loi portant Nouvelle Organisation Territoriale de la République (NOTRe), imposant une nouvelle donne pour les politiques culturelles locales.

Bilan et perspectives des coopérations publiques
en matière culturelle

La matinée introductive était animée par le romancier Aurélien Bellanger, et Philippe Dubourg, maire de Carcarès-Sainte-Croix, qui a résumé son propos sur la ruralité en évoquant « le pessimisme de la raison et l’optimisme de la volonté ».

Les modèles de coopération en bibliothèque ont ensuite été exposés, sous le sceau d’un constat commun : l’éparpillement et l’inégalité des actions coopératives.

Gaël Fromentin, directeur de la BDP des Vosges, a rappelé les étapes clés de la décentralisation : 1982 à 1984, 2002 à 2004, et l’acte III avec la nouvelle répartition des compétences et la clause de compétence générale. La diversité des initiatives culturelles incombe au foisonnement des échelons de coopération : communes, EPCI, communautés de communes, d’agglomération, SIVOM, SIVU, départements, et régions, dont les compétences en termes de lecture publique vont évoluer, sans omettre l’action coopérative des structures régionales pour le livre (SRL). Les intercommunalités interviennent très diversement selon les territoires et leur engagement reste très fragile. Les départements, qui ont pourtant la compétence lecture publique, interviennent avec hétérogénéité, de la simple mission de desserte des ex-BCP à l’offre innovante de services culturels. L’actuel étranglement financier pose en outre la question de la pérennité de leurs actions en termes d’aménagement culturel du territoire.

Hélène Richard (IGB) a retracé l’histoire de la coopération : le premier catalogue collectif en 1791 par Lefèvre d'Ormesson 1, le dépôt légal régional, les axes d’action coopérative de la BnF, les actions collectives de numérisation pour Gallica, la création des pôles associés régionaux, le réseau des Cadist et de la conservation partagée. L’intervenante a souligné le lien entre l’Inist, l’Abes et la BnF pour les programmes de numérisation, l’intérêt des archives ouvertes, de CollEx (Collections d’excellence) qui cartographie les collections de référence et organise la conservation partagée des collections, enfin le rôle du CTLes et sa mission nationale de conservation partagée depuis 1994. Les agences de coopération régionales coordonnent quant à elles les politiques culturelles décentralisées mais interviennent de manière disparate et bénéficient d’un soutien variable de l’État et des régions. Au final, un foisonnement de programmes et de réseaux de coopération, mais aucune exhaustivité.

Selon Véronique Chatenay-Dolto (Drac Ile-de-France), les réformes en cours modifient la donne en termes de coopération et obligent à surmonter les difficultés liées aux strates du millefeuille. Bien que difficile, la coopération est pourtant indispensable, surtout dans l’actuel contexte de restrictions d’intervention publique. La réforme territoriale représente-t-elle un risque ou une opportunité, dans un contexte où les freins à la coopération sont nombreux (recul des inscrits, baisse de la DGD) ? Les enjeux de lecture publique doivent être replacés dans ceux des acteurs de la chaîne du livre. Le réseau de lecture publique doit se ramifier aux services sociaux et éducatifs en développant de nouveaux services et son rôle de médiation.

Philippe Teillet (Sciences Po) a évoqué l’impact culturel des réformes territoriales, aux objectifs implicites mouvants et enchevêtrés. La variété des vocables : compétences, structures, partenariats, montre la diversité des actions coopératives, inscrites dans un cadre législatif peu influent. Il existe depuis plusieurs années un fort volontarisme, mais disparate sur le territoire. Or, la tolérance est faible aux différenciations culturelles et la décentralisation n’est acceptée par les milieux culturels qu’à condition qu’elle soit facteur égalitaire.

Il a ensuite exposé quelques moyens de réformer la coopération publique en matière culturelle :

- Diagnostiquer les déséquilibres et les forces, puis articuler les enjeux culturels et les enjeux globaux du territoire. Le débat sur le « modèle français de politiques culturelles » avec le rôle dominant de l’État invite à se questionner sur l’invention possible de politiques plus transversales et hybrides.

- Mutualiser les moyens et les compétences. Les questions culturelles sont maintenant au centre d’enjeux politiques et sont connotées par l’identité culturelle des territoires.

Il reste à définir les moyens financiers et le sens des politiques culturelles.

Jean-Michel Lucas, « activiste des politiques culturelles » et « citoyen engagé » a clôturé la première journée par une question : quelle éthique publique pour la culture ? Les politiques attendent des répercussions de la compétence culturelle : mieux vivre ensemble, croissance économique, effets sociaux. Mais attendent-ils la répercussion spécifique de la politique culturelle, qui, telle que la pensait Malraux, doit servir l’humanité et non les industries culturelles ?

La réforme territoriale :
une opportunité pour la lecture publique ?

Antoine-Laurent Figuière (ministère de la Culture), a résumé les nouveautés législatives : la possibilité de délégation de compétences pour les collectivités, le rôle des métropoles et des PETR (pôles d’équilibre territoriaux et ruraux), le renforcement du rôle économique du conseil régional et de son pouvoir d’évolution normative, la modification du seuil des EPCI (5 000 à 20 000 habitants).

