12th International Conference on Performance Measurement in Libraries

31 Juillet – 2 Août 2017. Oxford, GB

Cécile Touitou

Participer à une conférence 1 sur l’évaluation en Grande-Bretagne est une plongée dans un autre monde. Mettons de côté l’exotisme so British d’être logé dans un des 38 collèges de l’Université d’Oxford avec vue imprenable sur l’inimitable pelouse entretenue chaque matin par une armée de jardiniers, la chapelle et l’ensemble architectural unique organisés autour du Liddon Quad

Ce qui, professionnellement, peut retenir notre attention est le niveau de maturité dont témoignent les nombreuses interventions des collègues, principalement britanniques, américains, canadiens, avec quelques exceptions européennes : Suède, Danemark… (mais regrettons l’absence de contribution française).

Au-delà de l’hexagone, il n’est plus question de savoir s’il faut mesurer l’activité ou la performance, s’il faut privilégier le quantitatif ou le qualitatif, les intervenants étaient unanimement concentrés sur la mesure de l’impact (outcome 2) de la bibliothèque et sur la démonstration de sa valeur à partir de l’analyse des données massives collectées un peu partout et par tous les moyens possibles. Comprendre les usagers, leurs pratiques, leurs besoins permet de comprendre la valeur de la bibliothèque et de dessiner des services à même d’y répondre. Les publics changent en permanence, car le monde bouge en permanence (et avec lui, l’offre informationnelle). C’est dans ce monde mouvant que les bibliothèques se sont saisies des techniques du marketing pour collecter les traces d’usage partout où elles sont déposées, afin de mettre en œuvre une politique de segmentation des publics, et donc, des services. Fini le temps du slogan « more is better » où une collection volumineuse était forcément plus attractive qu’une autre moins bien dotée. Entrer dans une logique d’étude de la satisfaction et de l’impact suppose de s’interroger sur le bénéfice que tirent les usagers de la collection. Des ouvrages (des services) moins nombreux mais largement utilisés sont bien plus intéressants pour le public, mais aussi pour les décideurs et les parties prenantes qui s’investissent dans la bibliothèque qu’une offre pléthorique mais délaissée. Or, pendant des années le pilotage orientait l’activité dans une optique de croissance continue. Et si en bibliothèque aussi on osait la décroissance ?

Un congrès sur l’évaluation qui se méfie des chiffres, c’est un début de révolution !

Mais attention, bien des intervenants l’ont rappelé : « si tu ne penses pas te servir de chiffres, ne les collecte pas ! »… Et en écho, la célèbre phrase d’Einstein : « tout ce qui peut être compté, ne compte pas forcément, et tout ce qui compte ne peut pas être compté ». Enfin, une mise en garde a également été souvent reprise : ne pas mélanger corrélation et causalité, distinction particulièrement importante dans les études d’impact où il est difficile bien souvent d’isoler les facteurs de causalité.

Pour résumer les mots-clés ou buzzwords qui ont émaillé les différentes interventions, notre collègue kat Bell (@katkimbell) a diffusé sur Twitter ce tableau 3 ingénieux résumant l’essentiel des sujets, agrémentés de la présentation pendant l’intervention de la photo du nouveau président américain reprise régulièrement par les différents intervenants au grand plaisir de la salle, comme le running gag de la conférence. On retiendra que les mots « Impact », « valeur », « stratégie » et « datavisualisation » ont été les leitmotivs de ces trois jours intenses qui se sont effectivement achevés par une journée d’étude le jeudi consacrée à la datavisualisation. En effet, de nombreuses bibliothèques se sont lancées dans l’étude de leurs données massives et leur visualisation avec l’aide de l’outil Tableau 4 (principalement).

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Une présentation particulièrement intéressante a été faite par Kay Grieves de l’université de Sunderland, en Grande-Bretagne, dont la fonction « Service Engagement and Impact Manager » pourrait être traduit par Responsable des services et de leur impact puisque le titre assez répandu de « Engagement manager » n’a pas d’équivalent français. Elle a évoqué les sept étapes nécessaires pour concevoir des services orientés principalement vers la satisfaction des usagers et l’impact qu’ils pourront générer auprès des utilisateurs. Comme on le voit dans le graphique suivant, une offre de service pensée en fonction des besoins du public passe nécessairement par son évaluation itérative tout au long de son déploiement, selon des méthodes mixtes (quantitatives et qualitatives), afin de mesurer son degré d’appropriation et de satisfaction. A l’issue de ces travaux de conception/évaluation, la bibliothèque conçoit des outils de communication basés sur la datavisualisation qui sont principalement orienté vers l’advocacy ou comment montrer aux usagers ce qui fait la valeur de la bibliothèque.

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Dans sa conférence inaugurale Ayub Khan (vice-président de CILIP), a concédé qu’il devenait important d’engager un plaidoyer pour les bibliothèques car elles perdent de leur évidence dans le monde de 2017. Il a souligné la difficulté pour certains de comprendre la mutation de ces établissements, et la question qui se pose de leur nécessité à l’heure des réductions de budget. Dans une époque qu’il a qualifiée finalement de « chaotique », où les services, pour survivre se doivent d’être de plus en plus personnalisés, il convient que les bibliothèques proposent elles aussi des solutions agiles basées sur des propositions qu’il est possible de tester et de corriger afin de les adapter à l’appropriation qu’en feront les usagers.

