Les étudiants face à la lecture

par Guy Hazzan
études réunies par Lise Bois et Corinne Leblond.
Arras : Artois presses université, 2005. – 97 p. ; 24 cm. - (Études et témoignages).
ISBN 2-84832-028-1 : 18 €

Les huit études réunies ici par Lise Bois et Corinne Leblond, contributions aux actes d’une journée d’étude, « Les étudiants et la lecture », qui réunissait bibliothécaires, enseignants et sociologues dans le cadre de l’université d’Artois 1, paraissent un an après l’ouvrage La lecture à l’université dont nous avons rendu compte ici même 2.

D’emblée, l’intérêt et l’originalité de ce recueil reposent ici sur la très longue expérience et maturation de la problématique des organisateurs, confrontés dès 1988 à la nécessité de lutter contre la pénalisation d’un trop grand nombre d’étudiants qui ne lisaient pas ou mal, et sur la conscience d’une mission pédagogique de restauration du goût de la lecture. La bibliothèque universitaire (BU), avec des enseignants et des étudiants, s’était chargée d’organiser le Prix du premier roman de l’université d’Artois, afin de proposer la lecture de nouveaux romanciers.

Cependant le recul, les enseignements tirés des jurys, la participation d’étudiants certes volontaires mais peu nombreux, ont conduit les organisateurs à se demander si le premier constat plutôt favorable tiendrait face à un nombre d’étudiants plus important.

Les nouveaux comportements des étudiants

Face à la problématique de la fin des « héritiers » et de la massification de l’enseignement supérieur, il n’est guère possible de traiter des étudiants et de la lecture sans appréciation de l’évolution du système éducatif lui-même et des nouveaux comportements. Ainsi, à travers la contribution de Christine Detrez, nous constatons que c’est bien en amont qu’apparaissent réellement les sources du problème : chez les adolescents.

Au lycée, la lecture n’est plus pour les adolescents revêtue de son caractère sacré mais une activité comme une autre. L’auteur de cette étude originale par son approche longitudinale constate une baisse des pratiques et propose de considérer ces évolutions comme « une nouvelle étape de la déjà longue et mouvementée histoire de la lecture ».

Si donc il faut aborder les étudiants au travers de leurs pratiques réelles, Claude Poissenot étudie leur comportement face à la compétence documentaire. Les étudiants d’aujourd’hui sont dans un autre rapport à leurs études et à la lecture. Pour une large part, les étudiants de l’IUT (institut universitaire de technologie), auprès desquels l’auteur a mené son enquête, étaient des étudiants de première génération. S’ils maîtrisent assez bien les notions élémentaires, ils sont embarrassés par les opérateurs booléens, une interrogation fine du catalogue et l’usage des bibliographies, entre autres.

Dans ses pistes de réflexions « prospectives », Bruno Maresca constate que, face à l’effort public de développement des bibliothèques, le comportement des étudiants révèle un usage éloigné des politiques mises en œuvre par les professionnels. Ce qui est important, ce sont les places et la durée d’ouverture. B. Maresca regrette que la création littéraire manque de prescripteurs auprès des jeunes et la véritable question de la lecture est bien celle de la culture littéraire.

Pour Francis Marcoin (« Regards croisés sur les lectures étudiantes et l’édition savante »), le desserrement du lien ne s’est pas démenti, au contraire. Selon le profil des nouveaux étudiants, l’université serait moins un espace identitaire qu’un point d’accrochage social.

Dans leur comportement face à l’offre publique que représentent la Bibliothèque nationale de France (BnF) et les BU, il est clair que les étudiants fréquentent de plus en plus les bibliothèques. À la massification de l’enseignement supérieur correspond une massification de la fréquentation des bibliothèques par les étudiants. À la BnF, selon une enquête menée en 2002, Romuald Ripon constate que 81 % des lecteurs du haut-de-jardin sont étudiants et que l’on a deux types de lecteurs : les « utilisateurs » qui consultent les documents imprimés et les « séjourneurs », à la recherche d’une place 3.

Les constats effectués par Daniel Renoult pour « Les BU de Paris et leurs publics », fondés sur l’enquête menée à Paris en 2003 sur les étudiants en lettres et sciences humaines, révèlent que globalement 97 % des étudiants fréquentent les BU 4 qui ont perdu leur image négative. Mais les étudiants n’utilisent les BU que pour des services traditionnels : lecture sur place, espaces de travail, emprunt de livres, photocopies. Seuls les étudiants de 3e cycle ont recours à des services documentaires plus spécialisés.

La pédagogie de l’offre

Selon F. Marcoin, la lecture n’est qu’une des facettes de la communication pédagogique. Il est nécessaire de fonder une pédagogie de la lecture extensive, c’est-à-dire de recourir à l’outil informatique en constituant des liens entre les diverses informations. Il faut se préoccuper de la réalité des usages et de la nature des attentes. N’est-ce pas dû à l’absence de formation aux techniques documentaires informatiques si l’usage en est aussi pauvre ?

En écho aux questionnements pédagogiques qui ont émaillé chacun des articles, deux auteurs répondent à leur façon en élargissant et en approfondissant le débat. Harold David Coyac précise que, à la croisée des champs culturels et pédagogiques, le programme « Le temps des écrivains à l’université et dans les grandes écoles », créé en 1997, visait à encourager les rencontres entre écrivains, étudiants, enseignants et chercheurs de toutes les disciplines. L’opération, en ouvrant dans l’université un accès culturel à l’écrit, devait inviter les étudiants à élargir le champ de leurs lectures au-delà de leurs domaines d’apprentissage.

Enfin, répond également à cet objectif une forte plaidoirie de Michel Morel sur la lecture elle-même et sa pratique. L’auteur en se fondant sur les recherches des sciences cognitives contemporaines (Antonio R. Damasio), note le rôle primordial des émotions dans la lecture. Celles-ci engagent d’emblée un processus orienté et interprété en termes de positivité ou négativité indispensable à la pensée organisée. Prendre la mesure de ce fonctionnement de notre mode de perception, c’est comprendre l’acte même de lecture et, à partir de là, proposer une autre pratique ou pédagogie du texte.

Original à plus d’un titre, ce recueil d’études s’appuie sur l’attention apportée aux comportements nouveaux des étudiants et aux usages très traditionnels que ceux-ci font de l’offre des bibliothèques. D. Renoult propose de reconstruire les rapports entre pédagogie et documentation et, tout à la fois, de s’interroger sur l’idée que se font des bibliothèques, non seulement les étudiants, les enseignants mais encore les bibliothécaires eux-mêmes.