Le forum des images

Les collections accessibles et les services associés

Jean-Yves de Lépinay

Cet article présente le nouveau Forum des images qui rouvrira ses portes à l’automne 2007 après deux ans de travaux : cinémathèque locale, lieu de « lecture publique », d’animation culturelle, d’éducation, de rencontres et de festivals, le Forum est également producteur de films documentaires. Outre la collection parisienne, « mémoire audiovisuelle de la ville », il accueille des collections « parallèles » (films rares ou peu diffusés), et propose l’accès aux collections de structures partenaires. Malgré le développement de la Video on Demand, le Forum revendique le choix d’une consultation des images – toutes numérisées – sur place, afin de favoriser l’accueil, le conseil et la rencontre.

The new Forum des images (Image Forum) will reopen its doors in the autumn of 2007 after two years of refurbishment: local film library, “public library” site, cultural activities, education, meetings and festivals, the Forum is also a producer of documentary films. Apart from the Parisian collection, “audiovisual memory of the town”, it houses a parallel collection (rare films or those rarely distributed), and offers access to the collections of partner structures. Despite the development of Video on Demand, the Forum claims that it has a choice of picture consultation – all digitized – on site, in order to privilege the reception area, advice and encounter.

Dieser Artikel stellt das neue „Forum der Bilder“ vor, das nach zweijährigen Bauarbeiten, im Herbst 2007 wiedereröffnet wird. Es fungiert als Cinemathek vor Ort, Raum für „öffentliches Lesen“, kulturelle Animation, Bildung, Begegnungen und Festivals und ist auch Hersteller von Dokumentarfilmen. Neben der Pariser Sammlung „Audiovisuelles Gedächtnis der Stadt“ nimmt es „Parallel“-Bestände auf (selten oder nie vorgeführte Filme) und eröffnet Partnereinrichtungen einen Zugang zu den Sammlungen. Trotz der Entwicklung „Video on Demand“ bemüht sich das Forum, dass Abbildungen – alle digitalisiert – vor Ort eingesehen werden können und fördert Empfang, Empfeh-lungen und Begegnungen.

Este artículo presenta el nuevo Foro de imágenes que volverá a abrir sus puertas en el otoño del 2007 después de dos años de trabajos : cinemateca local, lugar de “lectura pública”, de animación cultural, de educación, de encuentros y de festivales, igualmente el Foro es productor de películas documentales. Además de la colección parisiense, “memoria audiovisual de la ciudad”, éste acoge colecciones “paralelas” (películas raras o poco difundidas), y propone el acceso a las colecciones de estructuras asociadas. A pesar del desarrollo del video on Demand, el foro reivindica la elección de una consulta de imágenes –todas digitalizadas– in situ, con el fin de favorecer la acogida, el consejo y el encuentro.

Ouvert au public en 1988 sous le nom de Vidéothèque de Paris, le Forum des images vit actuellement une transformation importante. Locaux et salles sont en chantier depuis le mois d’octobre 2005 et jusqu’à l’automne 2007 ; le Forum poursuit ses activités hors de ses murs, et prépare une mue qui ne sera pas seulement physique.

Au cœur du Forum des Halles, le Forum des images a été associé, à son ouverture, à un projet d’aménagement du territoire, conçu par la Ville de Paris pour tenter d’offrir un « supplément d’âme » à ce centre commercial souterrain dont les dysfonctionnements, à l’époque, signaient l’échec urbanistique. Tout un ensemble d’équipements culturels, publics ou privés, ont alors été installés (Espace Cousteau, Espace photographique de Paris, Maison des associations, Musée du Rock, Médiathèque musicale de Paris, Maison des conservatoires, etc.). Beaucoup d’entre eux ont aujourd’hui disparu, soit qu’ils n’aient pas rencontré leur public, soit qu’ils aient été emportés par une certaine violence des lieux. Le Forum des images a eu la chance de parvenir à exister, et même à se développer, avec le soutien de la Mairie de Paris. Le projet actuellement en construction est l’aboutissement de ce processus engagé en 1988.

Le maire de Paris inaugurera dans quelques mois la « rue du cinéma », qui partira de la place Carrée jusqu’au cinéma UGC Ciné Cité. Toute une façade de cette rue souterraine sera la vitrine de la nouvelle bibliothèque du cinéma François-Truffaut, qui reprendra et développera les activités du département cinéma de la bibliothèque André-Malraux du boulevard Raspail, et du Forum des images rénové, avec ses cinq salles de projection, la salle des collections, une cafétéria, et des espaces de rencontres.

