Returned from Russia:

Nazi Archival Plunder in Western Europe and Recent Restitutions Issues

par Martine Poulain
Edited by Patricia Kennedy Grimsted, J. F. Hoogewoud and Eric Ketelaar
London, Institute of Art and Law, 2007, 349 p., ill., 25 cm
ISBN 1-903987-11-3
Pour se procurer cet ouvrage au prix de 42 €, s’adresser à la CFAJ : cfaj@aiu.org

Ce livre s’attache à restituer la longue histoire des archives européennes, et notamment françaises, spoliées par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, puis conquises et enlevées par les Soviétiques comme « trophées de guerre » et conservées secrètement jusqu’aux années 1990-2000, voire encore détenues. Une part non négligeable de l’ouvrage a été écrite par Patricia Kennedy Grimsted, grande spécialiste de ces itinérances infinies, plusieurs responsables de fonds d’archives spoliées narrant ensuite leur progressif retour.

Butin de guerre nazi

Au fil des ans, Patricia Kennedy Grimsted, aujourd’hui auteur d’une œuvre importante sur le sujet, peaufine et perfectionne son analyse. La consultation redoublée des archives nazies en Allemagne, la pénétration progressive des cercles d’information sous influence soviétique lui permettent, de livre en livre, de rapport en rapport, de mieux connaître tant les méthodes et l’organisation des spoliateurs que les itinérances des documents spoliés. Il aura fallu la chute de l’empire soviétique pour que ces recherches et ce travail de mémoire puissent se faire.

On a encore aujourd’hui beaucoup à découvrir quant aux spoliations nazies dans le domaine de l’art, des bibliothèques, des archives  1. Patricia Grimsted précise l’organisation des services nazis en charge de la spoliation, multiples, rivaux, mais coopérant dans le mal : les Archives du Reich et le bureau de « protection » des archives créé au sein du commandement militaire des pays occupés, dont la France ; le commando Künsberg, bataillon SS chargé par le ministre des Affaires étrangères de se saisir des archives des pays conquis aux premières heures de leur Occupation ; le RSHA, Reichssicherheitshauptamt, office central de sécurité du Reich dirigé par Heydrich puis Himmler, dont les mains armées sont les services de sécurité SD et la Gestapo ; l’ERR, Einsatzstats Reichleiter Rosenberg du terrible chef de la lutte idéologique Alfred Rosenberg. Tous ces organismes se livrent au pillage des œuvres des pays occupés. En France, dès juin 1940, le commando Künsberg, l’ambassade d’Allemagne puis l’ERR saisissent les archives des ministères « stratégiques » : Intérieur, Affaires étrangères, Armées, ainsi que les archives des « grandes familles » et des grandes institutions juives, au premier rang desquels les Rothschild, les archives des principales institutions franc-maçonnes, celles des partis politiques ou syndicats proches du parti communiste, ou encore celles des grandes bibliothèques ou institutions slaves.

Ces collections sont emportées en Allemagne, soit à Francfort où elles forment l’essentiel de la bibliothèque d’Histoire de la question juive créée par Alfred Rosenberg, soit à Berlin aux quartiers généraux d’Himmler, ou à la bibliothèque de l’École des cadres du parti nazi.

Butin de guerre soviétique

Lorsque les bombardements alliés sur l’Allemagne s’intensifient, à partir du printemps 1943, les nazis commencent à évacuer vers l’Est ces collections volées. Certaines se retrouvent à Terezin, à Niemes ou à Cheská Lipa en Tchéquie, d’autres en Pologne, deux millions de livres ou d’archives étant par exemple évacués à Ratibor (aujourd’hui Ratiborz), ou dans d’autres châteaux et repères d’Europe orientale.