Mais qu’est-ce qu’une compétence culture ? Une compétence en tous cas partagée. La réécriture de la charte de déconcentration est en cours et redéfinit la répartition des attributions entre administration centrale et services déconcentrés. L’article 29 du projet de loi prévoit un guichet unique dans le domaine des compétences partagées : nous sommes là à la croisée des chemins dans une période de fort remaniement des compétences territoriales.

La table ronde sur la réforme de l’architecture territoriale, modérée par Gilles Éboli, a dressé un état des lieux des initiatives locales.

Cécile Jodolowski-Perra, secrétaire de la FILL (Fédération interrégionale du livre et de la lecture), a rappelé le rôle des 22 SRL : favoriser l’accès aux ressources documentaires, valoriser les acteurs du livre et promouvoir l’interprofession, accompagner la filière économique, préserver la diversité culturelle et l’ouverture aux différents publics du livre. Les SRL sont des facilitateurs de l’action entre les différents partenaires culturels, une interface professionnelle, et fournissent des éléments de décision pour les politiques culturelles locales.

Selon Laurent Roturier (Drac Midi-Pyrénées), le but de la réforme est de développer l’action de la strate régionale et de dissoudre l’émiettement plus marqué en France que chez nos voisins européens avec ses 36 000 communes.

Les enjeux sont de trois ordres : organisationnels, partenariaux, sémantiques, puisqu’il s’agit de donner du sens à la restructuration territoriale. Devant la crise et les enjeux de la profession, une profonde mutation des bibliothèques est nécessaire.

Jean-Gabriel Madinier, directeur délégué à la Métropole de Lyon, a retracé la genèse de la Métropole et la nécessaire simplification du millefeuille pour mieux articuler les politiques publiques et rationaliser les coûts. La BDP du Rhône conserve ses attributions pendant deux ans. Les hypothèses de travail portant sur la mutualisation des moyens entre les BM s’effectuent dans le cadre du pacte de cohérence métropolitain.

La dernière table ronde, « Faire de la réforme un moteur d’innovation », modérée par Benoît Lecoq (IGB), a posé la question de l’adéquation entre carte documentaire et territoriale.

Fabrice Chambon, directeur à Montreuil, a décrit l’agglomération « Est ensemble », qui rassemble neuf villes dont le périmètre de transfert est inégal. Cinq seulement ont la compétence bibliothèque, ce qui crée un réseau unijambiste et soulève la question de la cohérence politique du territoire.

La gestion centralisée induit un problème de proximité pour les équipes. Cette problématique a été relayée par Dominique Legin, directeur du pôle Culture de Metz, pour qui les cadres doivent veiller à accompagner le changement au sein des équipes. Le changement d’échelle territoriale implique une modification de perspective.

L’intercommunalité présente en revanche des avantages techniques : une carte documentaire commune, la mutualisation des marchés publics et de la politique documentaire. Il s’agit donc d’un échelon pertinent mais aucun modèle ne peut se dégager.

Pour Dominique Lahary, bibliothécaire retraité, la réforme est une opportunité pour la lecture publique. Les bibliothèques ont su se glisser à tous les étages du millefeuille depuis les premières réformes territoriales, d’où des modèles très diversifiés. L’intercommunalité stimule l’innovation, l’énergie politique et professionnelle, et permet :

- un SIGB et portail communs, navette, inscriptions communes, offre numérique et animations mutualisées;

- l’optimisation de la gestion et des coûts. Il faut néanmoins veiller à fédérer les équipes et accompagner le changement de pratiques.

Selon D. Lahary, ce n’est « nulle part pareil » : tout est donc à inventer, et l’espace régional est à investir par les bibliothèques.

Gilles Da Costa, DGS au conseil régional de Franche-Comté, a dressé deux constats : une pression budgétaire sans précédent sur les collectivités locales et le chantier titanesque d’harmonisation des politiques publiques après la fusion des régions. La lecture publique devra innover, a fortiori dans un contexte de réduction budgétaire. Une des pistes est de solliciter des subventions du FEDER (Fonds européen de développement régional) et du FSE (Fonds social européen) pour les projets numériques, et d’établir des passerelles entre les bibliothèques universitaires et les bibliothèques publiques, ainsi qu’entre les communautés d’universités et d’établissements (COMUE) et les BU.

Pour Jean-François Marguerin, anciennement Drac Rhône-Alpes, la réforme territoriale est un moyen, non une fin. L’élément primordial est l’égalité d’accès à l’instruction et à la culture et le principe de démocratisation du savoir. Une réflexion prospective est nécessaire sur le sens de l’action des bibliothèques et sur la finalité de l’innovation à mettre en œuvre, au-delà des contraintes budgétaires et territoriales.

En clôture de la manifestation, Georges Képénékian, élu à la Culture à la Ville de Lyon et à la Métropole, a retracé l’histoire de la constitution de la Métropole lyonnaise et exposé le nouveau contexte local, dont les nouvelles frontières sont poreuses et le fonctionnement à inventer. Les politiques culturelles sont un moyen de penser l’unité nationale, et la réforme est sans doute une opportunité de repositionnement de la culture. A la question de la place et du rôle de la lecture publique, il répond : « les bibliothèques, plus que jamais ! »