Ces nouveaux espaces, plus fonctionnels, plus conviviaux, mieux reliés à leur environnement, insérés dans un ensemble fortement dédié à la culture et au cinéma, permettront de poursuivre le travail que nous avons cherché à faire ces dernières années, et de le développer en proposant à notre public de nouveaux services.

Une institution multiple

Une particularité de cette institution originale est qu’elle regroupe des missions et des activités qui sont souvent dissociées, et qu’elle tente de les exercer en cohérence, les unes enrichissant et nourrissant les autres.

Le Forum des images est d’abord une cinémathèque locale : une de ses missions originelles est de constituer la mémoire audiovisuelle de la ville de Paris, en réunissant les images de cette ville filmées depuis 1895 jusqu’à aujourd’hui. Contrairement à beaucoup de cinémathèques ou d’archives audiovisuelles, la sélection des documents conservés s’est dès le départ orientée vers la plus grande diversité des origines, des genres, des supports. Films de longs et de courts métrages, fictions, documentaires, publicités, émissions de télévision, films amateurs, films d’entreprises, tous ont trouvé leur place dans notre collection. Notre conviction étant que la réunion de ces images diverses, leur mise en relation, leur confrontation parfois, enrichiraient les lectures possibles de chacune d’entre elles.

Le Forum des images est aussi un lieu de « lecture publique » : en effet, cette collection a été réunie avec le souci immédiat de l’accès. Nous souhaitions mettre en œuvre cet accès public de la façon la plus large et la plus simple possible – ce qui, en 1988, semblait une véritable gageure. Pourtant, à notre ouverture, tous les films de la collection sans exception étaient visibles à tout moment, à travers un système de consultation combinant robotique et informatique documentaire. Pour y parvenir, il a fallu bien sûr effectuer des investissements techniques lourds, et acquérir systématiquement des droits (non commerciaux, non exclusifs) pour cette mission.

Le Forum des images est un lieu d’animation culturelle de la ville. En dix-sept ans d’activités, il a trouvé une place originale dans le paysage audiovisuel parisien. Le regard spécifique que nous avons cherché à développer – fondé en particulier sur le principe de la thématique, qui permet de proposer des résonances entre des œuvres d’une grande diversité, en les reliant entre elles, et en montrant comment toutes ensembles elles proposent des ouvertures sur notre monde et notre société – a démontré sa légitimité. Dans un environnement parisien où de nombreux autres lieux présentent du cinéma, il fallait imaginer des propositions différentes, complémentaires, en direction si possible d’un public nouveau. Les 340 000 visiteurs annuels témoignent de ce que nos propositions – notamment en termes de programmation cinématographique – ont su éveiller l’intérêt du public.

Le Forum des images est un lieu d’éducation, qui reçoit chaque année près de 60 000 élèves de tous niveaux scolaires.

Le Forum des images est producteur de films documentaires, qui viennent enrichir la « collection parisienne ». Ce sont, dans la majeure partie des cas, des films d’auteurs, coproduits avec les chaînes de télévision nationales.

Car le Forum des images est enfin un lieu de rencontres, de débats, de découvertes. Plusieurs festivals mettant en valeur la création contemporaine y sont organisés, accueillis ou repris (Quinzaine des réalisateurs, Festival de films gays et lesbiens, Étrange festival, Némo, Rencontres internationales de cinéma à Paris, Pocket films…). Le public y est invité à dialoguer presque chaque soir autour des œuvres avec des cinéastes, des critiques, des historiens, des sociologues…

Notre projet s’inscrit dans cette complexité et cette richesse de l’institution, et en appuiera encore les caractéristiques. Un des éléments importants de ce projet repose sur de nouveaux développements de sa mission de « lecture publique du cinéma et de l’audiovisuel ».

Un lieu de mémoire et de lecture publique : la collection parisienne

La salle de consultation, lors de la première ouverture, fit forte impression : entièrement automatisée, elle était la première en France à offrir ce niveau d’accessibilité à une collection audiovisuelle de cette ampleur. Son catalogue était – chose tout à fait rare alors – accessible à distance, à l’époque par Minitel.