C’est là que l’Armée rouge les trouve en 1944 et 1945 et saisit le tout comme prise de guerre. Plusieurs millions de livres et des centaines de tonnes d’archives sont envoyés en Union soviétique au cours de convois qui représentent au moins 400 000 wagons de chemin de fer. De grands spécialistes de l’archivistique et de la bibliothéconomie soviétiques, telle la célèbre Margarita Rudomino, responsable de la bibliothèque des Littératures étrangères de Moscou, furent invités à expertiser ces précieuses saisies. Pensant y découvrir des secrets utiles au combat anti-impérialiste, les Soviétiques entreposent ces archives au service central des archives spéciales (TS GOA), ou dans d’autres archives « spéciales », c’est-à-dire secrètes  2. Au fil du temps, ces collections, notamment les livres, connaissent de nouvelles migrations au sein du nouvel Empire : vers Kiev en Ukraine, vers Varsovie en Pologne, par exemple.

Ce n’est qu’après la chute de l’Union soviétique et grâce à l’énergie et à la conviction inlassables de personnes singulières, telle Patricia Grimsted, que la lumière se fait peu à peu, que l’histoire de ces recels peut être commencée et certaines restitutions effectuées. Non sans réticence de la part des nouveaux pouvoirs qui, pour n’être plus communistes, n’en restent pas moins nationalistes. Patricia Grimsted et cinq spécialistes européens, la plupart archivistes, racontent la nouvelle odyssée de leurs archives au retour de Moscou. Qu’il s’agisse des archives de l’Alliance israélite universelle, dont le retour est relaté par Jean-Claude Kuperminc, des Archives nationales belges, hollandaises, d’archives maçonniques luxembourgeoises ou des archives de la branche autrichienne des Rothschild, les restitutions font l’objet de longues négociations au cours des années 1990, qui, pour la France par exemple, conduisent en 1994 et 2000 à d’importants retours.

Traquer la vérité

Toute bibliothèque devrait acquérir ce livre, qui parle du vol et de la disparition de collections. Ses mérites sont nombreux et ses apports certains. Dans la première partie du livre, Patricia Grimsted apporte nombre d’éléments nouveaux sur cette double spoliation : sans relâche, elle arpente les fonds d’archives d’Allemagne et d’Europe centrale pour y traquer la vérité. Précieuses sont aussi les listes d’archives restituées par les pouvoirs russes, accessibles sur le site du ministère des Affaires étrangères pour la France, et dans ce livre gravées pour l’éternité. Précieuses encore, les différentes annexes reproduisant les protocoles d’accord entre les pays spoliés d’Europe occidentale et la Russie. Précieux enfin, les détails fournis quant à l’élaboration de ces compromis, et la part qu’y prirent les pouvoirs d’État, mais aussi les acteurs professionnels, russes notamment. Il y a fort à parier que, sans quelques journalistes, sans quelques personnalités politiques, sans quelques archivistes ou bibliothécaires russes résolus à rompre avec le régime du secret et de l’interdit, ces restitutions auraient été beaucoup plus longues et difficiles.

À n’en pas douter, ce livre constitue aussi un précieux soutien pour aller plus loin. Les archives russes conservent encore beaucoup d’archives secrètes et les découvertes à faire sont sans conteste beaucoup plus importantes que les premiers retours ne le laissent croire.

  1. (retour)↑   Voir parmi les publications récentes, pour les œuvres d’art : Looking for owners/À qui appartenaient ces tableaux ? La politique française de recherche de provenance, de garde et de restitution des œuvres d’art pillées durant la Seconde Guerre mondiale, sous la direction d’Isabelle Le Masne de Chermont et Laurence Sigal-Klagsbald, Jérusalem, Paris, Réunion des musées nationaux, 2008 (catalogue de l’exposition présentée du 25 juin au 26 octobre 2008 au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme à Paris). Pour les bibliothèques, voir Martine Poulain, Livres pillés, lectures surveillées : les bibliothèques françaises sous l’Occupation, Paris, Gallimard, 2008. Pour les archives, Sophie Cœuré, La mémoire spoliée : les archives des Français, butin de guerre nazi puis soviétique, Paris, Payot, 2007.
  2. (retour)↑   Patricia Grimsted donne une très utile typologie des documents saisis par les Soviétiques, p. 84-86.