Ceci doit être compris dans un contexte où 60 % des britanniques détiennent une carte de bibliothèque. Que devrait-on dire en France ? Est-ce parce que l’on part de beaucoup plus bas (40% des Français de 15 ans et plus se sont rendus dans leur bibliothèque en 2016 d’après la dernière enquête du ministère de la Culture 5) que l’on est un peu moins prompte à les défendre ? Pour mieux répondre à cette problématique les anglais ont mis au point le « Outcomes libraries taskforce 6 », pour permettre aux bibliothèques britanniques d'exploiter leur potentiel et d'être reconnues comme une ressource indispensable pour tous (« a vital resource for all »). Le projet vise à collecter un grand nombre de données locales, un peu comme peut le faire l’Observatoire de la lecture publique en France, à la différence que les indicateurs collectés sont plus proches des outcomes que des KPI (indicateurs de performance), afin de pouvoir construire une stratégie éclairée par les besoins spécifiques des territoires dans lesquels les bibliothèques s’inscrivent (en fonction de l’analyse des données liées aux compétences et aux qualifications, à l'éducation et à l'emploi, ainsi qu'aux données sanitaires et sociales locales).

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https://drive.google.com/drive/folders/0Bwo3ShNhmHF4eTNQVkxkbXMzbUU

Scott Walter 7 (université DePaul) a débuté son intervention en rappelant le rapport de l’ACRL sur « The value of Academic Libraries 8 » et celui d’Ithaka S+R 9 qui examine les questions de stratégie et de leadership du point de vue des doyens et des directeurs de bibliothèques universitaires américaines, deux rapports incontournables pour ceux qui travaillent en bibliothèque universitaire. Sa contribution passionnante portait sur la participation de la BU à la réussite étudiante dans une université où la bibliothèque est partie prenante du plan stratégique de l’établissement articulé autour de cinq objectifs principaux. A l’objectif numéro 1 de l’université « Enhance Academic Quality and Support Educational Innovation », la bibliothèque a répondu en déclinant une offre de service adaptée, comme le montre le document suivant :

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En dehors de ces orientations stratégiques, de nombreuses interventions ont permis à des équipes de présenter leurs travaux, où, il faut le souligner, l’outil Tableau avait la vedette.

Retenons par exemple le projet Heidi+ 10 mené par le JISC et HESA visant à exploiter les données de 60 établissements d’enseignement supérieur afin de comparer les bibliothèques par taille, niveaux d'utilisation, budget, fourniture de différents types de ressources, et de vérifier leur impact sur la satisfaction des usagers ; ou encore le travail de l’université de Cape Town visant à corréler les données relatives à la réussite étudiante selon leur fréquentation de la bibliothèque. Le fournisseur de SIGB ExLibris propose à ses clients un tableau de bord incluant tous les indicateurs de performance (KPI) regroupés dans une interface Tableau, permettant certainement un benchmarking intéressant (pour avoir accès aux résultats, il faut soi-même déposer ses données). Tania Alekson (université de Capilano), a montré une autre utilisation convaincante de tableau, ou comment lier usage des ressources électroniques et réussite étudiante.

Heather Scalf (université du Texas à Arlingtona 11) a présenté l’utilisation de méthodes mixtes afin d’améliorer l’aménagement des espaces dans sa bibliothèque. Pour réaliser cet objectif, l’équipe de la BU a organisé un « Library Use Task Force » qui a déployé ses talents pour mettre en œuvre des focus groups, des « photo diaries », du mapping des déplacements à partir de la collecte GPS, des enquêtes, etc. Sur une carte des espaces, les déplacements des usagers ont été reportés et qualifiés en fonction des objets qui étaient utilisés et des activités observées.

Susan Beatty de l’Université de Calgary a travaillé sur la valeur de la bibliothèque pour les étudiants à partir de nombreuses observations. Le but de l'étude était de déterminer quelle relation existe entre la conception des espaces d'apprentissage et les comportements d'apprentissage des élèves. Elle en conclut 12que c’est « un espace d’étude ». La bibliothèque est prisée pour son atmosphère, son rôle symbolique et son caractère « multifonctionnel ».

Ce congrès, passionnant, vivant, riche et inspirant ouvre de nombreuses perspectives pour l’étude des usages et des usagers et la construction d’une bibliothèque qui répond à leurs besoins. Aucune inquiétude sur le futur de la profession et des bibliothèques n’a terni les propos. Les collègues s’attèlent donc un peu partout à l’observation des lecteurs, et c’est à travers eux qu’ils co-construisent l’avenir de leurs établissements !

La prochaine conférence se tiendra à Aberystwyth, au Pays de Galles, au cours de l’été 2019.

Storify de la conférence : https://storify.com/LibPMC/12th