L’édition vidéo était encore très limitée, les chaînes de télévision plus rares, la VOD inexistante : pour un étudiant, pour un chercheur, l’ouverture d’une telle salle était une petite révolution. Le succès fut immédiat, et il fallut rapidement augmenter le nombre de postes de consultation. Nous fûmes sollicités par de nombreux chercheurs qui souhaitaient utiliser nos collections pour leurs travaux. Il fallut inventer pour eux un statut spécial : le statut de « chercheur associé ».

Et puis, ces toutes dernières années, nous constations que la fréquentation n’était plus aussi régulière. Les causes en étaient multiples : succès paradoxalement plus important des autres activités de l’institution, modification du paysage audiovisuel facilitant grandement l’accès aux documents, obsolescence des équipements techniques, etc.

Le principe même d’une salle de lecture des images de ce type pouvait être mis en cause. Nous avons choisi de poursuivre cette mission, en cherchant la façon dont nous pouvions lui redonner du sens et de l’attractivité.

Toutes les images ont été numérisées. L’accès en est simplifié, accéléré, la qualité améliorée.

Nous insistons sur l’idée de collection : un ensemble qui ne soit pas seulement une accumulation, mais un travail continu pour tisser des relations entre les œuvres, entre les époques, entre les points de vue. Un travail d’éditorialisation important a donc été mis en œuvre. La découverte de cette « mémoire audiovisuelle de la ville » ne se fait plus seulement à partir d’un moteur de recherche documentaire classique (un ou plusieurs bandeaux de recherche sur une page vierge, une requête à exprimer, une liste de réponses plus ou moins pertinentes…), mais par de multiples entrées ou outils : plans de Paris cliquables, frises chronologiques, textes thématiques invitant au butinage, galeries d’images, jeux interactifs…

Les films réunis, visionnables sur place, sont aussi mis en relation avec l’ensemble plus vaste des films du monde entier dont Paris est le sujet ou le décor. La base de données du Forum des images, disponible sur Internet, devient ainsi un outil de référence sur les images de Paris, qui va au-delà du simple catalogue de sa collection.

Sur place, la nouvelle salle propose des conditions d’accueil et de confort différenciés selon les usages : postes confortables pour un usage distractif, postes de travail aux fonctionnalités plus riches pour les étudiants et chercheurs, postes individuels ou « salons » pour petits groupes, petit amphithéâtre spécifique pour une classe d’élèves…

Pour autant, nous restons dans l’esprit qui était celui de notre précédente salle : espace de consultation individuelle, mais salle collective, et non pas carrels ou box séparés.

Ainsi conçue, la salle retrouve une modernité technologique qui était celle de son projet initial.

Les collections accueillies

Parallèlement, nous avons choisi de mettre en œuvre une dynamique pour offrir au public un espace de référence pour l’accès aux œuvres et aux documents audiovisuels dont nous estimons qu’il est du rôle d’une institution publique de les mettre particulièrement en valeur. Pour réactiver la notion de lecture publique de l’image, nous proposons un accueil de collections « parallèles », afin que le Forum des images devienne un lieu de référence pour découvrir des films rares ou peu diffusés, appartenant à des genres moins soutenus que d’autres par le marché – courts métrages, documentaires, et films liés à la formation des auteurs, aux premières étapes de leur professionnalisation.

Pour autant, nous ne voulions pas détruire la cohérence de notre propre collection, ni édulcorer le travail des partenaires avec lesquels nous souhaitions travailler. Au contraire, notre projet est de les mettre en valeur. Nous avons donc conçu le principe d’un « portail », par lequel l’utilisateur pourrait accéder à un ensemble de collections cohérentes, qui seront à côté de la nôtre accessibles dans notre nouvelle salle, dès lors baptisée « salle des collections ».

C’est ainsi que par exemple nous avons engagé un partenariat avec la société de production de films documentaires Les Films d’ici, à la tête d’un catalogue d’environ 600 titres signés par des auteurs aussi variés que Richard Copans, Claire Simon, Nicolas Philibert, Stan Neumann, Denis Gheerbrant… Par cet accord, le Forum des images participe à la sauvegarde du patrimoine de cette société, met en valeur la qualité et la continuité de son travail, et offre au public un ensemble majeur de la production documentaire française.

Une collaboration du même type a été engagée avec le Grec (Groupe de recherche et d’essais cinématographiques), structure de production originale qui fit faire leurs premiers pas cinématographiques à des auteurs comme Vincent Dieutre, Alain Guiraudie, Jean-Marc Moutout, les frères Larrieu ou Laetitia Masson.

La salle des collections du Forum des images permettra aussi de voir une collection d’environ 300 entretiens filmés avec des chercheurs, des écrivains, des intellectuels, sur les questions dont ils sont les spécialistes reconnus (fonds « Canal du savoir »).

La Femis (Fondation européenne des métiers de l’image et du son) aura son espace dédié, qui accueillera les films d’étude de ses élèves. Une sélection de 500 films courts, proposés en partenariat avec l’Agence du court métrage, proposera un panorama de la production française. Avec le collectif de cinéastes et d’artistes Pointligneplan, nous travaillerons à la constitution d’une collection vivante, élaborée par les artistes eux-mêmes, explorant les limites entre le cinéma et l’art contemporain.

D’autres partenariats sont en préparation. Chacune de ces collections sera mise en valeur sur l’interface de consultation accessible dans la salle, et sur le web. Elles feront également l’objet de séances en salles de projection et seront utilisées dans nos actions éducatives, dans la perspective de tisser des liens permanents entre nos différentes activités.

Enfin, à ces collections « permanentes » pourront s’ajouter des collections temporaires, ensembles de films réunis à l’occasion d’un festival, d’un programme thématique, d’une séance exceptionnelle, et disponibles pendant une période limitée.

Des questionnements nouveaux

Une question qui nous est régulièrement posée, et que bien entendu nous nous sommes nous-mêmes posée, est celle de la justification de maintenir un espace local de lecture publique des films, alors que se multiplient aujourd’hui les possibilités d’accès en ligne aux documents. Beaucoup des films que nous avons réunis dans notre collection « parisienne », et un certain nombre de ceux qui constituent les collections « accueillies » sont ou seront un jour disponibles sur des plates-formes VOD (Video On Demand). Nous-mêmes, nous aurions pu axer nos efforts sur la constitution d’une offre VOD, gratuite ou payante.

Nous pensons cependant que le public restera sensible au regroupement physique dans un même lieu des activités diverses : la simple juxtaposition de ce service de lecture publique avec les salles de projection modifie d’une certaine façon l’expérience de l’une ou de l’autre des pratiques. L’accueil, le conseil, ont aussi leur importance, de même que l’existence d’une « communauté de lecteurs ».

C’est pourquoi nous avons cherché à développer des outils documentaires qui favorisent la constitution et l’animation de ces communautés. Chaque utilisateur, dès lors qu’il sera identifié par le système, pourra se constituer son « porte-documents », qui lui permettra de sélectionner les notices de films, les parcours rédigés que nous lui proposerons, d’extraire d’un document une image ou une séquence qu’il aura choisie, puis d’organiser et d’annoter tous ces éléments. Il pourra retrouver cette sélection organisée lors d’une prochaine session, la compléter ou la corriger à distance depuis chez lui, l’exporter et la communiquer par mél ou sur sa clé USB, l’imprimer…

Il pourra également exprimer un avis sur un film, composer des filmographies commentées, et partager ces avis et ces listes avec les autres consultants.

Afin d’aller plus loin dans cette démarche, nous participons à un projet de recherche, « Ciné Lab », en partenariat avec l’Iri (Institut de recherche et d’innovation, fondé par Bernard Stiegler au sein du Centre Georges Pompidou), le Liris (Laboratoire d’informatique en image et système d’information – CNRS) et la société Antenna Audio. L’un des objectifs de ce projet sera d’implémenter dans la salle des collections un outil de lecture critique des images et des sons, puis de publication et de partage de ces analyses et commentaires.

Cette démarche s’inscrit pour nous dans une réflexion sur le rôle que doivent jouer aujourd’hui les institutions culturelles, et particulièrement, puisque c’est une fonction qui a marqué notre histoire, les institutions documentaires, dans l’économie actuelle du savoir et de la culture.

Notre rôle de « passeur », interface entre des œuvres et des spectateurs, n’est-il pas en train de changer ? Ne serons-nous pas conduits, de plus en plus, à susciter, organiser, soutenir, animer, modérer, des communautés de spectateurs qui se saisissent eux-mêmes de moyens d’analyse, d’expression, de conseil, de collaboration ? Ce sont ces questions que nous cherchons à explorer, et dont nous expérimenterons les conséquences à notre réouverture, au dernier trimestre de cette année 2007.

Janvier 2007